Le don de la fidélité et la joie de la persévérance
Brève présentation
Pavel Syssoev, o.p.
N°2021-2 • Avril 2021
| P. 89-96 |
Sur un autre tonNé en Lituanie dans une famille de militaires russes, catholique de conversion, le nouveau prieur du couvent dominicain de Marseille poursuit désormais un ministère de prédication, d’enseignement et d’accompagnement qui l’a déjà conduit à publier un bel ouvrage sur la paternité spirituelle et ses contrefaçons (voir la recension ici). Il nous rend ici le service de revenir sur un texte récent, encore mal connu.
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En 2020, la congrégation romaine pour les instituts de la vie consacrée et les sociétés de vie apostolique a fait paraître un document intitulé Le don de la fidélité, la joie de la persévérance (à lire ici sur notre site). Le texte se présente comme des « orientations » pour prévenir les abandons de la vie consacrée ou, le cas échéant, les accompagner au mieux.
La fidélité est une vertu-clef d’une vie donnée à Dieu. Elle doit grandir tout au long de notre histoire, en prenant des formes neuves à chaque étape de notre existence. Confrontée à l’épreuve, la fidélité devient une persévérance. « Les deux termes sont comme les aspects indissociables d’une unique attitude spirituelle » (§ 3). Si dans ce combat nous sommes amenés à la séparation de l’Institut, cette sortie doit être réfléchie, mûre et juste, d’où la nécessité du cadre canonique pour l’accompagner. Cela donne trois parties au document. La première, Le regard et l’écoute, vise à mieux penser les situations de mal-être qui provoquent les crises. La deuxième, Raviver la conscience, veut soutenir l’effort de la persévérance par un accompagnement et un discernement adéquats. La troisième, La séparation de l’Institut donne les « normes canoniques et praxis du Dicastère » dans ce domaine.
Le binôme fidélité-persévérance
Chaque consacré sait que, tout au long de sa vie, il aura à renouveler sa réponse à la vocation reçue. En cela, l’appel de Dieu n’est jamais un événement du passé, il continue d’agir dans notre présent et nous porte vers l’avenir. Nous avons à œuvrer pour ce renouvellement dans nos propres vies et soutenir les autres. De même, tous nous avons été confrontés dans notre entourage à des abandons de la vie religieuse ou consacrée, et tous nous nous sommes demandé si notre soutien, notre écoute et notre accompagnement ont été à la hauteur de ce que notre frère ou notre sœur devait recevoir de nous dans leurs épreuves. Enfin, si nous avons à exercer des responsabilités dans nos communautés, l’accompagnement des frères et sœurs en crise est notre préoccupation majeure où nous avons particulièrement besoin de lumières et de conseils. En tout cela, ce document romain répond à une nécessité urgente et suscitera, je le crois, un intérêt mérité.
Malheureusement, la lecture des deux premières parties risque de s’avérer décevante. À côté des constats lucides (« On publie les entrées, on cache les sorties avec une tendance inconsciente à prendre ses distances par rapport à ces dernières » § 11) et des rappels des vérités fécondes (cf. § 23 sur la Memoria Dei), le lecteur rencontre des paragraphes entiers dont le sens exact demeure insaisissable.
Les faiblesses, les difficultés, les fragilités – à l’origine du malaise – peuvent conduire à des processus de construction de l’identité qui, dans le contexte culturel actuel, deviennent toujours plus complexes et problématiques, soit au niveau de la connaissance/conscience, soit au niveau de l’identification/différenciation, et donc de l’acceptation de soi et de son propre inachèvement (§ 12).
On pourrait espérer que le contexte rende cette phrase intelligible, mais c’est elle qui ouvre tout une sous-partie et donc en donne le ton. Par ailleurs, toute la deuxième partie est une marqueterie de citations magistérielles qui doit illustrer « le binôme fidélité-persévérance » (§ 29), l’ensemble produisant l’impression d’une compilation mal articulée. Les titres donnés pointent des problèmes dont on pressent la grande importance (l’obscurcissement de la foi § 13, la façon de comprendre et de vivre le célibat consacré § 14, tension entre communauté et mission § 20, gestion du monde digital § 21), mais le contenu de ces paragraphes est plus descriptif qu’analytique. Bref, la lecture de ces deux premières parties peut certes être utile, mais elle n’est nullement indispensable.
Guide pour situations de crise
La troisième partie La séparation de l’Institut, normes canoniques et praxis du dicastère frappe par sa clarté et précision. Son contenu est substantiellement canonique. Nous y trouvons un guide des pratiques pour accompagner les situations de crise et de séparation d’un Institut. D’emblée, la discipline dont il s’agit ici est mise au service de la cohérence d’une vie évangélique. « Il est urgent... de redécouvrir le sens et les implications d’une tradition des religieux : la discipline. Ce mot rappelle à la fois l’exercice assidu de l’apprentissage à l’école de l’Évangile, Règle suprême des consacrés (cf. can. 662), et l’exercice de la conversion qui assure la cohérence effective du disciple » (§ 63). Le cadre légal que cette partie présente n’est certes pas le tout de l’accompagnement, mais il rappelle les formes qu’il nous faut respecter pour que les décisions prises par les consacrés quittant les Instituts et par leurs supérieurs soient justes, libres et responsables (cf. § 64).
« Les modalités de séparation de l’Institut sont divisées en deux groupes : les pro gratia : l’absence, le passage, l’exclaustration, l’indult de sortie ; et les disciplinaires : les trois formes de renvoi » (§ 65). Le texte précise quelles formes sont temporaires (l’absence et l’exclaustration) et celles qui sont définitives (l’indult de sortie pour les membres laïques et la séparation par renvoi). Le passage à l’autre Institut et l’indult de sortie des membres clercs deviennent définitifs quand les conditions requises sont accomplies (l’intégration dans le nouvel Institut ou l’incardination).
• Les séparations temporaires
Le pape François, par la lettre apostolique en forme de motu proprio Communis vita du 19 mars 2019, a modifié les normes du Code de droit canonique concernant l’absence illégitime de la maison religieuse. Désormais, notre document le rappelle, l’absence illégitime (les critères de la légitimité ont été données au § 67) prolongée jusqu’à un semestre peut être cause de renvoi ; si elle dure douze mois sans interruption, le religieux, s’il y a impossibilité de savoir où il se trouve, est renvoyé ipso facto (§ 68). Ces dispositions voulues par le pape actuel permettent d’assainir la situation des personnes considérées indéfiniment comme « fugitives » vis-à-vis de l’Institut où elles s’étaient engagées.
Dans le rappel des normes accompagnant le passage à l’autre Institut (§ 69) et l’exclaustration (§ 70), dont celle demandée par le religieux (§ 71), il est utile de relire attentivement le passage concernant les devoirs et les droits découlant de l’exclaustration (§ 72). La concertation avec l’ordinaire du lieu ne regarde pas seulement les clercs qui se trouvent sur son territoire, mais aussi les laïcs : « le Supérieur compétent doit informer l’Êvêque lorsqu’un membre laïc exclaustré vit dans son diocèse », car « il est souhaitable que le Supérieur majeur et l’Êvêque diocésain prennent soin des membres exclaustrés et soient en contact régulier avec eux ». Quant à l’exclaustration imposée (§ 73), elle relève du Saint-Siège, à la demande du Modérateur suprême de l’Institut de droit pontifical avec le consentement de son conseil, ou de l’Êvêque diocésain pour les Instituts de droit diocésain. « Il s’agit d’une mesure disciplinaire adoptée dans les cas exceptionnels pour protéger le bien de la communauté ou du membre lui-même, lorsque des difficultés particulières entravent la vie fraternelle, empêchant l’exercice du ministère commun de l’Institut ou créent des difficultés permanentes dans l’action apostolique » (§ 73). Cette exclaustration doit avoir une durée déterminée (3 ou 5 ans) et elle peut être prolongée. « Le membre doit être informé de l’intention du Modérateur suprême de demander l’exclaustration imposée, des motifs et des preuves à sa charge, dans le respect du droit à la défense » (§ 73). Pour les clercs, la déclaration d’acceptation dans le diocèse est requise. Comme dans le cas précédent, la sollicitude et la vigilance sur la situation personnelle et pastorale de la personne exclaustrée doivent être assurées et par le Supérieur majeur, et par l’Êvêque de lieu.
• Les séparations définitives
Les paragraphes 74-79 traitent de l’indult de sortie. Dans la multiplicité des cas abordés, je me permets d’attirer l’attention sur quelques points. Dans le cas de sortie d’un membre de vœux temporaires à cause de la maladie, « le jugement sur l’inaptitude du candidat pour la cause de maladie est rendu par des experts ; le jugement sur l’aptitude à mener une vie dans l’Institut est rendu par les Supérieurs ». Cela signifie que les Supérieurs ne peuvent évoquer la raison de santé en cas de renvoi sans les conclusions des experts. En même temps, la santé seule ne suffit pas à rendre apte à mener une vie consacrée – ici le discernement appartient aux Supérieurs de l’Institut. Par contre, « dans les cas où la maladie a été causée par la négligence des Supérieurs... ou lorsque la maladie a été contractée à cause du travail effectué par le membre dans l’institut ou la Société, ce dernier doit être admis au renouvellement de la profession temporaire ou à la profession perpétuelle » (§ 76).
Toute sortie d’un membre profès de vœux perpétuels doit être motivée par les causes très graves (§ 78). C’est le consacré qui demande de quitter l’Institut et il peut refuser l’indult dans le moment même de sa notification, auquel cas il est sans effet. Pour le membre clerc, le document rappelle tous les dispositifs nécessaires pour qu’il soit effectivement incardiné dans un diocèse. Enfin, « une attention particulière doit être accordée à la concession d’un indult de sortie dans le cadre d’une procédure disciplinaire et en attendant une procédure de renvoi ou de recours » (§ 79). Autrement dit, la sortie de l’Institut ne doit pas servir de cache-misère en cas des griefs portés contre un consacré.
Le renvoi de l’Institut est traité dans les paragraphes 80-97. Il s’agit d’une séparation qui est imposée contre la volonté du membre, ce qui suppose des violations graves de l’état de vie consacrée et exige une procédure rigoureuse (cf. § 80). La lecture de ces paragraphes sera très utile à tout supérieur pour revoir les cas de figure et les procédures à suivre. En rappelant les éléments fondamentaux de la vie consacrée dont la violation entraîne le renvoi, ces pages nous aident à mieux prendre conscience que la foi, la vie commune, la chasteté pour le Royaume doivent être cultivées et non pas tenues pour acquises une fois pour toutes. Il y a des actes qui provoquent par eux-mêmes le renvoi de l’état consacré (§ 81-85) : l’abandon notoire de la foi catholique ; le mariage contracté ou attenté, même si ce n’est que civilement ; l’abandon de la maison religieuse pendant plus d’un an. Dans le dernier cas, une précision pratique est de mise : « La personne est considérée comme joignable quand on connaît son adresse de résidence ou du moins de domicile. La personne n’est pas considérée comme joignable quand on connaît seulement : le numéro de téléphone, l’adresse e-mail, le profil sur les réseaux sociaux, l’adresse fictive » (§ 84).
Après le renvoi ipso facto, viennent les cas de renvoi obligatoire qui demandent une instruction d’enquête. Les actes qui l’exigent sont les suivants : l’homicide, l’enlèvement, la séquestration, la mutilation et la blessure grave ; l’avortement suivi d’effet ; le concubinage et la permanence scandaleuse dans une autre faute extérieure contre le sixième commandement (§ 87). Le paragraphe 91 précise les mesures à prendre face aux délits ou crimes sexuels commis à l’encontre des mineurs. Rappelons, comme le fait le § 92, que même « si le délit est prescrit, l’action disciplinaire doit toujours être instruite ». La prescription ici est « de vingt ans, et pour le seul cas d’abus sur un mineur de moins de 18 ans, elle commence à partir du moment où il atteint l’âge de 18 ans » (§ 91).
Le renvoi facultatif (§ 93-96), même s’il sanctionne les fautes moins graves, demande une instruction attentive et une procédure rigoureuse « afin de protéger les droits des individus et les exigences de la justice » (§ 94). Celle-ci ne se limite pas à constituer le dossier, mais avant tout à corriger les comportements répréhensibles du consacré. C’est pourquoi plusieurs monitions canoniques doivent être faites (§ 95). Le membre qui n’accepte pas la décision de renvoi peut faire un recours dont les modalités sont présentées au § 96.
Enfin, toute cette troisième partie du document se termine en rappelant quelle aide doit être apportée au membre renvoyé ou dispensé et, au contraire, ce que ce dernier ne peut pas exiger de l’Institut qu’il quitte (§ 98). L’aide apportée doit être « proportionnelle aux exigences d’insertion et d’accompagnement du membre, au moins pour la période qui suit immédiatement la sortie ou le renvoi, jusqu’à ce qu’il puisse subvenir à ses besoins par un autre moyen ; elle dépend aussi des possibilités de l’Institut ».
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La conclusion du texte médite sur le verset évangélique « Demeurez dans mon amour ». Notre persévérance ne peut venir que du Christ. Sans devenir des juges sévères, nous devons demeurer responsables et gardiens de notre vocation et de celle de nos frères. « Celui qui abandonne doit se poser des questions sérieuses sur les raisons de la perte de son choix vocationnel, et celui qui reste, sur la cohérence de son ‘demeurer’ et ses éventuelles implications dans les causes de l’éloignement et de refroidissement de la persévérance de qui est parti » (§ 99). S’enraciner sans cesse dans le mystère pascal, où le Christ se livre pour nous et nous donne le testament de son amour (cf. § 101), voilà une source vive de notre persévérance et de notre joie de consacrés.