Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Éditorial

Alfred de Bonhome, s.j.

N°1973-3 Mai 1973

| P. 129-131 |

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Dans les instituts de vie consacrée, une multitude d’hommes et de femmes s’interrogent au sujet de la pauvreté. Ils essaient de la traduire à leur façon radicale en réponse à l’exigence fondamentale : « Va, vends ce que tu possèdes..., suis-moi » (Mt 19,21) que Jésus proclame à tous ses fidèles en son Évangile.

Recherche et vie difficiles, aujourd’hui comme toujours, pour ces hommes et ces femmes. Il y a la difficulté de comprendre le mot, de discerner et cerner tout le mystérieux contenu vivant qu’il signifie, de vivre une perpétuelle symbiose entre un nécessaire partage avec le monde, tout spécialement avec les démunis, et une ouverture à Dieu en Jésus, tous deux plus que jamais requis.

Pour être vraiment au service de Dieu, de leurs frères croyants et de tous leurs frères du monde, les religieux ont à vivre une pauvreté selon la vérité de l’Évangile et selon la vérité des situations humaines les plus quotidiennes. Cela sans romantisme, avec lucidité. C’est à une pauvreté vécue avec ce réalisme évangélique et humain tout ensemble que Vie consacrée voudrait modestement aider par ce numéro.

Il était bon de donner la parole en « prologue » à un économiste chrétien, pour qu’il aide à connaître ce monde, dominé par la préoccupation de l’économique, par rapport auquel les religieux prennent attitude par leur pauvreté. M. Duquesne de la Vinelle le fait en corrigeant pas mal d’idées simplistes au sujet des divers régimes économiques, d’Occident et d’ailleurs. Tous visent à une croissance indéfinie, qui nulle part ne peut être le bien suprême. Aucun d’eux n’est bon ou mauvais comme tel. Tous sont à relativiser et peuvent engendrer des abus. Tous sont susceptibles d’améliorations réalistes : l’auteur fournit d’intéressantes suggestions à cet égard. Il reste attentif aux situations d’injustice, aux moins bien lotis, pour dire que c’est à eux qu’il importe de se comparer. Tout régime doit pouvoir compter sur des hommes animés par l’esprit de pauvreté.

Le P. P. Chapelle présente ensuite une « méditation » sur la pauvreté religieuse, dont il évoque le terrible radicalisme. Il parle d’abord de la pauvreté en esprit. Se fondant sur le mystère de pure désappropriation de la Trinité et de Jésus, qui le révèle, il développe de façon très dépouillée l’incessante et mystérieuse dialectique vitale de l’authentique « enrichissement » par l’accueil et le partage mutuel de la pauvreté de Jésus et de ses frères. Concernant aussi les biens créés, la pauvreté religieuse est, dans cette même ligne, mise en commun de ceux-ci, et plus encore de la pauvreté elle-même. Sous cet éclairage, le P. Chapelle dit le sens du travail, surtout d’un travail gratuit et accompli pour gagner la vie des autres, qui seul humanise pleinement un monde encore marqué par l’injustice ou par la seule justice.

Cette radicale désappropriation, Anne Dubois montre comment ont à la vivre pour leur part les membres des instituts séculiers, plongés en plein monde : par un dépouillement intérieur de tous les instants, eux qui ne peuvent comme les religieux se déposséder effectivement de leurs biens. C’est ainsi qu’ils traduisent en tout les attitudes spirituelles et les comportements concrets que demande, en tout état de vie, la pauvreté évangélique à la suite du Christ. Ces attitudes et ces comportements sont évoqués par Anne Dubois en ses premières pages, immédiatement utiles à tous les chrétiens.

Parmi les biens de ce monde à l’égard desquels les religieux ont à faire œuvre de discernement évangélique, il y a l’argent. Les deux articles qui viennent ensuite s’en occupent.

Celui de Sr Louise Vanwert, sur le « budget personnel » - dont on parle beaucoup, non sans idées floues - permettra, sur la base d’une petite enquête, de connaître deux modes majeurs de le comprendre et de le pratiquer, ainsi que le jugement que portent sur eux les religieux et religieuses interrogés. L’auteur réfléchit ensuite sur leurs réponses, en cherchant à y discerner le travail de l’Esprit pour une pauvreté mieux vécue en relation avec les hommes et avec Dieu.

Quant à l’argent possédé collectivement par leurs instituts, beaucoup de religieux s’interrogent à juste titre sur leur responsabilité concernant les placements qui en sont faits. Le P. Sales s’efforce de jeter de la lumière sur la question, en marquant les distinctions à faire (par exemple, argent des institutions et des communautés comme telles) et les différents comportements qui peuvent ou doivent être adoptés (par exemple, concernant les assemblées d’actionnaires). Tout cela explicitement fondé sur la responsabilité propre du religieux à l’égard du monde, qui postule des façons et une efficacité qui sont de l’ordre du témoignage.

Du point de vue collectif encore, c’est une réelle communauté fraternelle des biens que les religieux réalisent, en prenant ainsi le contre-pied de la société capitaliste. Un canoniste, le P. Dortel-Claudot, le dit sans appareil technique, en des pages brèves, mais justes, denses et suggestives. Ce sont là des choses trop oubliées. Il était bon qu’elles soient très explicitement rappelées, pour aider à les vivre en pauvreté d’esprit, dans l’action de grâces et l’espérance.

Quelques pages d’indications bibliographiques aideront à entreprendre d’autres lectures. Ainsi pourra-t-on prolonger les réflexions suscitées ici, méditer aussi d’autres aspects du mystère de la pauvreté évangélique.

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