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La pastorale des vocations en Europe et l’accueil des jeunes dans nos communautés vieillissantes

Noëlle Hausman, s.c.m.

N°1998-1-2 Janvier 1998

| P. 89-99 |

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Je vous propose de lire ensemble le document qui a servi de base au récent Congrès romain sur la pastorale des vocations en Europe. En face de lui, si je puis dire, je mettrai les recommandations de Vita consecrata sur les jeunes et les personnes âgées dans la vie consacrée. J’espère éclairer ainsi nos débats.

A. Le document de travail du congrès de Rome, 5-10 mai 1997, « La pastorale des vocations dans les Églises particulières d’Europe »

Le texte sur la pastorale des vocations que j’aimerais vous présenter n’est pas le seul en ce domaine, depuis le Concile. Mais ce document de travail a le mérite d’être tout récent, et d’émaner de plusieurs dicastères romains réunis par « l’Œuvre pontificale pour les vocations ecclésiastiques » au Congrès qui vient de se tenir à Rome : l’éducation catholique, les Églises orientales, les Instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique. De plus, il tranche par la netteté et la profondeur de son diagnostic sur le style lénifiant qu’on trouve trop habituellement sur un sujet souvent douloureux. Son but est notamment de « provoquer une comparaison au niveau européen » (2), et il est à cet égard très instructif en ce qui regarde la situation belge qui nous retiendra davantage. Ses chiffres viennent des meilleures sources (3), et son angle d’attaque ne manque pas de pertinence (5-6) : jamais peut-être on n’a autant travaillé qu’aujourd’hui pour les vocations, mais il existe un fossé entre les efforts accomplis et les résultats concrets, bien qu’il y ait des Églises plus fécondes en nouveaux germes de vocations et des Églises plus essoufflées - « pourquoi ?

Le document procède en deux parties, l’une qui regarde la décennie écoulée (1985-1995), l’autre qui veut construire l’avenir. Parcourons rapidement ces pages, en soulignant quelques arêtes qui nous concernent davantage. Nous achèverons par un retour à Vita consecrata, qui affecte au même problème deux numéros de grande teneur spirituelle.

1. Regard sur la décennie 1985-1995

I. La tendance numérique des vocations est diverse, selon les situations. La population catholique en Europe augmente globalement, mais cinq pays rassemblent à eux seuls 61 % de ces catholiques. La diminution globale des prêtres diocésains et religieux est de 13 % (31 % pour la Belgique). Les ordinations sacerdotales sont en croissance de 37 %, mais elles ne compensent pas les pertes, et l’âge moyen du clergé augmente. Les grands séminaristes augmentent alors que les petits séminaristes diminuent, de même que les frères. L’Europe compte toujours 50 % des religieuses du monde entier, mais leur nombre a baissé de 25 % entre 1978 et 1994, comme ont baissé les chiffres des novices, hommes et femmes.

II. Face à la crise, les réactions ont été contrastées : découragement des animateurs des vocations, résignation au déclin dans les communautés religieuses, mise en question du célibat sacerdotal, mais aussi prière plus répandue, plus grande vigueur des projets, malgré la difficulté d’atteindre les couches périphériques des communautés paroissiales. « La Belgique fait observer que la crise devient toujours plus grave, surtout dans les diocèses flamands » (18) et affirme, avec d’autres, ne pas pouvoir inverser la tendance, au moment même où se manifeste aussi « une sympathie grandissante pour les choix radicaux, comme en témoigne la présence notoire de jeunes dans les communautés monastiques de vieille tradition ou dans les nouvelles formes de vie consacrée ». Laissant de côté l’Europe de l’Est et les situations particulières, notons une certaine inversion de tendance en quelques diocèses, là précisément où l’on travaille méthodiquement depuis des années en suivant un projet bien spécifique.

III. Du point de vue qualitatif, les nouvelles vocations viennent d’horizons divers, sont polarisées sur certaines valeurs fortes, à côté d’une vie morale marquée par les fragilités et les chutes. Un sérieux discernement est donc nécessaire, et le milieu éducatif doit être d’autant plus riche qu’il est plus restreint (« en réalité, c’est souvent tout le contraire qui arrive »). Beaucoup de générosité coexiste chez les jeunes avec une certaine instabilité, et la tendance à vouloir toujours occuper le devant de la scène. Deux types apparaissent, assez classiquement, l’un plus pieux et l’autre, plus social. Parmi les difficultés nombreuses, retenons celle d’accepter les difficultés de la vie fraternelle concrète.

IV. La catégorie la plus évocatrice pour parler des jeunes dans une perspective de vocations serait celle de l’ambivalence : ils se posent peu de questions, ont du mal à passer des expériences aux décisions..., alors que les attirent de nouvelles valeurs (nostalgie du silence, goût de la solidarité, sympathie pour des modèles évangéliques). La pastorale des vocations oscille (elle aussi) entre deux extrêmes : soit elle fait des propositions qui n’intéressent pas (par défaut de psychologie), soit elle ne propose que des expériences sans option décisive (par défaut de spiritualité).

V. De nouvelles sensibilités s’y font cependant jour. Le signal le plus répandu est celui de nombreuses initiatives de prière. Un autre signal positif est l’abondant magistère des évêques sur le thème des vocations. Dans certains cas, comme en France, un nouvel effort est accompli du côté des paroisses, elles-mêmes en pleine mutation. Un autre signal récent est la demande religieuse d’hommes et de femmes en quête de repère, même s’il est urgent d’aller au-delà, en orientant les attentes des jeunes qui cherchent Dieu et un sens à leur vie. Pour les religieux belges, « une pastorale des vocations est impensable sans la complémentarité d’une pastorale des jeunes », mais le point faible est la période qui suit la confirmation ; enfin, la pastorale des vocations cherche des liens avec la pastorale familiale (au vu du nombre des familles chrétiennes qui s’opposent ou n’approuvent pas le choix de leurs enfants).

VI. Les supérieur(e)s majeur(e)s ont ajouté leurs remarques à ce tableau, par exemple sur le fait que les religieux qui ne sont pas en charge d’activités pastorales obtiennent difficilement des vocations. En Belgique, plusieurs familles religieuses n’ont plus de vocations depuis vingt-cinq ans ; même si l’on veut se préoccuper plus de la qualité que du nombre, quand le novice est seul, « le manque d’autres candidats est un obstacle qui ne peut être sous-estimé ». Or, dans l’ensemble, évêques et curés ne sont pas sensibles à une pastorale attentive à la vie religieuse : pas de refus, mais pas de soutien non plus. Des collaborations ont, d’autre part, été établies avec les laïcs et la communauté chrétienne, voire entre les diverses provinces d’un Institut, sur le plan du discernement et de la première formation. Une très grande majorité estime nécessaire que les religieux de vie apostolique emploient le meilleur de leurs énergies à la pastorale des jeunes, dès lors que les candidats à la vie religieuse ne proviennent plus des petits séminaires, mais directement des familles. De nombreuses « Provinces » disposent d’une communauté ou d’une structure opérationnelle, soutenue par toutes les autres communautés. Une figure nouvelle apparaît, celle de l’animateur vocationnel des communautés (non plus du promoteur isolé des vocations), qui encourage la participation de la spiritualité de l’Institut à l’Église locale. Mais une autre nouveauté angoisse plus d’un Institut, celle des abandons au cours des premières années de vie apostolique, provoqués sans doute par l’effondrement des idéaux en face de la réalité. Deux tiers des familles religieuses interpellées n’ont pourtant pas encore élaboré leur plan pastoral pour les vocations. Parmi les résultats les plus significatifs, il faut noter l’attention portée à l’accompagnement spirituel personnel, qui propose des itinéraires de foi et de vie chrétienne capables de mener à des choix mûrs et motivés. Dans le riche tableau des difficultés majeures (46), notons : le témoignage insuffisant des communautés, le manque de propositions fortes de croissance chrétienne, l’incertitude quant au rôle de la femme dans l’Église, les hésitations sur l’identité du frère, l’incompréhension de la vocation des monastères de clôture.

VII. Les remarques portant sur les Instituts séculiers ajoutent la difficulté caractéristique de l’ignorance (le document parle de « désinformation ») au sujet d’une forme de vie consacrée fort discrète.

*

Que retenir d’un diagnostic aussi contrasté ? La situation varie de pays à pays, mais le nôtre, qui appartient au noyau le plus catholique de l’Europe, est plus gravement atteint encore que d’autres par la crise des vocations, et la vie religieuse est plus en recul que la vie sacerdotale, surtout chez les non prêtres (donc aussi chez les femmes). La description des jeunes d’aujourd’hui paraît réaliste, malgré le balancement continuel des forces et des faiblesses qui débouche sur une impression de visage indéterminé. De nouveaux acteurs apparaissent clairement, comme la famille, la paroisse, les milieux de la pastorale, l’Église locale. Des procédures renouvelées ont été utilisées avec un certain profit. Comment peut-on dès lors envisager l’avenir ? La lecture de la deuxième partie du document nous y introduira.

2. Construire l’avenir

I. « Sur le plan de la réflexion théologique, quatre aspects ont besoin d’être approfondis et consolidés par une solide pratique pédagogique et pastorale » (55) : le chemin de la foi doit conduire à une rencontre de Jésus qui bouleverse toute la vie, la connaissance biblique et christologique impliquera un choix définitif d’existence chrétienne, la sequela Christi s’entend à l’intérieur du contexte vivant de l’Église particulière (toute vocation est le signe du mystère qui unit le Christ à l’Église), la pastorale des vocations a besoin de faire la clarté sur les rapports entre ministère ordonné, « vocation de consécration spéciale » et toutes les autres vocations.

II. Dans les Églises particulières, la pastorale des vocations est l’un des choix pastoraux les plus délicats (« toute la pastorale, et en particulier celle des jeunes, est naturellement une pastorale des vocations »), qu’il faut mettre au centre, revitaliser par un souffle spirituel, insérer totalement dans la pastorale « ordinaire », en particulier dans la famille chrétienne (« on ne lui demande pas de faire la proposition, mais de créer un climat » qui ne soit pas hostile). Des propositions sont à faire, par la parole et l’exemple de la vie, sur un autre mode que celui qu’on peut appeler le discours d’incertitude. La primauté de l’Esprit se découvre dans la prière, les exercices spirituels, les journées de désert, l’adoration même nocturne du Saint Sacrement. Les semaines de prière pour les vocations, la simple fréquentation du cycle liturgique, les itinéraires autour de la confirmation sont profitables, mais bon nombre de vocations proviennent de groupes caractérisés par une recherche explicite de vocation (inspirés par des séminaires ou des maisons religieuses). La nécessité d’une direction spirituelle personnelle s’accentue, alors que manquent souvent les éducateurs préparés à ce ministère, « surtout les prêtres venant du séminaire ». Le rapport à l’école est enfin considéré : « le monde de l’école n’est en général pas très bien exploité pour une réflexion plus explicite et plus courageuse ». Les vocations au féminin sont en particulière souffrance, même s’il existe des groupes spécifiques qui semblent les seuls espaces ecclésiaux où se réfléchit la mission historique de la femme, face aux grands défis de notre culture.

III. Dans les communautés chrétiennes, « une des frontières de la prophétie... est l’éducation » ; mais c’est précisément l’un des points faibles de la pastorale des jeunes et des vocations, de manquer de formateurs et de guides adéquats. Font aussi défaut, à l’Est, les organismes pastoraux proposant de véritables itinéraires, et en général, la coordination entre les centres diocésains et les initiatives propres aux religieux. Or, c’est l’Église particulière qui est le véritable lieu des charismes et des vocations, et il ne suffit pas qu’un groupe ecclésial devienne le milieu d’amitié gratifiante pour se faire instrument de croissance humaine et spirituelle. La médiation éducative (= la présence de formateurs) requiert, plus qu’un vague altruisme, la conscience d’être témoin du Christ et serviteur du projet de Dieu dans le cœur de chacun. Les jeunes doivent respirer un climat d’estime à l’égard de toutes les vocations qui forment la communauté ecclésiale. L’année liturgique est une école permanente où l’on se forme petit à petit aux exigences du Seigneur. Quelques remarques aiguës sur les centres diocésains des vocations sont à considérer, de même qu’une autre observation : la contribution des religieux et religieuses aux programmes des diocèses apparaît « un peu plus difficile », tentés qu’ils sont de constituer leurs activités spécifiques.

IV. Mais l’Europe des vocations doit se tourner vers l’avenir, insister sur la confiance à faire aux jeunes et sur les valeurs dont ils sont porteurs. Des échanges sont à prévoir, entre Églises d’Europe, et surtout, il s’agit de préfigurer une autre image d’Église, moins cléricale et plus laïque. Le message le plus fort à crier est celui du radicalisme évangélique (sine glossa), et l’urgence est celle de surmonter « la pathologie de la fatigue » chez les prêtres et les religieux, « en redécouvrant à l’intérieur de leur appel les raisons d’un visage pascal ». En second lieu, de nouveaux éducateurs sont nécessaires, eu égard à la faiblesse de nombreux lieux pédagogiques. Enfin, « un solide effort est requis pour que la proposition entre dans la pastorale ordinaire ». Sur ce front des vocations, c’est l’espérance qui se trouve la plus requise, de sorte qu’on fasse place « à ce ministère de fait à l’intérieur de l’Église connu sous le nom de ministère de l’encouragement ». Dix questions sont finalement proposées, en guise de résumé (et d’examen de conscience), et huit propositions sont offertes pour la bonne marche du Congrès, avant l’Appendice très fourni sur les statistiques propres à l’Europe dans le domaine des vocations.

Ainsi, l’avenir se construit à partir d’une théologie plus explicite ou plus radicale (I), il suppose une pastorale des jeunes dynamique (II), il demande une médiation éducative où la collaboration soit de règle (III), il appartient à ceux qui exercent un vrai ministère de consolation (IV). Peut-être, après cette lecture de la situation et de l’avenir qui se prépare, pouvons-nous revenir à Vita consecrata et à certains numéros fort éclairants, pour notre thème.

B. Jeunes et personnes âgées dans les communautés de vie consacrée, selon Vita consecrata

Avant d’en venir au seul numéro de l’exhortation sur les personnes âgées, remarquons que Vita consecrata demande qu’un choix privilégié soit fait, parmi les malades (VC 83), pour les plus pauvres et les plus délaissés, « comme les personnes âgées, les handicapés, les marginaux, les malades en fin de vie, les victimes de la drogue et des nouvelles maladies contagieuses ». Et la perspective chrétienne est tracée : il s’agit d’aider les malades à offrir leur souffrance avec le Christ (avec une longue référence à l’exhortation Christi fideles laïci 52-53 où les malades étaient entendus comme des envoyés à la Vigne) et à demeurer conscients d’être des sujets actifs de la pastorale de la croix (avec référence à l’exhortation Pastores dabo vobis 77, adressé aux prêtres souffrants).

1. Le rôle des personnes âgées (VC 44)

Les personnes âgées ont donc déjà été citées parmi les pauvres (82) et parmi les malades (83) que les consacrés ont, de manière privilégiée, à rencontrer. Mais au moment où nous nous trouvons à présent dans le texte, c’est-à-dire au début de la deuxième partie (Signum Fraternitatis), ces personnes âgées deviennent les anciens (et les malades) qui relèvent de la vie consacrée elle-même. Qu’en est-il de leur rôle dans la vie fraternelle ou la communion, véritable sujet de toute cette partie ?

On fera remarquer tout d’abord que le document cité plusieurs fois en note dans cette seconde partie (Congregavit nos in unum Christi amor, 2 février 1994 auquel renvoie d’ailleurs notre numéro), parlait déjà des religieux âgés, parmi les « situations actuelles’ sur lesquelles s’achevait ce document. Ici, dans Vita consecrata, les personnes âgées viennent dès l’abord – il sera question des plus jeunes dans le troisième mouvement de cette deuxième partie-, juste après que soit soulignée la responsabilité de l’autorité (alors que, dans Congregavit nos, « l’autorité au service de la fraternité » venait au terme de la description de la communauté religieuse). Ce changement d’ordre dans une série qu’on pourrait croire établie, en l’espace de deux ans, n’est certainement pas fortuit pour ce qui regarde les supérieurs (quelques interventions synodales ont voulu accentuer leur rôle), mais sans doute pas non plus pour les personnes âgées, qui risquent de devenir aujourd’hui un poids de plus en plus lourd pour les communautés.

Notre texte commence donc par demander qu’on prête attention à leur importance, surtout à une époque où le nombre de vieillards augmente, dans certaines régions du monde au moins. Ce n’est pas là seulement un devoir de juste charité, mais une manière d’exprimer la conviction que leur témoignage est très utile à l’Église comme aux Instituts, et que leur mission demeure valable et méritoire, même si elle ne s’exerce plus par leur emploi : elles ont à donner beaucoup de sagesse et d’expérience à la communauté, « si celle-ci sait leur demeurer proche, les entourer de prévenance et les écouter ». Ceci dit pour le groupe auquel, d’une manière ou d’une autre, les personnes âgées appartiennent [1]. On peut comprendre par là que la mission apostolique, avant d’être action, consiste en un témoignage de remise de soi à la volonté de Dieu, en puisant aux sources de l’oraison et de la pénitence.

Du côté des anciens, on ajoute qu’ils sont appelés à vivre de multiples manières leur vocation : prière assidue, consentement patient à sa condition, mais aussi disponibilité pour servir comme directeur spirituel, confesseur, guide dans la prière. D’autres passages de Vita consecrata nous montrent assez qu’il ne s’agit pas là de recommandations pour les seuls religieux prêtres, mais d’une insistance générale sur la formation spirituelle à partager avec d’autres.

Ainsi, dans Vita consecrata, la considération pour les consacrés âgés relève d’un signe à donner au monde qui nous entoure, elle représente une chance pour les communautés et un appel à découvrir l’essentiel de la mission, tandis que ces personnes âgées elles-mêmes sont invitées à creuser leurs sources (prière, abandon), mais aussi, à servir de manière nouvelle dans l’accompagnement spirituel proprement dit. Un tableau assez irénique, donc, qui peut nous laisser sur quelques questions.

Dans Congregavit nos 68, la question des religieux âgés était traitée un peu plus en détail, sans qu’on sorte jamais de l’hypothèse de leur participation à une vie de communauté qui ne se réduirait pas à leurs âges. On y montrait le témoignage qui pouvait être rendu soit par les gens âgés devenus plus sages, soit par les autres, qui se préoccuperaient de leurs frères anciens. On demandait aussi que les personnes consacrées se préparent de loin à vieillir et à demeurer plus longtemps en activité. Les supérieurs devraient ainsi prévoir une préparation personnelle et une valorisation « aussi prolongée que possible dans les milieux normaux du travail ». Après, quand ils perdront leur autonomie, les religieux âgés se trouveront, dans leur apparente inutilité, au cœur même de la mission. Le numéro envisage pour finir les cas, curieusement limités aux seuls monastères, où, devant l’accroissement des religieux âgés et l’appauvrissement des vocations, il faudra prévoir sa propre extinction ; ici devront jouer les organismes de communion, voire l’union ou la fusion.

Peut-être les petites congrégations diocésaines relèvent-elles par leur taille de ce modèle monastique. Mais on peut se demander si l’on a jamais fait du neuf avec du vieux, comme le montre l’expérience de plus d’un regroupement d’instituts. Sans compter qu’un Institut existe tant qu’il subsiste un de ses religieux, il faut se souvenir que, du point de vue canonique, la personnalité survit jusqu’à cent ans après la mort du dernier de ses membres. On sait comment la tentation de l’euthanasie, toujours à rejeter, suit de près l’abandon des soins les plus extraordinaires, qui ne s’imposent jamais. Entre ces deux excès, il y a encore beaucoup de marge pour se préparer à mourir à l’heure que Dieu veut sans précipiter ni même décider sa fin.

2. Les jeunes et les vocations (VC 63-64)

Les numéros qui nous intéressent se trouvent au début du dernier mouvement de la partie centrale du document (Signum fraternitatis), sous le titre « Regard vers l’avenir ». On y traite d’abord des « difficultés et perspectives » (63), puis d’un « nouvel élan de la pastorale des vocations (64).

(63) Ces difficultés et perspectives tiennent aux changements actuels de la société aussi bien qu’à la diminution du nombre des vocations. « Des Instituts courent même le risque de disparaître... ; d’autres rencontrent plutôt le problème de la réorganisation des œuvres ». Mais ces difficultés ne doivent en aucune manière faire perdre confiance dans la force évangélique de la vie consacrée, qui continuera : on distinguera donc entre le destin historique d’un Institut déterminé et la mission ecclésiale de la vie consacrée comme telle [2]. Dans les situations de pénurie, il est demandé à chacun plus l’engagement de la fidélité que la réussite. « On doit absolument éviter le véritable échec de la vie consacrée, qui ne vient pas de la baisse numérique, mais de la perte de l’adhésion spirituelle au Seigneur, à la vocation propre et à la mission ». C’est le Seigneur qui tient entre ses mains les clés de l’histoire. Les situations de crise poussent les personnes consacrées à proclamer la foi dans le mystère pascal du Christ, pour devenir des signes visibles du passage de la mort à la vie.

Un tel numéro va au centre, me semble-t-il, non pas d’abord parce qu’il encourage à une vision pascale des choses, mais parce qu’il pointe la vraie nature de l’échec, qui n’est pas numérique, mais spirituel.

(64) Certes, l’avenir est lié à cette vitalité spirituelle, mais aussi à l’accueil de nouvelles vocations. Or, devant ce défi lancé aux Instituts comme à l’Église, la pastorale des vocations connaît des résultats qui ne sont pas à la hauteur des attentes et des efforts, surtout dans les pays d’ancienne chrétienté. L’interrogation se fait alors pressante : avons-nous perdu la capacité d’attirer de nouvelles vocations ?

Notre texte répond en notant qu’on peut être heureux de ce qui se passe ailleurs et promouvoir la prière instante pour les vocations, mais il faut aussi oser l’annonce explicite : « La première tâche de tous les consacrés consiste à proposer courageusement, par la parole et par l’exemple, l’idéal de la sequela Christi, en affermissant ensuite la réponse aux motions de l’Esprit dans le cœur des personnes appelées. » Puis viendra le temps d’un effort patient dans la réponse quotidienne, où la pastorale des vocations aura recours à des aides appropriées (comme la direction spirituelle) pour nourrir cette indispensable réponse d’amour personnel.

Mais la mission de promouvoir les vocations doit apparaître comme un engagement commun de toute l’Église, elle s’intégrera dans la pastorale d’ensemble de chaque Église particulière, grâce à une sorte de service commun qui ne peut compromettre, mais au contraire favoriser, l’activité de chaque Institut en ce qui concerne les vocations. La solidarité chrétienne s’étendra aux besoins de la formation dans les pays qui ne manquent pas de candidats, et les différents Instituts s’y inséreront en pleine harmonie avec l’Église locale. « La manière la plus authentique de contribuer à l’action de l’Esprit consistera à investir généreusement les meilleures énergies pour les vocations, notamment par une attention dévouée à la pastorale des jeunes ».

Si l’on s’en tient aux étapes proposées, la promotion des vocations part d’un horizon d’espérance (ce qui se passe ailleurs, ce qui se passera toujours) et s’appuie sur une prière instante, menée avec tous les membres de l’Église ou de la communauté locale. Puis elle propose, par la parole et par l’exemple, cette forme de suite du Christ - ce qui suppose l’articulation d’une parole et la cohérence d’une action. Il faut ensuite affermir, dans le cœur des personnes appelées, la réponse aux motions de l’Esprit - un « ministère » de confirmation qui relève de l’accompagnement spirituel. Enfin, il faudra nourrir, par des aides appropriées, la réponse à donner quotidiennement - on songe ici, en plus de la direction spirituelle évoquée par le document, à l’insertion dans une action, un travail, des études, un groupe, qui puissent porter le projet déjà formé jusqu’à sa réalisation. Notons enfin qu’il s’agit de consacrer les meilleures énergies dans la pastorale des jeunes - une insistance qui ne permet certainement pas d’écarter ce choix de nos préoccupations.

Voilà donc articulé notre thème, et entendues toutes ses recommandations. On le remarquera, la question n’est jamais considérée sous l’angle de vue qui peut nous préoccuper, celui de la convivialité de générations diverses. Les consacrés âgés d’une part, les jeunes en recherche de vocation, d’autre part, doivent cependant un jour vivre ensemble, et c’est là que notre pratique peut, plus que les éclairages doctrinaux, apporter quelques réponses à une grande question.

65, rue Gaston Bary
B-1310 La Hulpe, Belgique

[1Le document ne semble ni envisager, ni interdire, le regroupement de religieux âgés dans des communautés séparées.

[2Voir par exemple le n° 29 : « La vie consacrée, présente dès les origines, ne pourra jamais faire défaut à l’Église, en tant qu’élément constituant et irremplaçable qui en exprime la nature même. »

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