Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Semeuses d’espérance prophétique

Marie Baudewyns, s.c.m.

N°2019-3 Juillet 2019

| P. 29-34 |

Kairos

Avec l’appui de sœur Carmen Sammut, présidente sortante (voir Vs Cs 2016-3), la récente réunion plénière de l’UISG nous est contée par la supérieure générale d’un petit institut diocésain belge. Des engagements ont été pris, confiés pour leur suivi à sœur Jolanda Kafka, missionnaire clarétaine, nouvelle présidente, et à son conseil.

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L’Assemblée triennale de l’Union internationale des Supérieures majeures (UISG) vient de se tenir à Rome, du 6 au 10 mai. Elle a réuni 850 personnes environ, de 80 pays, dont 40 conférenciers et invités, communiquant en 13 langues.

La petite délégation belge à laquelle j’appartenais comptait de son côté une vingtaine de personnes qui se retrouveront plus tard dans la même Constellation [1].

Pour une culture de la rencontre

Les trois premières journées, du 6 au 8 mai, sont parfaitement résumées par sœur Carine Tarla, i.c.m., sur le site de l’UISG auquel je ne puis que renvoyer [2]. En bref, nous y avons entendu chaque jour l’appel à devenir, selon le thème de l’assemblée, « semeuses d’espérance » : en entretenant notre mémoire au lieu d’être préoccupées par le futur (sœur Teresa Maya, des Sœurs de la Charité du Verbe Incarné de San Antonio), à lutter ensemble en vue de la sauvegarde de notre Maison commune la terre (sœur Judette Gallares, r.c., Philippines) – un travail déjà commencé dans un esprit d’interconnectivité (sœur Sheila Kinsey, des Sœurs Franciscaines Filles des Sacré-Cœurs de Jésus et de Marie) ; à aller dans nos communautés de la multiculturalité à l’interculturalité en passant par la transculturalité (sœur Adriana Carla Milmanda, des Missionnaires des Servantes du Saint Esprit) – ce que les panellistes sœurs Elizabetha Lick, Elvira Tutuolo, Veronica Openibo et Sally Hodgdon ont repris comme le défi d’être des Bonnes Samaritaines à notre tour. Enfin, le Cardinal Joao Braz de Aviz, préfet de notre Dicastère, a couronné cette troisième journée en répondant aux préoccupations des participantes. Et comme nous le rappelait le Père Federico Lombardi, s. j. dans son homélie, « face aux diverses épreuves, le rapport personnel avec Jésus, Pain de Vie, nous donnera la force pour la route ».

Le quatrième jour, 9 mai, la professeure Donna Orsuto (Ohio et Rome) nous a invitées à participer au dialogue interreligieux, car c’est « l’un des moyens de promouvoir la compréhension mutuelle » : « l’amitié est aussi une dimension importante de l’approche du pape François avec des personnes appartenant à d’autres religions ; une approche qu’on comprend mieux dans le cadre de son invitation à créer une culture de la rencontre ». Or, « incombe aux religieux une tâche particulière : favoriser un amour qui chasse la peur [...] Une des façons de combattre la peur est d’approfondir la connaissance de l’autre. Elle peut éradiquer les fausses perceptions que nous pouvons avoir d’eux et de leur religion [...] La connaissance de base des autres religions est importante pour nous toutes, mais je voudrais aller plus loin ; nous avons besoin de religieuses bien formées qui s’assoient à la table des dialogues officiels quand ceux-ci ont lieu ». Le Pape appelle à « prier pour la paix entre les personnes appartenant à différentes religions ». C’est donc qu’« une attitude fondamentale du dialogue est de savoir regarder l’autre avec les yeux de Dieu ».

À la fin de ce même quatrième jour, nous nous sommes réunies en « Constellations2 », afin de réfléchir à notre « engagement », dans l’un des domaines où nous sommes appelées à « être semeuses d’espérance ». Ensuite, nous avons partagé cet « engagement » à l’Assemblée.

Soigner les cœurs

Le cinquième et dernier jour, 10 mai, le pape François nous a reçues en audience dans la salle Paul VI. Pour fêter les 10 ans de Talitha kum [3], il a lancé la campagne « Nuns healing hearts » (les Sœurs guérissant les cœurs) : un hommage photographique qui documente le travail inlassable des religieuses du monde entier contre la traite des êtres humains ; mise en place lors de l’audience du 10 mai dans la salle Paul VI et dans les jours suivants dans les bureaux de l’UISG, cette exposition montre la réponse de Talitha Kum contre toutes les formes d’exploitation et de maltraitance : oser le bien. « Ce qui signifie soigner, accueillir les larmes de ceux qui pleurent, guérir les cœurs, éveiller le goût de la dignité, donner un sourire de paix ».

Sœur Carmen Sammut, qui achevait son mandat de Présidente de l’UISG [4], a donné une brève synthèse des journées vécues en Assemblée Plénière. Le geste du Pape, qui l’a invitée à partager son bureau face à l’assemblée, n’est pas passé inaperçu !

Femme consacrée en Église

Le Pape a d’abord remercié les supérieures pour leur présence. Puis, délaissant son discours écrit, il a parlé d’abondance du cœur aux participantes, répondant ensuite aux questions qui lui ont été adressées par quelques religieuses. Soulignons quelques points de ce « discours » qu’on trouve dans son intégralité sur le site du Vatican [5].

Le Saint-Père a remercié les supérieures générales pour leur chemin risqué de mise à jour. Il a en premier lieu évoqué le problème de ces abus (sexuels, de pouvoir et de conscience) dont nous n’avions pas conscience il y a 20 ans, et qui suscitent, avec la honte, un processus dans lequel il s’agit d’avancer. Or ces abus ont touché des religieuses [6]. Le Pape s’est montré très ferme : « Nous devons combattre cela » – y compris dire toutes ensemble non à la servitude (à l’égard du clergé), mais oui au service des pauvres. À propos du diaconat féminin, le Pape a rappelé que la question venait des supérieures majeures et a en quelque sorte rendu compte du travail fourni : il a créé au sein de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi une commission adéquate (dont il a remis le rapport à la Présidente) ; il signale qu’elle a bien travaillé, mais n’est arrivée à un accord commun que sur peu de choses – il ne lui est donc pas possible de prendre une décision sur une base si étroite. Il s’agit de plus d’avancer sur la théologie de la femme, notamment consacrée, dans l’Église. Or, il y a « quelque chose qui va au-delà des fonctions, qui n’a pas encore mûri, que nous n’avons pas encore bien compris », c’est que l’Église est Épouse de Jésus, non pas en image, mais en réalité.

Puis le Pape s’est laissé interroger, et premièrement sur la nécessité de poursuivre le travail de la commision sur le diaconat et le rôle des femmes dans l’Église. Il a fait remarquer que les positions les plus dogmatiques ne sont pas immuables (contre la théologie du Denzinger), parce que la compréhension de la révélation grandit avec les années. Il s’agit de chercher l’harmonie entre la révélation, le dialogue des expériences, le témoignage rendu : « tout est en chemin », sur la route de l’explicitation dogmatique – l’exemple des évolutions de l’habit religieux lui permettant d’expliciter avec humour que tout est affaire de discernement.

Poursuivre les semailles

La question suivante revenait sur les « semences de vie » que sont les multiples présences des femmes aux fragilités humaines mais pointait aussi l’absence des hommes à l’assemblée. Le Pape a commenté les mots phares de la question : « fragilité », « mère », « servante », et affirmé que, de cette fragilité mariale, la consacrée est « le reflet total ». Mais il a aussi saisi la balle au bond et annoncé qu’il se rendrait (lui ou son successeur) à l’assemblée internationale suivante !

À propos du dialogue interreligieux, il a estimé qu’il fallait agir tous ensemble, quoiqu’il en soit des dialogues théologiques : il y a déjà l’œcuménisme du sang (les martyrs), puis celui qui se fait social (l’œcuménisme du pauvre), et celui de la prière. Pour le dialogue interreligieux, il convient de chercher les valeurs communes de la vie et de l’amour.

Les autres questions portaient sur les chemins de l’inculturation (le Synode prochain sur l’Amazonie s’invitant dans l’horizon), les efforts pour la paix au Soudan (dont certains dirigeants de diverses confessions venaient de faire retraite au Vatican). Un très beau dialogue, qui nous a montré une fois de plus comment le Saint-Père écoute, prolonge nos interrogations, et nous encourage, pour reprendre son mot, à « avancer ».

L’espérance prophétique germe partout ; à nous de poursuivre les semailles, pour une nouvelle moisson.

[1C’est depuis longtemps que les supérieures générales sont regroupées en constellations (par continents ou par pays ou groupes de pays, selon les cas) ; le but est de faciliter la communication, les échanges et le soutien mutuel, et d’incarner le but et la mission de l’Union, tels qu’ils sont précisés à l’Art. 2 des Statuts et dans les Directives de l’UISG.

[2Toutes les conférences se trouvent sur ce site : http://www.internationalunionsuperiorsgeneral.org/fr/

[3Talitha Kum est né en 2009 du désir partagé de coordonner et renforcer les activités contre la traite promues par les femmes consacrées à travers les cinq continents. C’est un réseau de réseaux organisés différemment qui engagent des initiatives contre la traite des personnes dans le respect des différents contextes et cultures (source : site de l’UISG)

[4Vies consacrées a publié une Rencontre qui lui est dédiée et qu’on trouve en accès libre sur notre site (http://www.viesconsacrees.be/revues/tome88annee2016/-trimestre-3/articles/article/rencontre-aveccarmen-sammut-s-m-nrecherche=sammut).

[6Sœur Carmen, dans sa relation inaugurale, avait énoncé quatre points d’engagement pour l’avenir. Voir le communiqué de presse du 24 mai 2019.

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