Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Inquiétudes

Vies Consacrées

N°1975-3-4 Mai 1975

| P. 153-159 |

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Que des prophètes se lèvent !

Vers 1966, les religieux firent généreusement front, par un renouveau qu’ils voulaient constructif, dans leurs Chapitres Généraux. On vit de très beaux textes, d’inspiration souvent très élevée. Tout fiers, on se les passait de Congrégation à Congrégation. On avait émondé des structures, des coutumes ; on avait éliminé les « règles communes », les horaires. Les cloches avaient consigne de se taire devant la liberté donnée, conquise dans le respect, disait-on, des « personnes », selon un pluralisme déférent pour les « charismes » des « individus »... Tant s’en faut ! Six ans plus tard, les chapitres à nouveau réunis, et cette fois plus houleux, se trouvent souvent devant une sorte de faillite. Les beaux textes n’ont pu engendrer un renouveau de « vie » spirituelle, plus profond dans l’ensemble, ni surtout plus attirant pour ceux du dehors. Il ne faut pas trop s’en scandaliser. Les religieux sont enfants de leur temps, de leur civilisation qui est en crise de mutation. Il en a toujours été ainsi dans l’Église.

Mais il ne faut pas être témoin passif et impuissant d’un état de choses social. Il ne faut surtout pas se faire illusion. Ce n’est pas avec de beaux textes préfabriqués qu’on va provoquer la vie. Ce sont les hommes vivants qui donnent la vie et qui, comme le dit saint Irénée, rendent gloire à Dieu. Il faut que des prophètes se lèvent (on a tant abusé de ce mot !). Il faut qu’ils sachent, par leur attirance, intéresser des disciples, soit dans les anciens Instituts, soit surtout dans des créations nouvelles. Évidemment, nous ne savons que trop bien ce que sont les religieux « aujourd’hui », mais nous ne savons pas ce qu’ils seront « demain ». Il est peut-être impertinent de se le demander. Faisons crédit à l’Esprit qui est à l’œuvre. Ce qu’on pourrait dire, c’est que les « nouveaux » religieux ont toujours été contestés par les « anciens ».

Dans chaque Institut, il faut un groupe de religieux décidés à faire honneur, coûte que coûte, à leur engagement, à leur fidélité au Christ à la gloire du Père. Nous avons devant nous bien souvent un climat religieux ambigu, sinon délétère. Nous sommes des gens qui vivent au gré de leur fantaisie, sous prétexte de maturité, dans l’usage de l’argent, dans l’emploi de l’activité, dans les relations. On en trouve qui passent des heures devant la T.V. pour communier à « l’événement » et n’ont pas le temps de le vivre dans la prière. Le fait est que les Instituts sont parfois encore encombrés de « faux jeunes » qui ne sont pas « partis ». Les « vrais jeunes » auxquels il faut penser ce sont ceux qui avaient 12-15 ans à l’époque de Vatican II et qui sont ravis d’une « cure de silence » (souvent à l’orientale, faute de mieux), qui sont ouverts à une vraie prière, à un cadre, à une ambiance qui la favorise, à une certaine dignité de vie (il y a d’autres jeunes, bien sûr). Malheur aux Instituts qui n’auraient à présenter comme sanctuaire que la salle de télévision !

M. D.

Y a-t-il un espoir de survie ?

La vie religieuse institutionnelle, sous les formes cloîtrées, hospitalières ou enseignantes, continue aujourd’hui son processus de vieillissement accéléré. Les chapitres généraux d’ aggiornamento ont produit de beaux textes, mais sans aucun souffle prophétique, voulant entériner à la fois les directives conciliaires et les traditions des Instituts ; en fait, ils n’ont guère provoqué de vrai renouveau spirituel dans les communautés.

Demain, c’est-à-dire avant la fin du siècle, ces communautés auront disparu : les quelques novices qui se fourvoient encore dans ces Instituts passent déjà une partie de leur temps au service de l’infirmerie. Tant mieux si ces novices s’engagent en sachant clairement et en acceptant ce qui les attend : c’est un service caritatif aussi valable que celui des handicapés physiques ou mentaux.

Y a-t-il un espoir de survie de la vie religieuse, où et comment ? – Pour les formes hospitalières ou enseignantes, il n’y a sans doute aucun espoir, nulle part et en aucune manière, dans la ligne institutionnelle actuelle. Quelques communautés cloîtrées subsisteront très probablement, là où se retrouve une vie spirituelle à la fois profonde, personnelle et transparente, de même que l’équilibre physique et le bon sens ; là où l’on a résolu le problème irritant de la clôture s’il s’agit des femmes, et le problème des œuvres accablantes s’il s’agit des hommes, sans se laisser dissoudre par la relation entretenue avec la société ambiante.

Cependant la vie religieuse se maintiendra : les innombrables petits essais, dont la plupart sont condamnés à disparaître, sont l’annonce lointaine d’un printemps certain. Un jour viendra où un charismatique deviendra fondateur religieux, sans qu’il s’en aperçoive peut-être. Il est difficile, sinon impossible, de tracer à l’avance le profil de la vie religieuse future, à moins de s’en tenir à des généralités que tout le monde connaît.

On pourrait répartir les religieux en « anciens » et « modernes », au point de vue de la mentalité plus qu’au point de vue de l’âge. La proportion des « anciens », qui partout dans les institutions existantes dominent les « modernes », oblige pratiquement ces derniers, soit à se séparer physiquement, soit à se retirer dans un mutisme bientôt impossible à garder, soit à tenter l’aventure d’un nouvel essai de petite communauté. Un manque invraisemblable de guides spirituels parmi les anciens prouve bien la sclérose de l’institution, tant chez les femmes que chez les hommes.

Indépendamment de ces qualificatifs (anciens ou modernes), il y a dans toutes les communautés beaucoup de religieux ou de religieuses dont la vie spirituelle personnelle est extrêmement sérieuse, souvent individuelle dans des communautés habituées à une communion réduite au minimum, partant sans le rayonnement qu’on leur souhaiterait ; leur solitude est souvent effrayante, et s’ils l’acceptent comme une « nuit de l’esprit autant que des sens », ils cheminent sur une voie spirituelle authentique. Le signe en sera toujours une certaine joie et une certaine paix.

Bien des religieux croient qu’ils trouveraient un second souffle – et même un troisième – s’ils pouvaient vivre dans d’autres conditions que les leurs. Sont-ils tous dans l’illusion ? Et que rencontrent-ils autour d’eux : scepticisme, peur du risque, fidélité prudentielle courte à la lettre d’un texte, ou bien aide et défense, encouragement, appui fraternel et sens de la liberté spirituelle ? On sait pourtant que certains plants ne croissent normalement qu’après repiquage !

Un religieux de 65 ans

Celles qui sont parties

L’an dernier à pareille date, je vous apportais un témoignage sur « la fidélité », du point de vue de celles qui sont « parties », qui ont été amenées à quitter leur Institution, pour sauver ce qui pouvait l’être encore, et ont été acculées de ce fait à se laisser séculariser.

Ces dernières années ont marqué une nette évolution dans l’optique de l’Église-hiérarchie, on a pu le constater avec une vive satisfaction. Du côté des Congrégations, en maints endroits, est admis l’éclatement des grandes communautés, ou plutôt leur ramification en petites fraternités plus insérées dans le monde, plus adaptées au déploiement des personnalités, sauvant ainsi quantité de religieuses qui, il y a cinq ans à peine, auraient dû subir la sécularisation pure et simple pour pouvoir mener une existence analogue.

Pour les anciennes « sécularisées-malgré-elles », outre le mouvement qui les regroupe dans l’amitié, vient de naître un petit noyau qui espère, dans l’esprit des Béatitudes, recevoir la ratification officielle des vœux privés par la consécration des vierges, qu’il appartient à l’Évêque du lieu de conférer, en dehors de toute Institution (décret pontifical de 1971).

Tout ceci marque une « aube nouvelle dans notre nuit », fruit d’une longue patience et d’un effort tenace.

Sœur Anne-Marie, Bruxelles

Une énigme : son célibat

Beaucoup voient le religieux comme une énigme à cause de son célibat.

On ne trouve pas d’exposé philosophique de la chasteté. On lit un peu partout des phrases bien intentionnées qui s’insurgent par exemple contre tel débordement « que réprouve la morale », mais cette morale est introuvable. Les penseurs chrétiens n’écrivent pas sur ce sujet. Peut-être à cause de principes établis au temps où l’anatomie et la physiologie sexuelles étaient peu connues, principes devenus caducs. Peut-être à cause de diverses acquisitions scientifiques plus récentes. Peut-être à cause d’un relativisme ambiant s’exprimant dans des formules comme celles-ci « Dans notre culture, c’est un tabou ».

Le célibat laisse les jeunes un peu interdits.

H. Delacroix, s.d.b.

Une opinion assez sombre

Cette réponse est écrite par un père carme hindou qui réside en Belgique depuis seize ans. L’opinion ici exprimée est bien faillible mais sincère et, j’espère, objective.

Sous prétexte de se débarrasser de vieux formalismes, quelques âmes consacrées risquent de rejeter d’anciennes coutumes valables que je peux comparer à l’écorce d’un arbre, peu attirante aux yeux mais très utile, sinon nécessaire, pour protéger la sève.

Avec la bonne intention de plaire aux gens et d’attirer la jeunesse, quelques-uns risquent de devenir un peu mondains.

À cause des multiples activités de nos jours, quelques-uns risquent de donner plus d’attention aux œuvres de Dieu qu’au Dieu des œuvres.

Trop enchanté par la spiritualité non-chrétienne de l’Orient, l’un ou l’autre risque de perdre un peu son esprit surnaturel. Qu’on n’oublie jamais qu’aucun guru ou yogi n’est aussi grand que Jésus, qui est le même hier, aujourd’hui et demain.

Malgré cette opinion assez sombre, je reste persuadé que la sainteté est une note de l’Église catholique même actuelle et que le meilleur moyen de conserver et de faire croître cette sainteté est une vie de prière de plus en plus profonde.

S. Vallavaraj S. Pillai, o.c.d.

Un corps nouveau pour l’Esprit

La vie religieuse aujourd’hui ne présente plus d’option valable. En trop d’endroits, on fait survivre des institutions qui ont fait leur temps. D’où une vie spirituelle vécue dans le vide. Elle n’a plus de corps.

La vie religieuse est appelée à vivre au cœur du monde, comme un signe visible du Royaume, une contestation du monde où nous vivons. Il lui faut surtout une pauvreté de style nouveau : il s’agit de se compromettre face à ce monde, de prendre le parti des pauvres et de s’engager dans la vie pauvre. Non pas qu’il faille entrer dans la lutte des classes, mais il est urgent de se couper d’un certain monde par un engagement avec les pauvres.

Mais nous ne nous compromettons pas et notre vie reste fade. Nous nous évadons dans le langage, nous nous réfugions dans le savoir, notre pauvreté reste bienfaisance. Nos vœux sont affadis, nous n’évangélisons plus. Pour les jeunes, cela ne représente plus rien.

Notre époque vit une transition, elle est à une charnière de l’histoire. Mais, si nous sommes prisonniers du passé, nous ne le voyons pas.

La vie religieuse est un charisme de l’Esprit Saint. Il lui faut aujourd’hui une vie charismatique. Mais l’institution de la vie religieuse y est-elle prête ?

Des choses nouvelles commenceront modestement, en marge. Car Dieu veut donner un corps nouveau à la vie religieuse. Quelque chose de neuf va naître. Voilà ce qu’il faut dire aujourd’hui. Mais trop peu osent le dire, osent mettre en question notre manière de vivre.

Comment aider à la naissance de ce corps nouveau ? Il faut contacter les responsables, les supérieurs, pour qu’ils prennent conscience de ce qui est en jeu et qu’ils acceptent de libérer les frères et les sœurs qui ressentent cet appel. Car il s’agit d’une vraie conversion à Jésus, il s’agit de partir en nomade, sans besace.

Il faut ensuite se compromettre. Car il ne suffit point de parler, il faut mettre en pratique. Laisser les gens se rassembler et les laisser vivre. Dans la proximité des pauvres et la ligne de l’Exhortation apostolique de Paul VI.

La vie religieuse est à un moment de choix, dans l’insécurité du présent et l’ignorance de l’avenir. On pressent que l’on s’approche d’un seuil, mais il ne sera pas possible de le faire franchir « en bloc » à toute une congrégation. Aussi la vie religieuse aujourd’hui a-t-elle davantage besoin de prophètes que de pasteurs.

Il y a un appel à se préparer au renouveau par la docilité à l’Esprit Saint. Cela demande une pauvreté radicale : passer du monde de l’intelligence et de la culture à celui de l’Esprit. La richesse des religieux y est un obstacle majeur. La vie religieuse est appelée à retourner au désert, à laisser l’Esprit agir à travers elle, sans vouloir diriger sa vie, sans prendre de sécurités.

Puissions-nous retrouver une grande exultation intérieure dans l’Esprit qui nous visite et aider ce corps nouveau à naître.

Un religieux, 48 ans

Ils se souviendront...

Les religieux vivront strictement leurs vœux et se consacreront d’abord à la prière et la méditation des Écritures, des Pères de l’Église et des vies et écrits des saints, notamment saint Thomas d’Aquin.

Ils se souviendront que ce dont a besoin pour vivre le monde d’aujourd’hui « ce n’est pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Parole de Dieu, l’Écriture certes, mais aussi le Verbe fait chair, le Pain vivant.

Ils se souviendront que le monde n’a aucun besoin de militants ou d’agitateurs politiques (il en produit assez de lui-même !)

Enfin, pour être une prédication vivante, un rappel constant de la présence de Dieu, même aux indifférents, ils reprendront le costume religieux, complètement distinct des habits laïcs, se souvenant que le Christ lui-même portait la robe blanche des esséniens de son temps, et reconnaissant humblement, que sauf grâces spéciales, aussi extraordinaires que rares, ils ont tous besoin de ce garde-fou, de ce rappel constant de leurs vœux ; ils le reprendront aussi par charité pour autrui : pour être le signe de Dieu, proclamer extérieurement leur fidélité au choix de Dieu fait une fois pour toutes, de leur consécration et offrande totale pouvant aller jusqu’à la mort ou aux sévices auxquels le déguisement laïc de la plupart actuellement leur permettrait si facilement d’échapper, confondus avec les infidèles.

Quant aux autres « consacrés », c’est-à-dire les Instituts Séculiers, s’ils veulent survivre, ils se contenteront d’un nombre restreint de membres, pour pouvoir exiger de chacun une observation stricte des vœux, notamment de pauvreté et d’obéissance, et n’oublieront pas que ce genre de consécration exige une formation solide et longue, et ensuite des efforts constants pour « vivre dans le monde, en se gardant du monde » et y être des témoins – eux seulement donc intensément par la pureté et la charité de leur vie – de la présence de Dieu. Ils renonceront à être, comme si souvent actuellement – d’abord des groupes amicaux où l’on se réjouit de se retrouver pour bavarder, faire voyages et excursions, arborant des toilettes élégantes, au besoin des bijoux, prendre prétexte des sessions et congés pour visiter divers pays, fêtant les professions en trinquant au champagne, etc. Et oubliant parfois presque totalement dans ces diverses réunions que la prière exige dépouillement, recueillement et silence.

La vie consacrée des Instituts Séculiers dans le monde, sans le soutien de la vie de communauté, de la prière officielle et du costume religieux exige une grande force de caractère qui ne peut être attendue que d’un petit nombre et des conditions d’existence permettant le temps de prière et de recueillement indispensable.

Un magistrat

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