Agnès Dang, c.s.t.
Agnès Dang, c.s.t.
N°2019-1 • Janvier 2019
| P. 3-8 |
RencontreArtiste et théologienne appartenant à une Congrégation fondée par le père V. Lebbe et longtemps clandestine, sœur Agnès fait écho à la situation actuelle de l’Église en Chine, après les Accords Pékin (Beijing)-Vatican. L’histoire contemporaine et la traversée d’autres cultures lui permettent de penser que tous les consacrés, même européens, sont appelés à la mission.
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Vs Cs • Sœur Agnès, vous êtes membre d’un Institut religieux dont la plupart des sœurs vivent aujourd’hui en Chine continentale. Voulez-vous nous présenter votre Congrégation, les Petites Sœurs de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus ?
A. Dang • Notre Congrégation a été fondée en Chine, en 1929, par le père Vincent Lebbe, missionnaire lazariste belge dont je parlerai plus loin. La revue Vies consacrées a déjà publié, sous la signature de sœur Gabrielle Yang (Vs Cs 81, 2009, p. 19-24) quelque chose de notre restauration à partir de 1982 dans la région d’Anguo (nord-est de la Chine).
Il faut ajouter qu’une autre sœur, Diao Dalai, résidant toujours en Chine (elle vient d’avoir 101 ans et est aujourd’hui la seule sœur en vie qui ait connu le père Lebbe), a pu, étant médecin, poursuivre son travail en différents lieux pendant l’interdiction du christianisme. Après 1980, elle a encouragé des jeunes à entrer dans la Congrégation des Petites Sœurs, et la communauté s’est développée successivement dans les provinces suivantes : Hebei, Shaanxi, Xinjiang, Qinghai, Sichuan, Zhejiang, Yunnan, en rendant des services variés selon des besoins du lieu. Ces communautés comptent aujourd’hui environ 200 sœurs en Chine continentale ; une vingtaine de sœurs étudient ou rendent service à l’étranger. Ces communautés sont notre branche clandestine.
Car à partir de 1949, cinq sœurs avaient réussi à rejoindre l’une après l’autre Taiwan : deux françaises expulsées de Chine, et trois chinoises ayant réussi à fuir. Elles ont ouvert en 1952 une clinique, nommée Mingyuan (Vincent Lebbe se dit en chinois « Lei Mingyuan », « le tonnerre qui chante au loin »), dans la ville appelée aujourd’hui New-Taipei. C’est en 1956 que la Congrégation des Petites Sœurs de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, approuvée par le Pape Pie XII, a officiellement repris vie à Taiwan. De là ont été fondées successivement des communautés au Vietnam, aux États-Unis et aux Philippines.
Après l’ouverture de la Chine, quelques sœurs taiwanaises sont parties sur le continent à la recherche du « petit reste » de leurs anciennes consœurs. Vers 1988-1989, elles ont finalement réussi à entrer en contact avec la communauté d’Anguo précitée, dont l’ancienne supérieure générale vivait encore, mais aussi avec la communauté clandestine. Celle-ci s’est rattachée à la maisonmère (et à sa supérieure générale) établie à New Taipei depuis 1990.
Vs Cs • Que diriez-vous en général de la vie religieuse en Chine aujourd’hui ?
A. Dang • La Chine est encore un pays de mission. La présence de la vie religieuse rend un témoignage vivant à l’Évangile, c’est sûr. Même si la vie religieuse en Chine n’est pas tout à fait libre, elle est très importante pour les non croyants et les nouveaux chrétiens dont le nombre grandit sans cesse. À Beijing (Pékin), pendant la nuit de Noël 2014, il y a eu 3000 baptêmes ; et c’est ainsi dans les grandes villes chaque année, la nuit de Noël et la nuit de Pâques : verser l’eau sur le front des baptisés prend bien une heure, voire davantage. Nous sommes ainsi dans un moment de moisson, où l’on a besoin de missionnaires, de religieux et religieuses chinois, pour évangéliser.
Vs Cs • La situation a-t-elle changé depuis la signature des Accords entre le Saint-Siège et la Chine ?
A. Dang • La question est très discutée ; pour certains, ce que le Pape a fait est bien, inspiré par l’Esprit Saint, puisque c’est le Pape ; mais d’autres disent : « c’est un peu trop tôt, ce n’est pas l’heure ». Depuis cette signature, la situation de l’Église semble devenir plus difficile : des croix sont enlevées d’espaces où elles étaient plantées, un document du gouvernement interdit aux jeunes d’entrer dans une église avant 18 ans, ce qui revient à empêcher toute catéchèse avant 18 ans ; ce sont là des restrictions nouvelles.
Vs Cs • Vous-mêmes, après une approche des arts chrétiens à la Catho de Paris puis de la théologie à l’I.É.T. de Bruxelles, venez de passer deux ans aux Philippines ; qu’y faisiez-vous ? quelles impressions en gardez-vous ?
A. Dang • Pendant deux ans aux Philippines, j’ai travaillé à la peinture sur verre, et représenté en grand format (170 x 88 cm) tous les mystères du rosaire pour une de nos chapelles, puis les béatitudes écrites en chinois. Quand on vient de la situation chinoise, on trouve que la vie religieuse en Europe est assez libre. Cette liberté, je l’ai aussi trouvée aux Philippines où les religieux et religieuses rendent de très importants services dans un pays encore très pauvre. J’ai remarqué que les religieuses y sont mieux considérées que les prêtres : dans la rue, les personnes demandent leur bénédiction, en prenant leur main pour la porter à leur front, alors que les prêtres restent davantage tenus à distance.
Vs Cs • Vous vous orientez maintenant vers un doctorat de missiologie au sujet du père Vincent Lebbe : qui est-il pour vous ? pourquoi faire ce travail à partir de la Belgique ?
A. Dang • Le Père Vincent Lebbe, belge de naissance, naturalisé chinois, a promu, à la différence des autres missionnaires européens de son époque, l’inculturation du christianisme. On lui doit également l’ordination des premiers évêques chinois. Il a fondé notre congrégation après celle des Petits Frères de Saint Jean-Baptiste ; dans ces deux congrégations, immédiatement florissantes, les membres prononcent les trois vœux et connaissent la vie en communauté.
Le père Lebbe est connu pour avoir pris la défense de la Chine quand elle a été envahie par le Japon (1937). Il n’a pas craint d’exposer ses deux jeunes congrégations en envoyant leurs membres dans des lieux très dangereux pour y soigner les soldats malades ou blessés, estimant que pour sauver le pays, il donnerait même sa vie – c’est bien ce qui est arrivé, finalement. Pourquoi un missionnaire n’encouragerait-il pas à défendre son pays, comme il encourageait l’Église à dire la vérité et à demander la justice ?
Quand ma supérieure m’a demandé de repartir en Europe pour un travail de thèse sur le père Lebbe, j’ai consulté des confrères sur le sujet de la thèse. Plusieurs m’ont suggéré d’étudier l’inculturation évangélisatrice selon le père Lebbe et de rendre ainsi service à l’Église et à ma congrégation. Je reviens donc en Belgique pour une thèse qui étudiera les fondements théologiques de l’inculturation et les fondements spirituels de la pensée missionnaire du père Lebbe : comment sa spiritualité est-elle accordée à la culture chinoise ?
La Faculté de théologie de Louvain-la-Neuve s’imposait, puisque 90 % des archives du père Lebbe y sont conservées, aux Archives du Monde Catholique : des documents originaux, des lettres, des photos, toutes choses auxquelles nous n’avons pas accès en Chine, puisque nous n’avons rien pu garder de lui. Son corps repose dans un parc à Chongqing, où il est mort d’épuisement en 1940. Sa cause de béatification a été ouverte en 1988 par le diocèse de Taichung à Taiwan, dont dépendent les Petits Frères de saint Jean-Baptiste.
Vs Cs • Quel regard portez-vous sur la vie consacrée en Europe, que vous avez appris à connaître lors de votre premier séjour et que vous continuez à fréquenter aujourd’hui ? Pensez-vous donc que la vie religieuse va disparaître en Europe ?
A. Dang • D’une part, on rencontre des religieux qui donnent de très bons exemples de vies toutes données, tels que je n’en ai jamais vu en Chine. Nous n’avons pas votre longue expérience de 2000 ans de christianisme, et nous avons besoin de ces magnifiques modèles. Mais d’autre part, beaucoup de couvents sont fermés, et s’il y a des lieux où l’on entre, la plupart du temps, personne n’a frappé à la porte depuis 20 ou 30 ans ; n’y a-t-il pas là un signe de problèmes internes aux communautés ? Certaines donnent une vraie lumière ; d’autres non. Mais la vie religieuse ne disparaîtra jamais ! Il faudra encore un peu de temps pour retrouver sa présence en Europe.
Le Seigneur choisit et appelle sans cesse les gens de toute les nations à le suivre de près, pour qu’ils soient un signe d’espérance dans le monde : il veut faire entrer dans son Royaume toute l’humanité.
Propos recueillis par Noëlle Hausman, s.c.m.