Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Ecclesiae Sponsae Imago

Frédérique Poulet

N°2020-1 Janvier 2020

| P. 11-26 |

Kairos

Une importante instruction qui touche l’ordre des vierges vient d’être promulguée, pour le 50e anniversaire du nouveau rituel conciliaire. Nous en avons confié la présentation à l’une d’elles, professeur de théologie dogmatique au Collège des Bernardins.

La lecture en ligne de l’article est en accès libre.

Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.

Presque 50 ans après la promulgation du rituel restaurant la consécration des vierges pour des femmes vivant dans le monde, la congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique a publié le 8 juin 2018 – en la solennité du Sacré Cœur – une instruction sur l’Ordo Virginum signée par le Cardinal Préfet Joao Braz de Aviz et par Mgr José Rodriguez Carballo.

Alors que le nombre de vierges consacrées est en augmentation constante dans le monde [1] et que l’Ordo Virginum signée connaît un regain de vitalité [2], il s’avérait nécessaire de proposer des points de repères tant au niveau biblique et théologique que canonique et spirituel, sans oublier le domaine de la formation initiale et permanente. Il s’agit aussi de « définir une discipline plus complète et organique qui soit ainsi précisée selon les spécificités de l’Ordo Virginum signée, sur la base des principes communs au droit de la vie consacrée dans ses différentes formes » (Ecclesiae Sponsae Imago [3], 10).

Dès l’introduction le document situe la consécration virginale d’une part dans la relation au Seigneur et d’autre part dans son fondement, l’Église épouse du Christ : « icône révélatrice de la nature intime des rapports que le Seigneur Jésus a voulu établir avec la communauté de ceux qui croient en lui » (ESI,1). La dimension ecclésiale de la vocation est posée d’entrée de jeu et il importe de considérer ce prérequis comme clé d’interprétation de tout le reste de l’instruction. Certes, la dimension personnelle de la consécration et la quête spirituelle qui l’accompagne ne sont pas passées sous silence mais elles n’interviennent que dans un deuxième temps. Retraçant l’histoire de cet Ordre ancien – puisqu’il constitue, « parmi les autres formes de vie ascétique », la première forme de vie consacrée féminine dans l’histoire de l’Église – le document précise : « Ces formes de vie constituaient un signe évident de la nouveauté du christianisme et de sa capacité à répondre aux questions les plus profondes sur le sens de l’existence humaine » (ESI,2). Ainsi dès les premiers numéros se dégagent deux dimensions de la consécration, un enracinement fort dans la vocation nuptiale de l’Église et une concrétisation d’une soif spirituelle, d’un désir de totale donation de soi au Christ qui peut aller jusqu’au martyre [4]. La consécration virginale est alors définie, elle est actualisation, reflet, image de l’Église, épouse du Christ d’où le titre de l’Instruction « Ecclesiae Sponsae Imago ». C’est ce lien constitutif à l’Église épouse qui justifie, dès le IVe siècle, la consécration liturgique par l’Évêque diocésain et le symbolisme de la velatio [5] (ESI,3). La consécration est présentée comme actualisation existentielle de la vocation eschatologique de l’Église épouse du Christ et ce dans la fidélité aux écrits des Pères qui « ont souligné [...] la valeur prophétique d’anticipation et d’attente vigilante de la pleine communion avec le Seigneur qui se réalisera seulement à son retour glorieux à la fin des temps » (ESI,4).

Faisant suite à ce préambule, l’instruction suit un plan en trois parties : le fondement biblique et les éléments typiques de la vocation et du témoignage des vierges consacrées ; la configuration spécifique de l’Ordo Virginum dans le domaine de l’Église particulière et de l’Église universelle ; enfin le discernement et la formation préalable à la consécration et la formation permanente.

Deux particularités

Avant de parcourir les références scripturaires et d’analyser leur portée théologique et ecclésiologique, il convient de mentionner une double spécificité de la consécration dans l’Ordo Virginum. Dès le n°7, l’instruction non seulement rappelle que « l’antique Ordo Virginum a retrouvé depuis 1970 une reconnaissance ecclésiale explicite » mais souligne surtout que « le texte liturgique et les règles qui y sont contenues dessinent, dans leurs éléments essentiels, la physionomie et la discipline de cette forme de vie consacrée [6] ». C’est là une particularité qui mérite d’être soulignée, un rapport spécifique à la célébration liturgique présidée par l’Évêque, à la prière de l’Église, qui est constitutif de la consécration et qui justifie que l’on précise « la place ecclésiale de l’Ordo Virginum les vierges consacrées et l’Église, particulière et universelle » (ESI,7). En cela le document se situe dans la droite ligne du concile Vatican II, qui, bien que n’en traitant pas formellement, situe « le mystère de la virginité consacrée » à l’intérieur des relations entre le Christ et son Église [7]. Elle est « soutien de la sainteté de l’Église [8] », « signe et stimulant de la charité pastorale [9] » « don éminent de la grâce, [source de] liberté [10] ».
L’instruction Ecclesiae Sponsae Imago mentionne le lien entre le baptême, sacrement qui fait l’Église, puisque « les fidèles [sont] incorporés à l’Église par le baptême [11] » en ces termes : « la donation d’elle-même par la vierge consacrée est en effet précédée, soutenue et portée à son accomplissement par l’initiative libre et gratuite de Dieu, sur le fondement de la vocation baptismale et dans la trame générative et fraternelle des relations ecclésiales » (ESI,21). La virginité consacrée est ainsi présentée comme un « charisme suscité [...] par l’Esprit Saint » (ESI, 1) qui trouve son fondement dans la consécration baptismale.

La consécration virginale : « à cause du Christ »

Le document Ecclesiae Sponsae Imago dans ses fondements bibliques montre que, dans l’Ancien Testament, « le célibat est un symbole de mort » (ESI, 13). Prenant l’exemple du prophète Jérémie [12], l’instruction souligne que son célibat « est une personnification douloureuse de son message de jugement qui annonce la destruction imminente comme punition pour l’infidélité du peuple envers Dieu » (ESI,13). Dans l’Ancien Testament, généralement la virginité perpétuelle « est considérée comme une grande humiliation » (ESI,11) et les résonances de la virginité au sein de la métaphore sponsale chère aux prophètes tels qu’Osée ou Amos comportent une dimension négative. Le document précise :

Dans ce cadre symbolique, tout le peuple de Dieu est, à plusieurs reprises, comparé à une vierge ou personnifié comme telle. Quelquefois pour en dénoncer l’idolâtrie qui l’expose au risque de disparition, comme une vierge qui meurt sans descendance (Am 5,2), quelquefois pour donner voix à la lamentation de sa propre ruine (Lm 2,13), quelquefois pour l’inviter au repentir (Jr 31,21) (ESI,13).

Certes, poursuit le texte, il peut aussi déjà connaître une dimension positive, quand il s’agit « de faire résonner la promesse de la rédemption... afin que le peuple de Dieu retrouve la joie de se reconnaître aimé d’un amour éternel » (Jr 31,4.13 ; Is 62,5).

Toutefois, ce n’est qu’avec le Nouveau Testament que le célibat va être associé au bonheur du Royaume et commencer à revêtir une dimension de promesse de béatitude. L’instruction insiste sur la conversion que nous pourrions qualifier de christocentrique du sens de la virginité, sur le changement de signifié que connaît la réalité du célibat « à cause du Christ ». De quasi-malédiction, il devient signe visible de la sequela Christi et expression sponsale de l’alliance avec Dieu. Ce changement apparaît très particulièrement dans l’évangile de Matthieu au chapitre 19 cité par le document au n°15. La virginité, et plus largement le célibat connaissent un renversement sémantique à cause du Christ et du Royaume. Le document souligne que le Christ donne à ceux qu’Il appelle de participer à la radicale liberté des liens qui est la sienne : « Jésus embrasse librement une vie sans liens et obligations familiales [... Il] incarne une radicale liberté qu’il demande aussi à ceux qui le suivent [...] un don particulier accordé par Dieu à ceux qui y sont appelés » (ESI,15).

« Heureux ceux qui consacrent leur vie au Christ et le reconnaissent comme source et raison d’être de la virginité. Ils ont choisi d’aimer celui qui est l’époux de l’Église [13] », dit la prière de consécration du Rituel. Ainsi, la virginité consacrée, comme toute vie baptismale, ne peut prendre sa source et faire sens qu’en lien avec la rencontre de la figure du Christ qui, comme le rappelle la lettre aux Éphésiens, contient des richesses extraordinaires et insondables (Ép 3,2-8). De fait, le choix du célibat trouve son premier fondement dans le fait que le Seigneur et Maître en a proclamé la possibilité et l’a adopté lui-même comme en témoignent les Évangiles. La première motivation de la consécration virginale, c’est la rencontre du Christ et très particulièrement du Christ époux.

Cette rencontre nuptiale du Christ va entraîner une transfiguration et même une transformation paradigmatique du célibat. De malédiction, il va devenir don de Dieu, bénédiction et même anticipation du Royaume. La solitude [14]–qui n’est pas l’isolement–devient alors accomplissement charismatique de l’identité baptismale. Il faut retenir l’importance de ce signe qu’est la solitude aujourd’hui. La vie consacrée, la virginité consacrée n’est pas, comme le rappelle le document, « une théogamie mais une vie théologale, c’est-à-dire baptismale, parce qu’elle concerne l’amour sponsal du Christ pour l’Église » (ESI,17). Elle est solitude et doit conduire à une plus grande liberté de cœur, de corps et d’esprit [15] et implique une « transfiguration de la relationalité » (ESI,15). Elle pose, de fait, le consentement à la solitude « comme expérience fondamentale [16] ». La solitude–que l’instruction qualifie d’« originaire [17] » (ESI,23)–de la consécration est en fait une anticipation de la condition eschatologique (ESI,16) des ressuscités. En ce sens la virginité eschatologique n’est rien d’autre que la réalisation de la vocation baptismale : « à la résurrection, en effet, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans le ciel » (Mt 22,30). La virginité consacrée, dit l’instruction, « est un signe de reconnaissance de l’appartenance à la Cité céleste, à l’épouse de l’Agneau (Ap 21,2.9) » (ESI,16). Elle manifeste la vocation de toute l’Église. En son sein, certaines sont appelées à vivre comme un signe cette « réalité même, dans sa manifestation débutante » (ESI,17) car seul le Christ est vraiment consacré au Père, il est Lui « le consacré par excellence » (ESI,16). Sur ce chemin qu’empruntent les débutantes, la solitude devient alors féconde, elle permet au « mystère nuptial, dans lequel sont immergés tous les baptisés » (ESI,18), de prendre corps. Au nom de l’humanité, au sein du peuple de Dieu, la virginité consacrée est manifestation charismatique de la vocation de tout baptisé à conjuguer la solitude avec la joie secrète « de se reconnaître aimé d’un amour éternel » (ESI,13). Le dernier paragraphe de la prière de consécration s’achève d’ailleurs sur cette demande : « Et toi, Dieu toujours fidèle, sois leur fierté, leur joie et leur amour [18] ».

La consécration virginale : une vocation ecclésiale

La question posée par l’Évêque lors de la consécration : « Voulez-vous suivre le Christ selon l’Évangile de telle sorte que votre vie apparaisse comme un témoignage d’amour et le signe du Royaume à venir ? [19] » réfère directement la vierge consacrée au mystère de l’Église comme le souligne l’Instruction : « Dans l’existence des vierges consacrées se reflète la nature de l’Église » (ESI,20). C’est là une dimension importante dans le cadre d’une consécration qui porte sur l’être virginal–sans doute encore davantage que dans le cadre d’une consécration dans la perspective d’une mission spécifique et communautaire. Cela permet d’éviter l’écueil d’une vision trop individualiste et trop intimiste de la consécration virginale. De fait, cette consécration, si elle est personnelle, n’est pas individuelle. Elle s’inscrit dans la vocation de l’Église, peuple de Dieu, à être Christi Sponsa. L’instruction manifeste cette dimension en se référant aux lettres de Paul aux Corinthiens. Paul « caractérise [la virginité] comme un signe de la tension de l’Église vers le but final et l’anticipation de l’état de résurrection [...] aux yeux de Paul, la communauté est la vierge » (ESI,16). Dès lors, le charisme de virginité doit toujours être pensé en lien avec les autres charismes qui animent le corps du Christ.

L’instruction Ecclesiae Sponsae Imago pose comme référence première de la virginité consacrée « le modèle de l’Église vierge par l’intégrité de la foi, épouse par l’indissoluble union avec le Christ, mère par la multitude d’enfants engendrés à la vie de grâce » (ESI,22). L’instruction place ainsi le lien à l’Église, Corps du Christ, au cœur de la vie consacrée. « La consécration établit une relation spéciale de communion avec l’Église particulière et universelle » (ESI,20). La communauté « naturelle » et « première » de la vierge consacrée est l’Église particulière (ESI,37). Cela explique d’une part le lien à l’évêque (ESI,49) : « la sollicitude pastorale envers l’Ordo Virginum fait en effet partie du ministère ordinaire de sanctification, d’enseignement et de gouvernement de l’Évêque diocésain » (ESI,46 ; cf. 48) ; et d’autre part ce que rappelle le document : le seul signe distinctif de la consécration doit être l’anneau « signe de l’alliance sponsale avec le Christ Seigneur » (ESI,38) et le voile « lors de célébrations liturgiques ou dans d’autres situations où il est approprié d’utiliser ce signe visible de leur totale donation au service du Christ et de l’Église » (ESI,38). La vocation ne prend sens que dans le corps de l’Église particulière, épouse du Christ.

Il est intéressant de relever que ce lien est explicité par la structure même de la prière de consécration. En effet, comme le précisent I. M. Calabuig et R. Barbieri, « la prière comprend deux parties : dans la première (christologique) le mysterium de la virginité chrétienne est contemplé dans l’anamnèse des mirabilia Dei. La prière glorifie Dieu pour l’œuvre de la création-rédemption et parce qu’il « rend [ses enfants] à leur innocence première [20] » dont la vierge consacrée est le signe visible. Ensuite, « la prière contemple, dans le mystère de l’incarnation du Verbe, l’union nuptiale de la nature divine avec la nature humaine, elle célèbre le dessein de salut [21] » et souligne la place particulière du charisme de virginité consacrée au sein de l’Église. C’est le sens du sanctum propositum virginitatis qui est « accueilli et confirmé par l’Église grâce à la prière solennelle de l’Évêque [22] » (ESI,19).

Il s’agit alors de vivre « une consécration particulière qui s’enracine intimement dans la consécration du baptême et l’exprime avec plus de plénitude [23] », un développement particulier de la conformation au Christ vierge et époux [24] qui est ratifié par l’Esprit invoqué par l’Église dans l’action liturgique [25]. Invocation à la fois marquée par le geste épiclétique de « l’évêque “les mains étendues” », et par le contenu de la formule eucologique :

Et parmi tous les dons ainsi répandus, il y a la grâce de la virginité : tu la réserves à qui tu veux. C’est, en effet, ton Esprit Saint qui suscite au milieu de ton peuple des hommes et des femmes conscients de la grandeur et de la sainteté du mariage et capables pourtant de renoncer à cet état afin de s’attacher dès maintenant à la réalité qu’il préfigure l’union du Christ et de l’Église [26].

Une vocation nuptiale, préfiguration de l’union du Christ et de l’Église

Cette dimension nuptiale fonde la spiritualité de la consécration et en est le centre : « la virginité chrétienne est expérience de l’union sponsale, intime, exclusive, indissoluble, avec l’Époux divin qui s’est donné à l’humanité sans réserve et pour toujours et qui s’est acquis de cette manière un peuple saint, l’Église » (ESI,24). Elle est signe de l’union du Christ avec son Église, sacramental de cette union, c’est-à-dire signe que la vérité de la vie virginale exprime et accomplit au niveau existentiel et anthropologique. Il s’agit donc d’être épouse comme l’Église est épouse, en d’autres termes de n’avoir rien de plus cher que le Christ unique époux. C’est donc cette dimension nuptiale et virginale qui est première ; l’instruction précise d’ailleurs « la consécration s’accomplit par le pacte d’alliance et de fidélité qui unit la vierge au Seigneur dans des noces mystiques » (ESI,24). La virginité en tant qu’état est le moyen de signifier la préférence et le lien nuptial au Christ à la fois au niveau personnel et au niveau ecclésial. C’est la raison pour laquelle le document comme le rituel n’en fait pas un but en soi. De fait, au n°88 l’instruction précise :

On tiendra compte du fait que l’appel à rendre témoignage de l’amour virginal, sponsal et fécond de l’Église envers le Christ n’est pas réductible au signe de l’intégrité physique et que le fait d’avoir gardé son corps dans la parfaite continence ou d’avoir vécu d’une manière exemplaire la vertu de la chasteté, même en revêtant une grande importance par rapport au discernement, ne constitue pas un prérequis déterminant en l’absence duquel il ne serait pas possible d’admettre à la consécration.

On peut regretter que ce seul numéro ait focalisé l’attention de certains commentateurs lors de la parution de l’instruction [27] et ait ainsi éclipsé la richesse biblique, théologique et anthropologique qu’elle recèle. Car le document ne fait que reprendre ce que demande le rituel de 1970 : « Pour les femmes qui vivent dans le monde, il est demandé de n’avoir pas été mariées et de n’avoir pas vécu publiquement ou notoirement dans un état contraire à la chasteté [28] ». Ce qui est important–et qui ne nie pas la valeur de l’intégrité physique qui le signifie–, c’est de ne pas avoir été épouse, ni d’avoir vécu une relation d’amour exclusif avec quelqu’un pour réserver ce lien « sponsal, intime, exclusif, indissoluble... dans des noces mystiques » (ESI,24) avec le seul Époux, le Christ : « Voulez-vous être consacrées à notre Seigneur Jésus-Christ, le Fils du Dieu Très-Haut, et le reconnaître comme votre époux [29] ? » Là est la pointe de la consécration, don de l’Esprit, comme le rappelle la prière solennelle de consécration :

C’est, en effet, ton Esprit Saint qui suscite au milieu de ton peuple des hommes et des femmes conscients de la grandeur et de la sainteté du mariage et capables pourtant de renoncer à cet état afin de s’attacher dès maintenant à la réalité qu’il préfigure : l’union du Christ et de l’Église [30].

Il s’agit d’être et de signifier existentiellement l’accueil et le don au Christ comme seul et unique Époux. Il s’agit d’être épouse comme l’Église est épouse du Christ, c’est-à-dire de se conformer à Lui. La virginité consacrée est d’abord un don gratuit que Dieu fait à son Église « et avant d’être une condition ou une qualité humaine, elle est un attribut divin, une réalité intra-trinitaire [31] ». L’instruction mentionne cette dimension en ces termes :

Elle renvoie à l’accueil intégral, sans limites et sans compromis, de la révélation trinitaire qui s’est accomplie en Lui (Christ) de façon définitive [...] Le charisme de virginité, accueilli par la femme et confirmé par l’Église par la consécration, est un don qui provient du Père, par le Fils, dans l’Esprit qui conserve, purifie, assainit et élève la capacité d’aimer de la personne (ESI,23).

Une réponse existentielle, une plongée dans le mystère nuptial de l’Église

La consécration constitue donc une réponse existentielle à l’incarnation. Parce que le Verbe s’est fait chair, la chair revêt une valeur nouvelle, elle devient signe de la présence de Dieu au cœur du monde. Elle est plongée dans le grand mystère nuptial de l’Église car, comme le précise l’instruction, « tous les baptisés sont immergés dans le mystère nuptial du Christ et de l’Église » (ESI,18). Dès lors, « le corps devient parole, annonce d’appartenance totale au Seigneur et de service joyeux » (ESI,16). L’agir du Christ, mort et ressuscité, qui se livre totalement, par amour, devient norme de la vie consacrée, c’est cela qui est fondamental : « À ceci nous avons connu l’amour : celui-là a donné sa vie pour nous. Et nous devons, nous aussi, donner notre vie pour nos frères » (1 Jn 3,16). La virginité consacrée est signifiante d’un au-delà d’elle-même, elle doit actualiser, jour après jour, la victoire pascale sur les forces de mort. Il s’agit d’être, en Église, épouse de Celui qui est mort et ressuscité, d’incarner une forme spécifique de Sequela Christi, lui dont « le corps est le lieu concret et le signe qui réalise sa consécration au dessein du Père » (ESI,16).

L’Évangile comme règle fondamentale

« Les consacrées trouvent dans l’Évangile la source inépuisable de la joie qui donne sens à la vie, l’orientation de leur chemin et sa règle fondamentale » (ESI,27). Elles sont appelées à mettre leurs charismes personnels au service de l’Église particulière (ESI,28), à vivre prière et ascèse en communion avec leurs frères et sœurs (ESI,29) et à assurer une présence de veille et de prière liturgique (ESI,30) par un enracinement dans l’Église particulière (ESI,60). Il s’agit donc d’incarner, d’exprimer par le don de soi, par la prière, l’attente inscrite au cœur de chaque baptisé : « Viens Seigneur Jésus » (Ap 22,20).

En effet, le document rappelle que la vierge consacrée est appelée à célébrer la liturgie des heures (ESI,34). La liturgie de la consécration des vierges prévoit la remise du livre de la prière de l’Église : « Recevez le livre de la prière de l’Église, ne cessez jamais de louer votre Dieu, ni d’intercéder pour le salut du monde [32] ». L’instruction précise : « Par la fidélité quotidienne à l’Office divin [...] elles prolongent dans le temps la mémoire du salut et laissent l’extraordinaire richesse du Mystère Pascal affluer et s’étendre en chaque heure de leur vie » (ESI,34). De même, la veille fait partie de la mission de la vierge consacrée : « Veillez car vous ne savez ni le jour ni l’heure. Conservez avec soin la lumière de l’Évangile, et soyez toujours prêtes à aller à la rencontre de l’Époux qui vient [33] ». En veillant et en priant, la vierge consacrée accomplit sa vocation baptismale : « poussées par le désir de correspondre à l’amour de l’Époux par un amour toujours plus pur et généreux, elles puisent dans la prière l’inspiration de leurs choix [...] Elles luttent contre les tentations, les pensées, les suggestions et les chemins qui mènent au mal » (ESI,36). Cette lutte existentielle relève de la consécration au Christ. En exprimant par tout son être cette lutte contre le péché et les forces du mal, elle « accueille jusqu’au bout l’amour sponsal du Crucifié Ressuscité, pour vivre le sens pascal de l’existence même dans la mort » (ESI,41). En assumant la mission baptismale d’accueil de « l’amour sponsal du Crucifié-Ressuscité » (ESI,41) au sein du diocèse [34] (ESI,42), la vierge consacrée indique le sens de toute existence humaine : se livrer au Christ et ainsi apprendre à se livrer comme le Christ s’est livré pour tous.

Une vocation à discerner

La vocation à la virginité consacrée, si elle ne requiert pas de charisme spécifique autre que la vie baptismale fondée sur l’Évangile dans un diocèse, demande cependant de vérifier certaines aptitudes, en dehors de celle précisée plus avant [35], que le Rituel énumère : « faire preuve de maturité, donner le témoignage d’une vie qui garantisse la persévérance dans une chasteté vouée à l’Église et au service du prochain, être admise par l’évêque [36] ». Les critères de discernement d’une vocation à la virginité consacrée sont nécessairement restreints puisqu’il ne s’agit ni de vérifier l’appel à un charisme particulier, ni la capacité à vivre en communauté.

Toutefois l’instruction comporte toute une partie traitant de ce discernement et nombre de diocèses mettent aujourd’hui en place des parcours préparatoires pour les femmes qui demandent à recevoir la consécration. Le nombre croissant de candidates justifie un tel dispositif. Le document précise que « la consécration [qui définit de façon stable la physionomie spirituelle de la personne] exige [...] une maturation humaine et chrétienne évaluée par un discernement attentif de vocation et par une formation spécifique préalable » (ESI,75). C’est la raison pour laquelle l’instruction rappelant le rôle particulier de l’évêque dans ce discernement (ESI,76) décline un certain nombre de critères : « aptitude fondamentale à apprendre, liberté, désir » (ESI,77) tout en évitant uniformisation comme individualisme (ESI,77). Il s’agit d’opérer « un discernement serein et libre » (ESI,80) en trois phases, une propédeutique, une période de formation et un scrutin final (ESI,81). Plusieurs critères sont alors énumérés au n°86 : « le rapport personnel avec le Christ, le sens de l’appartenance à l’Église, le soin de la dimension contemplative de la vie, la fidélité à la discipline spirituelle, aux temps de prière, l’intérêt pour l’Écriture, la passion du Royaume, une intuition synthétique de sa vocation ».

La vocation à la virginité consacrée, en raison de la forme qu’elle prend au XXIe siècle, requiert une certaine assise spirituelle qu’il convient de vérifier, ainsi qu’une maturité humaine (ESI,102). Le document ouvre aussi la possibilité d’avoir recours à une expertise psychologique (ESI,89-91). L’instruction demande que la consécration ne soit pas donnée avant 25 ans mais bien souvent, elle est donnée beaucoup plus tard. L’accent est également mis sur l’importance de l’accompagnement spirituel (ESI,94) tant au niveau de la formation que tout au long de la vie de la vierge consacrée. C’est là un des lieux fondamentaux de vérification, d’interpellation et de relecture de la fidélité à la vocation. L’instruction encourage la vierge consacrée à prendre les moyens de la formation et de l’accompagnement spirituel tout au long de sa vie par une formation permanente (ESI,108-109). Il encourage également les rencontres diocésaines, interdiocésaines, nationales ou internationales [37]. Tout ce discernement requiert bien évidemment un cadre juridique que le document précise aux numéros 60 à 73 en particulier les transferts d’un diocèse à un autre souvent justifiés par des changements professionnels ou des obligations familiales, chaque vierge consacrée pourvoyant à ses besoins propres au niveau matériel. Le document s’achève par l’invocation de la Vierge Marie, icône parfaite de l’Église (ESI,114).

Ce document répond donc à un besoin nouveau puisque le nombre de consécrations ne cesse d’augmenter et montre que ce chemin antique est aujourd’hui un lieu renouvelé de fécondité et de bonheur à la suite du Christ Époux au cœur de l’Église et du monde : « Que Jésus notre Seigneur, fidèle époux de celles qui lui sont consacrées, vous donne, par sa Parole, une vie heureuse et féconde [38] ».

[1On dénombre plus de 4000 vierges consacrées.

[2« Cette ancienne forme de vie consacrée révélait une surprenante force d’attraction » (Ecclesiae Sponsae Imago, n° 6).

[3Dorénavant ESI.

[4Le document (n°2) cite, entre autres, Agathe de Catagne, Lucie de Syracuse, Agnès et Cécile de Rome qui sont mentionnées dans le canon romain.

[5Le rite de la velatio de l’épouse accompli lors du mariage se retrouve dans les différents rituels et est mentionné par les pères de l’Église. Par exemple Ambroise de Milan.

[6Le texte poursuit : « dont le caractère institutionnel–propre et distinct de celui des Instituts de vie consacrée–a été ensuite confirmé par le Code de Droit Canonique (c.604) et par le Code de Droit Canon des Églises Orientales (c.570) ».

[7Concile Vatican II, constitution Lumen Gentium (dorénavant LG), chapitres 5 et 6.

[8LG,42.

[9Concile Vatican II, décret Presbyterorum Ordinis (dorénavant PO),16.

[10Concile Vatican II, décret Perfectae Caritatis (dorénavant PC),12.

[11LG,11.

[12Lecture proposée pour la consécration des vierges (Voir Rituel de la consécration des vierges, Paris, AELF, 1976, p. 32).

[13Rituel de la consécration des vierges,24.

[14Forme habituelle de la virginité consacrée elle n’est pas constitutive de cette vocation puisque le CIC comme le document (n°66) précisent qu’il est possible de s’associer et de mener une vie commune.

[15Catéchisme de l’Église Catholique (dorénavant CEC), 922.

[16C. Theobald, Le christianisme comme style ; une manière de faire de la théologie en postmodernité, t.** Paris, Cerf (coll. Cogitatio Fidei), n° 261, p. 1025.

[17« En elle s’exprime la confiance totale dans le Seigneur Jésus qui rejoint la personne au cœur de son humanité, dans sa solitude originaire, précisément là où l’image et la ressemblance avec Dieu est imprimée de façon indélébile et où, malgré toute chute et blessure du péché, la vie peut se renouveler selon l’Esprit ».

[18Rituel de la consécration des vierges, 24.

[19Rituel de la consécration des vierges, 17.

[2020. « Tu renouvelles en tes enfants ton image déformée par le péché. Tu veux [...] les rendre à leur innocence première. » (Rituel de la consécration des vierges, 24).

[2121. I. M. Calabuig et R. Barbieri, art. « Consécration des vierges » dans Dictionnaire Encyclopédique de Liturgie, Brepols, 1992, t. 1, p. 227.

[22À la différence de la profession religieuse la consécration des vierges ne comporte pas l’émission des vœux de pauvreté, chasteté, obéissance mais le seul propos de virginité perpétuelle qui est ensuite ratifié par la prière solennelle de consécration.

[23PC,5.

[24« Ils ont choisi d’aimer celui qui est l’époux de l’Église » (Rituel de la consécration des vierges, 24).

[25LG,45 : « L’Église, [...] par son action liturgique la présente comme un état consacré à Dieu ».

[26Rituel de la consécration des vierges, 24).

[27Voir par exemple le titre de l’article du journal La Croix du 2 août 2019 : « Quelle virginité pour les vierges consacrées ? »

[28Rituel de la consécration des vierges, Praenotenda, 5.

[29Rituel de la consécration des vierges, 55.

[30Rituel de la consécration des vierges, 55.

[31I. M. Calabuig et R. Barbieri, art. « Consécration des vierges », p. 228.

[32Rituel de la consécration des vierges, 27.

[33Rituel de la consécration des vierges, 28 (remise de la lumière).

[34« Cela n’empêche pas une vierge consacrée de puiser dans la variété des charismes et des spiritualités par lesquels l’Esprit enrichit l’Église [...] dans la référence à une certaine agrégation ecclésiale » (n°67).

[35Voir note 28.

[36Praenotenda, 5 b et c.

[37Un rassemblement aura lieu à Rome en mai 2020 à l’occasion des 50 ans de la promulgation du Rituel de la consécration des vierges le 31 mai 1970.

[38Rituel de la consécration des vierges, 36.

Mots-clés

Dans le même numéro