Chronique de la vie consacrée
Noëlle Hausman, s.c.m., Marie-David Weill, c.s.j.
N°2018-2 • Avril 2018
| P. 57-72 |
Chronique - Vie consacrée ChroniqueComme chaque année à cette époque, nous vous proposons – cette fois à deux voix –, un panorama de la vie consacrée tiré des ouvrages que nous avons reçus ou retenus.
Partant de l’histoire et passant par des questions déroutantes, la trajectoire s’intéresse cette année à des perspectives et des figures marquantes pour s’achever sur d’autres horizons, notamment œcuméniques.
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Sources anciennes et retrouvailles
É. Goutagny, avec la collab. de Fr. Wadid et d’Albocicade, Saint Macaire et les moines du désert de Scété
coll. Religions & Spiritualité, série Biographie, Paris, L’Harmattan, 2017, 13,5 x 21,5 cm, 226 p., 23,00 €
● Au milieu du IVe s., la vie anachorétique fleurit au désert de Scété, abritant déjà, quelques décennies à peine après les premières semences, des milliers d’ermites. L’A., cistercien, aidé d’un moine de Scété et d’un laïc orthodoxe, nous en fait (re)découvrir l’histoire d’hier et d’aujourd’hui, la spiritualité, les grandes figures et leurs savoureux apophtegmes. Une des richesses de l’ouvrage : proposer une nouvelle traduction, revue d’après les originaux coptes, de plusieurs manuscrits : la Vie d’abba Macaire par Sérapion ; la lettre de Macaire Aux enfants de Dieu, centrée sur la question, toujours actuelle, de la conjonction entre les efforts de l’ascète et l’œuvre de la grâce ; les Vertus de saint Macaire et les Apophtegmes sur saint Macaire. Un incontournable pour puiser à la source toujours jaillissante de la spiritualité des Pères du désert.
L’actualité de la vocation monastique ou religieuse. Actes du Colloque international, Taizé, 5-12 juillet 2015
Taizé, Presses de Taizé, 2016, 15 x 21 cm, 208 p., 22,00 €
● L’intérêt de ce recueil d’un dynamique colloque organisé pour les 50 ans de Taizé tient certainement à la variété des formes de vie consacrée qui s’y présentent, et plus encore aux figures connues qui y rejoignent la méditation du Frère Aloïs. Plutôt que d’en faire la liste, signalons l’intérêt à se demander, tout au long, ce que l’exemple et la parole de Frère Roger ont apporté à la vie consacrée. Et l’on comprendra que Taizé, Granchamp, Pomeyrol « ne sont pas des accidents de l’histoire, mais l’expression d’une vocation religieuse mondiale » (p. 123). L’Orient et l’Occident avec toutes ses confessions chrétiennes, les familles des anciens fondateurs et les fondations plus récentes rayonnent largement hors d’Europe, dans le respect de l’islam et des autres croyants (p. 147). « Choisir d’aimer » (titre envisagé par Frère Roger pour son dernier livre) ouvrirait ainsi le chemin qui est devant nous. Un ouvrage très bienvenu au moment où s’achèvent les commémorations des 500 ans de la Réforme.
L’apport de frère Roger à la pensée théologique. Actes du Colloque international, Taizé, 31 août-5 septembre 2015
Taizé, Presses de Taizé, 2016, 15 x 21 cm, 320 p., 25,00 €
● Après les actes de cette première rencontre, voici un ouvrage fondamental, proposé par une brochette d’auteurs très choisis réfléchissant quelques semaines plus tard à l’apport du Frère Roger à la pensée théologique – un paradoxe de plus pour celui qui écrivait, jeune encore, n’avoir jamais aimé la théologie. Chez Schutz, les expériences qui font le théologien touchent à l’Église et à ses problèmes (Hammann) ; il inventa avec ses frères une école de prière et de liturgie, loin de la « salade pentecôtiste » décriée par certains (Cilerdzic), et il rendit plausible en milieu protestant l’hypothèse monastique, avec la « profession », les « engagements » de simplicité, célibat, partage, vie communautaire, acceptation d’un ministère de communion (Frère Aloïs), tout en sortant le protestantisme de deux siècles de confinement en France (Schlumberger). Il faut signaler les belles études sur ses relations avec Paul Ricœur (Bengard), sa contribution à l’éthique chrétienne (Adamavi), la liturgie propre et les chants si répandus (Sigov). Tel un « laboratoire anthropologique » marqué par le silence, illuminé par les Écritures (Vidovic), Taizé rayonne du Brésil à l’Afrique du sud. La miséricorde est le chemin de cet œcuménisme (Kasper) et si l’on est loin de la théologie académique (Sattler, indispensable), nous sommes bien dans une théologie incarnée dans la vie et en dialogue intense avec penseurs et théologiens de tous horizons.
Questions
M.-L. Janssens, avec M. Corre, Le silence de la Vierge. Abus spirituels, dérives sectaires... Une ancienne religieuse témoigne
Paris, Bayard, 2017, 250 p., 14,5 x 19 cm, 18,90 €
● Il faut dire un mot d’un ouvrage, très répandu, que notre revue n’a cependant pas reçu pour recension. On notera d’abord que la situation de référence a été complètement modifiée par l’intervention du Saint-Siège qui a, en 2010, écarté ou exclu les personnes incriminées. L’ouvrage est bien écrit, se lit comme un roman, et même si on en connaît la lamentable histoire (une jeune femme abusée dans sa confiance spirituelle et qui mettra très longtemps à se dégager de ces liens, dans la Communauté des Sœurs contemplatives de Saint Jean), on peut encore se poser quelques questions. S’agit-il vraiment du silence de la Vierge (pourquoi cette majuscule ?) ou, plus profondément, du silence de Dieu ? Car le bruit des affections trop humaines, les atermoiements de la conscience à poser son juste jugement, les aveuglements incontestables des responsables ecclésiaux rendent plus assourdissante encore l’absence-omission (ou au moins la discrétion extrême) de relation personnalisante avec le véritable Interlocuteur d’une vie consacrée au Christ Jésus. Qu’on ne se méprenne pas sur notre diagnostic ; il ne vise à innocenter ou condamner personne, mais à poser, pour l’avenir, la seule pierre de fondation qui vaille : comment, dans ces nouveaux instituts comme dans les plus anciens, aider à découvrir la Présence qui mesure toutes les autres, ou, en termes plus classiques, former à la vie spirituelle dont cet ouvrage donne bien peu d’échos ? Où était Dieu dans ces traversées, et qui s’est inquiété de ce qu’il Lui en coûte, et dont Il ne fera, Lui, pas état autrement qu’en rendant possible une existence renouvelée, dans le mariage et la maternité ?
P. Ide, Manipulateurs. Les personnalités narcissiques : détecter, comprendre, agir
Paris, Éd. de l’Emmanuel-Quasar, 2016, 15 x 22 cm, 304 p., 19,00 €
● D’une érudition impressionnante et d’une grande rigueur scientifique (la plupart des notes ouvrent de solides dossiers relevant de plusieurs disciplines bien connues de l’auteur), l’ouvrage risque de devenir la référence pour qui cherche à comprendre ce qui arrive à sa communauté d’appartenance ou advient dans ses relations personnelles. D’emblée, les limites sont présentées (son objet est la personnalité narcissique, pas le pédophile) et à la fin, se trouve reformulée son intention : « apprendre à détecter les personnalités narcissiques (= PN), [...] mieux les comprendre et [...] agir vis-à-vis d’elles, que nous les rencontrions dans la société civile ou parmi les membres de l’Église (n) » (p. 245). Telle est pratiquement l’ordonnancement des cinq chapitres, où il sera fréquemment répété que « la structure psychique des PN est irréformable, autrement dit, qu’elle n’évolue pas vers la guérison » (p. 121). Or, « le seul critère n’est pas le changement annoncé, mais le changement réalisé » (p. 125). Le chapitre IV, sur « les personnalités narcissiques dans l’Église », documente sans concession toutes les figures récemment mises en cause dans les graves faits d’abus sectaires ou sexuels et s’interroge sur « les terreaux favorables » et les « facteurs favorisants » qui semblent avoir « compromis » Dieu lui-même. Au terme, le livre peut être entendu « comme un manuel pratique de guérison, de conversion et d’éducation au don pour nous tous » (p. 246). Et c’est là son danger pour un lecteur qui n’aurait pas l’intelligence évangélique préalablement requise pour traiter de ces questions difficiles : toute personne en souffrance d’autrui risque de faire de cette sorte de catéchisme (avec ses questions et ses réponses) l’outil parfait d’une analyse sans reste des personnalités narcissiques et de leurs victimes.
Perspectives
O. Gérardin, Confession d’un jeune moine
Paris, Bayard, 2017, 14,5 x 19 cm, 406 p., 16,90 €
● Construit comme la visite d’un monastère, cette « confession » tient du journal aussi bien que du manuel d’initiation monastique : on y passe, pour les lieux, de l’Église à la cellule (une séquence significative), avant de s’intéresser aux composantes de la communauté (« tous et ensemble »), puis au moine (« devenir soi-même »), pour en arriver à Dieu (décliné en 12 chapitres : présent, bon, sage, silencieux...). Cette composition est déjà une trouvaille, comme le sont les somptueuses formules qui émaillent le texte ; ainsi : « les moines sont aussi des bâtisseurs du temps, ils mettent de l’ordre dans leur histoire en l’adossant jour après jour à l’éternité » (p. 133). Les pages sur le silence, le travail, l’obéissance sont superbes, dans cet ouvrage sans notes ni références ; on n’y évite pas les questions délicates du corps et de la sexualité, mais il eût été intéressant d’en savoir plus sur le sacerdoce monastique, l’accompagnement spirituel, la mort prochaine... Certains penseront que tout y semble un peu trop lisse, mais c’est, rappelons-le, le chant d’un « jeune moine » qui vient de trouver l’équilibre propre à ce que Dante nommait « le milieu du chemin de la vie ».
N. Becquart, avec M.-L. Kubacki, Religieuse, pourquoi ? Cette vie en vaut la peine !
Paris, Salvator, 2017, 13 x 20 cm, 126 p., 16,90 €
● En trois volets – Portrait, Convictions, Engagements –, ce petit ouvrage convainc, avec force et fraîcheur. Peint par Marie-Lucile Kubacki, le Portrait de Sœur Nathalie Becquart, religieuse xavière, responsable en France du Service national pour l’évangélisation des jeunes et pour les vocations (SNEJV), s’anime, pour proposer une réflexion qui ne manque pas de finesse sur la place et le regard spécifiques des femmes dans les instances ecclésiales à forte majorité masculine et cléricale. Le volet Convictions reprend une conférence donnée par sœur Nathalie au Vatican en 2016 pour la clôture de l’année de la vie consacrée, sur le thème : « La vie consacrée apostolique dans les cultures contemporaines ». Une vie apostolique que l’A. décrit « en pleine traversée pascale ; dans un passage entre passion et résurrection, celui du monde vers le Père, celui de notre époque à une pliure de l’histoire, celui d’une nouvelle forme d’Église en émergence » (p. 67). Fidèle à ce qui guide le charisme de La Xavière – « Mieux connaître et aimer le monde pour mieux le conduire au Christ » (Constitutions, citées p. 20) –, sœur Nathalie va de l’avant : la parole de Dieu nous « met en mouvement. Elle nous envoie parler, pour dire Dieu dans les langages du monde. [...] Or dans cette société contemporaine [...], nous sommes passés de la culture de l’écrit à la culture des écrans, et le rapport à la parole change. Notre manière d’être en relation aussi. Les langages premiers de nos contemporains, en particulier les plus jeunes qui passent plus de temps à se parler via les smartphones et les réseaux sociaux que de visu, sont devenus des langages d’images et de son, de vidéos et de musique. Comment traduire la parole dans ces nouveaux langages et inventer de justes chemins entre silence et parole pour annoncer l’Évangile à l’heure de ces nouvelles sociabilités ? » (p. 57-58). Le triptyque se clôt sur une brève présentation, à travers chiffres et témoignages, de l’Institut La Xavière, fondé en 1921 et reconnu congrégation religieuse de droit pontifical en 2010.
L. Rivière, Un temps supérieur à l’espace. La vie cloîtrée selon Thérèse d’Avila
coll. Carmel Vivant, Toulouse, Éd. du Carmel, 2018, 14 x 21 cm, 136 p., 17,00 €
● Énigme indéchiffrable pour un monde entièrement poreux et mobile, la clôture du monastère incarne admirablement un principe souvent rappelé par le pape François : « le temps est supérieur à l’espace ». Au Carmel, c’est bien le temps, spécialement le temps consacré à l’oraison, qui ordonne l’espace : « rien ne sert de parler de l’espace-clôture si le temps-clôture n’est pas amorcé. Un espace-clôture sans un temps-clôture n’est qu’un lieu confiné, une séquestration. [...] En l’absence d’oraison, le monastère devient prison, et la communauté des sœurs “un troupeau parqué pour les enfers et que la mort mène paître” selon l’expression du psalmiste » (p. 21). En dix réflexions méditatives finement ciselées, sœur Lucie, carmélite, reprend les intuitions fondatrices de Thérèse d’Avila : « espace livré à la grâce de l’éternité s’emparant du temps présent », la clôture se révèle chambre nuptiale, dans laquelle se déploie jour après jour l’entrecroisement du temps- chronos – la vie à Nazareth – et du temps- kairos – le mystère pascal. « Le temps de prière ordonne l’espace de la chapelle. Le temps de récréation ordonne l’espace d’une salle de récréation [...] Les temps de solitude, de lecture spirituelle, du sommeil ordonnent l’espace de la cellule. Le temps des visites ordonne l’espace du parloir » (p. 85-86) ; de sorte que la vie cloîtrée « ne dispense pas de la réalité du temps, au contraire il la densifie et la rend possible sous le regard de l’Époux » (p. 93). Ainsi, « en entrant en clôture, la carmélite renonce [...] à donner la priorité à l’espace. Elle ne verra pas tout, n’entendra pas tout », mais elle entreprend un « étonnant voyage intérieur au centre le plus profond de son être » : « Sa vie part non pas d’un interdit, la délimitation de l’espace, mais elle part du don de Dieu, un don qui imprègne tout le temps de sa vie » (p. 41), une vie devenue « fondamentalement eucharistique » (p. 61), accordée au « Maintenant » de la Présence de l’Époux, et à l’écoute de sa Parole éternelle, qui demeure à jamais. Ainsi le temps de la grâce délimite-t-il un nouvel espace : non celui de la clôture, mais celui-là même de la Sainte humanité du Christ – centre du cosmos et de l’histoire –, espace ouvert sur le ciel. À lire... en prenant son temps.
Figures
P. Emonet, Pierre Favre (1506-1546). Né pour ne jamais s’arrêter
coll. Petite bibliothèque jésuite, Namur, Éd. jésuites, 2017, 11,5 x 19 cm, 214 p., 14,00 €
● Basé sur les meilleures sources, agrémenté d’un index des noms, cet opuscule relève brillamment le défi d’écrire une petite vie d’un des célèbres premiers compagnons d’Ignace, qui n’a laissé derrière lui aucune œuvre de référence : « le seul héritage qu’il lègue à la postérité est lui-même » (p. 201) – le pape François s’en est heureusement souvenu en le faisant hardiment canoniser. La centaine de pages consacrées à la biographie proprement dite se lisent « sans jamais s’arrêter », puis vient la réflexion sur l’unité d’une vie, chapitre charnière vers tous les autres, avec cette obéissance et cette géographie spirituelle qui ouvrent sur le Christ, présence intérieure et centre de gravité d’un mouvement permanent. On remarquera que, contrairement à Ignace « qui ne professe jamais une mystique nuptiale », Favre voit dans le Christ l’époux de son âme (p. 122), le centre de son cœur (p. 129), alors même que la chasteté l’a toujours préoccupé (p. 153). « Maître en vie affective » (p. 143), doué pour l’amitié qu’il entretient par une insistante correspondance, discret dans sa mort et son culte posthume, ce « jésuite ordinaire » était cependant celui qui, aux dires d’Ignace, donnait le mieux les Exercices, et pouvait aussi apprendre aux curés, maîtres d’école et pieuses femmes qui avaient pu les faire, à les donner à leur tour (p. 150) – étonnant précurseur.
Ch. Gaud-Descouleurs, Saint Jean-François Régis. Du Languedoc au Vivarais. Le marcheur de Dieu
Namur, Fidélité, 2017, 17 x 24,5 cm, 72 p., 14,50 €
● Un autre « jésuite ordinaire », cent ans plus jeune que Favre, nous est présenté avec de nombreuses illustrations de B. Descouleurs (des gouaches, plutôt), depuis sa naissance en 1597 jusqu’à sa mort à 43 ans, à la Louvesc, qui devient aussitôt un lieu de pèlerinage aujourd’hui bien connu. Né gentilhomme dans l’Aude, éduqué dès l’âge de 15 ans par les Jésuites de Béziers, il entre au noviciat de Toulouse et dès la fin de son noviciat, passe plusieurs années entre l’enseignement qu’il donne et celui qu’il reçoit en vue de son ordination sacerdotale (1630), dans des populations meurtries par les luttes sans merci entre catholiques et protestants, et décimées par les épidémies où François se dépense sans compter. C’est à Montpellier qu’il commence à venir en aide aux « filles perdues » et dans le Vivarais qu’il « missionnera », chez ces rudes Cévenols et leur climat bien différent de celui de Provence. Rêvant de partir au Canada, il finit grâce à l’ordre de son Provincial (« votre Canada, c’est le Vivarais ») par « épouser le réel de sa nouvelle mission » (p. 39) qu’il arpente par monts et par vaux, avant de rejoindre le Puy où il ne se contente pas d’annoncer la Parole, mais organise les œuvres de miséricorde : l’œuvre du bouillon, l’accueil des femmes égarées, les dentellières..., non sans rejoindre parfois les montagnards des Cévennes. Peu de jours après son arrivée à La Louvesc, il y meurt le 31 décembre 1640, épuisé et conscient ; la dévotion commença le jour même. Il fut déclaré bienheureux en 1716 et canonisé en 1737, en même temps que Vincent de Paul. Notons encore que les Sœurs du Cénacle furent fondées (1827) pour accueillir les femmes venues en pèlerinage au tombeau du saint marcheur.
B. Joassart, Les Bollandistes. Un regard critique sur la sainteté, du XVIIe siècle à nos jours
coll. Petite bibliothèque jésuite, Éd. jésuites, Namur, 2017, 15 x 19 cm, 134 p., 14,00 €
● Très agréablement écrit, l’opuscule est complété comme il se doit à ce niveau d’érudition par plusieurs annexes : un petit lexique hagiographique et « bollandien », un tableau des diverses éditions des Acta Sanctorum, une liste des Bollandistes jusqu’à nos jours (les « actifs » exclus), une bibliographie sélective, un index onomastique et dix « figures » de lieux ou d’objets. En une petite centaine de pages, la « Société des Bollandistes » est présentée par l’un des Bollandistes d’aujourd’hui, d’abord à travers ses quatre siècles d’existence ; quatre chapitres thématiques nous permettent ensuite de visiter cet « atelier » avec son savoir-faire et ses méthodes propres, puis de comprendre un peu mieux l’intense quête des sources de ces voyageurs audacieux autant qu’épistoliers sans frontières. Les « originalités bollandiennes » sont alors examinées ; ainsi, la politique ajustée de la dédicace, les dissertations spéciales qui ne sont pas toujours hagiographiques, l’option pour une illustration par ces gravures qui demeurent parfois les derniers témoins d’œuvres disparues. On nous permettra de préférer à tous le chapitre titré « Personnalités marquantes et controverses », qui montre avec pétulance l’indispensable contribution des Bollandistes à la clarification de débats souvent fondamentaux. Pionniers en fait de critique historique, les Bollandistes, comme le relève la conclusion, sont aujourd’hui rejoints par d’autres, mais ils demeurent les gardiens actifs non d’une bibliothèque pourtant mondialement célèbre, mais de cette mémoire humaine et chrétienne sans laquelle n’existent ni le présent ni l’avenir.
Ch. Wright, Le chemin du cœur. L’expérience spirituelle d’André Louf (1929-2010)
Paris, Salvator, 2017, 14 x 21 cm, 298 p., 21,00 €
● Après la mort de Dom André Louf en 2010, voici enfin la première biographie du célèbre trappiste du Mont des Cats qui, après 35 ans d’abbatiat, s’était retiré en 1998 dans la solitude d’un ermitage de Provence, adossé à l’abbaye de Sainte-Lioba. Plus qu’une biographie, l’A. nous offre ici, d’une plume alerte, un chef d’œuvre qui fait honneur à la profondeur de celui dont il retrace l’itinéraire spirituel. Pour ce faire, Ch. Wright s’est littéralement immergé dans l’univers du trappiste devenu ermite, jusqu’à « ne plus lâcher d’une semelle cet homme dont l’enseignement exerçait une étrange paternité spirituelle d’outre-tombe. Il a rencontré sa famille, retrouvé ses amis d’enfance, arpenté la plupart des lieux où il a vécu, recueilli bien des confidences et témoignages, épluché l’ensemble de ses archives et, soudain, « déterré le trésor que convoite tout biographe : son journal spirituel » : « Près de quarante années de son existence étaient consignées dans ce texte de haute tenue spirituelle et littéraire, que j’étais sans doute le premier à ouvrir, et qui révélait ce qu’une personne a de plus intime : sa prière, son dialogue avec Dieu. Par la grâce de cette lecture, j’avais accès au Saint des saints, au sanctuaire intérieur, là où le moine exposait sans fard ses doutes, ses désirs, ses contradictions, ses souffrances, ses élans et ses aspirations » (p. 16-17). C’est de ce long compagnonnage avec un géant de la vie monastique que ces pages sont nées.
A. Louf, S’abandonner à l’amour. Méditations à Sainte-Lioba
Paris, Salvator, 2017, 14 x 21 cm, 270 p., 22,00 €
● C’est à l’occasion du travail biographique présenté ci-dessus, que Ch. Wright a exhumé ces Méditations, qui dormaient dans une clé USB depuis la mort de leur auteur en 2010. Durant ses douze années d’ermitage, A. Louf ne sortait plus guère que pour partager les Vêpres et l’Eucharistie dominicale avec la communauté de Sainte-Lioba, pour laquelle il a écrit ces homélies. Laissons Ch. Wright nous présenter ces joyaux, qui couvrent l’ensemble de l’année liturgique : « La spiritualité joyeuse, étincelante, rayonnante de Dom Louf est tout entière dans ces textes, où se retrouvent ses innombrables facettes : le peintre de l’intériorité, qui invite [...] à plonger à l’intérieur de son cœur, là où la prière coule de source et où se cache le secret de la joie ; le chantre de la grâce, pour qui tout l’art spirituel consiste non à s’agiter ou à se raidir, mais à lâcher, se désister, s’abandonner à l’action de Dieu et à ses merveilles ; l’apôtre de la faiblesse, de l’imperfection pour qui la vie spirituelle ne consiste pas à acquérir le salut à la force de son poignet et par l’éclat de ses vertus, mais à faner le cœur de l’homme. Alors, dit-il, le croyant n’a plus d’autre solution que de se tourner vers le Sauveur, de l’appeler à l’aide ; sa résistance est maintenant brisée, son orgueil, broyé ; le témoin de la miséricorde, [...], l’aventurier de la psyché, persuadé qu’il ne faut jamais culpabiliser ou corseter les désirs, qu’on ne devient pas vivant en ignorant ses profondeurs affectives, en tuant en soi toute passion, mais en partant à la découverte des forces qui grouillent dans nos cœurs, les tirent dans tous les sens, à la recherche du vrai désir dont tous les autres ne sont que la contrefaçon » (p. 9).
L. Bouyer, Sermons pastoraux. 1936-1939
Paris, Ad Solem, 2017, 13,5 x 21 cm, 576 p., 26,90 €
● Eux aussi édités pour la première fois, depuis leur récente redécouverte dans des cartons d’archives à l’abbaye de Saint-Wandrille, ces 58 sermons de Louis Bouyer (1913-2004), prêchés entre 1936-1938, nous plongent de plain-pied dans la vie intérieure et la prédication du jeune pasteur luthérien, avant son entrée dans l’Église catholique en 1939 et son ordination sacerdotale dans la Congrégation de l’Oratoire en 1944. À l’image de John Henry Newman, son maître et inspirateur, le tout jeune prédicateur de 26 ans, scrutant amoureusement l’Écriture, embrasse déjà dans sa prédication enflammée l’ensemble du mystère de Dieu, de l’homme, de l’Église et du cosmos. Une mine d’or pour la vie spirituelle.
Ensemble
S. Hamring, La vie communautaire. Un trésor dans des vases d’argile
Éd. des Béatitudes, Nouan-le-Fuzelier, 2017, 13,5 x 21 cm, 166 p., 20,70 €
● Après une entrée en matière lyrique sur sa bien-aimée ville natale de Stockholm et la saga de sa vie antérieure, l’auteur, aujourd’hui Dominicaine des Tourelles, retrace avec brio « le rude chemin vers la communion » qui l’a conduite, observatrice avisée des communautés nouvelles où l’on enchaînait ordinations sur professions tout en achetant des maisons, à demeurer dans sa pauvre communauté où l’on célébrait des enterrements et vendait des bâtiments (p. 46)... C’est que Dieu nous appelle à la réalité : « tous ceux qui vivent en communauté rencontreront tôt ou tard le désert » (p. 52), et bien des jeunes groupes « dans le vent » ont dû quitter l’avant-garde pour se retrouver face à l’essentiel. Il y a l’appel et les quatre crises dont parle Jean Vanier (ch. 3), les visions et les dons qui fleurissent sur un arbre en forme de croix (ch. 4), l’amitié et la solitude (ch. 5 : « le respect de l’autre dans sa différence est l’autre nom de la chasteté »), le conflit, avec ses blocages, ses frictions, la jalousie et les démons qui surgissent « surtout aux moments des fêtes » (ch. 6), les bons principes de gouvernement et de prise de décision, quoiqu’il en soit de « la face sombre du pouvoir » (ch. 7). Puis vient un courageux chapitre 8, intitulé « Délivre-nous du mal », qui analyse avec respect ce qui est arrivé à la Communauté des Béatitudes, aux Fondations pour un Monde nouveau ou à la Communauté Saint Jean, bref, ce qui traverse toute vie communautaire, avec les moyens qui permettent d’en sortir plus proche de Dieu qu’avant. Un dernier et revigorant chapitre voyage à travers les salles de fête de plusieurs communautés, avant une conclusion stimulante sur « la communauté éternelle » qu’est l’Église. Deux annexes, l’une pour décrire le renouveau charismatique aujourd’hui intégré à la grande Église, l’autre pour proposer une liste de quelques communautés catholiques nouvelles dans le sillage de Vatican II. Un petit livre passionnant, servi par un style alerte mais aussi une culture européenne des arts et de la littérature impressionnante.
P. Vincelet, Vivre en communauté religieuse. Quelle harmonie ? Quelques repères pour une bonne partition
Paris, Cerf, 2017, 12,5 x 19,5 cm, 160 p., 14,00 €
● C’est avec le regard des sciences humaines que P. Vincelet, ancien président de l’Association médico-psychologique d’aide aux religieux (AMAR), professeur d’université et clinicien, présente les différentes facettes de la vie religieuse : le discernement d’une vocation, les vœux, la vie communautaire et les relations fraternelles, la mission. Car maturation psychologique et maturation spirituelle ont à croître ensemble. La prise en compte du passé vécu, des besoins psychologiques, des lieux d’immaturité ou de questionnement, loin de freiner le discernement et l’épanouissement d’une vocation, doit positivement servir la croissance théologale de la personne consacrée dans sa réponse à l’appel de Dieu : « la psychologie n’a pas à se prononcer sur l’authenticité de l’appel mais doit aider [le religieux] à le cultiver » (p. 61). Sans jamais s’imposer, la pertinence psychologique est ici humblement mise tout entière au service du mystère de la vocation. L’ouvrage allie sagesse, réalisme et connaissance profonde de la vie consacrée.
Du neuf ?
J.-CL. Lavigne (Éd.), De nouvelles formes de vie religieuse
Évry, Centre de Recherche sur la vie religieuse, 2017, 15 x 21 cm, 122 p., 9,00 €
● Nouveau venu, le « Centre de Recherche sur la vie religieuse » des Dominicains d’Évry produit avec cette « brochure » son troisième outil de travail, destiné à provoquer et aider la réflexion au service de la vie religieuse dans son ensemble et sa diversité, pour reprendre les mots de l’avant-propos. Réfléchir aux nouvelles formes de vie religieuse, c’est « inviter à penser au futur de manière ouverte et sans complexe » (p. 8). Chaque chapitre ou partie de texte est rythmé par des questions qui permettent d’aller plus loin, en réunion de communautés ou de chapitres. Une intéressante annexe formule « un projet de contrat pour permission d’absence » qui éclairera plus d’un. Quant au corps de l’opuscule, il s’intéresse d’abord aux « solitats », ces religieux exclaustrés ou en congé de la vie communautaire (avec le commentaire de l’annexe précitée), puis à ceux qui demandent à vivre en ermites ; d’où un troisième chapitre sur « les communautés-réseaux », formés par des groupes noyaux qui demeurent en lien avec des religieux vivant seuls (et une ouverture vers les « béguinages religieux »).
Il est question ensuite des « communautés intercongrégations » qui existent aujourd’hui en petit nombre. Après l’exploration de ces nouvelles formes, vient la réflexion : sur « l’art de vivre comme source d’innovation », « la question de l’habitat et de l’espace », « la question du temps », « les innovations relationnelles » (relations moins hiérarchiques, gouvernance participative, politique de communications « qui ne font pas arriver des novices mais donnent une image d’un chemin pour vivre une aventure spirituelle ») ; enfin, les « familles spirituelles » où l’on voit les laïcs s’intégrer à la spiritualité des instituts. Voilà, dit la synthèse finale, des pistes pour renouveler la vie religieuse, qui sont à combiner et à compléter mais supposent toutes d’entrer dans un processus de changement dont plusieurs « modèles » sont proposés. Un audacieux document, qui cherche à intégrer « le risque d’évolution et même de crise », dans ce que la vie religieuse dit d’elle-même dans la société contemporaine.
CIVCSVA, Sur la vie consacrée (= À vin nouveau outres neuves. Depuis le Concile Vatican II, la vie consacrée et les défis encore à relever. Directives)
Paris, Salvator, 2017, 12 x 17 cm, 96 p., 5,00 €
● Daté du 6 janvier 2017, le document est bien connu de nos lecteurs puisqu’il figurait bien avant l’été sur notre site (www.vies-consacrees.be) ; notre traduction a d’ailleurs été reprise avec quelques améliorations par la Documentation catholique n° 2528 d’octobre 2017. Nous y renvoyons.
B. Delizy, Annoncer ensemble l’évangile. Les Familles spirituelles, témoins d’un nouveau visage d’Église
Paris, Médiaspaul, 2017, 13,5 x 21 cm, 232 p., 20,00 €
● On les appelle Associés, Membres de Fraternité, Coopérateurs, Tertiaires, Oblats, etc. Que vivent ces baptisés, laïcs de tous âges, de tous métiers, qui choisissent de partager la spiritualité d’un Institut tout en restant dans le monde ? Rien qu’en France, ils sont déjà 50 000, et Jean-Paul II, dans Vita consecrata, voyait dans le surgissement prometteur de ces nouvelles Familles spirituelles, « un nouveau chapitre riche d’espérance [...] dans l’histoire des relations entre les personnes consacrées et le laïcat » (n° 54-55). B. Delizy, auteur d’une thèse sur le renouveau des relations entre baptisés et Instituts de vie consacrée (Centre Sèvres, 2002), nous présente ici ce « nouveau visage d’Église » et les « passages » auxquels il convie à la fois les Instituts et les laïcs qui les entourent. Plus qu’une réflexion théologique, ces pages se présentent comme une « promenade méditative », « à la découverte de ces hommes et de ces femmes, à partir de leurs propres paroles » (p. 11), un collier de témoignages de ces « quêteurs de saveurs » (p. 35) attirés par la figure évangélique d’un fondateur ou d’une fondatrice en qui ils ont reconnu un guide sûr pour leur vie baptismale. Passionnant et richement documenté, l’ouvrage passe en revanche trop brièvement sur les questions délicates qui demeurent « en chantier », comme le statut de ces laïcs, la manière d’accueillir le désir qu’expriment certains d’une forme de vie communautaire, ou encore le mode précis de leur association à la mission des consacrés.
