Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Pour un avenir au goût de résurrection

Stéphane Delberghe, s.d.b.

N°1998-1-2 Janvier 1998

| P. 54-57 |

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Dans un monde qui crie douleur sous le poids de l’individualisme, de la violence, du manque de raisons de vivre, n’est-il pas paradoxal de nous interroger sur l’utilité d’une vie de communion qui, enracinée dans l’offrande du Christ, fait du « don de soi » le témoignage que la vie a du sens ?

Oublier cette dynamique « de base », c’est succomber à la tentation de dessiner le point de vue du monde sur la vie religieuse, de la vie religieuse sur le monde en recourant à de nombreux critères (étendue territoriale, nombre de jeunes vocations, écart des générations, état des finances...) qui indiqueraient, pour l’avenir, une solution logique et facile : « Il suffit de... » Il nous faut toutefois admettre que de telles décisions s’avèrent sinon irréalisables, en tous les cas inefficaces d’un point de vue pastoral. Les blessures, les situations sans issue qu’elles occasionnent stérilisent, parfois irrémédiablement, toute perspective nouvelle.

Ainsi, quitter la périphérie de nos stratégies structurelles pour en revenir aux sources semble plus profitable et indispensable. Revenir aux sources, c’est goûter l’enthousiasme qui dilate notre cœur, c’est accueillir la vie du monde dans son jaillissement, c’est nous laisser habiter par l’Esprit qui nous fait Église... Un tel « retour » rend à nouveau l’histoire possible. Ainsi, nous interroger sur l’avenir de notre vie de consacrés, c’est avant tout nous redécouvrir en état de conversion. La vie consacrée ne cesse-t-elle pas d’être signifiante dans le monde et dans l’Église dès lors qu’elle ne fait plus sens dans notre vie ?

Cette quête inlassable de sens ouvre des chemins encore inexplorés et dessine un renouveau (quel qu’il soit : fusion, fin de vie, restructuration...) qui a goût de Résurrection et non de mort ! Une vie, animée par le souffle toujours nouveau qu’appellent communion et don, peut-elle vieillir ?

Ainsi l’avenir de la vie consacrée exige de nous d’être des témoins qui, refusant tout repli frileux, osent vivre la communion, osent l’accueil de jeunes confrères, osent s’enraciner en de nouvelles terres, osent être constamment sortis de leur « repos », osent le don de soi...

Oser la communion, c’est notamment prendre le risque fécond d’une confrontation des générations. Apprendre à entrer dans un dialogue vrai où chacun est entendu, dépasser les différences qui souvent s’affirment de manière radicale (et ce d’autant plus qu’elles concernent les domaines de la foi), vivre la rencontre dans le don de soi, de son temps, de son énergie, de son affection sans être prisonnier d’une relation « pseudo paternelle », autant d’apprentissages que la cohabitation des générations propose à chacun comme chemin de croissance. Les fruits d’une telle expérience de communion ne se limitent toutefois pas à ces acquis personnels. En effet, dans un monde qui cloisonne de mille et une manières les différents âges, notre « vivre et construire ensemble » est un témoignage qui ne cesse d’interpeller ceux qui l’accueillent, qui agit comme un ferment au cœur de nombreuses réalités sociales.

Oser l’accueil... Plus qu’une garantie d’avenir, que l’occasion inespérée de faire survivre des structures, qu’une pacification de la tension que provoque à un certain âge le fait de se découvrir sans progéniture, l’accueil de jeunes vocations est un engagement, une aventure humaine et spirituelle dont on ne peut connaître l’issue sans s’y livrer. En effet, accueillir de nouvelles vocations, c’est accepter d’être dépossédé, de devenir partenaires pour « le meilleur et pour le pire ». Une telle dynamique doit irradier l’ensemble des dimensions de notre vie consacrée : mission, vie de communauté, conseils évangéliques.

La jeunesse avec sa force de créativité, de découverte, d’intuition, d’enthousiasme, de fraîcheur peut remettre le projet missionnaire d’une communauté au diapason du monde contemporain et ainsi redonner vie à ce qui semblait hors circuit. Ceci suppose que les jeunes générations soient associées aux responsabilités, à l’élaboration de projets et de programmes ; encouragées, soutenues dans leurs initiatives, même si elles ne doivent avoir qu’un temps [1]. Précisons toutefois qu’une telle démarche doit s’enraciner dans la volonté de construire la communion ; volonté qui permet un dialogue fructueux entre frères âgés et jeunes qui débouche sur des solutions adéquates à la fois basées sur l’expérience et ouvertes à la nouveauté. « Que les anciens se rappellent que la Congrégation ne meurt pas avec eux et que les jeunes n’oublient pas qu’elle ne commence pas avec eux ! » [2]

Oser de nouvelles présences... « Oser la marge... » Ne sommes-nous pas trop souvent enracinés dans une terre que la source évangélique a cessé d’irriguer ? Par habitude, par facilité ou même par simple négligence, nous demeurons dans nos œuvres parfois sclérosées, paralysées. Mais n’avons-nous pas oublié que « nul n’est prophète en son pays » ? Ainsi, quitter les terrains d’action que nous nous « disputons » avec d’autres acteurs (ASBL, État...) parfois mieux outillés que nous, pour rejoindre les « terres » encore inexplorées, oubliées (prenons l’exemple des soins palliatifs), c’est s’inscrire dans la longue Tradition prophétique de la vie consacrée. Il s’agit bien d’une « Parole » pour le monde. Il suffit pour s’en convaincre de relire l’histoire de nombreuses fondations de congrégations, d’accueillir le témoignage de ces passionnés de Dieu et de l’homme qui, aujourd’hui, sont « contagieux » et suscitent en de nombreux jeunes le désir de se donner.

Mais quitter, c’est risquer de tout perdre. Le poète le dit : « Partir, c’est mourir un peu. » Et pourquoi pas ? Pourquoi ne pas mourir à ces habitudes qui font de nous des prisonniers du quotidien ? Pourquoi ne pas mourir à nos certitudes qui nous ferment à toute créativité, à toute audace nécessaire ? Pourquoi ne pas oser « l’inquiétude » (être sorti de notre repos) d’une confrontation avec le monde tel qu’il se vit ? L’appel du Seigneur à quitter la berge, à « Avancer en eau profonde » et sa promesse « ils capturèrent une grande quantité de poissons : leurs filets se déchiraient » (Lc 5,5-7) auraient-ils perdu toute actualité ?

On l’aura compris, « oser », c’est entrer dans une démarche pascale qui se révèle, en dépit des apparences, obéissance à la Parole qui au cœur de notre cœur, au cœur de nos communautés, au cœur du monde, ne cesse de nous enfanter à la Vie.

Une telle réflexion peut sembler idéaliste, sans retombées directes ou indirectes dans le concret de nos situations alarmantes... Et pourtant, n’est-ce pas refuser de rejoindre ce noyau qui nous laisse sans issue ? Toutes nos projections pour demain seront sans lendemain tant qu’elles ne jailliront pas de la source qui en nous fait toutes choses nouvelles.

26, avenue R. Vandendriessche
B-1150 BRUXELLES, Belgique

[1« Notre esprit de famille et le dynamisme qui caractérise notre mission rendent particulièrement utile la contribution apostolique des jeunes salésiens. Ils sont plus proches des générations nouvelles, capables d’animation et d’enthousiasme et disponibles pour des solutions nouvelles. La communauté en encourageant et en orientant leur générosité, les aide dans leur maturation religieuse apostolique » (Constitutions de la Société de saint François de Sales, Article 46 - Les jeunes salésiens).

[2Le projet de vie des Salésiens de Don Bosco. Guide de lecture des Constitutions salésiennes, p. 176.

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