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Prier les psaumes avec Jean-Paul II

Lambert Malungu, s.d.b.

N°2017-2 Avril 2017

| P. 19-32 |

Orientation

Le Père Lambert Malungu, salésien de don Bosco, est directeur de la communauté du Theologicum Saint François de Sales de Lumbumbashi (RDC) où il enseigne l’Écriture sainte, après sa licence en exégèse à l’Institut biblique pontifical de Rome.

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Parcourir de A à Z, avec des étudiants en théologie, la catéchèse de Jean-Paul II sur les psaumes et cantiques inclus dans la prière matinale des Laudes [1], m’a fait redécouvrir la pertinence et la profondeur d’une réflexion catéchétique sur l’usage récurrent de ces belles prières présentes dans chaque célébration liturgique et dans l’Office divin des prêtres, des religieux et de tout le peuple de Dieu. Je voudrais, dans les pages qui suivent, communiquer quelques-unes des pensées qui m’habitent, après ces expériences de lecture. Il s’agit d’inviter nos communautés religieuses et chrétiennes à l’engagement dans la catéchèse psalmique. En effet, les religieux étudiants et les fidèles que je côtoie sont assoiffés de prière et cherchent des supports [2] pour un langage cultuel qui réponde aux différentes préoccupations de l’homme et de la femme contemporains. Le psautier devrait constituer pour eux un excellent répertoire, riche en différentes intentions de prière. Mais l’utiliser à bon escient requiert une formation catéchétique et biblique, si on veut l’employer dans une perspective profondément chrétienne et évangélique.

Telle est, à mon avis, la visée théologique du saint Pape dans ces magnifiques méditations. Ici, le premier catéchète de l’Église nous introduit à la dynamique liturgique chrétienne des psaumes en nous « faisant retrouver la source inépuisable de toute prière [3] » : la Bible, qui semble être négligée ou trop peu exploitée dans la prière à l’heure actuelle. À ce propos, il suffit seulement de voir comment on prie, aujourd’hui, dans les églises de la République démocratique du Congo. Voulant être originaux, la plupart des chrétiens désirent parler à Dieu sans référence à la Bible. Mais quel est le contenu de ce genre de prière ? Prier les psaumes avec Jean-Paul II s’inscrit pertinemment dans la perspective d’une catéchèse biblique qui donne d’apprécier les psaumes comme prière authentique du disciple du Christ et de son Église. Car le Christ lui-même a utilisé le psautier comme son livre de prière. Des lamentations à la louange, les psaumes traduisent au mieux les états d’âme du priant face aux vicissitudes de la vie.

Dans son commentaire, le Pape étudie systématiquement 56 psaumes et 28 cantiques de l’Ancien Testament des quatre semaines du Temps ordinaire en donnant à chaque psaume et à chaque cantique un titre simple, qui facilite leur compréhension. Pour ne prendre que l’exemple des psaumes des Laudes du dimanche I [4], le psaume 62 (63) est intitulé « L’âme qui a soif du Seigneur », le Cantique des trois enfants de Dn 3, « Que toute créature loue le Seigneur », et le Psaume 149, « La fête des amis de Dieu ». On sait que la problématique sur les titres des psaumes a constitué un dossier particulier dans les recherches scientifiques des exégètes [5]. En effet, ces tituli représentent, selon la tradition latine, l’un des éléments qui contribuent à une meilleure intelligence des psaumes [6].

Pour comprendre la pertinence du commentaire catéchétique de Jean-Paul II, tentons de faire le point sur l’état de la recherche exégétique sur les psaumes. Résumons les grands domaines de l’étude critique des psaumes depuis le début du XXe siècle. En fait, on trouve des commentaires suivis, des études sur l’état de la question, sur l’organisation littéraire et la formation du psautier, sur le psautier et les écrits de Qumrân, les genres littéraires du psautier, les titres des psaumes, les psaumes de vengeance et de malédiction, les psaumes et le culte, les psaumes et la sagesse, sur le psautier en général et, enfin, sur la lecture et la prière chrétienne des psaumes. Le travail de Jean-Paul II s’inscrit dans cette dernière classification. Comme le dit M. Mannanti [7], Jean-Paul II veut montrer que « le psautier est un livre de prière, c’est là son originalité par rapport aux autres livres de la Bible ». Mais comment entrer dans ces textes qui reflètent des mentalités, des institutions, des usages, des croyances qui ne sont plus les nôtres ? Dans sa catéchèse des psaumes et cantiques proposés pour les Laudes matinales, Jean-Paul II nous donne les clefs de lecture qui permettent de pénétrer « l’étrangeté culturelle » de ces prières.

Les Psaumes, prière d’Israël, prière des chrétiens

Le Souverain Pontife se propose dans sa catéchèse de faire apparaître la signification religieuse des psaumes en montrant « que, bien qu’ils aient été écrits il y a longtemps pour les croyants juifs, ils peuvent être assumés dans la prière du disciple du Christ ». C’est aussi dans cette ligne que les exégètes de « l’École d’Amsterdam » étudient les psaumes, en mettant l’accent sur le contenu religieux de ces textes destinés à transformer les lecteurs, à la lumière de la tradition biblique [8]. Concrètement, le Pape aborde la question de la « lisibilité du psautier [9] » pour le chrétien de notre temps. Avec précision, il répond dans ces catéchèses aux interrogations suivantes : le langage du psautier est-il compréhensible pour le chrétien de notre époque ? En dépit de la distance temporelle et culturelle, le chrétien comprend-il les psaumes quand il les prie ? C’est également le même questionnement que soulevait André Rose, expert au Concilium romain pour la liturgie, dans son livre intitulé Les psaumes, voix du Christ et de l’Église : « Le fidèle moyen des assemblées chrétiennes saisit-il la signification profonde de ces psaumes ? [10] ».

Cette interrogation me rappelle une réalité vécue. Quand j’étais étudiant en deuxième année de théologie, j’avais passé les vacances dans un poste de mission et là, chaque jour après la prière des Laudes ou des Vêpres, un vieux confrère me disait que les psaumes ne sont pas des prières chrétiennes. Pour lui, ce sont des prières adaptées uniquement aux Juifs [11]. À cette époque j’étais à court d’arguments pour faire face à de tels propos. Aujourd’hui, on trouve dans la catéchèse de saint Jean-Paul II des réponses consistantes et édifiantes aux préoccupations de mon très cher vieux confrère, préoccupations que partagent certains étudiants d’aujourd’hui.

La grande « clef » de lecture des Psaumes

Notre lecture cherchera surtout à faire apparaître la signification religieuse des Psaumes, en montrant comment ceux-ci, bien qu’ayant été écrits il y a de nombreux siècles par des croyants juifs, peuvent être utilisés dans la prière des disciples du Christ. Nous serons aidés en cela par les conclusions de l’exégèse, mais, dans le même temps, nous nous mettrons à l’écoute de la Tradition, en particulier nous nous placerons à l’écoute des Pères de l’Église.Ces derniers, en effet, avec une profonde pénétration spirituelle, ont su discerner et indiquer la grande « clef » de lecture des Psaumes dans le Christ lui-même, dans la plénitude de son mystère. Les Pères en étaient tout à fait convaincus : dans les Psaumes, il est question du Christ. En effet, Jésus ressuscité applique à lui-même les Psaumes lorsqu’il dit à ses disciples : « Il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes » (Lc 24, 44). Les Pères ajoutent que dans les Psaumes, on parle au Christ, ou que c’est le Christ lui-même qui parle. En affirmant cela, ils ne pensaient pas seulement à la personne individuelle de Jésus, mais au Christus totus, à tout le Christ, formé par le Christ tête et par ses membres.C’est ainsi que naît, pour le chrétien, la possibilité de lire le Psautier à la lumière de tout le mystère du Christ. C’est précisément cette optique qui en fait également apparaître la dimension ecclésiale, qui est particulièrement mise en évidence par le chant choral des Psaumes. On comprend ainsi comment les Psaumes ont pu être utilisés, dès les premiers siècles, comme prière du Peuple de Dieu. [12].

Ainsi, l’appréhension et l’intériorisation [13] des psaumes supposent pour les chrétiens en général et pour les religieux en particulier, une formation catéchétique adéquate, pour qu’ils puissent les goûter comme prière personnelle [14], communautaire et ecclésiale [15]. Voilà pourquoi, le Pape s’efforce de mettre en évidence la signification religieuse de ces prières d’Israël pour les chrétiens d’aujourd’hui, en dépit de la problématique de la distanciation temporelle et culturelle [16] qu’elles suscitent. Mais en même temps, il montre leur spécificité chrétienne en mettant en relief leur aspect christologique, pneumatologique, ecclésial et sacerdotal. Pour ce faire, il se base sur les résultats de l’exégèse, se met à l’école de la Tradition de l’Église et à l’écoute des Pères. Jean-Paul II, dans sa méthodologie, établit ainsi une alliance très forte entre la catéchèse et l’exégèse de l’Écriture, la Tradition et les Pères de l’Église. Une catéchèse crédible ne peut se passer de ces trois sources. Nous voulons en dégager une nouvelle motivation pour les pasteurs d’aujourd’hui.

Les sources de la catéchèse

Lisant attentivement l’ouvrage, nous avons découvert certaines dimensions de la catéchèse en harmonie avec le principe traditionnel d’une triple fidélité : la catéchèse doit être fidèle à Dieu, à la personne humaine et à l’Église [17]. Cette triple fidélité se concrétise par l’utilisation des sources où l’on peut « puiser le contenu authentique de la catéchèse [18] ». Les voici.

● La Sainte Écriture

Il y a d’abord le caractère absolument central de la Sainte Écriture, en son approche canonique puisque le Pape explique les psaumes et cantiques des Laudes en partant du « cadre explicite de la foi : la Bible dans son ensemble [19] ». Ainsi, la Bible est « “l’âme” et le livre de la catéchèse, le livre par excellence de la catéchèse. Elle est donc beaucoup plus qu’un outil [20] ». Elle est en définitive le cadre de référence pour toute catéchèse qui se respecte. La Commission Biblique Pontificale l’affirmait déjà avec force : « L’Écriture Sainte fournit le point de départ, le fondement et la norme de l’enseignement catéchétique [21] ».

Parfois, certaines catéchèses contemporaines sont pauvres en contenu biblique. C’est un grand danger pour la foi. C’était déjà la question de saint Paul dans la lettre aux Romains : d’où vient la foi ? Sûrement, elle vient de ce qu’on entend (Rm 10,17). Et qu’est-ce que l’on entend ? La réponse est claire : la parole de Dieu. Effectivement, la foi vient de l’écoute de la Parole. Elle se nourrit et grandit par elle. Benoît XVI l’affirme sans ambages en citant le Directoire général pour la catéchèse dans Verbum Domini :

La catéchèse doit s’imprégner et se pénétrer de la pensée de l’esprit et des attitudes bibliques et évangéliques par un contact assidu avec les textes eux-mêmes ; ce qui veut aussi rappeler que la catéchèse sera d’autant plus riche et efficace qu’elle lira les textes avec l’intelligence et le cœur de l’Église et qu’elle s’inspirera de la réflexion et de la vie deux fois millénaires de l’Église.

À ce sujet, dans son premier volume sur Jésus de Nazareth, Benoît XVI a montré que « l’exégèse canonique est une dimension essentielle de l’interprétation, qui n’est pas en contradiction avec la méthode historico-critique, mais la prolonge organiquement et la transforme en théologie proprement dite [22] ». Cette approche est utile pour aboutir à une actualisation de l’Écriture pour notre temps [23]. Saint Jean-Paul II renouait donc avec le principe herméneutique rabbinique et patristique selon lequel c’est l’Écriture qui interprète l’Écriture.

● La Tradition de l’Église

Dans son ouvrage, Jean-Paul II s’est beaucoup inspiré de commentaires des Pères de l’Église. Nous savons que ces derniers ont lu et interprété les psaumes en contexte ecclésial. Par tradition de l’Église, on entend « l’osmose entre Bible et vie de l’Église [24] », ce qui est fondamental pour la catéchèse. Benoît XVI le démontre avec éloquence quand il écrit :

L’activité catéchétique implique de rapprocher toujours les Écritures de la foi et de la tradition de l’Église, de sorte que ces paroles soient perçues comme vivantes, tout comme le Christ est vivant aujourd’hui, là où deux ou trois se réunissent en son nom (Mt 18, 20). Elle doit communiquer de façon vitale l’histoire du salut et les contenus de la foi de l’Église, afin que tout fidèle reconnaisse que son contexte personnel de vie appartient aussi à cette histoire.
Nous ne pouvons jamais lire l’Écriture seuls. Nous trouvons trop de portes fermées et nous glissons facilement dans l’erreur. La Bible a été écrite par le Peuple de Dieu et pour le Peuple de Dieu, sous l’inspiration de l’Esprit Saint. Ce n’est que dans cette communion avec le Peuple de Dieu que nous pouvons réellement entrer avec le « nous » au centre de la vérité que Dieu lui-même veut nous dire. Pour lui [saint Jérôme], une interprétation authentique de la Bible devait toujours être en harmonieuse concordance avec la foi de l’Église catholique. Il ne s’agit pas d’une exigence imposée à ce Livre de l’extérieur ; le Livre est précisément la voix du Peuple de Dieu en pèlerinage et ce n’est que dans la foi de ce Peuple que nous sommes, pour ainsi dire, dans la juste tonalité pour comprendre l’Écriture Sainte.

● Les Pères de toute l’Église

Jean-Paul II se réfère donc sans cesse aux Pères de l’Église d’Orient autant que de l’Occident, ce qui nous fait comprendre leur place incontournable dans l’étude de la théologie. Dans cette perspective, nous comprenons également pourquoi le jésuite parisien Bertrand de Margerie écrivait : « L’Église catholique fut, est et sera toujours l’Église des Pères, l’Église qui exalte ces témoins du Christ pendant le premier millénaire de son règne sur le monde. C’est en eux, dans leurs écrits, qu’elle a puisé et puisera toujours le témoignage qu’elle rend au Christ Seigneur [25] ». En son temps, saint Augustin définissait les Pères de l’Église comme « des commentateurs de l’Écriture », divinorum librorum tractatores [26]. Par la référence récurrente aux Pères, le Pape Jean-Paul II veut montrer tout simplement que la catéchèse aujourd’hui peut beaucoup s’alimenter à la leur [27], y trouver des richesses insoupçonnées, puisque les bases ont été jetées par eux [28]. « Ces derniers, en effet, avec une profonde pénétration spirituelle, ont su discerner et indiquer la grande “clef” de lecture des Psaumes dans le Christ lui-même, dans la plénitude de son mystère. Les Pères en étaient tout à fait convaincus : dans les Psaumes, il est question du Christ [29] ».

● La liturgie

Faire de la catéchèse signifie aussi valoriser la liturgie. Il n’est pas difficile de percevoir la relation entre les deux domaines. La catéchèse se comprend et s’explique au nom de sa tâche essentielle d’éducation et de maturation de la foi [30]. Jean-Paul II recourt à deux sortes de liturgie, à savoir la liturgie romaine et la liturgie byzantine. C’est une invitation à considérer la liturgie comme un « un excellent locus theologicus [31] » de l’interprétation des psaumes. En effet, ceux-ci se sont formés dans des contextes rituels, leur milieu de vie par excellence. Celui qui veut comprendre les psaumes doit donc chercher également à les resituer dans leur milieu originel. C’est en définitive dans ce contexte de l’histoire de la liturgie que l’on peut le mieux les comprendre [32], donc, mieux les utiliser. Voilà pourquoi le Père André Rose montrait que c’est dans la liturgie que les psaumes sont devenus la prière de l’Église chrétienne [33]. Aujourd’hui plus que jamais une étude en profondeur des psaumes ne peut se passer de cette référence liturgique aux traditions orientale aussi bien qu’occidentale.

● La spiritualité

Jean-Paul II évoque également dans son commentaire de grandes figures, tant catholiques que protestantes, de l’histoire de la spiritualité : sainte Thérèse d’Avila, saint François d’Assise, saint Damien, sainte Faustine Kowalska, mais aussi Pascal, Dietrich Bonhoeffer, etc. En effet, comme le rappellera plus tard Benoît XVI,

l’interprétation de la Sainte Écriture demeurerait incomplète si l’on ne se mettait pas à l’écoute de ceux qui ont véritablement vécu la Parole de Dieu, c’est-à-dire les saints. De fait, “ viva lectio est vita bonorum”. En effet, l’interprétation la plus profonde de l’Écriture vient proprement de ceux qui se sont laissés modeler par la Parole de Dieu, à travers son écoute, sa lecture et sa méditation assidue.

Cela signifie en définitive que « celui qui désire s’ouvrir à une spiritualité chrétienne se doit d’entrer en travail de lecture des Écritures. Aux premiers temps de l’Église et aujourd’hui encore dans certaines communautés, cette démarche est aussi naturelle que la respiration [34] ». Cette référence aux grandes figures de la spiritualité rend la catéchèse de Jean Paul II concrète, proche de la vie de tous les jours et lui donne un aspect œcuménique. Chacun peut s’y retrouver. N’oublions pas que la critique apportée à l’encontre de plusieurs catéchismes traditionnels était leur aspect abstrait [35].

De la signification religieuse des psaumes

La prière des psaumes n’est donc pas une prière dépassée mais actuelle [36] et efficace, car elle se sert des paroles mêmes dont le Seigneur Jésus se servait pour louer et prier son Père [37], et l’Église doit se distinguer toujours dans « l’art de la prière en l’apprenant des lèvres mêmes du Divin Maître [38] ». Plusieurs dimensions de la prière psalmique sont heureusement mises en évidence par le Pape :

  • La dimension christologique : Jésus ressuscité s’est appliqué les psaumes à lui-même : « Il fallait que s’accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes » (Lc 22,44). Ceci revient à dire que dans les psaumes, on parle, d’une part au Christ et d’autre part du Christ.
  • La dimension ecclésiale : cette dimension est mise particulièrement en évidence par le chant choral des psaumes. Le Pape souligne le mérite louable des moines de tenir haut le flambeau du psautier dans l’Église. Car pour les moines, les psaumes sont la première manière de faire une expérience de prière vraiment profonde et ecclésiale.
  • La dimension pneumatologique : d’après Jean-Paul II, lorsque les chrétiens chantent les psaumes, ils font l’expérience d’une sorte d’harmonie entre l’Esprit présent dans les Écritures et l’Esprit qui demeure en eux par la grâce baptismale. Ainsi par les psaumes, l’Esprit du Seigneur pousse les croyants à s’unir à l’invocation caractéristique de Jésus : « Abba, Père ! » (Mc 14,36 ; cf. Rm 8,15 ; Ga 4,6).
  • La dimension sacerdotale : c’est le point d’ancrage du Pape Jean-Paul II. Cette dimension se perçoit dans l’action sacerdotale que le Christ exerce dans cette prière en associant à lui l’Église, son Épouse. En se référant à la Liturgie des heures, le concile Vatican II enseigne que

« le souverain Prêtre de la nouvelle et éternelle Alliance, le Christ Jésus [...] s’adjoint toute la communauté des hommes et se l’associe dans ce divin cantique de louange. En effet, il continue à exercer cette fonction sacerdotale par son Église elle-même qui, non seulement par la célébration de l’Eucharistie mais aussi par d’autres moyens, et surtout par l’accomplissement de l’Office divin, loue sans cesse le Seigneur et intercède pour le salut du monde entier ».

La liturgie des heures a donc un caractère public impliquant l’Église d’une manière particulière [39].

  • La dimension anthropologique : les psaumes touchent tous les aspects de la vie humaine. En priant avec les psaumes, l’homme se découvre tel qu’il est, avec ses angoisses, ses joies et peines, ses espérances et ses péchés.
  • La dimension eschatologique : le chrétien en priant les psaumes, rend manifeste le mystère pascal du Christ en communion avec le Père et il se plonge dans une perspective eschatologique.
  • La valeur théologique de la doxologie : enfin, dans son analyse des psaumes, le Pape met en relief la doxologie trinitaire à la fin de chaque psaume. Cette doxologie couronne les psaumes, procurant continuellement une nouvelle immersion, dans l’océan de vie et de paix où le fidèle a été plongé au baptême : dans le mystère du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. C’est là une caractéristique essentiellement chrétienne.

Proposition pour les pasteurs d’aujourd’hui

Essayons maintenant de préciser en quoi le commentaire des psaumes de Jean-Paul II constitue une proposition innovatrice pour la catéchèse des pasteurs d’aujourd’hui. Selon Jean Daniélou, « la catéchèse est la transmission vive du dépôt de la foi aux nouveaux membres de l’Église [40] ». Pour le même auteur, la catéchèse constitue un aspect particulier de l’exercice du Magistère de l’Église [41]. Raison pour laquelle il ne faut pas la considérer comme accessoire et moins encore comme secondaire. Elle est réellement proclamation de la Parole de Dieu et, comme telle, fait partie intégrante de la tradition dont elle est un élément constitutif [42]. Eu égard à ce qui précède, l’on comprend pourquoi beaucoup de Pères de l’Église ont consacré leur temps à cet enseignement. Et du reste, presque tous étaient de grands théologiens.

La proposition à faire aux pasteurs au sein de l’Église contemporaine, selon moi, reste celle donnée par le Pape Benoît XVI lors de sa catéchèse sur saint Ambroise :

Le théologien n’est pas un professionnel quelconque spécialisé dans le domaine de ses connaissances. Il est disciple qui, à travers son activité se fait éducateur à la fois par son enseignement et par son témoignage.

Il nous faut appliquer cette réflexion aux pasteurs que nous sommes aujourd’hui. En définitive, l’enseignement de la catéchèse, tel que les Papes le donnent lors des audiences hebdomadaires du mercredi, nous montre qu’il faut abandonner l’idée selon laquelle la catéchèse est l’affaire de ce qu’on appelle traditionnellement les catéchistes [43]. En réalité, elle est d’abord l’affaire de ceux qui ont reçu le ministère d’enseignement.

*

Prier les psaumes avec Jean-Paul II constitue donc un vrai plaidoyer pour la catéchèse des psaumes, en raison de ce qu’ils recèlent d’intelligibilité, quand on prend la peine de les méditer pour les intérioriser. Souvent, ces prières posent problème dans le chef de certains religieux et d’autres chrétiens qui les pratiquent matin, midi et soir. Il est donc urgent de faire un travail de vulgarisation dans nos lieux de prière pour que, nous-mêmes imprégnés de leur sens chrétien et évangélique, nous puissions les utiliser sans tiraillement psychologique [44], comme le Christ lui-même les a utilisés pour louer son Père, aussi bien que dans ses enseignements [45]. Certainement, la catéchèse pontificale ainsi partagée peut favoriser une lecture renouvelée des psaumes et cantiques de la Liturgie des heures chez un chrétien de bonne volonté, soucieux de structurer et d’approfondir sa prière. Par ailleurs, chez ceux qui disposent d’un certain bagage théologique, cette catéchèse suscitera un vif intérêt et bien de la joie. Prier les psaumes avec Jean-Paul II est donc une excellente porte d’entrée pour tous dans la spiritualité des psaumes.

[1Jean-Paul II, Prier les psaumes avec Jean-Paul II, Paris, Bayard, 2003.

[2Les psaumes nous aident à trouver des mots qui collent aux sentiments qui nous animent. Voir É. Charpentier, Pour lire l’Ancien Testament, Paris, Cerf, 1981, p. 94 : « Tous nos cris d’hommes, le chant d’admiration devant la nature ou l’amour humain, l’angoisse face à la souffrance et à la mort, l’écrasement de la société, la révolte devant l’absurdité du monde ou le silence de Dieu, tous ces cris d’hommes – les nôtres –, nous les trouvons ici, offerts à notre voix comme Paroles de Dieu. Ils nous apprennent ainsi que même au plus noir de nos révoltes, Dieu est présent et crie avec nous, par nous, que la louange ou le blasphème peuvent être prière, s’ils sont vrais, s’ils expriment ce que nous vivons ».

[3C’est l’indication du verso de la couverture du livre.

[4Le tableau complet présentant tous les titres des psaumes et cantiques étudiés dans le commentaire de Jean-Paul II figure dans l’ouvrage que nous commentons, p. 8-13.

[5Voir G. Dorival, « Autour des titres des psaumes », dans Recherches de Science Religieuse 73-2 (1999), p. 165-176. Voir également A. Rose, Les psaumes, voix du Christ et de l’Église, Paris, Lethielleux, 1981, p. 213-215.

[6Cf. Commission Internationale Francophone pour les Traductions et la Liturgie, Livre des heures : Prière du temps présent, Cerf-Desclée de Brouwer-Mame, Paris, 2007, Présentation [49] n° 110.

[7Dans Pour prier avec les psaumes, dans Cahiers Évangile 13 (octobre 1975), p. 6

[8Voir surtout N.-H. Ridderbos, Die Psalmen, BZAW, 117, Berlin, 1972. Ces auteurs sont influencés par Martin Buber et Franz Rozenzweig.

[9Pour l’expression « lisibilité des psaumes », nous sommes tributaire de A. Rose, op. cit., p. 9.

[10Ibidem.

[11La réaction de mon vieux confrère me fait penser à la question d’un participant à une session biblique qui demandait à L. Deiss : « Pourquoi retourner dans les ombres de l’Ancien Testament alors que nous marchons dans la clarté de l’Évangile ? » : L. Deiss, La prière chrétienne des psaumes, Paris, Desclée de Brouwer, 2001, p. 69. À ce propos, on peut voir L. Leijssen, « Foreword », dans Questions Liturgiques 71 (1990), p. 156, qui donne une bonne synthèse expliquant les psaumes comme prière d’Israël. Il commence par montrer que les psaumes sont des prières d’abord pour l’humanité, ensuite pour Israël et enfin, prière de l’Église.

[12Jean-Paul II, Les psaumes dans la Tradition de l’Église, Audience générale du 28 mars 2001

[13Voir A. Knockaert, « Intérioriser les psaumes », dans Lumen vitae 38 (1983), p. 52.

[14Jean-Paul II, op. cit., p. 18.

[15J. Vermeylen, Dix clés pour ouvrir la Bible, Paris, Cerf, 1998, p. 7.

[16Dans son article, « L’homme des psaumes », in Lumière et Vie 202 (1991), p. 123, D. Motte le dit clairement : « Notre société et notre conception de l’homme sont bien loin de celles du psautier ». Plus loin, il emploie l’expression d’« étrangeté culturelle » du langage ou du contenu des psaumes. Pour percer cette réalité, il propose quelques clefs, ibidem, p. 130.

[17Cf. E. Alberich et al., Les fondamentaux de la catéchèse, Bruxelles, Lumen Vitae, 2006, p. 142.

[18Ibidem.

[19http://www.portstnicolas.org/article110 (page consultée le 02/08/2016).

[20E. Alberich et al., op. cit., p. 142.

[21Cité par E. Alberich et al., op. cit., p. 142.

[22J. Ratzinger, Jésus de Nazareth. 1. Du Baptême dans le Jourdain à la Transfiguration, Paris, Flammarion, 2007, p. 15.

[23Ibidem, p. 14.

[24R. Spataro, « Benoît XVI et ses catéchèses sur les Pères de l’Église. Propositions pour les théologiens », dans Salesianum 77 (2015), p. 548.

[25B. de Margerie, Le Christ des Pères, Paris, Cerf, 2000, p. 7.

[26R. Spataro, art. cit, p. 548.

[27J. Daniélou, R. du Charlat, La catechesi nei premi secoli, Torino-Leumann, Elle Di Ci, 1969, p. 7 (traduction de La catéchèse aux premiers siècles, Paris, Fayard-Mame, 1968).

[28P. Beartick, Introduction aux Pères de l’Église, Vicence, ST Gaétan, 20062, p. 342.

[29Benoît XVI, Audience générale du mercredi 28 mars 2001. Voir également une autre raison donnée par R. Spataro, art. cit., p. 545.

[30E. Alberich et al., op. cit., p. 314.

[31R. Spataro, art. cit., p. 549.

[32Cf. L. Leijssen, art. cit., p. 154.

[33A. Rose, op. cit., p. 222.

[34J. Vermeylen, op. cit., p. 13.

[35E. Alberich et al., op. cit., p. 340.

[36À ce propos, André Chouraqui écrivait magnifiquement : « Nous naissons avec ce livre aux entrailles » ; cité par D. Motte, art. cit., p. 123.

[37Voir sur cette thématique M. Gourgues, « Les psaumes et Jésus. Jésus et les psaumes », dans Cahiers Évangile 25 (septembre 1978).

[38Cf. Novo millenio ineunte, 32.

[39Jean-Paul II, op. cit., p. 23.

[40J. Daniélou, R. du Charlat, op. cit., p. 7.

[41Cf. Ibidem.

[42Cf. Ibidem.

[43Voir E. Alberich et Al., op. cit., p. 203.

[44Les chrétiens se trouvent toujours en difficulté avec les psaumes d’imprécation ; par exemple les Ps 57, 82 et 108.

[45Voir à ce sujet le livre de L. Monloubou, L’âme des psalmistes ou la spiritualité du psautier, Paris, Cerf, 1968, p. 149.

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