Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Être crédible...

Claire de Miribel

N°1998-1-2 Janvier 1998

| P. 61-63 |

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Lorsque j’ai reçu le thème de notre rencontre, « l’accueil des jeunes dans nos communautés vieillissantes », je me suis d’abord dit que ça ne nous concernait pas. L’Arche est une « jeune » communauté, qui n’a que trente-trois ans d’existence. Qu’est-ce à côté des jésuites ou des bénédictins ! Je fais partie de la première génération d’assistants, et les gens à la retraite sont encore des exceptions !

Et cependant, en y réfléchissant d’un peu plus près, je me suis dit que ce thème nous concernait parce que l’Arche a déjà trente-trois ans et qu’arriver aujourd’hui dans une communauté est pour un jeune une expérience très différente de ce que cela a pu représenter pour ma génération.

L’Arche et la société ont changé. Lorsque je suis arrivée, il y a vingt-cinq ans, l’Arche était à ses débuts, dans la grâce d’inconscience qui est la grâce des fondations. Nous allions de l’avant, pleins d’enthousiasme, prêts à tout, parfois pas très raisonnables. On ouvrait des foyers, des communautés, en Inde, en Afrique. On accueillait des personnes avec un handicap, qui vivaient jusqu’alors dans des situations parfois inhumaines, carcérales. On les voyait s’ouvrir, progresser, renaître. Nous avions tous le même âge, et la même inexpérience. Nous découvrions ensemble. Il y avait tout un dynamisme dans ce mouvement.

Nous étions aussi portés par le mouvement de toute une société. C’était au lendemain de mai 68, dans l’effervescence du mouvement communautaire, le renouveau de l’Église à la suite de Vatican II. La croissance économique était à son apogée. On assistait à l’émergence des pays en voie de développement. Qui arrivait dans une communauté de l’Arche était très vite pris dans ce mouvement, cette énergie. Il y avait peu de structures, mais nous avions de l’énergie à revendre. Très vite, nous étions appelés à assumer des responsabilités qui nous dépassaient largement, mais à travers cela, nous avons grandi.

Aujourd’hui, les jeunes arrivent dans une communauté qui est déjà bien établie. Des structures sont en place et il y a des gens qui portent des responsabilités. Nous avons vieilli, que ce soient les personnes avec un handicap ou les assistants de la « première génération ». Un jeune qui arrive se retrouve face à des personnes handicapées qui ont non plus leur âge, mais celui de leurs parents ou de leurs grands parents ; qui sont dans une dynamique non plus d’acquisitions, mais plutôt de régression, de perte. Les personnes avec un handicap mental vieillissent souvent d’une façon précoce. Ce n’est pas facile, pour un jeune de dix-huit ou vingt ans, de se retrouver devant une personne handicapée de cinquante ou soixante ans, qui a peut-être la maladie d’Alzheimer, et de demeurer là, se sentant souvent très impuissant !

Dans les communautés, il y a un noyau d’assistants engagés qui portent la communauté. Quelle place y a-t-il pour un jeune, quel espace de créativité lui laisse-t-on ? Comment peut-il sentir qu’il ne fait pas simplement marcher quelque chose, mais qu’il apporte un don unique à la communauté, qu’il « bâtit » la communauté ? Comment nous, les « anciens » demeurons-nous vulnérables face aux jeunes ? On ne reste dans une communauté que si on s’y sent aimé. Or, avec ce mouvement incessant qui existe à l’Arche, il y a parfois pour les anciens, une usure à recommencer chaque année à créer des liens un peu profonds avec des jeunes qui ne vont peut-être pas rester. Si les anciens se ferment, les jeunes ne resteront pas. Il y a un risque de la part des anciens de s’installer, d’être désabusés parce qu’on vit cela depuis vingt-cinq ou trente ans et que l’enthousiasme peut faire place à la désillusion. Quelle image renvoie-t-on aux jeunes qui arrivent ?

Aujourd’hui, les jeunes ont un cheminement beaucoup plus lent. Ils viennent, ils repartent. L’engagement leur est difficile. Ils portent des blessures affectives souvent grandes, à cause de leur histoire familiale ; ils viennent de situations de précarité, que ce soit au niveau de leurs études, au niveau affectif ou économique. Ils nous demandent de nous engager avec eux dans un chemin de reconstruction.

Accepter de cheminer avec chacun là où il en est, à son rythme, et accepter parfois de devenir une figure paternelle ou maternelle. Cela est difficile, car on a envie d’être « pairs », de vivre ensemble. Les jeunes ont besoin de repères, ils ont besoin de structures, de trouver des personnes sur lesquelles ils puissent s’appuyer, en qui ils puissent avoir confiance. C’est un défi pour les anciens d’accepter, jour après jour de rester ouverts, « d’élargir l’espace de nos tentes » pour créer des liens avec ces jeunes, les « engendrer ».

Il nous faut être crédibles, c’est à dire qu’il y ait une cohérence entre ce que nous annonçons et notre façon de vivre. Je suis frappée cette dernière année par la sensibilité des jeunes à la simplicité de vie.

Les jeunes nous regardent, en se disant : « Si je reste dans cette communauté, de quoi aurai-je l’air dans vingt ou trente ans ? » Nous, les « anciens », sommes-nous contagieux dans notre manière de vivre l’Évangile dans le charisme qui nous est propre ? Dans l’Arche, c’est cette vie partagée avec les personnes handicapées. Après vingt ou trente ans, est-ce que ce sont toujours les personnes avec un handicap qui nous donnent vie, qui sont notre source ? Aimons-nous toujours être avec elles, « perdre du temps » avec elles ? Ou sommes-nous toujours prêts à trouver des excuses pour faire autre chose. C’est facile de trouver des excuses nobles... des réunions ! Est-ce que le charisme que nous annonçons est toujours ce qui nous fait vivre aujourd’hui ? Quel est l’espace de gratuité dans nos vies ? Sommes-nous des « fonctions » ou des personnes qui prennent soin les unes des autres ? Comment prenons-nous soin de ceux qui sont malades, de ceux qui ne sont plus dans un rôle et qui passent peut-être par un moment plus difficile ? Cherchons-nous toujours à aller plus loin dans le don de notre vie ? Que pouvons-nous faire pour que notre vie communautaire soit toujours plus attirante, rayonnante, et qu’on puisse dire, en nous voyant vivre : « Voyez comme ils s’aiment » ?

B.P. 4
F-60350 Cuise Lamotte, France

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