Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Bénédicte Girard, diaconesse de Reuilly

Bénédicte Girard

N°2018-2 Avril 2018

| P. 3-10 |

Rencontre

La Réforme protestante, dont nous venons de fêter les 500 ans, n’a pas signifié la fin de la vie religieuse, comme en témoignent la permanence d’une forme de monachisme en son sein et surtout, la résurgence des diaconesses aux XIXe et XXe siècles. Une diaconesse française nous raconte cette évolution et comment elle a été conduite à s’y engager, aujourd’hui en mode œcuménique et toujours priant.

La lecture en ligne de l’article est en accès libre.

Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.

Vs Cs • Sœur Bénédicte, voulez-vous nous présenter d’abord votre Communauté, et nous éclairer sur ce nom de « diaconesse » que vous portez ?

B. Girard • La vie religieuse, qui avait progressivement disparu dans les nouvelles Églises de la Réforme, réapparaît en leur sein sous une forme communautaire au milieu du XIXe siècle dans un grand nombre de pays, surtout européens, par l’émergence de Communautés de sœurs protestantes, toutes nommées Diaconesses, appellation suivie du nom de la rue ou de la ville de fondation : Diaconesses de Reuilly dans le 12e arrondissement de Paris, Diaconesses de Strasbourg, de Saint Loup, de Bâle en Suisse, d’Oslo... Ce terme (diakonè en grec), qui signifie servante, fut alors choisi car, mentionné dans le Nouveau Testament – référence alors essentielle pour les protestants – dans l’épître de l’apôtre Paul aux Romains (16,1) selon la traduction Segond, il évoque la diaconesse Phoebé : « Je vous recommande Phoebé notre sœur, qui est diaconesse de l’Église de Cenchrées, afin que vous la receviez en notre Seigneur d’une manière digne des saints et que vous l’assistiez dans les choses où elle aurait besoin de vous, car elle en a aidé beaucoup ainsi que moi-même ». C’est en 1836 en Allemagne, à Kaiserswerth près de Düsseldorf, qu’eut lieu la première fondation. Notre communauté fut en 1841 la quatrième, suivie en 1842 de celle de Strasbourg, puis de Saint Loup près de Lausanne. Elle fut fondée dans un temps de réveil par le Pasteur Antoine Vermeil et sœur Caroline Malvesin, fruit d’une correspondance durant l’année 1841 par bonheur en partie conservée. La pensée initiale était de restaurer dans le protestantisme les ordres religieux, sous une autorité qui soit ferment d’unité en vue d’une action et d’un témoignage communs de l’Église de Jésus-Christ. Sœur Caroline, d’origine réformée, attendait le jour où les mots « protestant », « catholique », n’existeraient plus et où un seul berger conduirait un seul troupeau... Des sœurs d’origine luthérienne la rejoignirent très rapidement. En 1900 arriva la première sœur baptiste. Cette communauté comme d’autres vit ainsi un œcuménisme intra protestant, enrichi par la présence de sœurs de pays divers : Norvège, Finlande, contrées luthériennes en majorité, Allemagne, Suisse, Cameroun, Tahiti davantage avec une présence calviniste.

La Communauté s’est développée en prenant en charge un grand travail social, auprès d’abord de personnes sortant de prison ou en difficulté, puis de malades, qui perdure par la Fondation Diaconesses de Reuilly. La prière régulière des sœurs matin, midi et soir fut pendant plus d’un siècle imprégnée d’une forte écoute de la Parole de Dieu, inspirée de la communauté des frères Moraves et d’une prière, surtout d’intercession, souvent spontanée à haute voix. La découverte de la Prière des Heures est venue en milieu protestant francophone de l’initiative de quelques pasteurs réformés de Suisse romande qui publièrent en 1943 la première édition de l’Office Divin [1]. Roger Schutz, Max Thurian, Daniel de Montmollin, jeunes pasteurs réformés suisses, prient cet office pendant la guerre, depuis 1941 déjà à Taizé. Une autre communauté féminine d’origine protestante était en train de naître près de Neuchâtel, les sœurs de Grandchamp, ainsi que les sœurs de Pomeyrol dans le Midi de la France, près de Tarascon. Le terreau est mûr, y compris chez les Diaconesses de Reuilly, pour entrer dans une vie liturgique régulière et ouvrir leurs maisons aux hôtes en quête de Dieu pour la prière, et si besoin un accompagnement spirituel. La communauté a donné naissance à une belle fondation au Cameroun qui a maintenant une trentaine de sœurs camerounaises. Deux petites fraternités sont présentes en Polynésie Française et en Norvège.

Vs Cs • Nous voici à la fin de la commémoration des 500 ans de la Réforme protestante ; qu’a donc apporté Luther au christianisme ? On connaît les réponses habituelles : une lecture de la Bible renouvelée, des cantiques chantés par tous, une égale dignité de tous les baptisés quoiqu’il en soit du ministère, etc. Serait-ce aussi votre réponse ?

B. Girard • J’ajouterais pour ma part qu’à travers sa quête de sens si intense, Luther nous fait découvrir une relation à Dieu sous le régime de la grâce. Il nous invite à accueillir de notre Créateur cette grâce profonde qui fait que, réconciliés par lui et avec lui, nous le sommes indépendamment de ce que nous avons fait ou ferons. Le mot justice n’est plus compris par lui sous l’angle juridique et rétributif mais telle une qualification de Dieu lui-même, révélée en Christ pour notre salut. Son parcours de vie a été très riche. Jeune professeur de théologie, il mènera par exemple à bien la traduction en allemand de toute la Bible. Nous avons pu durant cette commémoration célébrer ensemble un événement qui a touché toute l’Église et a été en grande partie vécu par l’ensemble des chrétiens, en tout cas en Occident.

Vs Cs • Vous êtes à la fois infirmière et théologienne de profession, très impliquée dans l’accueil des réfugiés. Que vise donc la Maison de l’Unité que vous animez avec des religieuses catholiques ?

B. Girard • Une mère de famille, Isabelle de Soyres, catéchète catholique au collège des sœurs de Sainte Clotilde, participait à une session au Centre chrétien de Gagnières lorsqu’elle reçut dans la prière la conviction d’une Maison d’Unité habitée par des jeunes de toutes confessions chrétiennes. S’étant confiée aux responsables catholique et protestant de la rencontre, elle revint à Paris et s’en ouvrit aux supérieures de la Congrégation des sœurs de Sainte Clotilde et de la Communauté des Diaconesses de Reuilly. Chacune se sentait démunie devant une telle attente mais proposa qu’une sœur de ces deux communautés la soutienne dans un premier temps. Chaque mardi soir, une heure de prière et de partage se vécut dans la chapelle des sœurs de Sainte Clotilde, temps ouvert à ceux et celles qui désiraient les rejoindre. Chacun des responsables des confessions catholique, orthodoxe et protestante bénirent le projet.

Une réflexion se précisa avec la contribution de Michel Mallèvre, dominicain, et du pasteur Gill Daudé qui permit, il y a cinq ans, une première expérience concrète du 1er septembre au 30 juin. Quelques jeunes, protestants et catholiques, logeant dans deux colocations se sont retrouvés chaque mardi soir pour un repas convivial, suivi d’un cursus de formation œcuménique, prolongé par une heure de prière en lien avec le thème abordé : par exemple si le temps d’enseignement était orienté sur une présentation de l’Église orthodoxe, la prière prenait la couleur des vêpres orthodoxes... D’année en année, ce cadre de départ a été conservé mais la vie s’est structurée. Les candidats viennent de milieux de plus en plus divers : cette année plusieurs sont évangéliques. La colocation (nous en avons cinq actuellement, prêtées par des congrégations religieuses ou des presbytères protestants) permet une expérience de vie fraternelle le plus souvent très riche. La nécessité du dialogue aide à comprendre la réaction de l’autre, à lui donner sens, à la faire aller plus loin, au-delà de la simple curiosité, de l’énervement... et la prière ensemble est une belle découverte même si des différences sont à traverser. Les divers enseignements et temps de prière se proposent d’aider chacun à clarifier les fondements et de sa propre confession et des autres familles chrétiennes.

Vs Cs • Votre itinéraire œcuménique a pris naissance très tôt dans votre existence ; pouvez-vous nous en parler ?

B. Girard • Dans ce temps particulier de reconstruction de la France après la guerre de 1940, mes parents étaient fort occupés par le quotidien. Dieu ne faisait guère partie, semblait-il, de leur horizon. Pourtant à cinq, six ans, maman me prit dans ses bras et me dit : tu sais il y a des protestants et des catholiques et quand tu seras grande tu devras choisir... Je ne comprenais guère mais cela m’a quelque part mise en route pour chercher à connaître, pour me mettre en quête de divers chemins afin de trouver le mien. A treize ans, pour la première fois lors d’une expérience essentielle pour moi, j’ai pressenti la présence du divin d’une manière si forte que j’ai décidé d’avancer plus sérieusement dans cette recherche pour tangiblement rejoindre d’autres afin de davantage rencontrer, découvrir... J’allais partout où je pouvais entendre parler de Dieu, dans des milieux catholiques, protestants, pentecôtistes... Un essentiel était là en moi, bien secret. A 16 ans j’ai opté pour le protestantisme, très marquée par le Christ et ses paroles qui me rejoignaient tellement. Le christianisme était la voie où je me sentais bien, reconnue par un Amour qui m’était gratuitement offert, sans autre condition que de lui dire oui. Mais j’avais une vraie difficulté à choisir parmi toutes les familles chrétiennes que peu à peu je découvrais. Finalement, c’est une Église réformée à Bergerac qui m’a accueillie. J’avais en classe une merveilleuse amie catholique qui me disait souvent qu’elle serait sœur ! Elle a fondé une famille et a eu cinq enfants mais à travers ses paroles, je continuais ma propre quête qui m’a conduite à vivre d’abord une année comme postulante chez les Diaconesses de Reuilly jusqu’à m’y engager pour la vie dans le célibat, un partage des biens, une soumission mutuelle. Je vois combien aujourd’hui cette vie de diaconesse était le chemin que le Seigneur voulait pour moi et combien j’en ai été comblée.

Vs Cs • Comment se présente, liturgiquement, une consécration de diaconesse ? Vise-t-on plutôt un ministère ecclésial, ou plutôt une expérience de Dieu particulière ?

B. Girard • Il s’agit d’une consécration de vie religieuse avec la prise des trois engagements traditionnels devant la Communauté et l’Église rassemblée dans ses diversités œcuméniques. Cette célébration pleine de joie est conduite par le Pasteur Président de la Communauté et de la Fondation Diaconesses de Reuilly et la Prieure de la Communauté. Dans un esprit de gratitude et de louange, la sœur atteste la grâce reçue lors de son baptême qui lui permet, s’ancrant dans cet acte premier, de prononcer ses vœux devant la Prieure dans la perspective d’une durée jusqu’à la mort. Dans la communion des saints, la communauté chante le long chapitre d’Hébreux 11 s’insérant à la suite de tous ces grands visages du Premier Testament. La prédication, faite par un pasteur choisi par la sœur consacrée, est l’écoute de la Parole à cette heure importante. Le magnificat est chanté par elle et une prière d’intercession est bien sûr toujours présente. La communauté est invitée liturgiquement à accueillir la nouvelle sœur avec bonheur. Un verre d’amitié prolonge la célébration permettant de nombreux dialogues avec tous les amis présents.

Vs Cs • Que vous inspire la prochaine célébration d’un Synode pour les jeunes, au Vatican ?

B. Girard • J’en éprouve une grande joie car, par mon compagnonnage avec les jeunes de la maison d’Unité, je suis convaincue que l’avenir est à eux, à leurs rêves, à leur quête. Dans cette société mondiale si déstabilisée, leur regard critique, leur enthousiasme, leurs recherches parfois jusqu’à l’extrême se révèlent d’un grand prix pour nos générations souvent sans projets neufs, sans dynamisme, trop en proie à une lassitude découragée... L’espérance seule peut ouvrir des chemins encore inconnus, porteurs de nouvelles initiatives pleines d’intérêt pour un mieux-être de notre planète...

Propos recueillis par Noëlle Hausman, s.c.m.

[1Église et Liturgie. L’Office divin de chaque jour, Neuchâtel, Delachaux et Nestlé, 1943, 1949, 1961.

Mots-clés

Dans le même numéro