Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Chronique de la vie consacrée

Noëlle Hausman, s.c.m.

N°2019-2 Avril 2019

| P. 57-70 |

Chronique - Vie consacrée Chronique

Notre chronique comporte cette année un quarteron d’ouvrages que nous avons choisi de regrouper ainsi : une abondante moisson de figures emblématiques (classées par ordre chronologique), puis quelques études sur les origines, l’un ou l’autre arrêt sur les « dérives » à dénoncer aujourd’hui, des observations venues de la sphère du droit et des finances, et, pour finir en mode dynamique, de belles ouvertures sur les jeunes et l’avenir.

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Figures

D.-M. Golay Sainte Thérèse de Lisieux. Vivre d’amour

Paris, Cerf, 2018, 21 x 26 cm, 320 p., 29 €

● Sous une couverture superbe, œuvre du peintre Ricardo Macarron, et à un prix somme toute abordable, voici un nouvel album thérésien digne de ses grands prédécesseurs (comme Les Cahiers d’école, publiés en 2008). Les exceptionnelles archives du Carmel de Lisieux ont été abondamment mises à contribution et le graphisme sert à merveille, par bien des représentations artistiques récentes, un texte qu’on aurait tort de croire ordinaire. C’est Thérèse qui tient en quelque sorte la plume de cette biographie illustrée où l’on remarque des éclairages historiques, généalogiques, contextuels, et l’impressionnante série de photos des membres de la communauté de Thérèse à son époque. On pourra regretter que certaines nuances ne soient pas apportées (notamment à la vignette sur Mère Marie de Gonzague, p. 166), mais était-ce le lieu ? L’album s’achève sur un tableau chronologique très détaillé, un indispensable index des noms et un relevé des encarts eux aussi utilement classés. De la belle ouvrage !

Maurice Tornay, Chanoine régulier du Grand-Saint-Bernard (1910-1949). Écrits valaisans et tibétains. Édition intégrale, introduction de J. Darbellay (+) et P. Sicard

coll. Sous la règle de saint Augustin, 15, Turnhout, Brepols, 2018, 15 x 23 cm, 378 p., 65 €

● Les éditions Brepols proposent, pour la première fois, une édition intégrale des écrits de Maurice Tornay (1910-1949), chanoine régulier du Grand-Saint-Bernard, mort assassiné au Tibet en 1949 en haine de la foi et proclamé bienheureux par Jean-Paul II en 1993. Trente-six lettres datent de la jeunesse de Maurice, alors qu’il était collégien à Saint-Maurice (1925-1931) ; trente-cinq nous font découvrir l’âme du jeune religieux (1931-1935) et plus de cent nous entraînent sur les traces du missionnaire, d’abord aux Marches tibétaines (1936-1945), puis à Yerkalo (1945-1949). Le pittoresque et l’humour côtoient l’élan spirituel, et les descriptions grandioses soutiennent une profonde réflexion de sagesse sur la situation politique du pays et l’hostilité des lamas envers les missionnaires chrétiens sommés d’apostasier ou de quitter le pays. Outre les lettres, le volume contient des récits et nouvelles, destinés à des correspondants et revues helvétiques, ainsi qu’un bref journal tenu par le P. Tornay en 1945-1946. Au-delà du talent littéraire certain, c’est l’âme du saint, du pasteur d’âmes, du missionnaire assoiffé de Dieu, qui se révèle à chaque page. C’est aussi une page de l’histoire de l’Extrême Orient du XXe siècle : celle d’une situation politique chaotique au sortir de la seconde guerre mondiale, qui devait entraîner Maurice Tornay jusqu’au martyre, entrevu de longue date et lucidement consenti. Au printemps 1945, le Père Tornay est curé de la paroisse de Yerkalo. Le territoire de la mission, passé de la Chine au Tibet intérieur lors d’un changement de frontières survenu en 1932, est occupé militairement. Plusieurs prêtres y ont déjà été tués et les autorités locales multiplient les menaces pour expulser le missionnaire et faire apostasier les chrétiens. Le 25 janvier 1946, il est reconduit à la frontière par une cohorte armée. Après de nombreuses démarches infructueuses pour réintégrer sa paroisse, il part plaider sa cause auprès du Dalaï-Lama à Lhassa, capitale du Tibet. C’est au cours de ce voyage qu’il est arrêté, contraint de rebrousser chemin et, enfin, tué dans une embuscade le 11 août 1949. Sa dernière lettre, datée du 9 juillet 1949 et écrite la veille de son départ pour Lhassa, s’achève par ses mots : « Jusqu’où irai-je ? Qu’arrivera-t-il ? Je ne promets rien. Sicut fuerit voluntas Dei, sic fiat ! » (p. 277).

J. Monchanin Le monde à sauver. Lettres d’amitiés spirituelles, textes établis et présentés par Fr. Jacquin, Postface de Y. Vagneux

13,5 x 21,5 cm, Ad Solem, Paris, 2018, 192 p., 19,90 €

● Après les Lettres de Monchanin à sa mère, au père Le Saux et à l’abbé Duperray, Françoise Jacquin édite la correspondance du futur ascète indien avec la dizaine de jeunes femmes qu’il a unies dans son « idée missionnaire » : les « pionnières », en 35 pages (au Maroc, en Chine, en Inde, dans le monde communiste) et les « étudiantes », en 125 pages, parmi lesquelles surtout Marguerite Prost en Inde (46 pages). Le triple enfantement attendu du Christ en Inde, en Chine, pour l’Islam (74) se fait plus largement espérance eschatologique « pour l’Islam, pour Israël, pour la Chine, pour les Noirs, pour l’Inde » (186). Courtes ou longues, ces épîtres signent des affections féminines intenses (« Claude, tu m’as montré le chemin et tu sais bien que nous serons toujours ensemble même si nous ne devions jamais revoir notre visage terrestre », 166), alors même que « les destinées enfouies » de telles dirigées se concluront presque toutes par des échecs apparents (184). L’introduction de l’éditrice, ses portraits précédant l’apparition de chaque nouvelle destinataire, et la postface de Yann Vagneux, m.e.p., prêtre à Bénarès, permettent de méditer sur l’épopée de ces missionnaires d’un genre nouveau, captives d’un même appel, « consacré et sacerdotal » (p. 7), qu’on espère toujours vivant aujourd’hui.

Th. Georgeon et F. Vayne La vie et le message des sept moines de Tibhirine

coll. Récit, Nouvelle Cité, Bruyères-le-Châtel, 2018, 15 x 22 cm, 160 p., 17 €

● Préfacé par le Cardinal A. Becciu, préfet de la Congrégation pour la cause des saints, ce nouvel hommage aux bienheureux de l’Atlas, rédigé en tandem par le postulateur de la cause et un journaliste averti, met en évidence le sens prophétique de la présence de l’Église en Algérie : une présence fraternelle et amicale qui exprime la foi chrétienne en perspectives d’engagement (p. 17). Repartant de l’histoire de l’Église catholique en ces contrées, puis de la communauté de Tibhirine de ses origines à nos jours, ces pages proposent un bref portrait de chacun des moines martyrs (rehaussé par un carnet photographique), puis la série de chapitres proprement dits, chacun mettant en évidence un aspect de la vocation trappistine, illustré par un frère particulier : « appelés à se donner dans le détail des journées » (Paul), « prier ensemble en Église » (Michel), « travailler dans la discrétion féconde de Nazareth » (Christophe), « traverser les crises comme autant de naissances » (Célestin), « vivre la nouveauté du dialogue et de la relation » (Luc), « accueillir l’inattendu avec Marie » (Bruno), « hôtes dans la maison de l’islam » (Christian). Chaque chapitre se termine sur une citation du Pape François et le livre, sur trois annexes : le testament spirituel de Christian de Chergé, une rencontre avec Jean-Pierre Schumacher, frère survivant, une bibliographie pour aller plus loin. Une belle manière de revisiter le dossier, en mode spirituel.

M. Duteil Les martyrs de Tibhirine. L’histoire d’un drame politico-religieux

Paris, Salvator, Édition revue et augmentée, 2018, 13 x 20 cm, 256 p., 18 €

● Précisant beaucoup la première édition de 1996, la présente publication constitue une passionnante chronique historique des arrière-fonds politiques et ecclésiaux autour de cette Trappe en terre d’islam, surtout depuis les débuts de l’islamisme algérien, la naissance du Front islamique du Salut, les années 1993-1994 où le pays sombre dans le chaos : le monastère entre alors dans la tourmente, et la poudrière algérienne explose, tandis que les autorités françaises ne peuvent empêcher l’incendie de franchir la Méditerranée. Ces chapitres bien documentés retracent évidemment tout le drame, avec au sommet l’enlèvement des trappistes, l’angoissant silence qui s’ensuivit, les mystérieuses tractations et les divergences entre services secrets, la découverte des dépouilles et la courageuse reconnaissance des têtes (obtenue par le père A. Veilleux), le temps du soupçon qui s’étend jusqu’à nos jours (« Un manque de confiance qui perdure et qui crée un malaise évident de part et d’autre de la Méditerranée », p. 226). Vingt-deux ans après, Notre-Dame de l’Atlas s’installe à Midelt (Maroc) et un autre Tibhirine revit grâce à la communauté du Chemin Neuf, qui permet que se poursuive « le Ribaat, ce dialogue entre chrétiens et musulmans, religion et culture, initié par Christian de Chergé » et les siens (p. 236). En annexe sont donnés les portraits des moines martyrs, le communiqué n° 43 du GIA adressé au gouvernement français (une proposition d’échange de prisonniers qui avortera), la lettre de Mgr H. Simon au Nouvel Observateur en août 1996 qui défend la présence des moines en Algérie. Voilà l’ouvrage qu’il faudrait lire avant tout autre, parce qu’il offre le cadre d’une aventure spirituelle qui en sort encore grandie.

Y. Chiron Dom Gérard (1927-2008). Tourné vers le Seigneur

Le Barroux, Éditions Sainte-Madeleine, 688 p., 29 € (livré avec un CD audio reprenant quatre conférences et sermons prononcés par Dom Gérard)

● Sollicité par les moines de l’Abbaye Sainte-Madeleine du Barroux d’écrire la biographie de leur fondateur, Dom Gérard Calvet, l’historien Y. Chiron, déjà bien connu pour ses ouvrages sur Pie IX, Pie X, Benoît XV, Pie XI, Jean XXIII, Paul VI, a relevé un défi de taille ! La prouesse tient à l’ampleur des archives exploitées, au parcours délicat de Dom Gérard au cœur de la période tourmentée qui a suivi le concile Vatican II, ainsi qu’au désir du biographe de « ne pas s’en tenir aux éléments extérieurs qui réduiraient Dom Gérard à un fondateur de monastère et à un résistant traditionaliste » (p. 14). Entré dans l’ordre bénédictin en 1950, Dom Gérard quitte son monastère avec l’accord de son père abbé en 1970, avec au cœur un projet de « fondation d’un monastère bénédictin d’esprit traditionnel », parce que « les réformes et les adaptations entreprises dans nos communautés depuis la fin du Concile » ont laissé « insatisfaits certains religieux plus attachés aux formes traditionnelles qui les avaient attirés naguère vers l’idéal monastique » (p. 243). Rejoint par plusieurs jeunes, il organise, dans une métairie à Bédoin (Vaucluse), la vie de la nouvelle petite communauté, fondée sur la Règle, la rectitude doctrinale et la liturgie traditionnelle. Mais ce que son supérieur et l’évêque d’Avignon considèrent prudemment comme une simple « expérience », Dom Gérard le voit déjà comme un monastère, brûlant les étapes canoniques, recevant les vœux perpétuels des jeunes moines et faisant conférer les ordres mineurs à plusieurs jeunes par Mgr M. Lefebvre. Sommé par son supérieur de mettre fin à l’entreprise, Dom Gérard lui oppose un non possumus, ignorant plusieurs avertissements canoniques, jusqu’à son exclusion de la Congrégation de Subiaco et sa suspension a divinis par l’évêque d’Avignon en 1975. La rupture s’aggrave encore en 1979, quand Dom Gérard soutient la fondation d’un monastère traditionnel féminin, qui fera lui aussi rapidement l’objet de mises en garde. En 1980, expulsé de la métairie devenue de toute façon trop exiguë, Dom Gérard entreprend la construction d’un monastère au Barroux, quelques km plus loin. Il faudra attendre plusieurs années, et beaucoup de souffrance, pour que le sensus ecclesiae l’emporte. En 1983, Dom Gérard sollicite sa réintégration dans l’Ordre bénédictin, « en exprimant [son] regret le plus sincère de tout ce qui a pu motiver [son] éviction de l’ordre » (p. 400). Un long processus de retour aboutit en 1988, alors même qu’intervient dans cette même période la décision romaine d’autoriser – à certaines conditions – la célébration de la messe traditionnelle.

A. Louf La liturgie du cœur. Méditations à Sainte-Lioba III

Paris, Salvator, 2018, 14 x 21 cm, 256 p., 22 €

● Après S’abandonner à l’amour [1] et La joie vive, voici La liturgie du cœur, 3e volume de méditations issues des douze années d’ermitage par lesquelles André Louf a achevé en 2010 son pèlerinage terrestre. Dernier volet, donc, d’une trilogie regroupant réflexions, commentaires et homélies sur les textes liturgiques des années A, B et C, patiemment remis en forme par Ch. Wright, auteur d’une biographie de référence sur ce géant de la vie monastique [2]. Quelques-uns des titres donnés à ces homélies suffiront à en faire pressentir la saveur spirituelle : « L’attente amoureuse », « Dans l’abîme intérieur », « Les âmes enceintes de Dieu », « Le sacrement des saisons », « Une déflagration d’amour », « L’instant où tout bascule », « Le prétoire du cœur », « L’échelle de l’humble amour », « Dans la chambre nuptiale du ciel », « Dieu n’est pas au bout de nos efforts », « Le divin tisserand »... Une nourriture aussi simple que goûteuse, pour accompagner chaque chrétien dans la « liturgie du cœur », ce dialogue secret qui unit l’âme à Dieu dans le silence, le temple caché où gémit l’Esprit.

Origines

J. Garcia Alvarez Un seul cœur et une seule âme en Dieu. Vivre en communauté à la lumière de saint Augustin

Le Coudray-Macouard, Saint-Léger Éditions, 2018, 13 x 21 cm, 316 p., 18 €

● Au début du Ve siècle, Augustin donne une Règle aux communautés qu’il a fondées, notamment pour les soutenir pendant ses nombreuses absences. Les premières phrases, inspirées de l’idéal apostolique (cf. Ac 4,32), en donnent d’emblée l’esprit : « Avant tout, vivez unanimes à la maison, ayant une seule âme et un seul cœur orientés vers Dieu » (Reg. I, 2). Dans un monde divisé, le monastère, petite Église, doit donner avant tout un témoignage de communion, de « concordance », reflet du projet créateur comme de la vie trinitaire ; une communion qui n’est possible que dans le Christ, fondement de la communauté ecclésiale, et donc dans le mystère eucharistique qui rassemble et édifie son corps mystique. L’enjeu du cor unum et anima una n’est pas moins grand aujourd’hui qu’au siècle d’Augustin. Croyons-nous encore en cette grâce irremplaçable de la fraternité ? Comment « convertir notre cœur à la vie commune », dans le concret du quotidien : autour de la table, dans le pardon, dans la relation fraternelle ? Prendre soin de soi, prendre soin de l’autre, laisser l’autre prendre soin de nous : autant de voies pour proclamer que « Dieu est amour » et le contempler dans les frères et sœurs qui nous entourent. Une ouvrage qui nourrira l’espérance et l’action de grâce dans nos communautés. Un seul bémol, qui ne touche pas la pertinence de la pensée de l’A., mais la forme : les nombreuses fautes d’orthographe et de style. Le français n’est pas la langue maternelle de l’A., et son texte n’a manifestement pas été corrigé avant publication.

Vie et enseignement de Synclétique, Extraits, avec Introduction et jalons de Sœur Marie Ricard, o.s.b

coll. La manne des Pères 16, Le Coudray-Macouard (F), Saint-Léger éditions, 2018, 13 x 20,5 cm, 120 p., 12 €

● Déjà éditée naguère dans la collection Spiritualité orientale de l’Abbaye de Bellefontaine, fondée sur un « texte-source » mis en français fondamental par des moniales de Jouarre et de Maumont, la vie de cette Mère du désert est introduite et « jalonnée » par Sœur Marie Ricard, dans cette collection d’initiation à la tradition destinée primitivement à des jeunes moines et moniales dont le français n’est pas la langue maternelle. Une méthode de lecture est proposée, avec un plan et une présentation de la postérité du texte, qui court ensuite sur une soixantaine de pages (la moitié du volume), avant des jalons d’une vingtaine de pages encore : une pédagogie modèle, pour accéder à l’enseignement d’une vraie « Amma », dans le discernement des esprits et l’enfantement spirituel. Ne citons qu’un de ses sentencieux conseils : « Si vous vous trouvez dans une communauté, surtout n’en sortez pas, cela vous ferait beaucoup de mal. Si un oiseau abandonne ses œufs, ils deviennent liquides et sont perdus. De même chez une vierge ou un moine, la foi se refroidit quand ils vont de lieu en lieu ».

A. Kiner La nuit des béguines

coll. Picolo 143, Paris, Liana Levi, 2018, 12 x 18 cm, 336 p., 11 €

● Voilà un roman palpitant, sur une forme de vie consacrée insolite qui continue à faire rêver : un monde féminin peu convenu, des rapports très libres avec « l’extérieur », avec en médaillon une figure mystique aussi éminente que Marguerite Porete qui finit sur le bûcher... Cependant, qu’on n’y cherche pas même la trace d’un itinéraire spirituel ; tout se passe à hauteur de femmes, bien qu’un homme, lui aussi religieux, soit mêlé à l’intrigue de la copie d’un manuscrit interdit. Quoiqu’il en soit de certaines descriptions inutilement osées, on peut y trouver matière à réflexion, sur la proximité de la connaissance des plantes et des âmes, la capacité des femmes à se protéger ou à se trahir entre elles, la cupidité des puissants et la rouerie des clercs... La fréquentation des écrits des béguines elles-mêmes, à commencer par Hadewijch d’Anvers, entraînerait cependant bien plus loin.

Dérives du temps

Conférence Monastique De France - CORREF Vie religieuse et liberté. Approche canonique, pastorale, spirituelle et psychologique

Paris, CORREF, 2018, 16 x 22 cm, 176 p., 10 €

● Sous ce titre un peu alambiqué, c’est un précieux instrument de travail que nous proposent les instances françaises éditrices. Présenté par le président de la CMF, postfacé par la présidente de la CORREF, l’opuscule permet d’abord de distinguer les dérives sectaires d’autres fonctionnements autoritaires (Chantal-Marie Sorlin, Fraternité de Béthel). Il rappelle ensuite le respect du droit commun pour prévenir les dérives et les abus de pouvoir (Loïc-Marie Le Bot, o.p.). Après cette cinquantaine de pages, dom Dysmas de Lassus, ministre général de l’Ordre des Chartreux, propose une étude d’une centaine de pages sur la paternité de l’Abbé et la juste distance d’avec ses frères. Cette pièce centrale est elle-même composite, puisqu’elle reprend une étude sur les rapports du for interne et du for externe dans la tradition de l’École française de spiritualité (Bernard Pitaud, Sulpicien) et une autre publication sur « for interne et autorité » (Bruno Gonçalves, c.o.) ; une troisième « annexe » donne le décret Quemadmodum du 17 décembre 1890 (normes relatives à la manifestation de la conscience aux supérieurs, instituée dans les monastères féminins et masculins), puis quelques prescriptions du Droit canonique récent, et enfin, une bibliographie utile. Le dernier chapitre, qui n’est pas le moins précieux par les temps qui courent, indique les signes d’une bonne communication dans une communauté (Pascale Carrère).

A. Nana Libération de la vie religieuse canonique. Retour à l’Évangile. Renouveau religieux sans les contraintes de vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance (Mémoire d’Outre-tombe)

coll. les Impliqués, Paris, L’Harmattan, 2018, 13,5 x 21,5 cm, 122 p., 14 €

● Un « guide spirituel » camerounais, missionnaire des Oblats de Marie Immaculée, décédé en France avant d’avoir achevé la rédaction de cet opuscule, offre ici sa dernière réflexion sur « la vie religieuse canonique », qu’il s’agit de « libérer » pour la rendre à l’Évangile. Certes, le renouveau espéré de toute part doit avoir la détermination « d’examiner à fond, à la lumière de l’Évangile, la théologie de la vie religieuse en général, et en particulier l’enseignement doctrinal concernant les vœux de religion » (p. 27), traités l’un après l’autre en trois petits chapitres de vingt pages chacun. Force est de constater que le dossier s’appuie sur des considérations étroites et mal inspirées (les références à L. Evely et R. Garaudy sont pour le moins très datées, et les sources historiques ou magistérielles, maltraitées). Faut-il vraiment en venir à penser que le vœu de pauvreté est, en Afrique, « aussi ridicule que le vœu de bien-être » (p. 49), que le vœu de chasteté « reprend sa place parmi les questions inutiles et sans intérêt pour notre salut » (p. 75), que le vœu d’obéissance « comme contrainte imposée volontairement à soi-même n’a pas sa raison d’être » (p. 103), et que « les autres, c’est la révélation de la transcendance » (118), tandis que l’organisation hiérarchisée des congrégations religieuses peut être qualifiée de « structure de péché » (p. 101) ? Bien entendu, on peut être d’accord avec la fin de ce qu’il faut bien nommer un pamphlet : « C’est Jésus-Christ qu’il nous faut consulter... par sa divine Parole, il nous révèle le véritable chemin de sainteté et nous enseigne un idéal de sincérité » (p. 119) ; mais on n’ajouterait pas « qui rend les serments inutiles »...

Droit et finances : documents récents

P. Valdrini, E. Kouveglo Leçons de droit canonique. Communautés, personnes, gouvernement

Paris, Salvator, 2017, 15 x 22,5 cm, 528 p., 28,50 €

● Même s’il excepte les canons qui concernent les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, ce fort volume peut être signalé pour son intérêt général. Ces leçons un peu austères s’intéressent en effet d’abord aux « communautés » (les Églises particulières, leurs regroupements, l’autorité suprême dans l’Église), puis aux « personnes » (physiques, mais aussi juridiques, ainsi que les communautés associatives). Le chapitre IV de cette Deuxième partie, sur « le gouvernement et les sources du droit canonique » est particulièrement utile. Une bibliographie générale, un relevé des principales revues de droit canonique et un index thématique précèdent la table des matières qui donne en quelque sorte la carte des lieux à visiter.

Congrégation pour la doctrine de la foi, Dicastère pour le service du Développement intégralLes problèmes économiques et financiers. Considérations pour un discernement éthique sur certains aspects du système économique et financier actuel

Namur-Paris, Lessius-Éditions Jésuites, 2018, 17 x 24 cm, 166 p., 15 €

● Publié en 2018 par deux dicastères, le document est présenté dans cette édition par trois services français, sous la direction de G. Catta, s.j. et J.-C. Lavigne, o.p., qu’on vient de retrouver dans ce numéro. C’est une réflexion précise et technique, reconnaissent les directeurs dans leur préface, à destination de « ceux qui travaillent dans le système économique et financier (Œconomicae et pecuniare questiones = OPQ, 1), mais il concerne aussi les acteurs politiques, et, d’une manière ou d’une autre, les consacrés, qui gagneront à se voir rappeler selon quels principes il leur revient de discerner leurs engagements budgétaires, mais également comment ils peuvent eux aussi contribuer à l’évolution souhaitée du cadre financier dans lequel ils évoluent. La pléiade de contributeurs impressionne (on y retrouve le nom d’Étienne Perrot, s.j., qui a présenté dans VsCs 2018-3 les orientations de notre Dicastère sur « L’économie au service du charisme et de la mission »). Comme il est d’usage dans ce genre d’études, le texte romain est publié avec des explications marginales (45 pages), après quoi sont proposées les « fiches pédagogiques » (85 pages) réparties en trois groupes : les concepts fondamentaux de l’économie et de la finance, l’enseignement de l’Église catholique dans le domaine, les enjeux éthiques et moraux, « par-delà le cadre confessionnel ». Chaque fiche (signée) s’achève sur un encadré proposant des « questions pour aller plus loin » ainsi que des ouvrages de référence, et l’ensemble se termine par un index des noms cités et une intéressante présentation de chaque contributeur. Un très bel outil de travail.

Jeunes et avenir

S. Robert, É. Grieu, J.-P. Lamy (Dir.) Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel : quel appel à la vie religieuse ? Session février 2018, Centre Sèvres-Facultés jésuites de Paris

coll. Cahiers de la vie religieuse, 194 Paris, Médiasèvres, 2018, 17 x 24 cm, 137 p., 13 €

● La session qui s’est tenue au Centre Sèvres en février 2018 a voulu, dans les temps qui préparaient le Synode des jeunes, comme l’écrit J.-P. Lamy, s.j. en avant-propos, apporter sa contribution à l’appel du Pape François pour une cohérence renouvelée de la vie religieuse. La parole a d’abord été donné à trois jeunes religieux : un jésuite (Ch. Le Du), une sœur du Cénacle (C. de Leffe), un frère de Saint Jean (M.-A. Dallaporta). Après ces témoignages vient la contribution majeure de J. Nieuviarts, exégète assomptionniste, au sujet de l’appel de Dieu comme promesse pour l’homme. Deux expériences de discernement des vocations sont alors proposées (M.-Y. Midy, des filles de la Charité de Saint Vincent de Paul, et C. Pavanello, des Sœurs de Saint-André) ; on y trouve critères et conditions des cheminements vocationnels. G. de Taisne évalue en psychanalyste le choix de la vocation religieuse, le rôle de la communauté et les fruits toujours attendus (« la joie se conjugue avec le verbe “être”, celui du désir », p. 87). La pastorale des vocations est représentée par quatre intervenants réunis en panel : un frère des Écoles chétiennes (J.-V. Le Dréau), un carme (J.-A. de Garidel), une sœur de la Croix de Chavanod (J. Varadha Rajan) et une sœur des Fraternités monastiques de Jérusalem (Émilie). La contribution finale de F.-X. Dumortier, s.j., court sur plus de 20 pages et vaut à elle seule le détour : il y est réfléchi à nouveaux frais aux racines de la vie religieuse, à ses exigences, et au discernement qui s’impose désormais pour avancer au large.

Pape François La force de la vocation. La vie consacrée aujourd’hui. Entretien avec Fernando Prado, c.m.f

Nouan-le-Fuzelier, Éditions des Béatitudes, 2018, 13,5 x 21 cm, 122 p., 11,90 €

● Une belle suite de chapitres recueille une interview de quatre heures que l’auteur a eu le privilège d’obtenir du Pape François, exclusivement à propos de la vie consacrée. Il ne s’agit donc pas de ses discours écrits ou improvisés, mais de réponses spontanées à des questions (que le Pape n’avait pas voulu recevoir d’avance), mises en forme après l’entretien enregistré par l’heureux journaliste, déjà connu du Pape. Les paroles du Pontife jésuite sont ordonnées selon les trois objectifs assignés par Jean-Paul II au nouveau millénaire : regarder le passé avec reconnaissance, vivre le présent avec passion, embrasser l’avenir avec espérance. Comme le note le père Prado, « on trouve chez François une personnalité complexe, polyédrique, crédible et authentique tout à la fois ». Pour le Pape, le chemin du renouveau conciliaire (« lent, fécond et désordonné ») a connu de dures oppositions, chez les prélats qui croyaient devoir discipliner la vie consacrée (p. 35), et l’Église n’a pas fini d’éponger sa « grosse dette » liée à la révision toujours reportée de Mutuae relationes (p. 36), mais des pas importants ont été faits, notamment vers l’interculturation et l’internationalisation (« on ne reviendra pas en arrière », p. 41). Le présent va vers une consécration plus mûre, fidèle (« j’insiste, nous devons tous être fidèles, mais la vie consacrée, en quelque sorte, doit démontrer cette fidélité de manière particulière, car il y a en elle clairement un caractère sponsal », p. 97), prophétique dans sa faiblesse même (« mais s’il vous plaît, ne faisons pas de nos Instituts une armée fermée », p. 77), fondée sur quatre piliers : la prière, la vie communautaire, l’étude et l’apostolat (p. 84). Dans les temps qui viennent, il s’agit, pour toute l’Église, de marcher (« marcher avec Lui, toujours marcher », p. 101), de « fréquenter l’avenir », comme l’a écrit le futur Cardinal A. Bocos (dont l’ouvrage est traduit en français, contrairement à ce que dit la note de la p. 103), d’écouter la mémoire des plus âgés (p. 104), d’assumer la culture du lieu (p. 109), de partager la mission avec des laïcs (p. 110), de se tenir à la frontière de l’éducation (« parce que éduquer, c’est toujours gagner », p. 111), d’écouter la voix des pauvres (« On parle de Laudato Si’comme étant une encyclique verte, mais je dirais que c’est avant tout une encyclique sociale », p. 115). D’intéressantes notes d’ambiance et autres anecdotes parsèment ce récit, dont les quelques extraits cités devraient faire deviner le surprenant intérêt.

[1Voir recension dans VsCs 2018-2, p. 67-68.

[2Voir recension dans VsCs 2018-2, p. 66-67.

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