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Juste autonomie et principe de subsidiarité

Claire Ravaoarisoa, s.c.

N°2018-4 Octobre 2018

| P. 51-58 |

Orientation

Suite à sa thèse en droit canonique sur la « juste autonomie » des instituts de vie consacrée et des sociétés de vie apostolique (ICP, 2017), l’auteur, sœur du Christ (Union Mysterium Christi), dispense des formations à la demande de la Conférence des Supérieurs majeurs de Madagascar et poursuit ses cours de droit canon aux étudiants en théologie de l’Université catholique d’Antananarivo.

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Dans la présentation du Code de droit canonique par la Constitution apostolique Sacrae disciplinae leges, Jean-Paul II affirme que « le but du Code est (plutôt) de créer dans la société ecclésiale un ordre tel que, mettant à la première place l’amour, la grâce et les charismes, il rende en même temps plus facile leur épanouissement dans la vie de la société ecclésiale comme dans celle des personnes qui en font partie [1] ». Ce mot « épanouissement », qui est une des valeurs du principe de subsidiarité, se trouve dans la préface du Code sous la plume du même Pontife parmi les principes de la révision comme un des buts à atteindre. Le principe de subsidiarité, en tant que principe directeur du Code devrait donc être en même temps une clef de compréhension et d’interprétation du Code et donc une clé d’interprétation des canons et notamment du canon 586 sur la juste autonomie des instituts de vie consacrée [2]. Cette juste autonomie est un terme canonique nouvellement apparu dans le Code en vigueur, et elle est reconnue, dit le même canon à chaque institut. En quoi cette nouvelle norme devrait-elle être une clé de lecture d’autres canons relatifs aux instituts de vie consacrée et un élément promoteur de leur aggiornamento permanent ?

Principe de subsidiarité et juste autonomie des instituts

En partant des conceptions historiques du principe de subsidiarité selon la doctrine sociale de l’Église et d’après les différentes manières de recevoir ce principe, quelques valeurs ecclésiales se dégagent, par lesquelles l’Église peut servir sa mission salutaire. Nous voulons en retenir trois.

● Principe de base de l’autonomie

De par son double mouvement d’intervention et non-intervention [3] selon la nécessité, le principe de subsidiarité justifie la concession de la juste autonomie tout en impliquant de part et d’autre certains devoirs et droits, dont la juste liberté d’agir. Pour mieux exprimer cela, nous empruntons le propos de Pie XII, affirmant que le principe permet « une adhésion intérieure des hommes, de leur aptitude et de leur promptitude à prendre des initiatives et à assumer des responsabilité [4] ». Ainsi par rapport à chaque baptisé (personne, sujet d’obligations et des devoirs), le principe objective l’intervention et la non-intervention en justifiant l’autonomie et en précisant les devoirs et les droits propres à chaque personne physique ou juridique au sein de l’Église (voir les canons 96-123). De cette façon, le principe garantit la justesse de leurs obligations et droits propres, il en promeut en même temps l’exécution et facilite leur réalisation. Le principe de subsidiarité peut justifier objectivement ces droits et devoirs, entre autres, la juste liberté des baptisés (cf. can. 215), ou liberté de qualité [5], une liberté qui se prolonge et qui s’institue en personnes juridiques. Cette liberté s’exerce et se réalise, entre autres, dans les instituts de vie consacrée, par leur juste autonomie. Le double mouvement susmentionné permet d’apprécier alors avec justesse et justice les devoirs et les droits de chaque partie.

● Bien commun

Le principe de subsidiarité ne doit pas être pris comme étant une fin en soi mais comme un moyen pour une fin : il garantit « le respect de la personne humaine, la promotion de sa libre responsabilité » (J. Régnier), avec la perspective de justice et de justesse au service de l’humanité, pour son bien commun. Au sein de l’Église, une condition est nécessaire : que la nature propre de l’Église soit respectée, avec « son origine divine et sa nature mystérieuse (qui) lui confèrent un caractère exceptionnel qui conseille d’user d’une grande prudence lorsqu’il s’agit de l’intégrer aux paramètres de la société [6] ». Si cela est pris en compte, l’application du principe au sein de l’Église pourrait être un moyen de mieux comprendre la communion de ses membres et de sa mission. Cette communion ecclésiale, selon le canon 215 est primordiale ; elle est par nature organique et hiérarchique et, puisque le principe n’est qu’un moyen, il est essentiel qu’il respecte cette nature. C’est le cœur de la mise en garde de Pie XII, qui doit être comprise comme visant à protéger l’intégrité de la doctrine de communion de l’Église.

Comme l’écrivait déjà Pie XI : « Tout ce corps, coordonné et uni par les liens des membres qui se présentent un mutuel secours et où chacun opère selon sa mesure d’activité, grandit et se perfectionne dans la charité [7] ». Et au sein de l’Église-communion, à chaque baptisé est reconnue la liberté de choix d’un état de vie (canon 219) pour répondre à l’appel à la sainteté. Et cependant, il revient à l’autorité hiérarchique de garantir cette communion comme bien commun ecclésial. Les doutes, les hésitations à appliquer le principe de subsidiarité au sein de l’Église peuvent être levés, à notre avis, par ces valeurs inhérentes au principe. Car l’intervention de l’autorité hiérarchique supérieure doit être justifiée par la garantie de ce bien commun ecclésial, et, comme le même Pontife Suprême l’affirme dans son encyclique, l’objet naturel de toute intervention en matière sociale est d’aider les membres du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber [8]. L’Église, corps social, disait Paul VI, « ne se réduit pas à une simple organisation externe, mais elle a une vie intime qui est la vie du Christ en elle. Elle possède, en effet, un “principe interne” qui n’est pas de l’ordre naturel, mais de l’ordre surnaturel, et qui, bien mieux, est en lui-même quelque chose d’absolument intime et incréé, à savoir l’Esprit de Dieu, qui selon, saint Thomas (De veritate, q. 29, a. 4), “un et unique remplit toute l’Église et en fait l’unité” [9] ».

C’est pourquoi il nous semble juste d’affirmer que le principe de subsidiarité peut trouver sa place comme moyen au centre de la mission de l’Église qui est le salut de tous, car tout en donnant les possibilités d’ajuster à chaque personne ses propres droits et devoirs, il permet de garantir le bien commun. Ainsi le principe de subsidiarité demande le respect des droits et devoirs mutuels aussi bien dans la société civile que dans la société ecclésiale.

● L’épanouissement de la personne

Les valeurs fondamentales du principe de subsidiarité consistent donc à promouvoir l’épanouissement de la personne – ou du groupement de personnes –, leur dignité et leur liberté avec les obligations et les droits qu’ils impliquent. Il justifie une certaine liberté d’agir et une juste autonomie de chaque groupement mais il oblige en même temps l’autorité supérieure à accomplir son devoir de garantir l’unité, en tant que dirigeant de l’ensemble, de par son devoir de secours et d’aide.

Ainsi nous pouvons constater que le principe de subsidiarité a contribué à la reconnaissance de l’autonomie de différentes institutions dans l’Église, entre autres, la juste autonomie reconnue à chaque institut. Certes le principe n’est pas applicable de façon universelle : il faut tenir compte de la nature propre de chacune des institutions ecclésiales, et il est clair que ni la doctrine, ni le maintien de la communion de l’Église ne sont dans son champ d’application. Toutefois nous voulons souligner que dans certains cas, grâce à des questions posées et à la réflexion des Pères synodaux, l’Église reconnaît une certaine décentralisation [10], autre application du principe de subsidiarité. Ceci a incité alors des institutions ecclésiales à mieux appréhender leur propre nature et elles se sont aperçues que l’autonomie fait partie de cette nature, ce qui relève de l’épanouissement. La reconnaissance de leur juste autonomie accorde à chacune des institutions ecclésiales certains droits mais aussi les engage à certaines obligations ; ce sont particulièrement les principes de Mutuae relationes [11]. La reconnaissance de la juste autonomie de chaque institut de vie consacrée les poussent tous justement à intensifier leur engagement au bien commun de l’Église et doit leur permettre de mieux comprendre la charge de l’autorité ecclésiastique [12] garantissant ce bien commun ecclésial. L’Église communion en est renforcée.

Le canon 586, clé de lecture d’autres canons

Si le code de 1917 contenait 195 canons (canons 487 à 681) concernant les religieux, le Code en vigueur n’en contient que 174 (canons 573 à 746) sous le titre « Les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique » : une diminution de plus de 20 canons. Mais il nous semble intéressant de remarquer que du can. 577 au can. 585, sont énumérées les étapes de la vie d’un institut, de sa fondation à son éventuelle suppression, et chaque fois, l’institut est soumis à une autorité ecclésiastique compétente (Siège Apostolique ou Évêque diocésain). Le can. 586 au contraire, reconnaît au § 1 « la juste autonomie de vie et de gouvernement » : voici un domaine où l’autorité réside dans l’institut lui-même. De plus, au § 2, ce canon modifie la nature du rôle de ce qui était l’autorité extérieure [13] : les Ordinaires des lieux deviennent les garants de la juste autonomie [14]. En résumé l’autorité change de mains et celui qui la perd devient garant qu’elle restera bien entre les mains du nouveau titulaire. Vient ensuite, le can. 587 qui rend cette autonomie objective :

« Pour protéger plus fidèlement la vocation propre et l’identité de chaque institut, le code fondamental ou constitutions de chaque institut doit contenir, outre les points à sauvegarder précisés au canon 578, les règles fondamentales concernant le gouvernement de l’institut et la discipline des membres, l’incorporation et la formation des membres ainsi que l’objet propre des liens sacrés » (§ 1).

Et le § 2 de ce même canon renforce les dispositions du § 1 en ces termes :

« Ce code est approuvé par l’autorité compétente de l’Église et ne peut être modifié qu’avec son consentement ».

Nous pouvons souligner par là non seulement une continuité mais aussi une complémentarité et une objectivité de la juste autonomie. La continuité se traduit par exemple par le fait que la « juste autonomie » était déjà annoncée par des mesures allant dans le même sens mais qui portent un autre nom, et qui sont ponctuelles, réservées à certains (du côté de l’exemption). La complémentarité est liée à la continuité : la juste autonomie ajoute à ce qui était déjà en germe (domaine plus étendu dans chaque institut, renvoi au patrimoine propre valable pour tous les instituts). Et enfin une objectivité car la juste autonomie tient compte des réalités communes des instituts et des réalités propres à chacun d’eux. C’est ainsi que les canons du Code en vigueur sont marqués par des renvois au droit propre de l’institut, lui permettant l’autonomie de vie et en particulier de gouvernement. L’appropriation de ces renvois est déjà une jouissance de ce droit d’autonomie.

● Le patrimoine de l’institut

Le canon 586 qui n’a évidemment pas d’équivalent dans l’ancien code, est donc capital dans la mise en valeur du patrimoine propre de chaque institut ; il a une grande importance par rapport à tous les autres canons concernant les instituts de vie consacrée. Nous pouvons évoquer, entre autres, le rôle du Chapitre général qui est l’autorité suprême de l’institut. Selon le canon 631, le chapitre général a surtout

« pour mission de protéger le patrimoine de l’institut dont il s’agit au canon 578, et de promouvoir sa rénovation et son adaptation selon ce patrimoine, d’élire le Modérateur suprême, de traiter les affaires majeures, comme aussi d’édicter des règles auxquelles tous doivent obéir. »

La conservation du patrimoine propre est un de ses premiers rôles ; le canon 578 dispose clairement que « toutes choses qui constituent le patrimoine de l’institut, doivent être fidèlement maintenues par tous ». Le canon 586 étant alors protecteur de l’identité propre de chaque institut, il permet sa pérennisation par l’adaptation aux exigences des temps et des lieux. L’adaptation peut se faire par exemple avec des mises à jour de règles considérées comme non fondamentales, au sens donné dans le canon 587 § 4 mais toujours dans la ligne de la protection de l’identité propre de l’institut. C’est une autre expression de l’autonomie.

Ce renvoi au patrimoine propre de chaque institut est important du fait que l’un des objectifs de la révision du Code était de donner une « loi-cadre », pour poser des principes généraux sans entrer dans les détails et offrir justement à chaque institut une certaine liberté qui permettrait à la fois la fidélité à son patrimoine propre et l’adaptation nécessaire. La révision doit alors donner à chaque institut la possibilité de supprimer ce qui est désuet et de se conformer aux documents du Concile [15]. Ceci est en lien étroit avec le but de donner aux instituts la possibilité de conserver leur identité propre, chacun selon sa propre nature et de vivre de manière plus épanouie leur charisme. Il est donc intéressant de voir comment le code fondamental ou les constitutions propres à chaque institut se donnent des moyens plus concrets pour l’effectivité de cette nouvelle norme qu’est le droit à la juste autonomie.

[1Jean-Paul II, Constitution apostolique Sacrae Disciplinae Leges du 25 janvier 1983, La Documentation Catholique 1847 (6 mars 1983), p. 244-247.

[2Canon 586 : « À chaque institut est reconnue la juste autonomie de vie, en particulier de gouvernement, par laquelle il possède dans l’Église sa propre discipline et peut garder intact le patrimoine dont il s’agit au canon 578 » (§ 1) et « Il appartient aux Ordinaires des lieux de sauvegarder et de protéger cette autonomie » (§ 2).

[3Par exemple, le canon 665 du Code de 1983, au sujet de la permission d’absence ; à comparer avec le canon 606 du Code de 1917. De même pour le cas d’exclaustration selon les canons 686-687.

[4Pie XII, « Puissance et influence de l’Église pour une véritable et ferme restauration du monde », Discours aux nouveaux Cardinaux, 20 février 1946.

[5« Face à cette conception pervertie de la liberté, se trouve la véritable conception chrétienne, à savoir la liberté de qualité » ; « [...] la liberté de qualité, elle est une véritable conception chrétienne, une liberté de faire le bien », voir J.-Ch. Nault, « Liberté et autorité dans la vie religieuse », VsCs (Hors série 2015), p. 30-43.

[6R. J. Castillo Lara, « La subsidiarité dans l’Église », dans J.-B. D’Onorio, La subsidiarité : de la théorie à la pratique, Saint-Cénéré, Téqui, 1995, p. 171.

[7Pie XI, Lettre encyclique Quadragesimo anno du 15 mai 1931.

[8Pie XI, id., n° 87.

[9Paul VI, « Allocution au congrès international de Droit canonique », La Documentation Catholique 1639 (7 oct. 1973), p. 802.

[10Cf. R. J. Castillo Lara, « La subsidiarité dans l’Église », art. cit., p. 178.

[11Voir « Directives de base sur les rapports entre les Évêques et les religieux dans l’Église : Mutuae relationes », DC 75 (1978), p. 774-790. Cette réflexion était l’objet de la deuxième partie de notre recherche doctorale : V. C. Ravaoarisoa, La “juste autonomie” des instituts de vie consacrée et des sociétés de vie apostolique, dirigée par M. l’abbé C. Burgun, Institut Catholique de Paris, Faculté de droit canonique, avril 2017, 855 p., à paraître.

[12Charge de sanctifier, d’enseigner et de gouverner (can. 375 § 2).

[13Mais voir cependant les can. 593 et 594.

[14« Il appartient aux Ordinaires des lieux de sauvegarder et de protéger cette autonomie ».

[15Voir Perfectae caritatis, n° 3.

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