Sur la miséricorde dans les situations atypiques
Benoît Carniaux, o.praem.
N°2017-4 • Octobre 2017
| P. 21-40 |
OrientationLe Père abbé de Leffe, professeur de théologie fondamentale, fonde son interprétation des passages discutés d’Amoris Lætitia dans la vision tout ensemble thomiste et ignatienne qu’a le Pape François de la miséricorde. Attrition, indulgence, justice, peine expiatoire, gradualité, imputabilité : ces notions fontales, bien entendues, préparent, au rythme de la grâce, le cœur humain aux noces éternelles.
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Étymologiquement, « être miséricordieux » signifie ouvrir son cœur à la misère, donner un cœur aux miséreux : miseri-cordare. C’est là vraiment la carte d’identité de Dieu : « La miséricorde est le propre de Dieu dont la toute-puissance consiste justement à faire miséricorde [1] ». Ces paroles de saint Thomas d’Aquin montrent que la miséricorde n’est pas un signe de faiblesse, mais bien l’expression même de la force de Dieu [2].
S’inscrivant dans cette perspective, la devise du Pape François, « miserando atque eligendo [3] » est tirée d’une homélie du moine anglais saint Bède le Vénérable qui, parlant de la vocation de Matthieu, écrivait : « Jésus vit un publicain, et comme Il le regardait avec un sentiment d’amour, et le choisit, Il lui dit : “Suis-moi” ». Mais si on veut être précis il faudrait traduire miserando par un gérondif qui n’existe pas : « en miséricordant », en lui donnant sa miséricorde. « En le miséricordant et en le choisissant », veut donc décrire le regard de Jésus qui offre sa miséricorde et qui simultanément choisit, qui emmène avec Lui. On voit là comment pardon et vocation, guérison et vocation, et sans doute aussi réparation et vocation, peuvent être liés.
Avant d’aborder plus précisément l’exhortation apostolique Amoris Lætitia, nous allons faire le point sur la façon dont le Pape envisage globalement la miséricorde. Pour cela, nous aurons recours à deux autres textes bien différents : la Bulle d’indiction du Jubilé de la Miséricorde Misericordiae Vultus (le Visage de la Miséricorde, MV) et une interview avec le journaliste Andrea Tornielli : on peut trouver ces deux textes réunis dans le Livre Le nom de Dieu est Miséricorde [4].
De l’attrition
Le premier et le seul pas requis pour faire l’expérience de la miséricorde consiste précisément à reconnaître que l’on a besoin de miséricorde. La tradition a appelé cet état d’esprit la contrition. La « contrition parfaite », qui est requise en principe lorsqu’on demande le pardon de Dieu, est le regret de ses fautes pour avoir offensé l’amour de Dieu. La contrition est alors la conséquence d’un acte de charité si intense qu’on peut en obtenir la libération de toute peine, car le regret est tellement fort qu’il peut constituer en lui-même une peine à supporter. On peut s’étonner de parler ici d’une peine alors qu’il s’agit de pardon. Mais c’est oublier que le pardon de Dieu n’est pas qu’un sauvetage : il est ce qui remet debout et restaure le pécheur en dignité. C’est pourquoi la honte est l’une des grâces que saint Ignace fait demander dans la confession des péchés, devant le Christ crucifié (Exercices spirituels, 53), car elle nous fait contempler la disproportion entre nos actes et notre dignité. Dans cette perspective, la réparation en faveur des autres et de soi qui est demandée au pénitent lors du sacrement de réconciliation constitue, avec son caractère peineux, une sorte de trajectoire de revalidation qui aide le pécheur à retrouver l’estime de lui-même dans la lumière de Dieu. Par son caractère mesuré, en tant que peine, elle est également un pare-feu contre l’envahissement de l’angoisse de culpabilité.
Mais à la suite de la tradition thomiste primitive [5], la tradition ignacienne et avec elles le Pape François, se rendent très attentif à l’attrition, ou « contrition imparfaite », qui marque une étape vers la contrition parfaite. En effet l’amour de Dieu peut parfois être si faible qu’il n’y en a pas assez pour constituer le véritable amour de charité. Cependant toute contrition, même imparfaite, est vivifiée par la grâce sanctifiante. Elle naît de la considération de la laideur du péché ou de la crainte d’une damnation éternelle et d’autres peines dont le pécheur se sent menacé (à tort ou à raison). Si lacunaire qu’il soit, un tel ébranlement de la conscience peut amorcer une évolution intérieure qui sera parachevée sous l’action de la grâce, par l’absolution sacramentelle.
Si ténue soit-elle, l’attrition dispose donc à obtenir le pardon dans le sacrement de la réconciliation. Même simplement « regretter de ne pas regretter son péché » constitue un rai de lumière qui entraîne vers le pardon. C’est pourquoi le Pape François ne se lasse pas de répéter que « le remède existe, la guérison existe, si seulement nous faisons un tout petit pas vers Dieu ou si nous avons, du moins, le désir de le faire [6] ». Il ne faut négliger aucune chance, fût-elle minime, de pouvoir offrir le pardon.
Il faut également considérer que le péché peut produire de la tristesse et de la peine sans proportion avec ce qui les a causées. Ou inversement, la peine infligée par d’autres peut conduire à une situation objectivement peccamineuse. Ce peut être le cas par exemple pour toutes ces personnes qui se sont efforcées avec sincérité de sauver un premier mariage et ont été injustement abandonnées puis se sont remariées, que ce soit pour le bien de leurs enfants ou pour surmonter la solitude et le sentiment d’abandon. Elles ont souvent beaucoup donné pour sauver la première union et leur échec n’en est que plus douloureux à porter. Si elles veulent rencontrer la miséricorde, il ne faut pas venir leur imposer une peine et une pénitence supplémentaire. Pour ces cas-là et tous les autres qui peuvent leur ressembler, le Pape François aime citer saint François de Sales :
Si tu as un petit âne, et que dans la rue il glisse sur les pavés et tombe, que dois-tu faire ? Tu ne vas pas le rosser à coups de bâton, il est déjà assez malheureux comme ça. Il faut que tu le prennes par le licou et que tu lui dises : Allez, reprenons la route. On se remet en marche, tu feras davantage attention la prochaine fois.
Des indulgences
Il faut encore dire un mot de la condition de pécheur et des indulgences. Car là aussi, par sa Bulle d’indiction du Jubilé de la Miséricorde, le Pape fait amorcer un virage à toute l’Église [7]. La doctrine des indulgences a trop souvent été comprise dans une perspective « légaliste », « bancaire » et « commerciale », comme un échange de mérites entre les saints et les pécheurs qui contribue à alimenter le clivage entre « parfaits » et « imparfaits » que visera à réduire l’exhortation Amoris Lætitia.
Ce sont les mérites du Christ et non ceux des justes qui constituent la source du salut. Par miséricorde, les saints viennent au secours de notre fragilité en partageant ce qu’ils ont reçu et les constitue en sainteté : la miséricorde du Christ. La Mère Église est ainsi capable, par sa prière et sa vie, d’aller à la rencontre de la faiblesse des uns avec la sainteté des autres. Il y a partage, mutualisation, sans revendication, ni catégorisation, ni privilège. La vie de l’Église apparaît intrinsèquement comme solidarité et communion. La solidarité ne repose pas sur la distribution de « biens spirituels » qui seraient accordés par des « méritants » à des « pécheurs », à l’image d’un riche qui ferait quelque aumône à un pauvre. Les saints ne sont tels que dans la mesure où précisément ils vont à la rencontre des faibles, où ils se montrent « frères » des pécheurs, où ils se trouvent pauvres avec les pauvres. À ce titre, le Christ, le Fils de Dieu fait homme, est vraiment le visage de la miséricorde !
L’indulgence ne nous fait pas revenir en arrière vers le mal du passé, mais nous pousse plutôt vers notre accomplissement à travers une guérison, un apaisement et une unification qui traitent le cancer du péché en nous et dans les autres. On est ainsi dégagé d’une vision simplement expiatoire ou pénale du purgatoire pour retrouver ses grandes caractéristiques originelles d’instance de guérison et de préparation nuptiale du cœur humain en vue de sa rencontre avec Dieu pour les noces éternelles.
On passe dès lors d’une perspective juridique à une perspective anthropologique pour entrer dans un processus de maturation de la personne, par lequel peu à peu toutes les énergies de l’être humain sont lentement intégrées dans la décision foncière de la personne libre.
De la justice
Tout cela est bel et bon diront certains, mais où est la justice ? C’était un peu la question du fils aîné de la parabole lucanienne bien connue (Lc 15). C’est que « la justice de Dieu devient désormais libération pour ceux qui sont esclaves du péché et de toutes ses conséquences. La justice de Dieu est son pardon (cf. Ps 50,11‑16) » (MV, 20). Pour le Pape, nous devons vivre en ayant à l’esprit et dans le cœur la parabole du « fils prodigue » : le père attendait son cadet et il l’embrasse avant même qu’il ne reconnaisse ses péchés. C’est cela, l’amour de Dieu, sa surabondante miséricorde. Le frère aîné, qui s’était toujours « bien conduit » a énoncé la vérité des faits, mais en même temps, n’en a pas perçu la réalité profonde et c’est pourquoi il s’exclut lui-même. Auto-exclu, tel aurait pu demeurer le fils prodigue qui, isolé et ruiné dans un pays hostile, décidera finalement de retourner vers la maison de son père. Si le prétexte qu’il compte présenter relève de la contrition, « avoir péché contre le ciel et contre son père », sa motivation relève plutôt de la simple attrition : il souhaite obtenir un statut de domestique qui lui donnera une vie bien meilleure que sa situation présente. Mais c’est sans compter sur la miséricorde de son père qui fait une bonne partie du chemin qui les sépare et le rétablit dans sa dignité filiale. La miséricorde dépasse l’attrition et pour ainsi dire absorbe la contrition.
Si Dieu s’arrêtait à la justice, Il cesserait d’être Dieu ; Il serait comme tous les hommes qui invoquent le respect de la loi. La justice seule ne suffit pas et l’expérience montre que faire uniquement appel à elle risque de l’anéantir [...] Dieu ne refuse pas la justice. Il l’intègre et la dépasse dans un événement plus grand dans lequel on fait l’expérience de l’amour, fondement d’une vraie justice (MV, 21).
C’est sans doute ce qui explique cette parole assez curieuse du Pape François lorsqu’il affirme que « Jésus oublie. Il a une faculté d’oubli très spéciale [8] ». Cela peut paraître curieux et même parfois dangereux car on sait que pardonner, ce n’est pas oublier, c’est rétablir le don par-delà l’offense, et construire sur les débris de l’acte peccamineux broyé par le repentir pour éviter toute rechute. Oui, dit le Pape, mais on ne peut construire sur le passé qu’avec l’avenir et les grâces divines qu’il promet. De nouveau, on passe ici d’une conception statique à une conception dynamique. « Dieu ne pardonne pas avec un décret, mais avec une caresse [9] ». Et, avec la miséricorde, « Dieu va même au-delà de la loi et Il pardonne, en caressant les blessures de nos péchés ». La miséricorde se montre ici en sa différence avec le pardon. Elle n’efface pas les péchés, car c’est le pardon de Dieu qui les efface. Elle est plutôt la manière dont Dieu pardonne.
L’important, dans la vie de tout homme et de toute femme, n’est pas le fait de ne jamais tomber en chemin. L’important, c’est de toujours se relever, de ne pas rester à terre, accablé par ses propres plaies. Le Seigneur de la miséricorde pardonne toujours. Il offre donc la possibilité de toujours repartir. C’est une des tâches de l’Église : faire sentir aux gens qu’il n’existe pas de situation sans issue et que, tant que nous sommes vivants, nous pouvons toujours nous relever et repartir si seulement nous permettons à Jésus de nous embrasser et de nous pardonner.
Le Pape François renvoie à l’Évangile du Bon Pasteur qui laisse son troupeau pour aller récupérer la brebis égarée.
Dans ce passage de l’Évangile, nous nous trouvons face à deux logiques en matière de pensée et de foi. D’un côté, la peur de perdre les justes, les rescapés, les brebis qui sont déjà dans la bergerie, en lieu sûr. De l’autre, le désir de sauver les pécheurs, les égarés, ceux qui sont hors de l’enclos. La première logique est celle des docteurs de la Loi, la seconde est la logique de Dieu qui accueille, embrasse, transfigure le mal en bien, transforme et rachète mon péché, commue la condamnation en salut. Jésus entre en contact avec le lépreux, II le touche. Ce faisant, Il nous enseigne ce qu’il faut faire, quelle logique suivre, face aux personnes qui souffrent physiquement et moralement. Nous devons suivre cet exemple, en combattant les préjugés et l’intransigeance, à l’instar des apôtres des premiers temps de l’Église lorsqu’ils durent vaincre, entre autres, les résistances de ceux qui exigeaient une stricte observance des lois de Moïse, même de la part des païens convertis.
Il faut entrer dans l’obscurité, dans la nuit que traversent tant de nos frères. Être capables d’entrer en contact avec eux, de leur faire sentir notre proximité, sans nous laisser engloutir et conditionner par cette obscurité. Aller vers les exclus, vers les pécheurs, c’est chercher à toucher tout le monde en témoignant de la miséricorde, celle dont nous avons été les premiers à faire l’expérience, sans jamais céder à la tentation de nous croire justes ou parfaits. Plus nous serons conscients de notre misère et de notre péché, plus nous sentirons sur nous l’amour et l’infinie miséricorde de Dieu, et serons capables de faire face aux nombreux « blessés » que nous rencontrerons en chemin, avec un regard accueillant et miséricordieux. Et donc, en évitant l’attitude de ceux qui jugent et condamnent du haut de leur propre assurance, en cherchant la paille dans l’œil d’autrui sans jamais apercevoir la poutre qui est dans le leur.
À l’origine des comportements pharisiens, dit le Pape, il y a l’affaiblissement de l’émerveillement face à la possibilité de salut qui nous a été donnée. Dès que quelqu’un se sent un peu plus sûr de lui, il commence à s’emparer de facultés qui ne sont pas les siennes, mais celles du Seigneur. L’étonnement diminue : c’est la base du cléricalisme et de l’attitude de ceux qui se croient purs. L’adhésion formelle aux règles, à certains schémas mentaux, prédomine. L’étonnement s’estompe, on croit pouvoir se débrouiller seuls, convaincus d’être des personnages de premier plan. Et si quelqu’un est un ministre de Dieu, il finit par se croire différent du peuple, propriétaire de la doctrine, détenteur d’un pouvoir, fermé aux surprises de Dieu. La « dégradation de l’étonnement » est une plaie ouverte chez beaucoup, clercs et laïcs.
Par contraste, le Pape recommande la compassion, qui est une sorte de visage humain de la miséricorde divine [10]. Elle signifie « souffrir avec », « souffrir ensemble », ne pas rester indifférent à la douleur et à la souffrance d’autrui. C’est ce que Jésus éprouvait lorsqu’il voyait les foules qui le suivaient. Le Dieu fait homme se laisse émouvoir par la misère humaine, par nos manques, par notre souffrance. Le verbe grec qui désigne cette compassion dérive du mot désignant les viscères et l’utérus maternel. La compassion est semblable à l’amour d’un père et d’une mère, qui sont profondément émus par leur propre fils, c’est un amour viscéral. On a besoin de cette compassion aujourd’hui, pour vaincre la généralisation de l’indifférence. On a besoin de ce regard quand on se trouve devant un pauvre, un exclu, un pécheur. Une compassion qui se nourrit de la conscience que nous aussi, nous sommes tout autant des pécheurs.
Sur un autre ton : Amoris lætitia
Nous venons de parler de l’émerveillement nécessaire pour percevoir la profondeur du salut qui nous est offert. En lisant Amoris Lætitia (AL), nous sommes d’emblée invités à une éducation du regard, « un regard fait de foi et d’amour, de grâce et d’engagement » (AL, 29), un regard contemplatif car il permet de « contempler le Christ vivant présent dans tant d’histoires d’amour » (AL, 59). Le regard de Jésus « qui a regardé avec amour et tendresse les femmes et les hommes qu’il a rencontrés, en accompagnant leurs pas avec vérité, patience et miséricorde, tout en annonçant les exigences du Royaume de Dieu » (AL, 60).
Cette façon de regarder nous fait saisir « qu’en chaque mariage, il y a une histoire de salut » (AL, 221) à laquelle Dieu est présent. Il n’est pas simplement question ici d’une doctrine qu’il faut croire mais d’une grâce qu’il faut vivre comme une histoire sainte. C’est dans cette perspective que le Pape veut considérer avec bienveillance certaines situations « imparfaites », telle par exemple la cohabitation hors mariage, comme des « semences du Verbe » (AL, 76-79).
Si on se réfère au sens donné à cette expression par saint Justin au IIe siècle, on comprend que le Pape évoque ici une participation certes incomplète mais quand même effective à ce qui fait la grâce du mariage. Un mariage civil ou une cohabitation ne sont plus vus comme des situations de péché, mais comme des promesses de développement au plan évangélique.
Ce sont des signes d’amour qui reflètent déjà en partie l’amour de Dieu. Ces situations doivent être affrontées d’une manière constructive, en cherchant à les transformer en occasions de cheminement vers la plénitude du mariage et de la famille à la lumière de l’Évangile. Il s’agit d’accueillir et d’accompagner avec patience et délicatesse pour que croissent ces semences du Verbe.
Il y a là une grande veine pédagogique : c’est l’attrait du bien qui motive et qui donne la force de cheminer sur ce chemin où le Père nous attire et vient nous chercher, quelle que soit la situation dans laquelle nous nous trouvons. Le Pape parle peu du péché parce qu’il préfère parler de ce qui guérit le péché, ce qui fait comprendre que l’amour doit être fécond. Nous sommes à cent lieues d’une pastorale défensive où le mal devient en fin de compte une obsession tournant le dos à la présence du Rédempteur.
« Nous avons du mal à présenter le mariage davantage comme un parcours dynamique de développement et d’épanouissement, que comme un poids à supporter toute la vie. Il nous coûte aussi de laisser de la place à la conscience des fidèles qui souvent répondent de leur mieux à l’Évangile avec leurs limites et peuvent exercer leur propre discernement dans des situations où tous les schémas sont battus en brèche. Nous sommes appelés à former les consciences, mais non à prétendre nous substituer à elles (AL, 37).
C’est pourquoi l’Église doit offrir des espaces d’accompagnement et d’assistance pour les questions liées à la croissance de l’amour, la résolution des conflits ou l’éducation des enfants. Cela ouvre la porte à une pastorale positive, accueillante, qui rend possible un approfondissement progressif des exigences de l’Évangile. Cependant, nous avons souvent été sur la défensive, et nous dépensons les énergies pastorales en multipliant les attaques contre le monde décadent, avec peu de capacité dynamique pour montrer des chemins de bonheur (AL, 38).
Dans les situations difficiles que vivent les personnes qui sont le plus dans le besoin, l’Église doit surtout avoir à cœur de les comprendre, de les consoler, de les intégrer, en évitant de leur imposer une série de normes (AL, 49).
La certitude que Dieu aime, cherche, attire chacun avec tendresse et donne toujours une nouvelle chance, provoque la confiance. « L’amour fait confiance » (AL, 114). On est là dans une perspective dynamique d’avancée sur le chemin du salut. Pour ce parcours, la Parole de Dieu, qui « ne se révèle pas comme une séquence de thèses abstraites », peut être pour chacun « une compagne de voyage » (AL, 22).
Une double inspiration
Lors de la présentation officielle de l’exhortation au Vatican, le cardinal Schönborn a affirmé qu’ Amoris lætitia a deux pères prestigieux : Ignace de Loyola et Thomas d’Aquin. L’exhortation propose en effet une théologie morale qui s’inspire des grandes traditions ignatienne (discernement de la conscience) et dominicaine (la morale des vertus). Nous avons besoin des vertus pour que le bien saisi par l’esprit s’enracine en nous et puisse être saisi comme bien pour nous... La prudence, le jugement sain, le bon sens dépendent de toute une chaîne d’éléments qui se synthétisent dans la personne, au cœur de sa liberté. Le texte souligne à de nombreux endroits que ce processus de maturation ne peut être effectif que s’il touche ce point où l’attrait du bien devient un appel intérieur. C’est là renouer avec la grande tradition morale catholique et par là même intégrer tout l’apport du personnalisme.
On tourne donc ici le dos aux morales de l’obligation qui dans leur ignorance de la capacité d’intériorisation spirituelle des personnes, engendrent tout à la foi laxisme et rigorisme. Il y a en effet deux formes de paresse spirituelle et d’échappatoire pastorale aux exigences concrètes de l’Exhortation. Il y a les rigoristes qui croient en un Dieu « Grande citrouille », tel le monstre d’Halloween qui vient dévorer tous ceux qui traînent dehors une fois la nuit tombée, et les laxistes qui croient en un Dieu Père Noël qui distribue des bonbons à tout le monde mais sans regarder personne.
Or, croire au Christ, c’est accepter que son regard se pose sur soi et converser avec lui. C’est accepter la disproportion entre la loi et les capacités humaines et se laisser éveiller au désir de la grâce. C’est aussi accepter la disproportion similaire entre le discours de l’Église et la réalité du monde. C’est donc éviter plus que tout une posture de repli qui refuserait de rencontrer le monde et ses problèmes et de le comprendre de l’intérieur. La pastorale devra dès lors se fonder sur une empathie très humble et très discrète, où chacun reçoit de l’autre à la mesure de son indigence reconnue et acceptée. Le chrétien doit mourir à l’illusion séparatrice d’être « le bon ». Nous retrouvons ici la solidarité dans la miséricorde qui était au cœur de Misericordiae Vultus.
La charité véritable est toujours imméritéeLe Synode s’est référé à diverses situations de fragilité ou d’imperfection. À ce sujet, je voudrais rappeler ici quelque chose dont j’ai voulu faire clairement part à toute l’Église pour que nous ne nous trompions pas de chemin : « Deux logiques parcourent toute l’histoire de l’Église : exclure et réintégrer […]. La route de l’Église, depuis le Concile de Jérusalem, est toujours celle de Jésus : celle de la miséricorde et de l’intégration […]. La route de l’Église est celle de ne condamner personne éternellement ; de répandre la miséricorde de Dieu sur toutes les personnes qui la demandent d’un cœur sincère [… Car] la charité véritable est toujours imméritée, inconditionnelle et gratuite ! » [11]. Donc, « il faut éviter des jugements qui ne tiendraient pas compte de la complexité des diverses situations ; il est également nécessaire d’être attentif à la façon dont les personnes vivent et souffrent à cause de leur condition [12] ».Il s’agit d’intégrer tout le monde, on doit aider chacun à trouver sa propre manière de faire partie de la communauté ecclésiale, pour qu’il se sente objet d’une miséricorde « imméritée, inconditionnelle et gratuite’ ». Personne ne peut être condamné pour toujours, parce que ce n’est pas la logique de l’Évangile ! (Amoris Lætitia, 296-297)
C’est sans doute pourquoi le Pape parle des situations irrégulières en mettant l’adjectif entre guillemets et en le faisant souvent précéder de l’expression « soi-disant ». Il place tout le monde sous l’instance commune de l’Évangile, selon les paroles de saint Paul : « Dieu, en effet, a enfermé tous les hommes dans le refus de croire pour faire à tous miséricorde » (Rm 11,32). Pour le chrétien comme pour l’Église, la perfection réside dans le consentement à recevoir son achèvement d’un autre : le Christ. Et ce don de Dieu se trouve être en fait un pardon [13]. Il n’y a pas les bons et les mauvais. Comme le rappelle la parabole du publicain et du pharisien, celui qui se croit justifié par lui-même ne l’est pas. Celui qui n’imagine même pas pouvoir être justifié l’est par Dieu. C’est la foi qui justifie !
Un fondement : la miséricorde
Le Pape rompt délibérément ainsi avec la culture de ceux qui, comme le disait Péguy, à force de vouloir avoir les mains toujours propres, finissent par ne plus avoir de mains. Nous sommes invités à vivre de miséricorde parce qu’il nous a d’abord été fait miséricorde (AL,310).
Nous posons tant de conditions à la miséricorde que nous la vidons de son sens concret et de signification réelle, et c’est la pire façon de liquéfier l’Évangile (AL, 311).
La miséricorde est la plénitude de la justice et la manifestation la plus lumineuse de la vérité de Dieu.
Toutes les notions théologiques qui, en définitive, remettent en question la toute-puissance de Dieu, et en particulier sa miséricorde, sont inadéquates (AL, 311).
La miséricorde est quelque chose de beaucoup plus large qu’une spiritualité ou une démarche sacramentelle. C’est d’abord une question d’hospitalité du cœur, à l’image de l’intériorité mutuelle des personnes divines dans la Trinité. Vis-à-vis des hommes faibles et pécheurs, cette miséricorde est un accueil de la fragilité. « Je crois sincèrement, dit le Pape, que Jésus veut une Église attentive au bien que l’Esprit répand au milieu de la fragilité » (AL, 308). « L’Évangile lui-même nous demande de ne pas juger et de ne pas condamner (cf. Mt 7,1) » (AL, 308).
Nous sommes appelés à vivre de miséricorde [...] Ce n’est pas une proposition romantique ou une réponse faible face à l’amour de Dieu, qui toujours veut promouvoir les personnes, parce que la poutre qui soutient la vie de l’Église est la miséricorde (AL, 310).
Il faut bien comprendre que le Pape ne propose pas une attitude théorique et des règles générales. Il recadre la morale fondamentale en la ramenant à son fondement : un accueil miséricordieux de la fragilité qui refuse les jugements péremptoires et les condamnations a priori. Il s’agit de valoriser la conversation et le dialogue comme base d’un comportement évangélique et déontologique.
J’invite les fidèles qui vivent des situations complexes à s’approcher avec confiance dans une conversation avec leurs pasteurs ou avec des laïcs qui vivent dédiés au Seigneur [...] Et j’invite les pasteurs à écouter avec attention et sérénité, avec le désir sincère d’entrer dans le cœur du drame des personnes et de comprendre leur point de vue, pour les aider à vivre mieux et à reconnaître leur place dans l’Église (AL, 312).
Un principe : le temps est supérieur à l’espace
En rappelant que pour lui, « le temps est supérieur à l’espace » (AL, 3), François réaffirme que tous les débats doctrinaux, moraux ou pastoraux ne doivent pas être tranchés par des interventions magistérielles. Affirmer que le temps est supérieur à l’espace, c’est se déclarer prêt à renoncer au moins provisoirement à la maîtrise immédiate des espaces institutionnels et idéologiques, renoncer au cléricalisme pour envisager de véritables processus de maturation et d’engendrement ensemble, en Église.
Ce principe permet de travailler à long terme, sans être obsédé par les résultats immédiats. Il aide à supporter avec patience les situations difficiles et adverses, ou les changements des plans qu’impose le dynamisme de la réalité. Il est une invitation à assumer la tension entre plénitude et limite, en accordant la priorité au temps. Donner la priorité à l’espace conduit à devenir fou pour tout résoudre dans le moment présent, pour tenter de prendre possession de tous les espaces de pouvoir et d’auto-affirmation. C’est cristalliser les processus et prétendre les détenir. Donner la priorité au temps, c’est s’occuper d’initier des processus plutôt que de posséder des espaces. Le temps ordonne les espaces, les éclaire et les transforme en maillons d’une chaîne en constante croissance, sans chemin de retour. Il s’agit de privilégier les actions qui génèrent les dynamismes nouveaux dans la société et impliquent d’autres personnes et groupes qui les développeront, jusqu’à ce qu’ils fructifient en évènement historiques importants. Sans inquiétude, mais avec des convictions claires et de la ténacité (Evangelii Gaudium, 223).
Tout cela rejoint ce que le Pape avait dit auparavant en citant les Exercices spirituels de saint Ignace : « Ce n’est pas le fait de savoir beaucoup qui remplit et satisfait l’âme, mais le fait de sentir et de savourer les choses intérieurement » (AL, 207)... C’est ce que dit tout uniment saint Thomas à propos de la Loi nouvelle qui est inscrite dans le cœur. Encore une fois, le processus de maturation ne peut être effectif que s’il touche ce point où l’attrait du bien devient un appel intérieur. Dans la famille comme dans l’Église, ni le laisser faire, ni l’obsession correctrice ne permettent de susciter des processus de maturation, de croissance, qui sont autant de processus de libération aimantés par le bien qui attire et qui pour tout chrétien porte le nom de Jésus.
« Aucune famille n’est une réalité parfaite et confectionnée une fois pour toutes, mais elle requiert un développement graduel de sa propre capacité d’aimer » (AL, 325).
Former les consciences, mais non se substituer à elles
La complexité structurelle des situations vécues de nos jours autorise à minorer largement l’imputabilité des comportements apparaissant comme irréguliers, sans doute même à les excuser. Ici, la morale sexuelle gagnerait à se mettre en dialogue avec la morale sociale : une étude de l’incidence des structures de péché (façonnement des imaginaires individuels et collectifs, contraintes socioéconomiques diverses, etc.) sur les comportements au sein des couples est absolument nécessaire. François procède de la même façon lorsqu’il cherche à aborder le problème de l’avortement par le biais social plutôt qu’immédiatement familial. En ce qui concerne les couples « atypiques », il faut accueillir les gens là où ils sont, comme ils sont. Qui que nous soyons, nous accédons tous aux sacrements en situation de mendicité [14].
Le discernement doit aider à trouver les chemins possibles de réponse à Dieu et de croissance au milieu des limitations. En croyant que tout est blanc ou noir, nous fermons parfois le chemin de la grâce et de la croissance, et nous décourageons des cheminements de sanctifications qui rendent gloire à Dieu (AL, 305).
Et le Pape François nous rappelle une phrase importante qu’il avait écrite dans Evangelii Gaudium (EG), 44 :
Un petit pas, au milieu de grandes limites humaines, peut être plus apprécié de Dieu que la vie extérieurement correcte de celui qui passe ses jours sans avoir à affronter d’importantes difficultés (AL, 305).
« Aux prêtres je rappelle que le confessionnal ne doit pas être une salle de torture mais le lieu de la miséricorde du Seigneur » (EG, 44) et l’Eucharistie « n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles » (EG, 47). Grâce à la rencontre pastorale concrète entre une personne et un pasteur, « on évite le risque qu’un certain discernement porte à penser que l’Église soutiendrait une double morale » (AL, 300).
Jean-Paul II avait déjà parlé il y a 35 ans, dans Familiaris Consortio (9 ; 34) de la « loi de gradualité » : cette expression évoque la progressivité de tous les cheminements spirituels et l’espérance qui postule toujours qu’une maturation est possible, que les potentialités les plus cachées des personnes peuvent germer un jour, dans un jaillissement surprenant de beauté. Il ne suffit pas de connaître la loi, mais il faut encore la reconnaître comme bonne pour soi. Il n’y a pas faute subjective dans la transgression d’une norme que l’individu « connaîtrait » peut-être, mais qu’il ne pourrait « reconnaître » selon ce que lui dicte sa conscience ici et maintenant. La prise de conscience graduelle de la bonté d’une loi peut prendre une bonne partie de la vie et même lorsqu’on devient persuadé de cette bonté, encore faut-il voir si cette bonté est immédiatement effective dans la situation que l’on vit et si la mettre en pratique ne causera pas plus de tort que de bien [15].
Si on prend le cas des divorcés engagés dans une nouvelle union, par exemple, ceux-ci peuvent se retrouver dans des situations très différentes, qui ne doivent pas être cataloguées ou enfermées dans des affirmations rigides sans laisser de place à un discernement personnel et pastoral approprié. Une chose est le cas de celui qui trompe durablement son conjoint et finit par briser également un autre ménage, avec toutes les suites de souffrance et de confusion qui affectent les enfants et des familles entières. Il en résulte des conséquences qu’il faudra assumer, dans la réparation, la guérison, la repentance et le pardon. Autre chose est par exemple le cas de ceux qui ont consenti d’importants efforts pour sauver le premier mariage et ont subi un abandon injuste, ou celui de « ceux qui ont contracté une seconde union en vue de l’éducation de leurs enfants, et qui ont la certitude subjective que le mariage précédent, irrémédiablement détruit, n’avait jamais été valide » (AL, 298 ; cf. Familiaris Consortio, 84).
De toute façon, toute rupture comporte des blessures mutuelles qu’il importe de guérir et de pacifier en revenant par exemple sur la façon dont les enfants ont été traités quand l’union conjugale est entrée en crise ; s’il y a eu des tentatives de réconciliation ; quelle est la situation du partenaire abandonné ; quelles conséquences a la nouvelle relation sur le reste de la famille et sur la communauté des fidèles ; quel exemple elle offre aux jeunes qui doivent se préparer au mariage.
Il n’est plus possible, aux yeux du Pape, de dire que tous ceux qui se trouvent dans une certaine situation dite « irrégulière » vivent dans une situation de péché. Un sujet, même connaissant bien la norme, peut avoir une grande difficulté à saisir les valeurs comprises dans la norme : il peut se trouver dans des conditions concrètes qui ne lui permettent pas d’agir différemment et de prendre d’autres décisions sans une nouvelle faute.
Il existe toute une série d’éléments extérieurs qui peuvent affecter la liberté, notamment ce que Jean-Paul II a appelé les structures de péché. La conscience peut ainsi reconnaître qu’une situation ne répond pas objectivement aux exigences générales de l’Évangile, mais elle peut tout aussi sincèrement reconnaître que c’est, pour le moment, la seule réponse généreuse qu’on parvient à donner à Dieu, et découvrir avec une certaine assurance morale que cette réponse est le don de soi que Dieu lui-même demande au milieu de la complexité concrète des limitations, même si elle n’atteint pas encore pleinement un idéal objectif. Mais ce discernement est dynamique et doit demeurer toujours ouvert à de nouvelles étapes de croissance et à de nouvelles décisions qui permettront de réaliser l’idéal plus pleinement.
À cause des conditionnements ou des facteurs atténuants, il est possible que, dans une situation objective de péché – qui n’est pas subjectivement imputable ou qui ne l’est pas pleinement – l’on puisse vivre dans la grâce de Dieu, qu’on puisse aimer, et qu’on puisse également grandir dans la vie de la grâce et dans la charité, en recevant à cet effet l’aide de l’Église, y compris les sacrements. Ceci vaut pour l’eucharistie et la réconciliation.
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Chaque mariage est une « histoire de salut », et cela suppose qu’on parte d’une fragilité qui, grâce au don de Dieu et à une réponse créative et généreuse, fait progressivement place à une réalité toujours plus solide et plus belle (AL, 221).
Nous sommes ici invités à développer une spiritualité et une pastorale du soin, de la consolation et du stimulus. Ces aspects de la dynamique chrétienne ne sont pas aisément accessibles ni développables dans une structure paroissiale toujours plus spatialement écartelée. Les communautés religieuses ont sans doute là un devoir d’attention et d’investissement particulier.
[1] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, II-II, q. 30, a. 4.
[2] Misericordiae Vultus (Le Visage de la Miséricorde), 6.
[3] Cf. P. Auffret, « À propos de la devise du Pape François : Miserando atque eligendo », VsCs 86 (2014-2), p. 112-115.
[4] François, Le nom de Dieu est Miséricorde. Conversations avec Andrea Tornielli, Paris, Robert Laffont, 2016.
[5] Somme théologique, Supplément, q. 5.
[6] Le nom de Dieu est Miséricorde, op. cit., p. 78.
[7] Notre réflexion se base ici sur X. Gué, « Vers une réorientation de la doctrine de l’indulgence ? Réflexions à partir de Misericordiae Vultus », Nouvelle Revue Théologique 138 (2016), p. 202-220.
[8] Rapporté par Andrea Tornielli en introduction de l’interview Le nom de Dieu est Miséricorde, op. cit.
[9] Homélie, 7 avril 2014.
[10] Idem, p. 113.
[11] Homélie à l’occasion de l’Eucharistie célébrée avec les nouveaux cardinaux (15 février 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 19 février 2015, p. 8
[12] Relatio finalis 2015, n.51
[13] Comme le dit Saint Augustin : « À ta grâce et à ta miséricorde, j’impute tout ce que je n’ai pas fait de mal... Tout m’a été remis, je le reconnais : et le mal que, de moi-même, j’ai fait et celui que, guidé par toi, je n’ai pas fait. Quel est l’homme qui, méditant sa faiblesse, ose attribuer à ses propres forces sa chasteté et son innocence, pour moins t’aimer comme s’il avait eu moins besoin de ta miséricorde, par laquelle tu pardonnes leurs péchés à ceux qui se sont retournés vers toi ? [...] Que celui-là ne rie pas de me voir guéri de ma maladie par un médecin qui lui a permis, à lui, de n’être point malade, ou plutôt moins malade » (Confessions, II, 7). Le Concile de Trente affirme fort utilement lui aussi que « Personne, aussi longtemps qu’il vit dans la condition mortelle, ne doit présumer du mystère caché de la prédestination divine (au point) qu’il déclare avec certitude qu’il est absolument au nombre des prédestinés, comme s’il était vrai qu’une fois justifié ou bien il ne puisse plus pécher, ou bien s’il venait à pécher, il doive se promettre une repentance certaine » (Décret sur la justification, chap. 12 et can. 15-16 et 23).
[14] Avec beaucoup de finesse, François donne d’ailleurs une interprétation à contre-courant de 1 Co 11,17-34 : ce ne sont plus comme cela a souvent été dit les « adultères » qui « mangent leur condamnation », mais les égoïstes qui peuvent être formellement en règle mais qui ont mangé leur propre jugement parce qu’ils ne discernent pas le corps du Christ : ils n’ont pas fait le lien entre le corps de Jésus et les « pauvres » de tous ordres.
[15] Dans ces situations, connaissant et acceptant la possibilité de cohabiter « comme frère et sœur » que l’Église leur offre, beaucoup soulignent que « s’il manque certaines manifestations d’intimité, la fidélité peut courir des risques et le bien des enfants être compromis » (AL, note 329).