Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

En mission au Tchad

Pascale Watine Christory

N°2017-4 Octobre 2017

| P. 11-20 |

Kairos

Quand un couple de laïcs, membre d’une communauté nouvelle, se met à l’écoute de l’Esprit, adviennent d’étonnants retournements. Le médecin et la théologienne (spécialiste de J.-M. R. Tillard, nos lecteurs s’en souviendront) servent au Tchad la mission du Chemin Neuf, ou plutôt, d’une Église jeune qui veut approfondir la Parole à la suite du Christ. Ici, Exercices spirituels, œcuménisme et développement ouvrent les pistes à la bénédiction de Dieu.

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Cela fait déjà six ans que mon mari et moi sommes envoyés au Tchad pour des missions humanitaires et apostoliques par la Communauté du Chemin Neuf dont nous sommes membres depuis trente ans. Aujourd’hui, nous y passons pratiquement la moitié de l’année et sommes heureux de vivre sur cette terre africaine qui nous enrichit à chaque séjour.

Les chemins du Seigneur me surprennent toujours. Après notre premier séjour au Tchad où mon mari avait été appelé pour remplacer une sœur médecin qui partait au Brésil, je n’avais pas du tout envie de réitérer ce genre d’expérience. J’avais pourtant été très heureuse d’aider à la formation biblique, théologique et spirituelle d’une quarantaine de jeunes et adultes. La chaleur humide et étouffante de l’été à laquelle s’ajoutait la nourriture tchadienne peu évidente pour moi me faisaient compter les jours avant notre retour en France. Par contre, mon mari, qui souffrait aussi des mêmes conditions, était heureux comme un poisson dans l’eau. Il a toujours eu une passion pour l’Afrique. Il y a une vingtaine d’années, il avait déjà eu l’occasion de passer trois séjours en République démocratique du Congo (ex Zaïre) pour travailler dans un hôpital confié par l’Ordre de Malte à la Communauté.

Néanmoins, au fil des ans, le Seigneur faisait son œuvre en moi. J’ai d’abord été interpellée par l’appel de notre responsable, à l’époque le Père Laurent Fabre, fondateur de la Communauté du Chemin neuf en 1973, adressé aux couples missionnaires. Ces couples seraient prêts à partir en mission lointaine pour annoncer et témoigner de la Bonne Nouvelle du salut en Christ. À l’époque, j’enseignais au séminaire et à l’Université catholique de Lille. Quant à mon mari, il se préparait à prendre sa retraite de médecin généraliste et allait progressivement se retirer de deux établissements pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) dont il fut pendant de longues années le médecin coordonnateur.

Sachant que j’allais bientôt faire les Exercices spirituels de saint Ignace, j’étais heureuse à l’idée que le Seigneur éclairerait ma route. Et effectivement, au Roucas à Marseille, en octobre 2013, j’entendis l’appel à renoncer à l’enseignement donné à Lille pour me rendre disponible pour la mission à l’étranger. Je comprenais aussi que j’avais à publier ma thèse en théologie soutenue quatre ans auparavant et dont je me contentais seulement de publier des articles. Je dois avouer que, sur ce chemin, le Seigneur m’a précédée, me faisant rencontrer les personnes qui m’ont aidée à franchir l’étape impressionnante pour moi de la publication : l’éditeur à solliciter et les conseils en vue de l’acceptation du document, comme par exemple le nombre de pages à ne pas dépasser ! J’en profite ici pour remercier le Père Joseph Famerée, p.s.c., qui participa à mon jury de thèse, pour son judicieux et précieux soutien. Convaincue désormais que c’était bien le Seigneur qui m’envoyait au Tchad, d’année en année, j’ai fini par m’adapter à la vie quotidienne locale. J’ai cherché à ignorer la chaleur (autour de 40 degrés) et me forçais à manger. C’était devenu moins difficile depuis que l’on cultivait de bonnes salades dans le potager de la maison communautaire et que l’on savourait, selon les saisons, d’excellentes mangues. Mais tout cela n’est en fait que secondaire. Si, au fil des ans, je me suis accoutumée au pays, c’est grâce aux Tchadiens qui ont le charisme de l’accueil de l’étranger, aux missions diverses et variées qui nous sont confiées, et surtout grâce à la vie communautaire.

Le Centre Gabriel Balet

C’est depuis 2006 que la Communauté du Chemin Neuf est implantée au Tchad. Elle avait été préalablement appelée par Mgr Vandame, alors archevêque de N’Djaména, pour animer des sessions pour couples, les sessions Cana, une semaine pour accueillir l’amour de Dieu et se laisser façonner en couple.

Puis elle fut appelée à Moundou, la seconde ville du Tchad au sud du pays, par Mgr Joachim Kouraleyou, l’évêque du lieu. Mgr Joachim proposa à la communauté de prendre en charge le Centre Gabriel Balet, la maison diocésaine d’accueil qui se trouve dans la brousse à une douzaine de kilomètres de la ville dans le village de Ku-Jéricho. Il lui confiait également la responsabilité médicale du Centre diocésain de lutte et de dépistage du sida (CDLS) qui se situe juste en face de la cathédrale.

Face à ses appels, des frères et sœurs de la communauté furent envoyés pour répondre aux besoins de la mission. C’est ainsi que, depuis 2011, mon mari et moi passons environ deux séjours de deux mois par an pour aider la communauté sur place. Luc travaille au CDLS avec d’autres médecins communautaires français ou africains qui se relaient. Cette mission est très importante. Le sida touche malheureusement tous les âges et toutes les couches de la population et il déstructure les familles. Quant à moi, je m’occupe surtout de formation. J’aide à la Mission Cana, et plus particulièrement à la formation des responsables de Fraternités Cana. J’enseigne au Cycle Samuel, une formation étalée sur deux ans, à raison de cinq semaines par an. J’accompagne des retraites, notamment les Exercices spirituels de saint Ignace, ce qui me donne de connaître un peu plus les Tchadiens dont la vie avec le Seigneur m’édifie souvent. Je donne également des cours de français. Toutes ces missions dans une culture qui n’est pas la nôtre, s’avèrent passionnantes. La mission auprès des couples est particulièrement intéressante. Après avoir vécu une session Cana, les couples peuvent continuer à cheminer en s’engageant dans les Fraternités Cana dont les piliers sont le partage, la prière et le pardon. Certains couples n’hésitent pas à marcher quinze kilomètres pour vivre ces rencontres mensuelles qui portent beaucoup de fruits. Les couples se mettent à prier ensemble, à prendre des décisions communes et à entrer dans une transparence de leurs ressources, ce qui leur permet d’améliorer leurs conditions de vie et de scolariser leurs enfants. À cela s’ajoute que la plupart du temps, les maris ne s’alcoolisent plus et, de ce fait, ne battent plus leur femme. Mais le premier fruit qu’il faut absolument mettre en avant, c’est le dialogue en couple. Je n’oublierai jamais, lors d’une formation en brousse sur ce thème auprès de quarante catéchistes et de leurs épouses, le premier témoignage entendu à la relecture en fin de journée : « Nous avons vingt-cinq ans de mariage, neuf enfants et nous n’avons jamais dialogué. Aujourd’hui, nous avons commencé et nous avons l’intention de continuer ».

La mission jeunes (14-18 ans et 18-30 ans) est tout aussi étonnante. Les jeunes sont motivés. Lorsqu’ils ont rencontré le Christ, ils dansent de joie pour le Seigneur et n’hésitent pas à témoigner de l’action de l’Esprit dans leur vie. Lors du dernier week-end national en avril 2017, trois cents jeunes venant de partout avaient rejoint le Centre Gabriel Balet. Dans toutes ces missions, quelles qu’elles soient, nous voyons le Seigneur à l’œuvre. Il pardonne, guérit, renouvelle d’une telle façon que nous ne pouvons que rendre grâce. Cela nous émerveille et nous pousse à nous donner chaque jour davantage à son service.

Il ne faut pas oublier que le Tchad a été évangélisé il y a à peine cent ans. C’est une Église « adolescente », pour reprendre le qualificatif du chargé d’affaires du Vatican en février dernier. Ses membres ont vraiment soif d’approfondir leur connaissance de la Parole de Dieu et de marcher à la suite du Christ. Ajoutons que c’est une Église qui discerne encore si ses coutumes et ses traditions locales sont en harmonie ou non avec l’Évangile. C’est le rapport entre foi et culture qui est ici en jeu et que l’évêque de Moundou évoque régulièrement dans le cadre de la formation du Cycle Samuel.

Ku-Jéricho

À Ku-Jéricho, la communauté ne fait pas qu’accomplir ses propres missions comme la Mission Cana ou la mission jeunes, elle assure son rôle de maison diocésaine. Nombreux sont les groupes qui viennent pour leur retraite annuelle, que ce soit l’évêque et son presbyterium, les supérieures majeures du Tchad, les jeunes de la DCC [1] ou bien d’autres encore. Pour les Exercices spirituels qu’elle donne trois fois par an, elle accueille des membres venant de tous lieux et de toutes confessions. Rappelons ici que la spécificité de la Communauté est d’être une communauté catholique à vocation œcuménique. C’est pourquoi elle accueille en son sein des membres d’autres confessions chrétiennes et n’hésite pas à leur donner des responsabilités importantes. Pour donner un exemple : pendant plusieurs années, c’est une sœur mennonite consacrée à vie au célibat qui fut responsable de l’Abbaye d’Hautecombe en France. Aujourd’hui, elle est membre de la commission « Foi et Constitution » au Conseil œcuménique des Églises à Genève. La question de l’unité est fondamentale dans la communauté dont les membres s’engagent pour cette cause, non seulement l’unité de l’Église, mais l’unité de la personne, l’unité des couples et des familles.

Une communauté qui essaime

Lors de notre premier séjour en 2011, nous avons eu la chance d’assister à l’engagement dans la Communauté du premier couple tchadien. Ce fut un moment fort de la vie communautaire à Ku-Jéricho. Depuis, une petite trentaine d’adultes et de jeunes se sont aussi engagés, vivant soit en fraternités de vie, soit en fraternités de quartier. Aujourd’hui, la communauté est également implantée à N’Djaména, à près de cinq cents kilomètres de Moundou, depuis que les membres de la Communauté apostolique Saint François-Xavier lui ont confié en 2014 la gestion du Centre Emmanuel. Ce centre qui existe de longue date s’occupe du soutien scolaire d’élèves du secondaire. Il accueille des chrétiens de toutes confessions et des musulmans. On peut dire aujourd’hui que la communauté au Tchad est bien fondée et a de bonnes racines. Mais elle ne regroupe pas uniquement des autochtones. Il y a trois ans, lors d’une formation portée par une petite dizaine de personnes, je remarquai que si l’on s’entretenait en français, j’étais la seule française. Il y avait des Africains de Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Bénin, du Congo Brazzaville, de la RDC, et des Européens venant d’Italie, de Pologne, de France, tous vivant la vie communautaire à Ku-Jéricho. Une vie rythmée par la prière, le travail, la mission et la vie fraternelle. L’office du matin est à 6h30, l’eucharistie est célébrée à midi et à 18h30, pour ceux qui le désirent, il y a adoration du Saint-Sacrement. Entretemps, chacun vaque à ses activités habituelles. Outre celles liées à la maison et à la mission, il y a depuis quelques années celles qui sont liées à la scolarisation des enfants du voisinage et au dispensaire mis en place dans la maison diocésaine.

Comment ne pas être interpellé par la vie de la population qui nous environne ? La majorité des enfants ne sont pas scolarisés et la mortalité infantile atteint des taux très élevés compte tenu des ravages du paludisme. Nous ne pouvions pas annoncer Jésus-Christ sans nous soucier des enfants qui mouraient à nos portes faute de soins. La foi chrétienne nous invitait à la solidarité humaine. Le Tchad est un pays très pauvre. C’est l’un des six pays les plus pauvres du monde. Actuellement, il traverse une grave crise économique et sociale puisqu’il est en faillite. Aussi, à Ku-Jéricho, la communauté a vite compris la nécessité de démarrer dans la maison diocésaine une classe de maternelle et un accueil médical journalier pour la population avoisinante. Puis, il y a trois ans, le besoin de créer un petit dispensaire s’est vite fait sentir. Mais le Seigneur nous appelait à aller plus loin encore. Aujourd’hui, grâce à des donateurs généreux, la communauté a pu acheter des terrains tout près du Centre Gabriel Balet et commencer à construire une école et un centre de santé. 230 enfants y sont scolarisés. Chaque année, une nouvelle classe voit le jour pour permettre aux élèves d’aller jusqu’au bout de leur parcours. Quant au centre de santé qui est en fin de construction et sera sans doute opérationnel vers la mi-septembre, il sera inauguré le 18 octobre, le jour de la fête du patron des soignants dont il portera le nom. Mon mari qui, avec d’autres, travaillait sur ce projet depuis quelques années, avait à cœur de le voir se concrétiser. On peut dire ici que le Seigneur a entendu nos prières, car les rencontres providentielles pour sa réalisation ont été nombreuses. Ce centre qui couvrira une zone de santé de 10.000 habitants comportera une consultation pour adultes avec une hospitalisation de jour, une unité mères / enfants avec une maternité, un petit laboratoire, et, plus tard, en fonction des dons, des consultations dentaires et ophtalmologiques.

Et maintenant

La communauté a également été interpellée par le chômage des jeunes qui sévit au Tchad. Ceux qui ont la chance d’avoir fait des études après le bac et qui sont diplômés obtiennent très difficilement un travail, d’autant plus qu’il y a beaucoup de corruption dans ce domaine. Ainsi, la communauté a reçu une cinquantaine de candidatures pour les postes d’infirmiers et de sages-femmes au futur centre de santé. Elle essaie donc, dans la mesure du possible, de fournir du travail aux jeunes qui nous entourent ou cheminent avec nous. C’est dans cet esprit et afin d’aider la population environnante à subvenir à ses besoins, qu’elle a lancé un projet agro-écologique de maraîchage associant bananeraie, culture de légumes, petit élevage et pisciculture.

Mon mari et moi sommes repartis là-bas le 3 septembre pour une période de trois mois. Nous sommes heureux à l’idée de retrouver bientôt nos frères et sœurs tchadiens et d’assumer de nouvelles missions. Luc se réjouit de travailler à la mise en route du tout nouveau centre de santé. Quant à moi, cette année, je vais enseigner au séminaire Saint Luc de Bakara, à trente kilomètres de N’Djaména. Après avoir fait leur philosophie à Sahr dans le sud du pays, les séminaristes viennent faire leurs quatre années de théologie près de la capitale. L’an dernier en décembre, j’avais eu la joie de leur faire une conférence sur l’œcuménisme. Ils étaient une cinquantaine à y assister. Je suis heureuse de pouvoir donner ce cours, car jusqu’ici, les relations entre les Églises sont très pauvres. Le prosélytisme des Églises évangéliques bien présentes pousse l’Église catholique au repli identitaire. Quant à l’Église luthérienne au Tchad, je n’ai pas encore eu l’occasion de la rencontrer. Je vais donc passer deux fois quinze jours dans la maison communautaire de N’Djaména. Ce qui m’inquiète un peu, c’est de devoir aller en voiture au séminaire ! J’avais jusqu’ici toujours refusé de conduire au Tchad. En brousse, les pistes sont défoncées, parfois presque impraticables, et à N’Djaména, la circulation grouille de motos qui vont dans tous les sens sans respect du code de la route. Ici encore, à la grâce de Dieu !

[1Délégation Catholique pour la Coopération.

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