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Rencontre avec sœur Simone Ponnet

Vies Consacrées

N°2017-4 Octobre 2017

| P. 3-10 |

Rencontre

Fondées en 1963, les Petites Sœurs de l’Évangile vivent en petites fraternités internationales parmi les pauvres, pour faire Église avec eux. Sœur Simone Ponnet et ses consœurs ont ainsi passé de longues années « en prison », avec les détenus en fin de peine. Le cinéma vient de nous les faire connaître, maintenant que leur présence témoigne autrement d’une Providence sans frontières.

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Vs Cs • Avec sœurs Rita et Amy, elles aussi Petites Sœurs de l’Évangile, vous avez pendant quarante ans fréquenté le monde des prisonniers de New York, notamment ceux de Rikers Island, la plus grande des États-Unis en terme de population. Le réalisateur Pierre Barnérias en a tiré un saisissant documentaire, « Sous peine d’innocence », sorti récemment en salle. Avant d’y revenir, pouvez-vous vous nous dire en quelques mots comment une jeune Belge peut avoir été conduite à mener un si long engagement à l’étranger ?

Sr Simone • Lorsque nous avons été envoyées aux États-Unis, Rita et moi (belges) et ensuite Amy (française), comme Petites Sœurs de l’Évangile, c’était dans la ligne de Charles de Foucauld, afin d’y chercher les plus pauvres et de trouver des moyens d’une insertion parmi eux. Nous n’imaginions pas que nous allions vivre et travailler à New York pendant quarante ans. Je suis partie la première, dictionnaire anglais en poche, avec mission d’obtenir la permission du Cardinal, de trouver un appartement et d’obtenir un visa pour les sœurs qui devaient me rejoindre.

Très vite, nous nous sommes rendu compte que le milieu carcéral était celui où nous pourrions le mieux trouver notre place. J’avais au tout début été hébergée dans une maison d’accueil pour femmes sortant de prison ou d’hôpitaux psychiatriques et j’ai ensuite pu y travailler. Plusieurs de ces femmes finirent par trouver un logement dans le building ou à ce moment là nous vivions, grâce à la bienveillance de notre propriétaire, un homme de confession juive et profondément bon.

Plus tard, en 1979, j’ai eu la possibilité de travailler à l’intérieur de la prison. Avec le père Pierre Raphaël, prêtre de la Mission de France, nous avons pu nous engager à Rikers Island, une île située près de l’aéroport de la Guardia sur laquelle ont été construites dix prisons différentes et qui comptait à un certain moment jusqu’à 20.000 prisonniers. Nous y étions aumôniers et j’étais la première femme à travailler à ce titre dans une prison d’hommes, puis sœur Amy est venue nous rejoindre. Ceci nous donnait l’occasion de nous retrouver tout simplement avec ces hommes rejetés, délaissés, de leur apporter notre amitié, leur redonner espoir, faire le lien avec leurs familles (dont beaucoup étaient d’origine hispanique et illégale)... et surtout, de pouvoir leur parler de Dieu qui les aime. En plus des contacts personnels, il y avait bien sûr les offices religieux, les partages de Bible et même des journées de retraite. La violence y était présente et toujours prête à éclater. Malgré tout, nous y avons aussi vécu des moments très beaux.

Vs Cs • Vous avez fondé, avec le Père Pierre Raphaël, prêtre de la Fraternité Charles de Foucauld et de la Mission de France, une maison de réhabilitation dans le Bronx pour les prisonniers en fin de peine, « la Maison d’Abraham », où sont passées des centaines ou des milliers de personnes, chrétiennes ou non ; voulez-vous nous dire comment on peut tenir dans ce genre de mission impossible ?

Sr Simone • C’est seulement après quinze ans de présence dans les prisons que nous avons fondé, avec le père Pierre Raphaël, une maison de réhabilitation dans le Bronx. Nous avions préparé ce projet avec des officiers (gardes) de la prison et des prisonniers. Le quartier était connu comme l’un des plus pauvres des États-Unis, mais nous pouvions commencer là sans rencontrer l’hostilité à laquelle un tel projet se heurtait dans d’autres endroits.

Abraham House était une maison simple dans laquelle nous pouvions, avec l’accord des juges, accepter des prisonniers en leur offrant une alternative à la prison. Ils pouvaient y faire, ou y continuer, leur peine, cela pour une période allant de un à trois ans. Nous vivions avec eux et nous formions comme une grande famille. Il y avait tout un travail à faire afin de les aider à bâtir leur avenir (qu’il s’agisse de retrouver un travail, d’obtenir un diplôme de base et aussi de renouer les liens avec leurs familles). Ainsi, près de 200 hommes ont pu finir leur peine chez nous. En même temps, avec l’aide d’un bon groupe de bénévoles, il était possible d’offrir un certain nombre d’activités destinées aux familles de prisonniers : aide matérielle (car beaucoup de familles étaient démunies), mais surtout l’école du soir pour les enfants. La plupart des parents ne parlant pas l’anglais, ne pouvaient aider leurs enfants pour les devoirs. La réussite scolaire permettait de briser le cycle de l’échec et de la misère.

La maison était ouverte à tous sans distinction de race ou de religion dans une ambiance joyeuse et familiale. Pour ceux qui le désiraient, Abraham House était aussi devenue comme une paroisse avec messes hebdomadaires, préparation aux sacrements, etc. Et vibrait de vie et de chants.

Vs Cs • La spiritualité de votre Institut s’est fondée, il y a plus de cinquante ans, sur les intuitions de Charles de Foucauld, aujourd’hui béatifié, mais c’est le Père René Voillaume qu’on trouve à son origine. Ces magnifiques figures de la présence parmi les derniers des pauvres n’ont-elles pas perdu aujourd’hui de leur crédibilité, dans un monde dominé par l’efficacité des projets sociaux ?

Sr Simone • Nous avons vécu déjà dans un monde dominé par l’efficacité des projets sociaux. Nous avons dû lutter pour garder des projets qui, tout en étant efficaces, nous permettaient de vivre comme Petites sœurs une présence d’amitié avec nos amis. Nous voulions rester à taille familiale. Pour pouvoir garder cet esprit et cette crédibilité nous avons refusé à plusieurs reprises l’aide financière de la ville ou de l’État. Nous devions compter sur des associations et des dons pour pouvoir continuer les projets et agrandir la maison. Cela demandait du travail mais la Providence veillait et nous l’avons très fort senti à certaines occasions.

Vs Cs • L’exemple du film portant sur Severino Diaz, accusé et condamné pour un meurtre qu’il n’avait pas commis, et qui passa au total 25 années d’incarcération, est très saisissant ; voulez-vous le commenter ?

Sr Simone • Le film paru récemment « Sous peine d’innocence » est l’histoire d’un cauchemar comme il en existe d’innombrables dans les prisons américaines.

En 1983, après un procès bâclé, Severino Diaz, américain d’origine cubaine, est déclaré coupable d’un meurtre qu’il n’a pas commis. Il est condamné à un minimum de quinze années de prison. Comme il refuse de reconnaître ce crime, il restera finalement incarcéré pendant vingt-cinq ans. Son seul crime aura été de ne jamais s’avouer coupable face à une justice expéditive qui le lui fera payer à chaque nouvelle demande de libération. Après six demandes, il sera finalement libéré en 2008.

Le père Raphaël et nous, avions rencontré Severino au début de son incarcération à Rikers. L’amitié nouée à ce moment avait survécu aux années et aux transferts de Severino dans des prisons d’État parfois très éloignées. Après sa libération, nous avons pu l’embaucher dans la Maison d’Abraham où il continue à aider les prisonniers. Le Père Pierre surtout l’avait souvent visité dans différentes prisons de l’État, au cours de ces 25 années. C’est Severino, maintenant, qui vient le visiter dans sa maison de retraite dans le sud de la France.

Vs Cs • Votre retour à Bruxelles vous a-t-il fait quitter les périphéries où le Pape François voit la place de la vie consacrée ?

Sr Simone • Nous regrettons beaucoup d’avoir dû quitter notre grande famille aux États-Unis, mais l’âge et les problèmes de santé nous y ont contraintes. Oui, nous avons eu la joie de vivre toutes ces années dans les périphéries où le Pape François voit la place de la vie consacrée. Je continue à rester en contact (téléphone, internet) avec bien des familles, spécialement avec des jeunes que nous avions connus tout petits. Severino et d’autres personnes rencontrées là-bas sont venus nous voir en Belgique.

Aujourd’hui, en Belgique, comme partout dans le monde, nous pouvons trouver notre place comme religieuses parmi les pauvres. En arrivant à Bruxelles, j’ai pu m’engager comme bénévole au service d’oncologie de l’hôpital Saint-Jean ainsi que pour l’accueil à la paroisse. Sœur Rita cuisinait dans plusieurs centres d’accueil. Il y a aussi les prisons, les migrants, les sans-logis, etc. Notre paroisse accueille cinq jours par semaine 150 à 200 personnes en grande précarité pour un déjeuner gratuit. Amy y participe cinq jours par semaine.

Vs Cs • Aimeriez dire autre chose à nos lecteurs de nombreux pays ?

Sr Simone • Un tableau réalisé par un détenu pour la chapelle de la prison, montre un prisonnier derrière les barreaux et porte la mention « Free me, Lord ». C‘est justement cette Bonne Nouvelle d’un pardon toujours offert, d’un renouvellement toujours possible, que nous voulions partager avec nos amis. Comme un ancien détenu nous le confiait récemment : les trois années passées dans la prison ont été une grâce pour lui et pour sa famille, car c’est là qu’il a trouvé Dieu et la vraie liberté. La chapelle de la prison réunissait une communauté disparate mais bien réelle et, comme le proclamait un hymne, ce lieu devenait un espace sacré ou le Seigneur et tous ses anges étaient présents. C’était là le cœur de notre mission.

Cette communauté se prolongeait à Abraham House. Nous étions appelées à être proches de toutes ces familles qui arrivaient souvent désespérées, fatiguées de faire face à des situations trop difficiles. L’écoute était importante mais tout autant l’étaient l’amitié et l’ouverture à l’espérance.

Nous avons quitté les États-Unis, mais nous sommes restées très proches de nos amis de la prison et du Bronx. Nous avons plus de temps maintenant pour les porter dans notre prière. Il n’y a pas de distance dans le cœur de Dieu.

Propos recueillis par Noëlle Hausman, s.c.m.

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