Nouvelles communautés : vivre évangéliquement la vie commune
Échos d’une session pour les responsables d’associations de fidèles menant la vie commune
14/052023 Joachim Joos
Par un frère de la communauté Tibériade (Belgique) vivant en Lituanie, un écho de la session des 22 et 23 avril 2023, organisée conjointement par la CEF et la CORREF pour les responsables d’associations de fidèles menant la vie commune.
Les 22 et 23 avril 2023, la CEF et la CORREF ont organisé conjointement une session pour les responsables d’associations de fidèles menant la vie commune. Ce week-end, une première sous ce format-là, faisait suite aux assemblées de la CEF et de la CORREF post-CIASE et a rassemblé environ 70 participants d’une trentaine d’associations « menant la vie commune » (y compris des Belges, très chaleureusement accueillis parmi les Français). Ces journées ont été d’une grande richesse, tout d’abord parce qu’elles ont permis de se rencontrer, de dialoguer et de sortir d’une vie et d’une réflexion chacun de son côté. À la fin de la session, une des demandes était d’ailleurs de pouvoir continuer ce travail et ces rencontres, et de bénéficier de la sagesse des communautés religieuses déjà reconnues. En même temps, il y a pour nous, associations plus ou moins nouvelles, le besoin de prendre nos responsabilités pour sortir de l’entre-soi. C’est d’ailleurs l’invitation que Mgr Éric de Moulins-Beaufort et sœur Véronique Margron nous ont lancée au début des rencontres : comment faire en sorte que la radicalité de la réponse au Christ promeuve la dignité de chaque personne ? Que cette radicalité soit réellement évangélique ? Comment sortir de l’entre-soi (dans la formation, la gouvernance) pour mieux voir avec du recul ?
Parole à deux voix
La session a commencé avec une intervention à deux voix, celle de sœur Geneviève Médevielle (auxiliatrice et commissaire apostolique) et du p. Pierre-André Burton (o.s.c.o., abbé de Cîteaux). Geneviève Médevielle a pris comme point de départ la manière dont nous nous présentons sur nos sites internet : est-ce que nous exposons seulement le miel de notre vie (« Qu’il est doux pour des frères… ») ou bien est-ce que l’épreuve que peut être la vie commune trouve également une place ? Elle nous invitait à partir du réel de l’épreuve, puisque le fondement de notre vie communautaire n’est pas la recherche d’un modèle idéal qui peut casser les personnes, mais le travail pascal de la fraternité. Pierre-André Burton a ensuite présenté, à partir de la Règle de saint Benoît, les conditions qui rendent possible ce travail, en rappelant que Benoît dit des cénobites (ceux qui vivent en commun) qu’ils vivent sous une Règle et un Abbé. Et que le grand défi est de faire émerger un « nous » qui ne mette pas à l’écart le « je ». La référence à la règle permet certes des écarts mais si l’écart est trop grand, on finit par se mettre à l’écart.
Ateliers
Ensuite dans l’après-midi du 23, nous avions la possibilité de participer à deux ateliers sur un choix de quatre : « Les enjeux canoniques », avec sœur Monique Colrat, o.p. ; « Les enjeux juridiques et financiers », avec le p. Antoine Cousin du Chemin Neuf ; « Accompagnement et croissance spirituelle » par sœur Agnès Hédon, r. c. ; et enfin « Personne et communauté » par sœur Sylvie Robert, auxiliatrice.
Enjeux canoniques
Monique Colrat a commencé par faire un tour de table pour que chacun présente le statut de sa communauté : associations privées de fidèles, avec ou sans reconnaissance diocésaine ou romaine, associations publiques de fidèles en vue soit de la vie consacrée, soit de la vie des sociétés de vie apostolique ou encore de la reconnaissance comme famille ecclésiale de vie consacrée (même si ce dernier statut est encore à préciser Ensuite les associations ont été présentées à partir des droits et des devoirs de fidèles dans le Code de droit canonique (CIC 83) dont certains canons mériteraient d’être plus largement connus (en vrac, les canons 219, 220, 223, 231). Car c’est à l’intérieur de ce cadre que se trouve la liberté de fonder des associations dans l’Église. Ce point d’entrée nous a permis de bien nous situer : une association est d’abord là pour répondre à un appel précis (celui de vivre l’Évangile et de l’annoncer) à vivre collectivement : est-ce que ce que nous vivons apporte une vraie nouveauté ? Est-ce que d’autres ne le vivent pas déjà ? Ici, le devoir de vigilance de l’évêque est important parce qu’il y va du bien commun de l’Église et de l’intégrité de l’Évangile. Il y a là un bon sens qu’on n’aurait pas dû oublier et qui est certainement à retrouver.
Personne et communauté
Sylvie Robert est partie du défi que pose l’articulation de ces deux réalités : notre société contemporaine a fortement évolué dans le rapport entre individu et communauté – un rapport qui est constitutif de notre vie en commun – et c’est un des lieux où les abus se sont manifestés. Elle nous a d’abord montré comment la primauté de l’individu marque notre société contemporaine où le critère ultime devient « ce qui me fait du bien » et comment, en même temps, cela vient fragiliser l’individu : il y a une « fatigue d’être soi » [1], une fatigue de devoir sans cesse se construire soi-même. Et cela fait que notre société est aussi connotée par une forte tentation communautariste : on cherche des groupes dans lesquels on est à l’aise, c’est le groupe qui attire.
Ce constat ne peut pas nous faire oublier qu’au long des siècles, le christianisme a milité pour le développement de la personne, avec la conscience de la dignité de chaque être humain, mais aussi du fait que la personne est par et pour la relation. Dans nos vies communes, il ne s’agit pas d’étouffer la personnalité. Normalement, ce qui est premier, ce n’est pas l’attirance pour un groupe (et s’il s’agit uniquement de cela, probablement qu’il y a quelque chose à questionner), mais l’expérience spirituelle qui est vécue à la fois personnellement et qui nous rassemble. La motivation primordiale n’est pas la communauté mais la quête de Dieu. Il ne s’agit pas de trouver un modèle auquel on s’identifierait, mais de chercher un fondement : qu’est-ce qui fait qu’on tient ensemble ? Je pense d’ailleurs que cette façon d’exprimer ce questionnement est une bonne base pour les recherches d’expression de notre charisme (quand nous cherchons à le définir, ne prend-t-on pas le risque de créer un modèle avec le risque de découper toutes les têtes qui dépassent ?). Sylvie Robert nous a aussi suggéré de réfléchir au fait que, si le fondement de notre vie est le mystère pascal, il faut peut-être aller vérifier si la Résurrection est à l’œuvre en tous. Et pour cela, nous avons besoin d’espaces personnels, de parole, de liberté, de discernement et de prise de décisions, d’ouverture au-dehors… Espaces qui sont un des remparts contre l’emprise.
Table ronde finale
Une table ronde finale a réuni Geneviève Médevielle, Pierre-André Burton et Mgr Yves le Saux, évêque d’Annecy et membre du conseil pour la vie consacrée de la CEF.
Geneviève Médevielle est partie de son expérience de commissaire apostolique d’une communauté en dérive sectaire pour parler de l’importance de la formation dans la structuration d’une communauté, en rappelant qu’une communauté est ce que la formation de ses membres fait d’elle mais également que la formation dépend de la qualité des membres : chacun doit se sentir responsable de sa formation. Il y a un entre-soi qui ne permet pas cela : elle a ainsi rappelé que les études en théologie ne sont pas des entreprises de destruction (même si elles peuvent amener à des questionnements) et que l’ouverture aux sciences humaines est tout aussi importante.
Pierre-André Burton a parlé des limites de l’autorité en partant du Traité de la limite et de la dispense de saint Bernard : sur le plan du for interne, où on choisit ce que prescrit la Règle ou ce qui est conforme à son esprit, et sur le plan du for externe, où il s’agit de ne rien prescrire au-delà, contre et en deçà de la règle. Cela passe par des médiations ecclésiales pour chacun des deux plans : au for interne, qui accompagne la croissance et est de l’ordre de la vérification, c’est la médiation sacramentelle (eucharistie et sacrement de réconciliation) et la médiation personnelle (qui passe par l’accompagnement et la relecture) ; au for interne, qui exprime l’objectivité de la loi, c’est la médiation du charisme (la forme/style de vie) et la médiation institutionnelle (l’autorité légitimement instituée).
Enfin, Mgr Yves Le Saux a donné quelques points au sujet de l’intégration ecclésiale. Elle passe par l’importance de la formation qui dure dans le temps et qui est avant tout là pour que nous puissions répondre librement ; le rapport à l’évêque, qu’on ne choisit pas en fonction de notre sensibilité ou de l’humeur du moment – nous avons à apprendre à discerner ensemble avec lui sans camoufler ce qui se vit dans nos communautés ; et cela s’exprime aussi dans la relation avec les autres réalités ecclésiales (c’est pourquoi se former avec d’autres constitue réellement le corps ecclésial). Ajoutons qu’il s’agit encore, à propos des responsables, de faire attention à la tentation du leader qui prendrait toute la place dans la communauté, et de respecter des mandats déterminés, car il est bon que les responsables changent.
En conclusion, je reprendrai une parole de Mgr Le Saux revenue plusieurs fois au cours du week-end : « le regard croisé est comme le chemin d’intégration ecclésiale ». C’est peut-être ce que nous avons pu goûter en premier lieu pendant cette session : sortir d’un entre-soi potentiellement mortifère, pour recevoir le regard et la parole d’un autre qui donne la vie. Car en définitive, en régime chrétien, on ne se sauve pas seul : il y a un seul Sauveur, c’est le Christ, et, ce salut, nous ne pouvons le recevoir que par la médiation des autres et de l’Église.
[1] Cf. Alain EHRENBERG, La fatigue d’être soi. Dépression et société, Odile Jacob, 1998.