Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

L’identité de la vie consacrée au Cameroun

Angèle Makiang, s.m.r.a.y.

N°2017-2 Avril 2017

| P. 9-18 |

Kairos

Sœur Angèle Makiang, des Sœurs de Marie Reine des Apôtres de Yagoua, est canoniste, actuellement directrice adjointe du Département de Droit canonique de l’Institut Catholique de Yaoundé après avoir été directrice de l’Institut de Théologie et de Pastorale pour les Religieux (ITPR) à Yaoundé. Elle participe régulièrement à la formation initiale et permanente des religieux au Cameroun.

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Le pape François, dans sa lettre à toutes les personnes consacrées à l’occasion de l’Année de la vie consacrée, a déterminé les objectifs de cette année de grâce à savoir : regarder le passé avec reconnaissance, vivre le présent avec passion et envisager l’avenir avec espérance [1]. En Afrique, et en l’occurrence au Cameroun, la vie consacrée a connu un certain essor. Saisissant la chance que nous offre l’Église, essayons de faire le point sur ce qu’a été notre présence au Cameroun, ce que nous sommes, et comment envisager l’avenir afin d’améliorer notre témoignage du Christ [2].

Regard sur le passé

Commençons par rendre grâce au Seigneur de l’arrivée des Pères Pallotins, premiers consacrés missionnaires à fouler la terre camerounaise. Ils sont venus, ils ont vécu, nous les avons entendus, nous les avons vu vivre, nous les avons suivis et nous y sommes. Oui, par eux, le Seigneur a parlé à nos cœurs. Il nous a appelés, chacun par son nom, à une relation d’amour, à demeurer avec lui, à être pour lui et surtout comme lui. Et nous avons répondu, nous, Camerounais et Camerounaises, nous, Africains et Africaines.

Selon le pape François, la lecture du passé doit se faire à partir du moment où le consacré a dit oui à l’appel à suivre le Christ ; ce doit être une démarche de gratitude [3]. Dire merci pour le don de la vocation reçue et de la fidélité. Merci d’entrer dans le mystère d’amour de Dieu, de le rendre présent à notre monde, de participer à sa mission. Mais il faut aussi reconnaître les manquements, les hésitations, les chutes, les infidélités, afin de prendre de fermes résolutions pour des lendemains meilleurs.

En plus de ce regard sur nous-mêmes, nous sommes également invités à revisiter l’histoire de la présence de nos familles religieuses au Cameroun. Où en sommes-nous ? Certes, l’œuvre des aînés a porté de bons fruits. Presque toutes les communautés de droit pontifical sont africanisées, « camerounisées ». Les missionnaires occidentaux ont passé le relais. Dans nombre d’entre elles, il n’y a même plus de présence occidentale. C’est le cas des Pallotins ou des moniales de Babeté. Nos familles religieuses ont manifesté leur dynamisme dans l’Église du Cameroun. Citons, entre autres, les Prêtres du Sacré-Cœur, les Spiritains, les Oblats de Marie Immaculée, les Franciscaines Tertiaires de Shisong, les Sœurs de la Sainte Union, les Sœurs de Sainte Anne... Ces religieux et religieuses ont eu le courage évangélique de témoigner du Christ et des exigences de la vie consacrée. Le fait que la phase diocésaine de la procédure de canonisation du frère Jean Thierry Ebogo soit achevée est la preuve concrète de l’accueil de la vocation à la sequela Christi. Le dynamisme des fondations diocésaines telles les Filles de Marie de Yaoundé et les Servantes de Marie de Douala, témoigne également de la vitalité de la vie consacrée au Cameroun.

Les œuvres accomplies dans le domaine social, éducatif, sanitaire, etc. en faveur de tout l’homme ne peuvent que susciter reconnaissance et gratitude.

Qu’en est-il de l’aujourd’hui de la vie consacrée au Cameroun ?

L’aujourd’hui de la vie consacrée

La Conférence des Supérieurs majeurs du Cameroun a cherché à donner une identité à la vie consacrée au Cameroun à travers les thèmes développés lors des assemblées plénières de ces dernières années. En effet, avec les problèmes que connaît notre société, la pauvreté, la répartition inégale des ressources, le chômage, la corruption, l’insécurité, la paix menacée, les consacrés maintiennent-ils toujours la flamme allumée par les fondateurs et à eux transmise par les aînés ?

Comment vivons-nous notre oui au Seigneur ? Y a-t-il une cohérence et une constance dans notre état de vie librement choisi ? Le pape François demande à chacun de rentrer en soi, de faire une auto-évaluation dans le but de projeter un avenir meilleur, d’embrasser avec courage le futur et surtout de réveiller le monde [4]. L’année de la vie consacrée est une chance pour tout consacré, car il ne s’agit pas seulement de festoyer, comme pour un événement ponctuel. Cette année doit être accueillie comme un temps d’aggiornamento, de nouveau départ suite au renouveau et aux perspectives d’inculturation ouverts par Vatican II.

La Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique, dans sa deuxième Lettre [5] pour l’Année de la vie consacrée, exhorte les consacrés à se demander s’ils sont la bonne graine tombée en bonne terre ou le grain tombé sur le sol pierreux. En fait, il s’agit de se questionner sur sa relation à Dieu.

Au regard de tous les travaux réalisés depuis l’an 2000, constatons que l’Esprit Saint a soufflé sur l’Église du Cameroun, pour l’aider à repenser la vie consacrée. Nous avons senti le besoin de la renouveler, de lui donner une identité propre, d’aider chaque famille religieuse à prendre conscience de son charisme propre [6].

Pour réveiller le monde, les consacrés doivent se réveiller eux-mêmes. Ce qui revient à se poser certaines questions qui rejoignent les provocations du pape François : qui est Dieu pour moi ? Est-il vraiment le trésor que j’ai trouvé ? Suis-je prêt à tout pour le conserver ? Ai-je un autre dieu qui soit au-dessus du Dieu Trine ? Mon attachement aux Saintes Écritures m’aide-t-il à le chercher, à le découvrir, à découvrir son plan d’amour sur moi, sur ma communauté et sur tous les hommes ? Me suis-je tellement laissé emporter par les activités que le contact avec la Parole de Dieu pour la méditer, prier avec et la « manger » soit relégué au second plan ? Quelles sont les dispositions que je prends pour avoir toujours la joie d’entrer en contact avec Dieu à travers l’Évangile ? Est-ce que ma joie illumine ? Est-ce que ma vie interpelle ? Suis-je la lampe qui illumine ou le sel qui relève le goût des plats ? Suis-je prêt à aimer le Christ jusqu’à lui offrir ma vie en offrande agréable même au prix de mon sang ?

Peut-on prétendre être consacré et persévérer dans des pratiques païennes ? Le marabout est-il plus fort que le Christ pour qui l’on prétend tout quitter pour le suivre ? Alors, où est notre foi ? En qui l’a-t-on mise ?

Le matérialisme (surtout le démon argent), la course au pouvoir et au savoir (les diplômes), l’individualisme, les rivalités, tous ces fléaux qui ruinent notre société ne nous hantent-ils pas, ternissant ainsi la beauté de ce don fait aux différentes familles religieuses et à l’Église ?

Pourtant, beaucoup de consacrés essaient, chaque jour, de conformer leur vie à celle de Jésus et selon leur charisme propre. C’est grâce à leur vie d’intimité avec le Seigneur, à leur témoignage et à leur être dans l’Église et dans le monde que nos communautés sont debout et vont de l’avant. Oui, les personnes qui incarnent la consécration par les conseils évangéliques sont nombreuses.

Le signe de la vie consacrée

Les interpellations du pape François et de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique sont une véritable provocation [7]. Elles renvoient à un examen véridique du choix opéré par les consacrés non seulement pour rendre grâce mais aussi et surtout pour réveiller tout ce qui somnolait déjà en eux.

La communion nous permet-elle aujourd’hui encore de faire de nos communautés des « Nazareth » ? L’interculturalité ne devrait-elle pas nous aider à être vraiment un signe eschatologique, à anticiper ce Royaume où il n’y aura ni Blanc ni Noir, ni Nordiste ni Sudiste, ni Bamiléké ni Béti, mais la grande multitude de ceux qui, d’un seul cœur, louent Dieu jour et nuit ?

Dans les communautés, surtout les communautés contemplatives, source de bénédictions divines, qui soutiennent par leurs prières notre Église et ceux qui sont engagés dans la vie apostolique, la recherche commune de Dieu se traduit dans la prière commune, le partage de l’Évangile. Les témoignages de fraternité dans les communautés, et surtout les communautés internationales, constituent une grande richesse, source de joie et d’action de grâce. Cette communion amène à s’interroger sur la conception de l’autorité dans nos familles religieuses. Est-elle vraiment une diaconia ? Quelle relation y a-t-il entre le supérieur et les autres membres ?

La vie fraternelle est exigeante surtout dans notre monde de plus en plus individualiste et matérialiste, où chacun est jaloux de son autonomie, où la suspicion pèse sur toute forme d’autorité. C’est ici que se vérifie le prophétisme communautaire. Les consacrés, comme une famille, vivent et témoignent que le Christ est vivant par leur vécu communautaire des conseils évangéliques ; que son Règne est là et qu’il est pour toute l’humanité à travers l’engagement dans l’apostolat. La Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique, dans sa lettre aux consacrés Annoncez, parle avec insistance de la vie communautaire comme instrument efficace de l’annonce de la Bonne nouvelle [8]. L’Église, par la voix de son pasteur le pape François, nous invite à revenir à nos premières amours, au premier enthousiasme pour la vie consacrée.

Le 38e Séminaire annuel de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun, tenu à Nkongsamba du 10 au 17 janvier 2015, a permis de faire le point sur cet état de vie au Cameroun [9]. Il a été constaté que la vie consacrée, présente au Cameroun depuis plus de cent ans, est mal connue, aussi bien des fidèles que des pasteurs [10].

Déjà, en 2006, l’assemblée plénière des supérieurs majeurs, qui a porté sur La vie religieuse et l’Église locale, avait constaté que la vie consacrée n’est pas bien comprise. Ce qui a été source de nombreuses incompréhensions avec certains évêques et membres du clergé diocésain [11]. Aujourd’hui, les relations, autrefois plus ou moins tendues, se sont nettement améliorées. Certes, il a fallu du temps pour comprendre que, si les consacrés ont choisi de suivre le Christ chaste, pauvre et obéissant, c’est d’abord pour être et non pour faire. Le message final du Séminaire de Nkongsamba en est la preuve. Avec joie, nos pasteurs y accueillent la vie consacrée comme essence même de l’Église avec pour mission celle de l’Église même. Nous nous réjouissons de cette nouvelle page qui s’ouvre dans l’histoire de la vie consacrée au Cameroun [12].

Quelles propositions pour l’avenir ?

Au Cameroun, pour que la vie consacrée soit bien comprise et bien vécue aussi bien par ceux qui y aspirent que par ceux qui la vivent déjà, nous faisons aux familles religieuses les propositions suivantes :

  • Revoir la formation des candidats. Les instituts les accueillent non pas pour augmenter le nombre de leurs membres mais parce qu’ils ont reçu un appel à vivre un charisme particulier. Ils doivent l’approfondir en intériorisant la formation donnée et reçue. Ceci demande que les formateurs soient vraiment des modèles des familles religieuses avec une capacité de transmettre la vie telle que voulue par les fondateurs surtout par leur vie, qu’ils soient vraiment libérés de toute activité qui ne leur permettrait pas de bien suivre les jeunes en formation. Il en va autant pour les responsables directs de la formation que pour les membres des communautés formatrices.
  • Intégrer dans le droit propre des familles religieuses certains actes qui les protègeraient des attitudes et agissements tendant à leur porter atteinte : que les candidats fassent une déclaration manuscrite qu’ils ne réclameront aucun dédommagement à l’institut une fois partis ou renvoyés, car ils n’ont pas été embauchés comme ouvriers ; que leurs familles biologiques ne réclameront rien à leur institut ; qu’à leur mort leur corps reviendra à l’institut pour la sépulture.
  • Assurer le suivi des jeunes profès est également important pour garantir un approfondissement de la vie surtout la capacité d’associer vie de prière et mission.
  • Encadrer les jeunes aux études pour qu’ils ne délaissent pas la vie religieuse au profit des études.
  • Créer des espaces pour faire éclater la joie profonde qui est en eux, telles les fêtes, les récréations sans télévision où l’on « s’éclate » afin que nos communautés ne soient pas comparées à des milieux carcéraux.
  • Veiller à ce que les membres des différentes familles fréquentent régulièrement les sacrements, surtout l’eucharistie et la pénitence.
  • Avoir le courage (surtout pour les responsables) de se séparer des membres qui n’adhèrent pas au charisme et à la spiritualité pour éviter de détruire la famille religieuse.
  • Demander aux Évêques, en plus des suggestions faites à Nkongsamba, d’intégrer dans la formation de leurs prêtres le cours sur la vie consacrée pour une meilleure connaissance de cette vie et une collaboration fructueuse dans la mission.

*

La vie consacrée par les conseils évangéliques est la même pour toutes les formes de consécration dans l’Église. C’est l’unique et même Christ qui invite à une vie intime avec lui en étant signe visible de sa présence dans sa famille religieuse, dans l’Église et au milieu des hommes.

Dans le milieu socio-culturel qui est celui du Cameroun, la vie consacrée est en train de se forger une identité propre. Les consacrés trouvent leur bonheur en Dieu et vivent avec joie leur consécration dans une communion fraternelle sincère et dans le sentire cum ecclesia. Mais ils doivent toujours apprendre à mieux connaître le Christ, à l’aimer et à participer à sa mission par une franche collaboration avec les pasteurs et la soumission au Pontife Romain. C’est pourquoi, il est important de saisir l’occasion offerte par l’Église :

  • de faire une auto-évaluation personnelle et communautaire ;
  • de prendre des résolutions et de mettre sur pied des structures qui nous aideraient à être des prophètes dans cette société qui est à la recherche d’un bonheur qui ne peut être effectif qu’en Dieu ;
  • de promouvoir la culture de la paix par l’acceptation mutuelle de nos différences, par la soif de connaître et comprendre l’autre, la connaissance des autres formes de consécration et des autres confessions religieuses.

*

Puisse la Vierge Marie, modèle par excellence de la consécration à Dieu nous aider à garder notre lampe allumée, à sortir du pessimisme, du découragement, de l’incertitude, de la passivité. Puissions-nous réveiller le monde afin qu’il se tourne vers Dieu.

Marie mère des consacrés, soutenez-nous sur ce chemin d’amour.

[1François, Lettre apostolique À tous les consacrés, du 21 novembre 2014.

[2Sœur Angèle Makiang a proposé à l’Assemblée des supérieurs majeurs du Cameroun, en mars 2015, cette étude dont nous sommes heureux de publier la deuxième partie. L’identité canonique de la vie consacrée y est relue à partir de sa réalité en ce grand pays d’Afrique.

[3François, Idem.

[4Ibidem.

[5Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique (CIVCSVA), Scrutate, du 8 septembre 2014, 1.

[6Ont été traités entre autres Le prophétisme de la vie consacrée : je crois en Jésus Christ (2002) ; Prophétisme de la vie religieuse : culture de la paix (2004) ; Le vœu de pauvreté (2005) ; La vie religieuse et l’Église locale (2006) ; Religieux dans la vie locale : dialogue au service de la communion (2007) ; Passion pour le Christ, passion pour l’humanité (2008) ; L’identité de la vie consacrée (2010).

[7CIVCSVA, Scrutate, op. cit. ; Réjouissez-vous, op. cit. ; Contemplez, du 15 octobre 2015.

[8Bien que l’Assemblée des Supérieurs Majeurs du Cameroun ait eu lieu en mars 2015, il nous a semblé utile de mentionner la récente lettre de la CIVCSVA adressée aux consacrés : CIVCSVA, Annoncez, du 29 juin 2016.

[9Conférence épiscopale Nationale Du Cameroun, Messages des Évêques du Cameroun au peuple de Dieu sur la vie consacrée, 38e Séminaire annuel de la Conférence Épiscopale Nationale du Cameroun, Nkongsamba du 10 au 17 janvier 2015, 4.

[10« Les fidèles voient différents instituts religieux et sont en contact avec leurs membres, sans parfois s’intéresser à connaître qui ils sont » (Ibid., 5).

[11S. Recchi, « Mutuae relationes entre les Instituts religieux et les Église locales d’Afrique. Le cas du Cameroun », dans L’année canonique 48 (2006), p. 33-34.

[12Conférence épiscopale Nationale du Cameroun, Messages des Évêques, op. cit., 5-8.

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