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L’économie sociale et solidaire

Juanita Gonzalez

N°2020-1 Janvier 2020

| P. 75-80 |

Sur un autre ton

Membre de la Congrégation des Sœurs missionnaires de Jésus crucifié (Mexique), sœur Juanita parle d’expérience, quand elle explique ce qu’on cherche en Amérique latine ou en Afrique, là où on propose au système capitaliste l’alternative de l’économie sociale et solidaire.

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À partir de mon expérience personnelle, je voudrais partager avec vous cette réflexion car trente années de travail social et solidaire dans différents continents ont marqué ma vie, et m’ont amenée à croire qu’il est possible de vivre en pratiquant une économie différente [1].

Un modèle communautaire

Lorsque l’on entend les termes « économie sociale et solidaire », il est possible qu’ils évoquent des concepts comme travail de groupe, associations, mouvements, coopératives populaires ou nouveaux modes d’organisation sociale et solidaire. Mais, bien plus que cela, je dirais que l’économie sociale et solidaire est une nouvelle alternative, un nouveau chemin, pour désavouer le modèle capitaliste.

De nos jours, nous vivons une crise sociale, politique, et par suite économique, engendrée par un capitalisme qui recherche seulement l’intérêt économique de certains, créant une grande brèche entre riches et pauvres, et en même temps, une inégalité entre les hommes. Ce qui importe dans le capitalisme, ce n’est pas l’homme, ni l’exploitation rationnelle des ressources naturelles : ce qui compte, c’est la croissance économique, le pouvoir, la domination de l’homme sur l’homme, générant un monde d’injustice sociale et économique qui provoque la division entre les classes sociales, la pauvreté, la guerre, l’inégalité, la misère dans laquelle l’homme ne vit pas, mais cherche seulement à survivre.

En réponse à cette situation d’injustice sociale, en différentes parties du monde et surtout en Amérique latine, surgit un nouveau modèle d’organisation économique libérale, à partir d’une réflexion communautaire donnant lieu à une éthique et une morale fondées sur le bien commun et la solidarité. De là naît le concept d’économie sociale, d’engagement personnel et communautaire, qui cherche à transformer la société, en créant de nouvelles formes de travail communautaire, d’organisation économique, et de coopération entre les petites entreprises – alors que le capitalisme cherche d’une manière individuelle une croissance économique, sans éthique et sans morale : le plus important, c’est la richesse, le bénéfice économique, au détriment de la personne, de la communauté, sans souci des moyens pour atteindre ce but.

Pour l’homme

En économie sociale, ce qui compte, ce n’est pas le profit, c’est l’homme, c’est son bien-être, dans la famille et dans la société, et chaque personne exerce une participation active, démocratique, coresponsable, dans la prise de décision. Les bénéfices sont répartis d’une manière juste et équitable entre les divers membres, quel que soit le poste ou la charge de responsabilité qui incombe à chacun.

Lorsque l’on parle d’économie solidaire, ce que l’on recherche, c’est de pouvoir satisfaire les besoins de base de la famille : que chacun des membres puisse avoir ce qui lui est nécessaire pour vivre. Dans ce concept économique, la notion de marché a une autre signification. L’important, ce n’est pas la croissance économique, mais la création d’un circuit interne de distribution, de consommation et d’autofinancement, basé sur une réciprocité, une coopération, une aide mutuelle et générant un modèle d’économie ouverte et participative qui valorise le travail de chacun des membres. Dans ce modèle solidaire se crée une harmonie entre les processus économiques et sociaux en faveur de la vie, du respect de la terre, de l’écosystème, basée sur une agriculture bio.

L’économie sociale et solidaire surgit comme une alternative au modèle économique capitaliste, dont l’homme est fatigué, qui a conduit à la déshumanisation de l’être humain, à l’individualisme, au déséquilibre écologique, à la perte des valeurs et du respect de la vie à toutes ses étapes, cherchant à contrôler et à dominer le monde.

Aujourd’hui, à plusieurs endroits de la planète, se manifeste un désir de vivre, de travailler, de créer une économie différente : de là sont nés les coopératives, les regroupements entre agriculteurs et commerçants, dans lesquels les circuits de marché sont directs, et solidaires ; ce qui est recherché, c’est le bien commun, et d’abord la juste rémunération de la production, et une redistribution réciproque entre les divers membres.
Dès son origine, ce modèle social et solidaire heurte de front le système capitaliste, et beaucoup craignent qu’il ne puisse fonctionner, et qu’au final, il ne se retrouve capitaliste à son tour. Mais il n’en est pas ainsi ! À partir de mon expérience sociale, je peux témoigner qu’il est possible de vivre et de développer un système économique différent de celui que nous connaissons actuellement.

L’urgence du possible

Nous devons commencer par changer notre mentalité bornée et égoïste, notre manière de vivre et de nous organiser, de produire et de commercialiser, pour sortir de l’individualisme et nous ouvrir à un monde plus juste, plus humain, plus digne, dans lequel nous soyons responsables les uns des autres, dans lequel nous ne soyons plus indifférents à la souffrance d’autrui et à la misère dans laquelle vivent plusieurs millions de personnes.

L’économie sociale et solidaire est un chemin de retour aux origines, en ce temps où l’on cherchait à vivre en harmonie avec soi-même, avec le cosmos, avec la nature.

La planète terre a une immense richesse naturelle, dont les ressources pourraient satisfaire aux besoins de tous. Le problème vient de l’exploitation de ces ressources et de leur répartition au sein d’une petite minorité, laissant dans la pauvreté et le sous-développement le tiers des habitants du monde. Il est urgent d’accompagner les nouveaux modèles d’organisation communautaire et économique, fondés sur les coopératives et les mini-crédits, les organismes de production bio-solidaires, qui cherchent un chemin de retour aux valeurs de la vie, de la terre. Dans plusieurs continents, comme en Amérique latine et en Afrique, on obtient des résultats satisfaisants qui démontrent qu’il est possible de parvenir à vivre dans ce modèle économique solidaire.

Une économie de valeur ajoutée

Pour terminer, je dirai que l’économie sociale et solidaire concerne en premier lieu le bien-être social et collectif, face à la production de la richesse. Un exemple évident en est donné par les coopératives agricoles, qui promeuvent le respect de la terre et la conservation de la vie. Ce système ne nie pas le capitalisme, mais en critique seulement la manière de créer la richesse et de la répartir. Dans l’économie sociale et solidaire, ce sont les associés eux-mêmes qui administrent leur entreprise ou association, créant des postes de travail, à partir d’un auto-financement économique, cherchant à générer une économie de valeur ajoutée pour s’ouvrir à un marché plus large. Dans ce modèle d’économie, on utilise des moyens naturels de production, d’une manière équilibrée et efficace, respectueuse du milieu ambiant. Un exemple clair en est l’utilisation de fertilisants naturels et écologiques, et aussi de ressources naturelles pour la construction des entreprises.

C’est ainsi qu’en Afrique se produit une résurgence de l’économie sociale et solidaire reposant sur les coopératives et associations de femmes qui transforment les produits naturels et les intègrent dans un marché international, ce qui engendre une croissance économique et solidaire. Ce système contribue à mettre un frein à la migration de populations depuis la campagne jusqu’à la ville.

Je fais un rêve, je crois en une illusion : il est possible de vivre d’une autre manière, de générer une économie qui recherche le bien commun, qui nous aide à récupérer ce que nous avons perdu, à humaniser l’homme, dans laquelle n’existe plus la pauvreté, dans laquelle tous aient à manger, dans laquelle disparaissent les classes sociales, dans laquelle nous apprenions à redevenir frères et sœurs, quelles que soient la couleur de notre peau, ou la langue que nous parlons, parce que le plus important, c’est de vivre dans une société humanisante.

[11. J’ai travaillé en Amérique Latine (Guatemala, Pérou, Brésil et Mexique avec les indiennes selon la théologie de la libération de l’évêque Samuel Ruiz) et durant 14 ans en Afrique dans différents pays (Tchad, Centre Afrique, Nord du Tchad et Soudan, Lybie et brièvement au Cameroun).

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