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La mise en commun des biens dans la vie religieuse

Michel Dortel-Claudot, s.j.

N°1973-3 Mai 1973

| P. 182-184 |

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Nous voudrions y faire réfléchir par quelques remarques simples [1].

1) Le lieu où se réalise cette mise en commun des biens est, avant tout, la communauté locale. Mais puisque l’idéal de la fraternité qui animait la première communauté chrétienne ne doit pas être circonscrit à la communauté locale, mais s’étendre à toute la province et à toute la Congrégation, il doit exister une certaine mise en commun des biens, un certain partage, entre les maisons d’une même province ou région comme entre les provinces et régions de la Congrégation.

2) Le salaire que nous acquérons par notre travail, les dons qui nous sont faits, sont remis à la communauté. Cette désappropriation, cet abandon total des droits que nous avons sur le fruit de notre travail, le transfert de ces droits à la communauté, sans aucun esprit de retour, sont spécifiques de la vie religieuse, ne se vérifient nulle part ailleurs et sont à la gloire de cette vie religieuse. C’est pourquoi – nous le disons ici entre parenthèses – il est à regretter que l’expression même « vœu de pauvreté » rende si peu compte de cela. Le terme même de « pauvreté » ne signifie pas de soi : mise en commun et partage entre nous tous.

3) Le religieux n’a aucun droit de regard sur l’emploi qui sera fait de ce qu’il peut apporter à la communauté. Il n’est pas contraire à la vie religieuse d’accorder aux membres d’une communauté un certain droit de regard sur la gestion des biens de la communauté. Dans ce cas, ce droit de regard doit être égal pour tous et n’a pas pour fondement immédiat le fait que je rapporte gros à la communauté.

4) Le propre de la vie religieuse est, en effet, d’oser former dès ici-bas des sociétés sans différences de classes. En ceci, elle se situe aux antipodes de la société capitaliste et libérale qui accepte de bon cœur les inégalités entre les hommes et les justifie même théoriquement.

5) Le propre de la vie religieuse est également de former des Sociétés où ce qui est donné à chacun n’est pas proportionnel à ce qu’il a apporté. En ceci, elle se situe également aux antipodes du système capitaliste basé sur le calcul, le tarif et la seule justice commutative. La vie religieuse tente d’imiter la libéralité divine qui ne calcule pas avec l’homme, ne mesure pas ses dons aux mérites personnels de celui-ci.

C’est pourquoi aucune relation ne peut être établie entre ce qu’un religieux apporte à la communauté et ce qu’il reçoit. Toucher un salaire ou avoir une activité largement rémunératrice, ne donne pas au religieux le droit de recevoir de la Communauté plus que celui dont le travail ne rapporte rien.

6) A la fierté de gagner sa propre vie, le religieux substitue l’humble devoir de gagner, pour sa part, la vie de la communauté. Il se soumet, dans ce but, à la loi commune du travail. Les Sœurs qui s’adonnent à des travaux non rémunérés, par exemple, celles vouées aux tâches domestiques intérieures (porterie, buanderie, cuisine...) pourvoient, elles aussi, à la subsistance de la communauté et pratiquent la pauvreté au même titre que les autres, par rapport à ce qu’elles auraient pu gagner. Car elles aussi, en acceptant de ne pas toucher de salaire pour leur travail, donnent effectivement ce salaire à la communauté.

7) Puisque tout bien acquis par mon travail devient celui de la communauté, je suis en droit d’attendre de celle-ci ce dont j’ai besoin.

Il faut cependant bien voir la nature particulière de ce droit qui n’a pas son analogue dans le monde économique ordinaire. L’acte par lequel on se donne à un Institut religieux n’a rien à voir avec celui par lequel des hommes forment entre eux une société commerciale ou une coopérative, en renonçant par exemple à leurs biens propres pour recevoir une quote-part des profits de la société. Le religieux a renoncé à toute exigence fondée sur une justice qu’on lui devrait. L’abandon total des droits que le religieux a sur le fruit de son travail, et le transfert de ces droits à la communauté, sans aucun esprit de retour, constitue justement le propre de la vie religieuse.

8) À aucun moment, les biens mis en commun ne perdent leur caractère de « biens de la communauté ». C’est pourquoi, nous ne pouvons ni les donner, ni les prêter, ni les vendre sans permission. Nous n’avons pas non plus le droit de les détruire ou de les laisser se détériorer par notre négligence. Je tiens à souligner le lien existant entre ces petites choses classiques et connues et cette idée fondamentale de la mise en commun des biens.

9) Le jeu de la communauté de biens doit être joué loyalement. C’est pourquoi chacun ne peut recevoir ce dont il a besoin que de la communauté, ou avec son accord. Qui se procure à l’extérieur ce que la communauté ne peut donner à ses membres, faute de ressources ou par souci de pauvreté, fausse le jeu de la communauté de biens. Aussi demande-t-on aux religieux de ne pas acheter quelque chose et de ne rien emprunter ou recevoir d’important à l’extérieur, sans en rendre compte au supérieur, qui, dans ce cas, représente les autres partenaires de la communauté.

Comme on le voit, la raison d’être de ce qu’on nomme la « dépendance en matière de pauvreté », est non l’obéissance ou un souci de renoncement et d’ascèse, mais la mise en commun des biens sur laquelle est bâtie toute la vie religieuse.

4, Montée de Fourvière
F - 69321 LYON CEDEX 1, France

[1Nous donnons ici un extrait d’une conférence donnée à une session d’économes provinciales d’une importante Congrégation féminine.

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