Un itinéraire communautaire
Trente ans d’histoire de la congrégation des Sœurs Auxiliatrices en France
Marie-Luce Brun
N°1998-1-2 • Janvier 1998
| P. 28-32 |
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Il m’a été demandé de partager les objectifs que la congrégation des Auxiliatrices en France [1] a poursuivi en raison du vieillissement des communautés et des aspirations des jeunes. J’essayerai de dire les modalités de réalisation de ces choix ainsi que l’évaluation des fruits de ceux-ci.
C’est bien sûr un regard partiel et partial que je vous propose, même s’il s’appuie sur des données assez objectives. C’est le mien et j’étais directement concernée lorsqu’il nous a été demandé en 1970 de mettre en œuvre ces modalités puisque j’étais alors provinciale d’une partie des Auxiliatrices de France.
La crise
Vers les années 1960-1970, une ou deux jeunes professes se trouvaient dans des communautés avec quelques sœurs de 40 à 50 ans, mais le plus souvent de 65 ans et plus. Le décalage des mentalités s’accentuait. De nouvelles manières d’envisager l’existence, de nouveaux schèmes de pensée, de nouvelles hiérarchies de valeurs étaient en train de naître. Les centres de soin étaient peu à peu abandonnés par la force des nouvelles lois, les infirmières commençaient à s’engager dans les hôpitaux, les assistantes sociales, dans les services départementaux, etc. Devenir salarié modifiait dans sa forme la vie religieuse demeurée assez conventuelle. L’obéissance devenait davantage liberté responsable dont on rend compte. L’option du costume civil jouait un rôle qui n’était pas sans portée et soulevait quelques conflits internes.
Tout ceci rendait les dialogues difficiles, on avait du mal à se comprendre.
C’était aussi l’époque du Concile, avec les chapitres d’ aggiornamento et tout le renouveau, les recherches, audacieuses parfois, qui se faisaient jour.
À cette époque s’amorcent quelques essais de regroupement de jeunes Auxiliatrices dans de petites équipes de quatre ou cinq sœurs, filiales d’une plus grande communauté. Enfin, on tâtonne.
L’heure de vérité
En 1970, pour y voir plus clair, la Supérieure générale propose aux professes temporaires de toutes les provinces de se rencontrer à Paris pour trois semaines. Elles pourront ainsi librement exprimer leurs aspirations, leurs recherches, leurs agressivités. À l’évaluation de la session, la conclusion est sans ambiguïté : il faut libérer la vie en vue de la Mission. Il faut regarder en avant.
La recherche en France
Le projet de la Supérieure générale est alors de repenser le Gouvernement de la Province, l’équilibre et la mission des communautés.
Pour le gouvernement, elle demande de faire une seule province (il y en avait deux) avec un secteur pour de petites et moyennes communautés où vivront les plus jeunes et un autre secteur pour des maisons nombreuses avec les sœurs âgées.
Elle demande qu’en deux ans soit mis en place une équipe provinciale avec une provinciale de France, une provinciale responsable des maisons nombreuses et une coordinatrice de la formation. Chaque provinciale ayant son conseil propre mais, pour veiller à l’unité, une conseillère de chaque secteur participera au conseil de l’autre secteur.
Pour les communautés
De plus petites communautés de quatre à six sœurs devront continuer à être mises en place. Une certaine latitude leur sera laissée quant au rythme et à la forme de vie communautaire.
L’aménagement de maisons pouvant accueillir de quinze à trente personnes, de manière plus fonctionnelle avec l’emploi de personnel laïque, est prévu.
La mise en œuvre
En 1971, une rencontre des supérieures à Rome a permis un échange en vérité sur le projet. C’est grâce à une de nos sœurs aînées qui a souligné l’importance de libérer la vie pour les plus jeunes que le projet a pu être peu à peu envisagé. Beaucoup de peurs, de souffrances ont été exprimées. Cependant la décision de la mise en œuvre en secteur a été prise et l’équipe provinciale s’est peu à peu constituée.
En septembre 1972, la décision est appliquée avec les précisions juridiques voulues selon les modalités décrites précédemment. La souffrance d’un certain nombre de nos sœurs aînées est là, elles craignent rupture et ségrégation, elles ne comprennent pas que les Auxiliatrices infirmières partent travailler à l’hôpital au lieu de venir les soigner. D’autres entrent avec générosité dans le projet, saisissant la portée d’une telle décision.
Peu à peu des liens se tissent d’un secteur à l’autre. Un réel dynamisme se développe chez les aînées ; elles se prennent en charge, mettent en place une formation permanente humaine et spirituelle, créent une commission de coordination chargée de l’animation des communautés. Des priorités se dégagent ; des demandes sont adressées à l’autre secteur pour l’animation de week-end. Une commission du troisième âge est mise en place et elle s’adresse aux deux secteurs. La construction d’une maison médicalisée s’effectue en 1974 ainsi que le réaménagement d’une maison de convalescence à Cannes.
Du côté des plus jeunes, il est bon de noter la mise en place de petites communautés d’Auxiliatrices de quatre ou cinq sœurs, surtout à la périphérie des grandes villes ou en villes nouvelles.
- 9 petites communautés fondées entre 1968 et 1974
- 2 petites communautés fondées en 1977-1978
Un dynamisme, peut-être un peu anarchique, se développe avec beaucoup d’initiatives venant des sœurs, des recherches apostoliques sur les villes nouvelles, des besoins nouveaux de l’Église et du monde.
Durant toute cette période un peu tâtonnante, l’autorité et l’obéissance traversent, comme toutes les autres institutions, une période difficile. Surtout dans le secteur plus jeune, il y a recherche, tension, confrontation à ce propos.
Tout cet ensemble mis en place à partir de 1972 est vécu de manière assez dynamique durant 15 à 18 ans. Une blessure demeure pour certaines sœurs aînées et les provinciales veillent à en tenir compte.
En 1990 une urgence se fait à nouveau sentir.
Chaque secteur compte environ cent cinquante sœurs (moyenne d’âge des plus âgées 76 ans, pour les autres, moyenne d’âge de 60 ans).
- Le secteur des aînées ne peut plus subvenir à sa propre vie sans un soutien assez répété de l’autre groupe. Il y a un réel épuisement, il importe de trouver de nouvelles conditions de vie.
- La recherche d’une solidarité plus grande entre toutes les sœurs dans la diversité des situations se fait sentir.
- Certaines sœurs de 65 à 75 ans ont besoin de trouver un rythme qui soit plus adapté à leurs besoins. Il importe de favoriser de nouvelles formes de mission avec la mise à la retraite.
Une démarche est proposée par le conseil provincial. Des hypothèses d’organisation de la province sont envoyées à toutes les Auxiliatrices et une commission composée des sœurs de deux secteurs est mandatée pour favoriser au maximum la participation et ouvrir de nouveaux modes de communication et d’animation.
Ainsi d’octobre 90 à avril 91 un grand travail de participation, d’écoute, de proposition s’effectue dans l’ensemble de la Province. On constate alors que :
- la mission mobilise toutes les sœurs ;
- la souffrance et les blessures pouvant s’exprimer, elles s’atténuent un peu mais une peur réelle demeure pour certaines ;
- la mise en secteur a favorisé un dynamisme apostolique renouvelé des deux côtés.
En mai, un écho est donné de ce grand travail préparatoire. Il confirme la proposition du conseil provincial de rester une seule province avec deux groupes mais se répartissant autrement. Il est demandé que soient mises en place de nouvelles structures d’animation et de communication.
C’est ainsi que progressivement s’est élaborée la composition des deux groupes. Certaines petites communautés se sont proposées pour rejoindre le groupe des aînées, d’autres se sont dites disponibles. J’ai perçu là un temps de discernement qui demandait du courage et une foi profonde pour qu’un réel soutien fraternel se développe et que les forces pour la mission soient libérées.
En novembre 1991, une assemblée de toute la province ratifiait la décision prise par le conseil provincial élargi, la provinciale et la supérieure générale - moment fort de fraternité. De nouvelles structures d’animation et de communication ont été mises en place et durent toujours.
À ce jour, l’évaluation de cette nouvelle manière de vivre en province, n’a pas été faite mais il est possible de noter un renouveau pour les sœurs aînées grâce à l’arrivée de sœurs entre 65 et 75 ans ayant un dynamisme apostolique et communautaire réel. Le groupe des plus jeunes est plus homogène dans son style de vie apostolique. Il se retrouve chaque année pour une assemblée qui favorise la participation et la convivialité. La solidarité inter-groupes se déploie de multiples manières.
Il faut cependant remarquer que nous avons fermé trois communautés du petit groupe ; nous avons accueilli une demande institutionnelle où un projet communautaire mobilise l’ensemble de la communauté, ce qui est nouveau pour nous en France. C’est un déplacement qui s’opère.
Voilà, en quelques lignes, l’itinéraire dynamique, tâtonnant et douloureux aussi d’un groupe de religieuses désireuses de demeurer apostoliques jusqu’au bout et ouvertes aux changements culturels et ecclésiaux de notre époque.
D’autres congrégations ont fait des choix différents et fructueux. N’est-ce pas ainsi que nous pouvons nous entraider et nous stimuler pour mieux découvrir comment vivre la consécration religieuse dans l’Église et le monde d’aujourd’hui.
23, rue de l’Ermitage
F-78000 VERSAILLES, France
[1] Les Auxiliatrices ont été fondées en 1856 par Eugénie Smet, française. Elles sont de tradition ignatienne, dispersées sur quatre continents, avec des missions très variées. Leur nombre en 1997 est d’environ 800 en tout dont 250 dans la Province de France.