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Santé mentale des groupes et autorité

Dominique Struyf

N°2017-3 Juillet 2017

| P. 59-72 |

Orientation

Pédopsychiatre, psychothérapeute, le Docteur Struyf intervient de longue date dans le parcours de séminaristes ou de religieux-ses aussi bien que de leurs formateurs ; elle est membre de l’AIEMPR (Association internationale d’études médico-psychologiques et religieuses) et poursuit de front sa pratique thérapeutique et son enseignement, ainsi que ses publications, dont « Les besoins psychiques de l’être humain » paru dans notre revue (Vs Cs 2007-1, 27-40).

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Depuis une dizaine d’années, de nombreuses demandes de formation et de supervision me parviennent de la part de supérieurs de communautés religieuses, concernant leur mission. J’ai déjà proposé, dans la Nouvelle Revue théologique [1], quelques pistes de réflexion sur la question.

Dans un premier temps, les demandes concernent souvent des individus particuliers, dont le comportement inquiète le supérieur et la communauté. Mais en tant que psychiatre systémicien, on a l’habitude d’envisager les difficultés d’un individu à l’intérieur de son contexte relationnel familial et de son groupe d’appartenance. La manière dont fonctionne un groupe a une grande influence sur la santé mentale des individus qui le composent. Inversement, le comportement problématique d’un individu provoque des réactions qui altèrent le fonctionnement du groupe et, en général, renforcent le problème initial. Nous présenterons, dans cet article, certains concepts-clés des théories systémiques qui peuvent aider à évaluer la santé d’un groupe. C’est que la mission d’un supérieur n’est pas seulement de veiller sur la santé mentale des individus dans sa communauté. Il est important qu’il ait des outils de formation pour réfléchir à la santé mentale de son groupe en tant que tel. La manière dont il exercera sa fonction d’autorité aura d’ailleurs une grande influence sur le fonctionnement sain ou problématique du groupe et de sa vie relationnelle.

Qu’est-ce que l’approche systémique ?

En psychiatrie, l’approche systémique a donné naissance aux thérapies familiales et aux thérapies institutionnelles. Elle reste une formation précieuse pour toute personne ayant la responsabilité d’un groupe, que ce soit une institution, une entreprise, ou une congrégation religieuse. L’approche systémique analyse l’ensemble du « système » auquel appartient l’individu, les interactions et les relations au sein de ce « système ». On appelle « système » un ensemble d’éléments en interaction, dont chacun participe à la finalité du dispositif [2].

L’approche systémique est née aux États-Unis vers 1920. Depuis lors, elle a développé une multitude de recherches, mis au point de nouvelles approches thérapeutiques et élaboré une série de concepts-clés extrêmement utiles pour la compréhension du fonctionnement des systèmes vivants. Les théories se sont développées parallèlement dans différents pays, différentes écoles, s’enrichissant l’une l’autre par leur créativité. Ces approches ne sont pas rivales ! Elles contribuent chacune à enrichir nos représentations du fonctionnement des systèmes vivants et elles stimulent notre inventivité thérapeutique.

De quelques concepts-clés utiles pour une communauté religieuse

Tout groupe humain ayant une identité propre et un but commun peut être analysé comme un système vivant ayant un fonctionnement spécifique et une manière particulière d’organiser ses relations. Un groupe peut tomber malade. Dans ce cas, en général, il se rigidifie dans son fonctionnement et perd sa créativité. Il faut alors chercher à revitaliser ses ressources propres. Car un groupe est un système relationnel vivant qui a une naissance, une croissance, une maturité, un temps de vieillissement et une mort. Et un groupe se transforme en traversant des crises qui permettent un changement positif et une évolution, si elles sont bien gérées. Les crises font partie de la vie de tout groupe. Elles sont nécessaires à l’évolution. Elles sont des moments de deuil et de renaissance, autrement. Elles ne sont pas forcément douloureuses. Elles sont nécessaires pour que le système reste vivant.

Ainsi, dans une communauté religieuse, chaque changement de personne, un départ, une arrivée, un changement de supérieur, devrait provoquer une « crise », c’est-à-dire, un travail relationnel qui permet de nouveaux ajustements des individus entre eux, au service de la finalité du groupe. Il y a de nouvelles relations à construire, de nouveaux rituels à mettre en place, des deuils à faire... Si ce travail ne se fait pas, si la crise est étouffée, si les nouveaux individus qui entrent dans le groupe sont « avalés » par lui sans que le travail relationnel ne se fasse, sans qu’ils puissent interpeller et questionner le système, le groupe risque de tomber malade en se rigidifiant.

Mais jusqu’où un groupe peut-il accepter d’être interpellé, bousculé par des demandes de changement, ou par de nouveaux membres, sans risquer de perdre son identité ? C’est là la difficulté de tout système vivant : évoluer sans perdre son identité propre. Évoluer pour permettre à chaque individu de trouver sa place, sans perdre de vue la mission commune et la finalité du groupe.

Dans les communautés monastiques, ces questions se posent souvent dès le noviciat. Notre société a beaucoup changé, les jeunes ont grandi dans un environnement très différent de celui d’il y a cent ans. La vie monastique doit-elle évoluer elle aussi pour s’adapter au fonctionnement de ces jeunes ? On sait comment les relations avec le monde extérieur ont été bouleversées par l’apparition d’internet et des téléphones portables. Comment réfléchir les effets de ces nouveaux outils de communication sur les relations dans la vie monastique ? Les frontières de la clôture sont devenues plus perméables. Est-ce au bénéfice ou au détriment de l’identité commune monastique ? Où mettre les limites ? Comment repenser les relations avec l’extérieur et leur influence sur les relations à l’intérieur de la communauté ? Je l’ai noté déjà, dans toute communauté, la manière dont le supérieur va exercer sa charge aura énormément d’influence sur la santé du groupe. La fonction de maître(sse) des novices également, de même que la relation qu’il ou elle aura avec le ou la supérieur(e).

Mais la communauté a elle aussi le pouvoir d’empêcher un supérieur d’exercer son autorité correctement. Pour comprendre cela, il est important de faire la distinction entre pouvoir et autorité. Dans une communauté, tout le monde a du pouvoir. Chaque individu a le choix de construire des relations d’alliance positive avec son supérieur et sa communauté, ou de briser les alliances, ou de faire des alliances avec certains membres contre d’autres, ou avec des personnes extérieures à la communauté contre le supérieur, etc. Par contre, l’autorité est une tâche, un travail particulier exercé par une personne pour que le groupe puisse accomplir au mieux sa mission. C’est une tâche difficile qui comporte beaucoup de pièges. Une tâche qui peut rendre malade, soi-même, et les autres. Il est donc essentiel qu’un supérieur ait des outils pour évaluer son propre fonctionnement et l’influence de ce fonctionnement sur le groupe.

*

Comment analyser le fonctionnement d’un groupe ? Il y a différentes manières de décrire un groupe. Nous allons le faire, dans un premier temps, à partir d’un triangle dynamique ; ensuite, en évoquant les frontières et la structure du groupe.

Le triangle dynamique

Il faut imaginer ce triangle en évolution permanente dans le temps. Les trois angles sont les trois pôles qui constituent l’identité du groupe : au sommet A, la finalité du groupe et ses valeurs, à la base, l’histoire du groupe d’une part (B), et son organisation d’autre part (C).

Expliquons-nous.

● La finalité du groupe et ses valeurs

Dans quel but le groupe s’est-il constitué ? Pourquoi est-il né ? Qu’est devenue sa mission actuellement ? En ce qui concerne la vie religieuse, la question se pose en termes de « mission » du groupe. Mais la mission de l’origine n’est peut-être plus la même aujourd’hui. Certaines congrégations ont été créées, par exemple, pour se consacrer à l’éducation et à l’enseignement. Aujourd’hui, la mission a changé, pour toutes sortes de raisons. Comment décrire ces changements ? Cela nous amène au deuxième pôle du triangle.

● L’histoire du groupe

Il est important de pointer, dans l’histoire, les mots-clés de la transformation de l’identité du groupe. Un changement de but, de mission, est un moment de crise très important : une mort et une refondation identitaire. Si le groupe ne se reformule pas à lui-même ces transformations et ne fait pas le travail de reconstruction des nouveaux buts qu’il se donne, l’identité du groupe s’affaiblit et le risque de « dépression » est grand. C’est le cas dans certaines communautés vieillissantes, où les frères ou les sœurs sont tous retraités de l’enseignement, par exemple, et n’ont pas fait le travail de se redonner ensemble de nouveaux buts communs, un nouveau sens, un nouveau souffle. Robert Neuburger parle du « mythe du groupe [3] » pour définir ce fondement identitaire : le mythe du groupe, selon la définition de cet auteur, est ce qui l’anime, l’esprit du groupe, les croyances et les désirs qui l’habitent, le sens et le but qu’il se donne, les valeurs sur lesquelles il s’appuie. Si ce mythe du groupe n’est pas retravaillé régulièrement, la vie du groupe s’étiole et on finit par ne plus comprendre le sens d’un vivre ensemble dans une communauté religieuse.

Les Constitutions, dans les congrégations religieuses, sont un outil très important pour le travail régulier du mythe fondateur : elle expriment l’identité du groupe lors de sa naissance, et au fil de son évolution. Les relations sont toujours difficiles dans un groupe et elles demandent un vrai travail de chacun pour que les personnes ne deviennent pas malades et rigides. Mais si le mythe du groupe, l’identité, le désir commun s’effondrent, les relations deviennent vite invivables et les individus se mettent à privilégier les relations à l’extérieur du groupe.

● L’organisation de la vie du groupe

Le troisième pôle concerne l’organisation de la vie du groupe, la répartition des responsabilités, la définition des relations, l’organisation des collaborations, la manière de fonctionner de l’autorité, etc. Ce troisième pôle découle bien sûr du premier : il est une mise en place concrète des moyens nécessaires pour atteindre le but que se donne le groupe. Il est nécessaire de réévaluer régulièrement le fonctionnement pour voir s’il aide vraiment à réaliser le but, s’il respecte les fondements et les valeurs que le groupe a choisis.

Le mythe d’une communauté religieuse doit toujours s’analyser sous deux aspects : la mission que le groupe se donne, au service de l’extérieur du groupe ; la vie communautaire et la qualité des relations au sein du groupe lui-même. Dans beaucoup de communautés religieuses, ce deuxième aspect pose problème et n’est pas suffisamment « parlé », sans doute faute d’outils pour analyser et dynamiser les relations lorsqu’elles deviennent difficiles.

Les frontières et la structure du groupe

Il est une autre manière d’analyser l’identité d’un groupe : à partir de ses frontières et de sa structure. Salvador Minuchin est le fondateur de l’approche structurale en thérapie familiale. Psychiatre d’origine argentine, il s’est installé à New York pour y travailler dans les milieux défavorisés [4]. C’est lui qui nous inspire à présent.

● La structure du groupe

Observer la structure d’un système, c’est observer les interactions caractéristiques entre les membres du groupe. Dans un groupe en bonne santé, les codes sont clairs, de même que les règles et les rituels. La souplesse des communications facilite les changements. Dans les groupes malades, les interactions se rigidifient suivant des schémas répétitifs. On peut dessiner la « carte » du groupe : repérer les relations conflictuelles, les relations fusionnelles, les alliances de deux ou trois personnes contre d’autres, les rivalités etc... Cette « carte » que l’on peut dessiner n’est pas le « territoire » du groupe. C’est une représentation du système qui peut aider le groupe à « métacommuniquer » sur son fonctionnement.

Ce dernier concept, la métacommunication, a été proposé en 1951 par Grégory Bateson [5] : il s’agit de communiquer sur la communication. Dans un groupe, il s’agit de parler ensemble de « comment les relations fonctionnent ou ne fonctionnent pas dans notre groupe ». Ainsi, dans une communauté religieuse féminine, comment s’organise la relation entre la supérieure et les sœurs ? Chacune prend-elle rendez-vous quand elle veut ? Les rendez-vous sont-ils prévus à l’avance une fois par mois de façon systématique ? Va-t-on frapper à la porte sans rendez-vous quand on en a besoin ? Et quel est le but de ces rencontres ? De quoi parle-t-on ? Du for externe seulement ou du for interne aussi bien que du for externe ? S’il est convenu que l’on ne parle que du for externe, qui met les limites si cela déborde, et comment ? Et où alors peut-on parler du for interne ?

Par exemple, si une jeune sœur dans une communauté cherche inconsciemment une relation privilégiée avec la supérieure en se confiant totalement à elle, les autres sœurs vont peut-être mal le vivre. Mais comment mettre les limites, s’il n’y a pas une représentation commune partagée avec tout le groupe, de ce que doit être la relation avec la supérieure ? Avoir une représentation commune et claire de ce que devrait être la relation permet de mettre plus facilement les limites sans blesser les autres.

Si tout le monde sait qu’il ne faut pas frapper à la porte de la supérieure, mais lui mettre un petit mot pour demander un entretien, cela sera plus facile ensuite d’interpeller, sans la blesser, la sœur qui frappe à la porte. Par contre, si la supérieure accepte d’être dérangée sans cesse et réagit dans l’énervement parce qu’elle est débordée, après quelques fois, les sœurs seront blessées et la limite mise semblera brutale et arbitraire. Cela deviendra un conflit, alors que des limites bien intégrées dans une représentation commune partagée des relations permettent d’éviter beaucoup de conflits. Cette métacommunication est essentielle à la bonne santé du groupe, sur d’autres plans encore. Lorsque le noviciat fait partie de la communauté, chacun doit avoir une représentation claire des relations : si je suis novice, de quoi est-ce que je parle avec la supérieure et de quoi avec la maîtresse des novices ? Comment vont-elles se parler de moi entre elles ? Quels sont les sujets qu’elles doivent aborder ensemble ? Avec moi ou sans moi ? Et le conseil, quelle est sa place par rapport à moi ? Plus les codes sont clairs, plus la communication est souple, plus la métacommunication est facile, plus le système sera en bonne santé. Si les codes ne sont pas clairs, les émotions débordent.

● Les frontières

Salvador Minuchin propose aussi de dessiner les frontières d’un groupe, celles qui le séparent du monde extérieur et celles qui séparent les sous-systèmes à l’intérieur du groupe. Reprenons l’exemple d’une communauté religieuse : les frontières qui séparent le groupe du monde extérieur peuvent être plus ou moins perméables.

On parlera de frontières rigides lorsque les échanges entre le monde extérieur et le groupe sont très pauvres. Le système est fermé et, à l’extrême, il peut devenir sectaire.

On parlera de frontières souples lorsque les frontières permettent des échanges riches avec l’extérieur tout en permettant une différenciation claire entre l’intérieur et l’extérieur, différenciation nécessaire à la construction de l’identité propre du groupe.

Si les frontières avec l’extérieur deviennent poreuses, l’identité du groupe devient fragile. Il n’y a plus de différenciation entre l’intérieur et l’extérieur. L’appartenance n’est plus très claire.

L’observation des frontières d’un groupe fait partie du troisième pôle de notre triangle, celui de l’organisation. Nous avons vu comment ce pôle était relié aux deux autres pôles, le sens et le but du groupe, ainsi que son histoire.

Prenons l’exemple d’une communauté nouvelle, qui commence à se structurer autour d’un fondateur animé d’un charisme et d’un idéal très fort. Un groupe très jeune a besoin de construire son identité en se différenciant nettement du monde extérieur, voire en s’opposant à lui. C’est peut-être pour cela que beaucoup de communautés nouvelles reprennent l’habit religieux traditionnel, alors que des congrégations plus anciennes l’ont abandonné.

Un groupe très jeune a besoin pour un temps d’une identité groupale forte, au détriment de l’identité individuelle. Les individus se fondent dans l’identité du groupe. Si cela perdure, ce phénomène, normal au début, va engendrer des pathologies de type sectaire, et/ou le départ des individus les plus structurés qui ont besoin de différenciation. Dans ce cas, le risque est que seules restent les personnes les plus fragiles ayant besoin du support identitaire du groupe pour exister. La personne qui exerce l’autorité n’a plus alors assez de personnes extérieures et intérieures au groupe pour l’interpeller dans son fonctionnement, et les dérives liées au pouvoir deviennent inévitables. Lors de la naissance d’un groupe, le fondateur doit avoir un pouvoir fort pour rassembler et motiver suffisamment de personnes autour de lui. Mais s’il garde ce pouvoir fort, sans se laisser très vite interpeller de l’intérieur et de l’extérieur par des tiers, il va générer de la pathologie dans le groupe qu’il a fondé. Prenons un autre exemple de frontières rigides, peut-être nécessaires pendant un temps de formation à la vie religieuse. Durant le temps du noviciat, dans la plupart des communautés religieuses, les limites qui séparent du monde extérieur sont beaucoup plus strictes. Cela me semble nécessaire et normal pour construire une appartenance forte. Il s’agit de se laisser structurer en vivant avec tout son être de nouvelles relations humaines et spirituelles. Ce temps est sans doute nécessaire lors du noviciat, mais ne peut se prolonger sans risque pour la santé mentale des individus.

Les frontières rigides sont aussi nécessaires pendant un temps, lorsque l’on tombe amoureux. Pendant le temps de la fondation du couple, les amoureux ont besoin de beaucoup d’intimité. Ils ont besoin de prendre distance avec le monde extérieur pour que leur relation devienne plus forte, plus profonde, plus intime que toutes les autres relations. C’est à ce prix que l’appartenance au groupe-couple peut se construire.

Mais revenons au temps du noviciat : un formateur me disait qu’il pensait qu’un travail de psychothérapie n’était pas possible pour un jeune durant le temps du noviciat. Il pensait que l’on ne pouvait pas en même temps entrer dans une nouvelle appartenance et en même temps prendre distance par rapport à celle-ci. Cette réflexion mérite toute notre attention et devrait être approfondie par les formateurs. On peut imaginer que le travail de psychothérapie pourrait se faire lors du postulat, s’il est nécessaire, ou plus tard dans la vie religieuse. Il est important qu’il se fasse dans un temps qui permet une grande liberté de remise en question, sans le stress d’une évaluation...

Un autre type de questions importantes liées aux frontières concerne les communautés ayant une mission importante à l’extérieur. Lorsque les individus appartenant à une communauté ont des relations plus riches à l’extérieur de la communauté qu’à l’intérieur, les frontières du groupe sont devenues poreuses, l’identité du groupe s’appauvrit et le sentiment d’appartenance aussi. L’appartenance au groupe ne structure plus les individus et le risque de pathologies ou de dérives comportementales augmente.

Ce problème existe aussi parfois dans les communautés vieillissantes. Quand l’identité groupale s’appauvrit, les valeurs communes ne structurent plus les individus. Il faut que ces valeurs se vivent dans la réalité relationnelle communautaire pour qu’elles aient un impact sur le fonctionnement des personnes. Ce qui se vit à l’extérieur ne suffit pas, au contraire. S’il y a un clivage entre l’extérieur et l’intérieur du groupe sur le plan de l’incarnation des valeurs dans les relations, les risques de dérives et de ruptures sont très importants. Par exemple, l’on peut être très attentionné pour les personnes extérieures, mais indifférent aux personnes avec qui l’on vit.

Tout ceci nous ramène à l’importance de la fonction du supérieur, comme capitaine du navire. Sa vigilance est essentielle au maintien de la santé du groupe en tant que groupe. Il doit être capable d’évaluer, avec l’aide de tiers, son propre fonctionnement et le fonctionnement du groupe. Dans la vie monastique, c’est la fonction d’une visite régulière par quelqu’un d’extérieur dont la mission est d’évaluer le fonctionnement du groupe. Une telle visite donne l’occasion d’une mise au travail de toute la communauté avec l’aide du supérieur, pour métacommuniquer sur le fonctionnement du groupe.

*

En résumé, de même que la vie de famille, la vie communautaire religieuse ne va pas de soi. La santé d’un groupe demande un vrai travail à chacun de ses membres, pour que les relations soient saines et vivantes. Les théories systémiques apportent un éclairage qui permet d’analyser une difficulté et d’imaginer des pistes pour avancer. Un groupe tombe malade lorsqu’il se rigidifie. Le rôle d’un supérieur, avec l’aide d’un tiers extérieur, est de construire une représentation commune du problème, en communauté, et de stimuler la créativité de chacun à la recherche de nouveaux chemins de vie.

[1D. Struyf, « Comment, pour un supérieur religieux, prendre soin de sa communauté ? », Nouvelle Revue Théologique 129/3 (2007), p. 419-434.

[2A. Yatchinovsky, L’approche systémique, Issy-les-Moulineaux, E.S.F., 2000, chap. 1, p. 13.

[3R. Neuburger, Le mythe familial, Issy-les-Moulineaux, E.S.F., 2005, chap. 3.

[4M. Meynckens-Fourez, M.-C. Henriquet-Duhamel, Dans le dédale des thérapies familiales, Ramonville Sainte-Agne, Erès, 2005, chap. 3.

[5M. Elkaïm, J.-J. Wittezaele, T. Garcia, Panorama des thérapies familiales, l’approche clinique de Palo Alto, Paris, Seuil, 1995, p. 173-213.

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