Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Communautés

Vies Consacrées

N°1975-3-4 Mai 1975

| P. 215-227 |

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La vie restaurée en Jésus

Nous croyons que toute la vie humaine est restaurée en Jésus à la gloire du Père. L’antique histoire d’alliance de Dieu avec l’homme se trouve en lui accomplie (Passion) et entièrement renouvelée (Résurrection). Cette alliance nouvelle et éternelle (la communion d’amour que Dieu est en lui-même et pour l’homme) est bien désormais le cœur du monde et l’amour du Christ et de l’Église en forme, dans l’Esprit Saint, la figure accomplie. Tout homme est appelé à son tour à se tourner avec Jésus vers ce Père plus grand que tout, par la grâce de l’Esprit Saint qui, dans ce mouvement, restaure encore et toujours le monde dans son être véritable de création.

Le mariage chrétien, alliance nouvelle de l’homme et de la femme, signifie l’accomplissement commencé de la même réalité : l’amour vainc la mort, la vocation absolue de l’homme est de « se tenir hors de soi », c’est-à-dire, à proprement parler, l’extase ; effacement mutuel dont l’enfant est à la fois le fruit et l’appel toujours plus pressant.

La vie religieuse forme une autre face de la même figure, parce qu’elle ne peut, elle non plus, se dire qu’en termes d’alliance, dont le partenaire est, cette fois, immédiatement Dieu. À la suite de Jésus, le religieux fait la découverte d’une prévenance qu’il peut accueillir comme l’unique amour qui fonde, renouvelle et achève sa vie. Ce compagnonnage de Jésus, à cause de lui et de l’Évangile, s’abrite particulièrement dans le mystère de la présence à notre chair du Verbe de Dieu, mystère eucharistique, jusqu’à ce qu’il vienne.

Comme le corps ecclésial de Jésus est plus que l’ensemble de ses membres épars, mais forme une unité nouvelle, la communauté religieuse aussi devient « un peuple, une famille, un seul corps ». C’est ainsi qu’il y a une prière véritablement commune, une grâce de pardon véritablement commun, comme il n’y a qu’une Épouse du Seigneur ; le plus intime du cœur de chacun doit reconnaître sa substance en éprouvant ici son objectivité : mon Seigneur est Seigneur de tous, le Seigneur de tous est mon Seigneur.

Pour aujourd’hui et pour demain

On sait bien que les communautés religieuses participent éminemment au « ministère de la charité » de l’Église par leurs œuvres et institutions. Mais on voudrait que ces divers apostolats marquent tous davantage leur lien avec la mission d’évangélisation que le Seigneur ressuscité assigne à son Église. S’il faut choisir entre plusieurs impératifs, celui-ci devrait toujours être privilégié : est-ce que cette œuvre permet l’évangélisation de ce milieu ? ou ne pouvons-nous disposer autrement de nos forces dans ce même but ?

Il me semble qu’il nous faudrait remplir, en tant qu’Église, une « fonction de consolation » auprès de tous ceux et celles qui sentent quotidiennement le poids de l’angoisse et de la mort parce que leurs œuvres ou leurs communautés vont vers la disparition. Il faudrait qu’ils sachent que leur situation ne constitue en rien un désaveu, ni de Dieu, ni de son Église. Mais que chacune de leurs souffrances est promesse de vie, à travers la mort certaine, pour la fécondité de l’Église, de la vie religieuse et de l’Évangile, pour aujourd’hui et pour demain. Pareillement, il nous faudrait remplir une « fonction prophétique » (c’est-à-dire une autre face du même mystère d’espérance) en encourageant à l’audace, dans une confiance mutuelle douloureuse, certes, pour que soient élargis ou recréés des espaces de liberté dans nos Instituts vieillissants. Si le cœur reste jeune et frémissant, même les rides manifestent une saisissante beauté ; cette beauté n’est pas nôtre, et elle ne nous est pas donnée pour nous-mêmes. Les communautés de sœurs plus âgées sont, en ce domaine, porteuses d’une espérance certaine et, à plus d’un endroit, déjà manifeste.

Il se pourrait que les communautés religieuses soient plus qu’avant signes visibles d’universalité, de par la diversité des missions exercées par leurs membres. Et on se prend à espérer ici, spécialement pour la vie religieuse féminine, que le service de l’Église prenne des formes plus directes encore, comme c’est déjà le cas en catéchèse, dans la préparation au mariage, la visite et la communion des malades. L’engendrement à la foi, le service de la Parole et du Corps du Seigneur, le dévoilement du pardon déjà offert feraient ainsi plus visiblement partie de la mission ecclésiale des religieux.

Nées parmi des religieuses de vie active, ces réflexions sont confiées à la sagesse, à la prière, et à l’inspiration de l’Église, notre Mère.

Sœur Noëlle Hausman, La Hulpe

Dans la communion de son corps

Une vie offerte et consacrée dans le Christ est toujours une vie dans la communion de son corps qui est l’Église. Cet enracinement, premier et essentiel, dans le mystère de l’Église, qui est signe de la liberté totale de la rédemption dans l’amour du Père et qui puise sa vie seulement dans la dépendance de la pauvreté et l’humilité de son Maître, peut trouver des formes de vie spécifiques et très diverses.

Les traits principaux de cette vie consacrée dans le Christ sont les suivants :

  • Tout d’abord et toujours elle est réponse d’amour sans retour à un appel du Christ, à son amour, qui la suscite chaque jour.
  • Reconnaissance, soutien et soumission à ceux que le Christ a chargés d’un ministère prophétique ou pastoral. Cette obéissance à la Parole demande amour, vigilance et responsabilité dans la prière.
  • Vie dans la communauté et la communion de l’Église, dont le Christ est la tête. Dans cette Église chacun a sa place unique et précise conforme à ses dons et à sa vocation, une place spécifique non pas pour limiter l’épanouissement de la personnalité, mais pour répondre aux besoins de ce peuple en marche et pour pouvoir servir dans la vérité de l’Évangile. Comme on reconnaît l’image d’une mosaïque seulement si chaque petite pierre prend sa propre place.
  • Pauvreté et disponibilité de chacun des membres, à la suite du Maître, selon l’Évangile : « Le Fils de l’homme n’a pas où reposer la tête », « Père, que ta volonté soit faite... » Cette dépendance dans la pauvreté suppose une grande ouverture et l’écoute de chacun vis-à-vis de la parole et des signes qui se révèlent aujourd’hui, et est une invitation à accueillir le salut pour l’Église et pour le monde entier.
  • Une vie au service de Dieu est en même temps une vie au service des hommes, car Dieu lui-même s’est tellement lié à l’homme qu’il a pris son visage pour le rencontrer. Ainsi il envoie ses serviteurs sur les routes de ce monde vers tous les hommes pour les inviter à la table de sa maison.

Agnès, Saint-André
Ameugny-Taizé

Une réponse ferme et durable

Nous, hommes et femmes d’une communauté évangélique allemande, nous existons ainsi depuis vingt ans (nos racines remontent toutefois aux années de la guerre) ; nous avons eu pas mal de rencontres avec des personnes d’autres confessions et langues et fait ainsi l’expérience que nous nous « reconnaissions » mutuellement en un sens bien plus profond que nous ne le pouvons généralement avec nos « coreligionnaires » allemands.

Je vois les membres des communautés monastiques comme des personnes qui ont entendu un appel et ne s’y dérobent pas. Ils réalisent à nouveau qu’ils sont baptisés « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » et ils répondent qu’ils mettent leur vie à la disposition de Dieu par un engagement concret correspondant à l’appel et susceptible de s’exprimer et de s’accomplir en des formes variées. Ils donnent une réponse ferme et durable : ils se déclarent liés, ils prennent au sérieux l’offre des « conseils évangéliques » et, tout en renouvelant sans cesse leur engagement, ils se libèrent pour faire chaque jour ce qui est nécessaire et à leur portée.

Faire ce qui est chaque fois à sa portée dans les tâches quotidiennes (au jardin, à la maison...). C’est ainsi que nous nous tenons à la disposition des hôtes et les faisons participer à notre vie. Nos hôtes : des personnes de tout âge, de différentes Églises, de différents pays, de différentes couches sociales ; nous nous rencontrons et nous cherchons ensemble à nous orienter dans les problèmes que pose notre époque. Tout cela jaillit de l’engagement qui se nourrit aux moments consacrés chaque jour à la louange, à l’eucharistie célébrée plusieurs fois par semaine, à la joie des repas de fête, à la fréquentation de l’Écriture, aux temps réservés au silence, à l’adoration, à la prière et à ce qui découle de tout ceci : l’intercession. Ainsi donc notre service du Seigneur s’accomplit au rythme des temps liturgiques.

Puisque ce service de Dieu, c’est la vie commune de personnes qui « naturellement » ne se seraient pas groupées, il se fait que, tout au long de la journée, ce qui est nécessaire et à la portée de chacun s’exprime ainsi : assumer de servir Jésus-Christ durant les vingt-quatre heures du jour et entrer dans sa manière de sauver chacun et le monde ; pour tous, cela signifie : pénétrer toujours davantage l’unique commandement qu’il a laissé à ses disciples : « Aimez-vous les uns les autres », ce qui est possible grâce à sa parole : « Pardonnez, comme il vous est pardonné ».

Comment vois-je notre vie demain ? J’accepte que nous ne puissions prévoir la route, que nous ne nous accommodions pas de ce qui nous est donné, mais que nous osions chaque jour « avec tout ce que nous sommes et avons » risquer l’aventure du Royaume de Dieu.

Schwester Olga, Kommunität Imshausen

Inconditionnel de Dieu, éveilleur de vie

La vie religieuse, nous la voyons aujourd’hui et demain essentiellement comme une vie centrée sur Dieu, dont toute la raison d’être est la recherche de Dieu, qui ne s’explique pas sans Lui.

La communauté de vie avec des frères fait partie intégrante de cette recherche. Le religieux est un inconditionnel de Dieu, un passionné de Dieu dont toute la vie est une adoration existentielle. Il voue son être à Dieu.

La vie religieuse est une certaine manière de suivre le Christ, d’être disciple de Jésus. Le religieux prend des moyens plus entiers pour vivre à fond l’Évangile. Il est plus libre pour en vivre la radicalité. C’est quelqu’un qui prend la croix du Christ et accepte dans la foi les chemins de pauvreté, de combat, de souffrance par lesquels Dieu le fait passer en communion avec l’humanité. Il chemine ainsi toute sa vie parce qu’il sait en qui il a cru, parce qu’il croit en la résurrection et espère le royaume de Dieu. Il fait l’expérience particulière de l’amour de Dieu. Il est à Dieu dans la totalité de son être, ce qui entraîne comme conséquence le célibat volontaire, pauvreté qui se laisse combler par Dieu.

La vie religieuse est une école de vie évangélique où l’on apprend, à travers la prière et la vie fraternelle notamment, à devenir disponible à l’Esprit, à croire et à aimer humblement. Le religieux se livre à l’Esprit de Dieu. Son existence ne va pas de soi, car tout tend à être vécu dans la logique de l’Esprit. Il s’est mis dans des conditions de liberté, car il n’a rien à défendre, rien à perdre, il peut donc être fou, audacieux, « ni sage, ni prudent selon la chair », pauvre de cœur et de biens, n’ayant d’autre sécurité que l’amour de Dieu et sa Parole.

Il vit en amoureux de Dieu et des hommes. Il a foi en Dieu et en l’homme. Sa relation filiale avec Dieu lui permet d’accueillir tout homme comme un frère, de vivre un amour universel fait d’accueil, de disponibilité, de gratuité, de proximité et de prédilection pour les plus pauvres. Le religieux est celui qui se laisse aimer par Dieu, le fait aimer et connaître par sa manière d’être, de vivre avec Dieu et avec les autres. Il est une bonne nouvelle pour les hommes, un éveilleur de vie.

Au niveau de l’évolution pratique, la vie religieuse aujourd’hui et demain va vers une libération progressive face aux cadres extérieurs, aux structures ecclésiales d’une époque et aux puissances de ce monde. Cela permettra aux personnes et aux groupes de se construire en fidélité à l’Esprit avec plus de souplesse et de disponibilité dans une Église, sacrement de salut pour les hommes. Par là même, les exigences concernant le religieux seront de plus en plus grandes au plan de la formation profonde personnelle, de la solidité d’être, de l’engagement évangélique. Le respect des cheminements divers favorisant la croissance des personnes deviendra de plus en plus indispensable.

L’authenticité du radicalisme évangélique devra être perçue d’une façon signifiante par les hommes d’aujourd’hui.

Un monastère de clarisses

Liées à une paroisse, vouées à la prière

Nous sommes deux religieuses liées à une paroisse de l’Église Réformée aux Pays-Bas. Pour nous, l’essence de la vie religieuse est dans le célibat volontaire en vue de la prière. Nous avons prononcé nos vœux il y a quelques années, pendant la célébration dominicale de l’eucharistie dans notre paroisse.

En effet, nous vivons la vie religieuse comme des paroissiennes, liées à une paroisse déterminée, avec la mission d’aider la paroisse à retrouver la prière communautaire quotidienne. Par notre vocation à la prière, nous avons appris que l’eucharistie hebdomadaire est le sommet de la vie (religieuse) du chrétien, pour nous et pour chaque chrétien. Ceci correspond à un développement qui se remarque çà et là dans les églises protestantes de notre pays, où, il y a une vingtaine d’années, la Sainte Cène n’était célébrée que quelques fois par an.

Comme toute célibataire au travail, nous travaillons hors de la maison pendant toute la journée. Nous sommes donc financièrement indépendantes, mais aussi non-protégées. Le plus caractéristique de notre vocation, c’est que, comme religieuses, nous sommes liées à une paroisse et non à une communauté. Évidemment, il est nécessaire que la paroisse accepte cette façon de vivre.

M. Bannink et A. F. de Savornin Lohman, Amersfoort

Un appel à nous tenir proches des gens

Appelés à suivre le Christ, les religieux ont à vivre intensément dans l’amour de Dieu. Cet amour se reçoit et s’exprime dans la prière, d’où nécessité de réserver un temps suffisant de prière effective.

L’amour des autres découle tout naturellement de l’amour de Dieu. Le service des autres entraîne aujourd’hui une insertion au monde exigeante. Ceux qui nous entourent nous reprochent souvent un certain sentiment de supériorité à leur égard ; ils attendent de nous une communion profonde à leur condition, pour ce qui est du travail, tout spécialement.

Nous avons à faire tomber des barrières qui, nous séparant du monde, nous tenaient dans une certaine ignorance des difficultés vécues par les hommes et les femmes de notre temps.

Être plus proche des autres. Pourquoi ? Pour leur annoncer la bonne nouvelle du salut, leur faire savoir que Dieu les aime, qu’il est possible de l’aimer et de le servir dans des situations très humbles, très dures, les aider à donner un sens à leurs souffrances, à leurs épreuves.

Le Christ a mené une vie toute simple, dans l’amour de son Père et des autres. Il n’a pas eu peur de se compromettre en défendant les pécheurs, les rejetés. N’est-ce pas un appel à nous tenir proches des gens, à partager leurs joies, mais surtout leurs peines, leurs angoisses ?

Bien conscients des richesses réelles de notre civilisation, mais aussi de ses déficiences, de ses ambiguïtés, de ses erreurs, de ses détresses, de ses « péchés », les religieux auront de plus en plus à exprimer leur foi, leur espérance, par une vie de service joyeux, gratuit, près des plus pauvres, des plus malheureux. Qu’ils ne se préoccupent pas trop de porter témoignage, mais qu’ils vivent paisiblement et pleinement leur vie de Fils de Dieu.

Une communauté de Sœurs Hospitalières, Combourg

Des espaces spirituels

Si maintenant il nous était permis de rêver, nous verrions la religieuse comme un nouveau type de femme, assez réconciliée avec elle-même, avec les autres et avec Dieu lui-même, pour être heureuse, vraie, fraternelle, ouverte et attentive à ce qu’elle peut faire là où elle passe. Son projet de vie fortement intériorisé la rendrait spontanément éducatrice et aussi animatrice de la foi.

Avec d’autres, elle formerait un groupe fraternel qui aurait dans la société une fonction critique. Dans un monde dominé par la consommation, la technicité et le rendement, ces religieuses trancheraient par la simplicité de leur vie, la qualité de leurs relations et la discrétion de leurs réalisations, parce qu’elles agiraient au cœur du monde, des personnes et des choses. L’essentiel est toujours quelque peu invisible et sans nom. Ce que l’on demande aux religieuses, ce n’est pas tant d’accomplir des œuvres que de constituer l’un de ces « espaces spirituels » où se vit, dans un climat d’accueil et d’amitié, la liberté évangélique.

Nous avons suffisamment le goût de l’utopie pour faire de ce rêve un programme d’action.

Si nous ne pouvons prévoir les réalités de demain, nous pouvons pourtant dire une chose : « La vie religieuse sera ce qu’en feront les religieuses. »

Hospitalières du S.C., Bruxelles

Le Seigneur nous a fait signe

Religieuses depuis plusieurs années, nous voyons la vie religieuse comme une vie merveilleuse, non pas parce que, au cours de ce temps écoulé, tout a été merveilleux : vie pénible parfois, conversion lente non terminée, fidélité pleine de faiblesses.

Mais parce que le Seigneur nous a fait signe et que nous n’oublions pas son invitation discrète, respectant notre liberté. Le « oui » choisi alors et que nous redisons pour rester fidèles à l’amour nous comble. Sûres de cet amour, nous ne pouvons que remercier le Seigneur désirant partager notre certitude et notre joie avec tous nos frères les hommes.

Nous voyons les religieux comme des chrétiens appelés nommément à répondre à l’appel du Seigneur et qui ont choisi de lui dire ce oui tout au long de leur vie en obéissant. Accordant, autant qu’il se peut sur cette terre, leur existence à la réalité future, portant dans leur cœur, tout en vivant ces réalités du monde à venir, les soucis et les joies des hommes, gardant la clôture ou se vouant aux diverses œuvres, s’adaptant aux nécessités du milieu, soutenus par les moyens qui leur sont propres, approuvés par l’Église.

Leur fidélité s’obtient grâce à une foi que rien ne peut amoindrir et qui donne à chacun une mentalité évangélique dérivant d’une vie priante. Vivant au cœur du monde, ils resteront conscients de leur faiblesse et des dangers qui les entourent et s’appuyeront constamment sur la force de l’amour de Dieu.

Communauté de Bure

Jadis et demain

Jadis : paternalisme, autorité, obéissance qui excluait la responsabilité personnelle. Possibilité de grandes communautés avec de nombreux exercices communautaires. Tout était réglé par des rubriques et des coutumiers.

L’expérience de Dieu était individuelle, même dans la prière communautaire. On écoutait la volonté de Dieu dans la voix du supérieur. L’ascèse, prescrite et libre, dépassait souvent les forces humaines.

On sous-estimait le « monde » et on estimait un peu trop son état de vie.

Avenir : vivre d’une manière pas trop différente des autres croyants, peut-être assumer avec plus de rigueur le défi de l’Évangile.

Développer la personnalité suivant les besoins de chacun. Décisions personnelles et responsabilité personnelle.

Communautés plus petites où l’engagement d’un chacun vis-à-vis des autres est très fort. Grande solidarité ; pas de trop grandes oppositions entre les personnes et les idées afin de pouvoir former un groupe. Échange entre membres du groupe. Prière communautaire.

Recherche de l’épanouissement et du bonheur de chacun. Vivre la présence de Dieu dans les autres et dans la vie pratique de tous les jours. La prière et la réflexion communautaires sont éprouvées comme élément fort de la construction de la communauté.

Dans les petites communautés on fait aussi l’expérience de la croix du Christ : la vie y requiert une dose plus forte de tolérance. On fait l’expérience des limites de la puissance « d’encaisser ». Chacun est responsable de ces limitations humaines et pour soi-même et pour les autres.

Communauté d’Amersfoort

On n’y voit pas bien clair

Ce sont les nouvelles générations qui peuvent le dire... on n’y voit pas bien clair... Mais, ce qui restera toujours, c’est le témoignage de notre chasteté et de notre vie communautaire.

Un groupe de jeunes sœurs

Un chemin de liberté

La vie religieuse ? Une réponse à un appel du Christ ; une aventure risquée à la suite du Christ, sur un chemin de liberté, face à tout ce qui peut être objet de possession ; d’universalité dans l’amour des autres, et de responsabilité au service des autres.

Une vie de communauté, attentive à l’Esprit, ouverte aux autres communautés, en liaison avec elles, soucieuse d’authenticité et de vie plutôt que de Règles et de Constitutions.

Les religieux ? Des témoins de la joie que, seul, le Christ peut donner lorsqu’on essaye de le rencontrer. Comme des êtres ouverts, ayant refoulé toute peur, allant de l’avant. Comme des croyants, vivant de Jésus-Christ ressuscité, et essayant de le rendre présent. Comme faisant entièrement partie de la vie contemporaine et ne s’en distinguant par aucun signe extérieur, mais donnant un témoignage vécu d’amour universel et gratuit dans le célibat, de pauvreté, d’exigence de fidélité à une parole entendue et à une réponse donnée. Pour les contemplatifs spécialement, comme un point d’interrogation voulant rappeler les valeurs essentielles de la vie de l’homme mort et ressuscité avec le Christ.

Vivant leur baptême, sous la motion de l’Esprit, dans une rencontre toujours plus approfondie de Jésus-Christ, les religieux témoignent d’une plénitude et d’un bonheur qui posent une question face à la surabondance économique (de l’Occident), à la primauté donnée à la sexualité, à la possession qui aliène et isole. Leur vision du monde, œuvre du Père, est dynamique et chaleureuse et pose aussi une interrogation ; elle est aussi ouverture et accueil, don et amour.

Dans la mesure où, d’une part, la vie religieuse est faite de disponibilité à l’Esprit et, d’autre part, se veut parole de Dieu pour son époque, il est impossible de prévoir les formes qu’elle prendra demain. Ce serait se sécuriser. Mais, charisme au service du corps du Christ, elle servira ce corps, selon la nécessité de l’heure, jusqu’à ce que le Seigneur vienne.

Communauté des Clarisses, Paris

Investir sa vie dans l’amour

Au seuil de la vie religieuse, nous voyons la Vierge, toute livrée, toute donnée. Il faudrait la contempler longuement, car elle est lumière sur notre vie religieuse. Elle a été la première et la seule à donner à Dieu la réponse qu’il attendait pour pouvoir accorder le salut à l’humanité.

La vie religieuse est « appel » et « réponse », réponse libre, joyeuse, radicale, absolue et quotidienne à un appel qui vient de Dieu. Elle n’est pas d’abord une réponse aux appels du monde ni aux appels à la vie fraternelle mais à un « appel de Dieu », aimé pour lui-même et par-dessus tout.

Elle est une vie à la suite de Jésus, en Église, selon le charisme des fondateurs. Elle prend sa source dans un amour inconditionné pour Jésus et est fondamentalement engagement d’amour : « Si quelqu’un veut venir à ma suite qu’il se renie lui-même ; qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive ».

La vie religieuse est encore une eucharistie, avec Jésus. Elle reçoit du sacrifice de Jésus, dans la puissance de l’Esprit qui est amour, sa consécration et sa signification profonde : « corps livré » et « sang versé », « vie gaspillée dans l’amour, pour n’importe qui », non pas dans l’efficacité ; sa seule efficacité étant de révéler l’amour que le Père a pour tous les hommes. Elle y reçoit sa dimension verticale et horizontale, universelle et eschatologique. Célébration du mystère pascal, elle est « signe » de la présence du Royaume de Dieu en ce monde, de la suréminence des biens du Royaume sur ceux de ce monde.

La vie fraternelle et apostolique découle de ce don à Dieu et en est le jaillissement : « Va vers mes frères... ».

Le problème qui se pose à la vie religieuse nous paraît être de trouver un style de vie qui réponde aujourd’hui à la pensée de l’Église sur la vie religieuse et qui la traduise en langage clair et non équivoque pour nos contemporains.

Comment voyez-vous les religieux aujourd’hui ?

Aujourd’hui bien des religieux ne savent plus ce qu’ils sont. Ils ont perdu leur habit, leurs constitutions, leur dynamisme et certains leur vocation. Il est grand temps que pour eux-mêmes et leurs contemporains, ils retrouvent leur identité s’ils veulent encore être « signe » de Dieu dans un monde de plus en plus sécularisé, qui se construit sans Dieu : « Si le sel s’affadit avec quoi le salera-t-on ? »

La manière dont la vie religieuse est vécue actuellement par bon nombre de religieux et de religieuses ne la rend plus « signifiante » pour les laïcs qui sont désorientés par ce qu’ils voient dans la vie religieuse, car trop souvent religieux et religieuses veulent vivre comme les laïcs, avec une spiritualité de laïcs et en référence exclusive aux appels qui leur viennent des besoins du monde. « Or, dit Paul VI, la vie religieuse ne se modèle pas sur le monde présent, mais elle est un charisme de l’Esprit Saint agissant dans l’Église ».

Comment voyez-vous les religieux demain ?

Les religieux de demain devront être ceux qui ont investi leur vie dans l’amour ; pas dans la bienfaisance ni dans le développement mais dans la gratuité. Ils renaîtront du souffle de l’Esprit pour devenir des prophètes, des « missionnaires de l’amour du Père » en Jésus, dans la puissance et la force de l’Esprit ; partageant la vie des plus pauvres et leur révélant la dimension divine de leur destinée humaine, révélant à ces pauvres combien ils sont aimés de Dieu. Pour être ces prophètes de Dieu, ils devront redevenir des pauvres et des contemplatifs. Ce qui exige bien des purifications, bien des ruptures et le retour aux options fondamentales de la vie religieuse.

Aujourd’hui et demain

Il faut être attentifs aux signes des temps. Et la leçon que les jeunes générations nous donnent est celle de la vérité de la vie, d’une soif de Dieu que n’ont plus bien des religieux et qui s’exprime par la priorité qu’ils donnent à la vraie prière et par les sacrifices qu’ils consentent pour pouvoir prier. Qui niera le rayonnement de Taizé ? Il est remarquable de constater que les ordres religieux qui ont des vocations sont ceux où est vécue la dimension contemplative de la vie religieuse.

La vie religieuse renaîtra quand chacun, quand chacune aura remis Jésus au centre de sa vie car alors « tous les problèmes affectifs et tous les problèmes psychologiques de nos communautés disparaîtront » et elles redeviendront rayonnantes et attirantes. Dieu nous aime avec une puissance d’amour incroyable. Et même « si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur ».

Un groupe de Sœurs de la Charité, Namur

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