Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Chronique de la vie consacrée

Marie-David Weill, c.s.j.

N°2017-2 Avril 2017

| P. 47-63 |

Chronique - Vie consacrée Chronique

En présentant cette chronique de la vie consacrée l’an dernier, nous parlions de moisson. Évoquons cette fois la vendange, pour annoncer une grande, une très grande année. Parmi les ouvrages reçus, de divers cépages (Portraits, Théologie de la vie consacrée, Histoire, Spiritualité), il y a assurément de grands crus... Sûrement un des fruits de l’année de la vie consacrée. À déguster lentement.

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Portraits

N. Egender, Moines de Palestine : portraits spirituels

Paris, Artège, 2016, 13,5 x 20 cm, 176 p., 12,90 €

● Issus de conférences données à Bethléem en 2011 à des religieux et religieuses de Terre sainte, les cinq Portraits spirituels de Moines palestiniens des IV-VIe siècles que nous offre N. Egender, de Chevetogne, sont de facture assez inégale. Les portraits d’Hilarion de Gaza, d’Euthyme le Grand et de Sabas le Sanctifié restent descriptifs. Même s’ils sont édifiants et font découvrir avec bonheur des figures peu connues, le lecteur peine à y trouver nourriture pour l’âme et matière à réflexion, et peut même être agacé par les fautes d’orthographe qui émaillent les pages (« se frappant la poitrine de ses points » p. 31 ; « la veine gloire » p 47, « le désert devin une cité » p. 75, etc). En revanche, les chapitres consacrés à Abba Isaïe et à Dorothée de Gaza sont de toute beauté : la présentation de portraits attachants se double d’une réflexion théologique très sagace qui fait entrer avec joie le lecteur dans la profondeur spirituelle de ces Pères du monachisme palestinien. Notons en particulier l’insistance sur la « mystique de la croix » d’Abba Isaïe et sur « l’affinité spirituelle » entre Dorothée de Gaza et Benoît de Nursie, un thème déjà magistralement développé par l’A. en 1993 dans la revue Irenikon (t. 66, p. 179-198).

F. M. Romeral (dir.), Le grand livre des saints et bienheureux du Carmel

coll. Grands Carmes, Paris, Parole et silence, 2015, 15,2 x 23,5 cm, 626 p., 30,00 €

● Saluons la parution de ce Grand livre des saints et bienheureux du Carmel, auquel ont œuvré de concert les Carmes et les Carmes déchaux. Tous les saints et bienheureux de la grande famille du Carmel officiellement reconnus par l’Église sont ici présentés, dans l’ordre de leur inscription au calendrier liturgique, dans des notices de longueur très variable (de une à trente pages !). Empruntons à Thérèse de Jésus cette parole, qui dit bien l’objectif de l’ouvrage qui est un don pour toute l’Église : « Que de saints nous avons dans le ciel qui ont porté cet habit ! Prenons une sainte résolution, avec la grâce de Dieu, d’être comme eux. Le combat, mes sœurs, sera de courte durée, et la fin est éternelle », une parole ainsi relayée dans sa préface par le Prieur général de l’Ordre du Carmel, Fernando Millan Romeral : « Que cette œuvre serve à mieux aimer nos saints et suscite en nous le désir de les imiter en des temps, bien entendu, différents, avec de nouvelles façons de faire répondant à des problématiques et à des situations différentes, avec créativité et maturité (sans tomber dans une imitation aussi infantile qu’impossible)... mais avec le même enthousiasme, la même passion, la même ferveur » (p. 12-13).

A. Brot, G. de la Borie, Héroïnes de Dieu. L’épopée des religieuses missionnaires au XIX siècle

Paris, Artège Poche, 2016, 11 x 18 cm, 324 p., 9,50 €

● Un régal ! Dans un style alerte, l’épopée bien documentée de huit religieuses – Suzanne Aubert, Lucile Mathevon, Marie-Rose Lapique, Jeanne-Marie Autin, Marie-Françoise Perroton, Marie-Jeanne Rumèbe, Sophie de Villèle et Aline Brel – qui nous entraînent dans les aventures les plus émouvantes et les plus rocambolesques, reflet de l’incroyable dynamisme missionnaire qui fut celui de l’Église de France au XIXe siècle. Auprès des Indiens d’Amérique, au Sénégal et en Gambie, dans les îles Wallis et Futuna et en Nouvelle-Zélande, ou encore au cœur de la Chine ou au Brésil, ce récit palpitant invite à suivre celles qui, dans l’ombre des Pères missionnaires et pourtant jusqu’à dix fois plus nombreuses qu’eux, réussirent, avec une foi invincible et un doigté tout féminin, à apporter le Christ là où ces derniers ne pouvaient pénétrer.

J.-F. Six, Charles de Foucauld. Sa vie, sa voie

Paris, Artège Poche, 2016, 11 x 18 cm, 656 p., 9,50 €

● L’incontournable biographie de J.-F. Six, Charles de Foucauld autrement, parue en 2008 chez DDB, fait peau neuve chez Artège-Poche, Charles de Foucauld. Sa vie, sa voie, pour célébrer le centenaire de la naissance au ciel (1er décembre 1916) du « frère universel », béatifié par Benoît XVI en 2005. Explorateur, défricheur, missionnaire isolé parmi les musulmans dont il voulait gagner patiemment la confiance et l’amitié, Charles de Jésus désirait, tel un autre saint Paul, se faire « tout à tous pour les gagner tous à Jésus » (p. 578). « Il nous faut faire accepter des musulmans, devenir pour eux l’ami sûr à qui on va quand on est dans le doute ou la peine, sur l’affection, la sagesse et la justice duquel on compte absolument. Ce n’est que quand on est arrivé là qu’on peut arriver à faire du bien à leurs âmes. Inspirer une confiance absolue en notre véracité, en la droiture de notre caractère et en notre instruction supérieure, donner une idée de notre religion par notre bonté et nos vertus, être en relations affectueuses avec autant d’âmes qu’on le peut, musulmanes ou chrétiennes, indigènes ou françaises, c’est notre premier devoir ; ce n’est qu’après l’avoir bien rempli, assez longtemps, qu’on peut faire du bien. [...] Ma vie consiste donc à être le plus possible en relation avec ceux qui m’entourent et à rendre tous les services que je peux. À mesure que l’intimité s’établit, je parle, toujours ou presque toujours en tête à tête, du bon Dieu, brièvement, donnant à chacun ce qu’il peut porter [...], donnant à chacun selon ses forces et avançant lentement, prudemment » (Lettre à R. Bazin du 29 juillet 1916, citée p. 574-575).

J.-L. Fradon, Élisabeth de la Trinité, une femme pour le XXI siècle

Paris, Éditions de l’Emmanuel, 2013, 14 x 22,5 cm, 240 p., 18,00 €

● Canonisée le 9 octobre dernier par le Pape François, sainte Élisabeth de la Trinité (1880-1906) est à l’honneur cette année. Rappelons d’abord, plus classique, la biographie publiée en 2013 par J.-L. Fradon, qui insiste spécialement sur l’actualité et la pertinence pour notre temps du message spirituel de celle qui se voulait pure louange de gloire de la Trinité. De nombreux extraits de sa correspondance, de ses écrits et des témoignages de ses proches, accréditent la réflexion de l’A. et convient le lecteur à poursuivre sa lecture directement dans les œuvres de la sainte.

P.-M. Févotte, Élisabeth de la Trinité (1880-1906). Une clarté de cristal

Paris, Salvator, 2016, 13 x 20 cm, 128 p., 14,90 €

● Plus original et moins volumineux, le petit livre de P.-M. Févotte se présente comme une biographie romancée. Une trentaine de très courts chapitres, qui se présentent soit comme des scènes reconstituées de la vie de la jeune femme, soit comme de longues confidences d’Élisabeth, répondant en première personne aux questions de son lecteur. Les chapitres présentant de petits tableaux de sa vie sont plaisants et vivants, à défaut d’être toujours crédibles. Les chapitres en « je » sont nettement moins réussis : l’A. enchâsse des citations authentiques d’Élisabeth (reproduites en italiques) au milieu de longues réponses (inventées par lui) d’Élisabeth à son lecteur. L’effet obtenu est étrange, et l’on imagine souvent mal les propos rapportés sortant de la bouche de celle qui est censée les prononcer.

C. Escallier, Laisser voir Dieu. Dans le sillage de Berthe Grialou, sœur du Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus

coll. Témoins de vie, Toulouse, Éditions du Carmel, 2015, 15 x 20 cm, 184 p., 13,00 €

● Nous avions l’an dernier recensé l’ouvrage de F. E. Doron, Le secret d’un audacieux, offrant aux jeunes une Petite vie d’Henri Grialou, Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus (voir VsCs 88, 2016-1, p. 62). Laisser voir Dieu en donne en quelque sorte la suite, en présentant la vie de Berthe (1902-1958), la plus jeune sœur du P. Marie-Eugène. L’A., Claude Escallier, était bien placée pour cela, puisqu’elle fut responsable générale de l’Institut N.-D. de Vie de 2000 à 2012, dans lequel Berthe s’est consacrée et a passé les vingt dernières années de sa vie. L’idée force de l’ouvrage ? Rappeler à tous, à travers et au-delà de la figure de Berthe, que c’est dans le plus ordinaire de nos vies que se manifeste l’extraordinaire puissance de la grâce divine, qui nous appelle tous à la sainteté.

J. Scheuer, Thomas Merton. Un veilleur à l’écoute de l’Orient

coll. L’Autre et les autres, 17, Namur, Lessius, 2015, 14,5 x 20,5 cm, 120 p., 14,00 €

● En cent pages à peine, J. Scheuer, qui n’en est pas à son coup d’essai en la matière (voir Un chrétien sur les pas de Bouddha, Lessius, 2009), réussit une prouesse : faire entrer de plain-pied un lecteur novice dans la vie et les découvertes de Thomas Merton (1915-1968), ce moine trappiste fasciné – spécialement pendant les dix dernières années de sa vie – par les traditions asiatiques de spiritualité, en particulier le Zen sino-japonais, la sagesse taoïste et le bouddhisme tibétain. Nul syncrétisme, ni faux-semblant. Accessible, profond, captivant.

B. Cattin, Pour que la vie l’emporte !

imprimé au Canada à compte d’auteur, 2016, 12,5 x 19 cm, 136 p., n. c.

● Sœur missionnaire de Notre-Dame d’Afrique, Bibiane Cattin a vécu 35 ans en RDC. Grâce à sa formation d’assistante sociale, complétée par l’Institut de formation humaine intégrale de Montréal (IFHIM) dans le domaine de la « Restauration des forces vitales humaines dans l’expérience traumatique », elle a travaillé ces dix dernières années au service de femmes congolaises traumatisées par la guerre et le viol. Un témoignage humble et poignant, et l’objectif de toute une vie donnée : remettre les personnes debout.

Théologie de la vie consacrée

S. Robert, F. Boëdec, D. Desouches (DIRS), Construire la communion : la vie religieuse au service du vivre ensemble. Session février 2016, Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris

coll. Cahiers de Vie religieuse, 189, Paris, Médiasèvres, 2016, 17 x 24 cm, 164 p., 13,00 €

● La traditionnelle session du Centre Sèvres sur la vie religieuse s’est tenue en 2016 autour d’un thème toujours actuel : Construire la communion : la vie religieuse au service du vivre ensemble. Dix interventions riches, conjuguant toutes réalisme et espérance face au défi toujours à reprendre du « vivre ensemble » dans un monde fracturé et dans des communautés souvent éprouvées par la diversité extrême des âges, des cultures et des sensibilités. Ce « vivre ensemble » relève « de l’ordre de la grâce » (p. 37), donc de la prière, de l’espérance, de la miséricorde. « Faire d’une étrangère sa propre sœur est une sorte de conversion, toujours un miracle, un bonheur sans fin... » (La Règle de Reuilly, p. 108, citée p. 37).

S. Robert, M. Fédou, H. Laux (dir.), Le goût du Royaume. Dimensions de la vie religieuse

Paris, Éditions Facultés jésuites de Paris, 2016, 16 x 24,5 cm, 324 p., 25,00 €

● Restons au Centre Sèvres, avec un autre ouvrage collectif, rassemblant 21 des meilleures contributions données lors des sessions annuelles sur la vie religieuse, pour réveiller en nous Le goût du Royaume. Un riche outil de réflexion personnelle et communautaire, intégrant une grande diversité d’approches – historique, théologique, psychologique, philosophique, spirituelle – et structuré en 4 parties : « D’hier à aujourd’hui, la vie religieuse », « La quête de Dieu », « Vivre ensemble l’Évangile » et « Témoins de l’amour ». Un étonnement, pourtant : sur les quinze intervenants, une seule femme. La gent féminine n’aurait-elle pas davantage de richesses à partager dans ce qui se présente comme une « théologie renouvelée de la vie religieuse » ?

C. Piccardo, École de sagesse. La Trappe, une proposition pour aujourd’hui

coll. Des lieux et des temps, 16, Bégrolles-en-Mauges, Abbaye de Bellefontaine, 2016, 15,5 x 23,5 cm, 188 p., 18,00 €

● Avec un véritable charisme, Mère Cristiana Piccardo, ancienne Mère abbesse de la Trappe de Vitorchiano (Italie), conjugue histoire de l’ordre cistercien, théologie de la vie monastique, grandes personnalités qui ont enrichi la vie de l’Ordre et étapes marquantes qui ont ponctué la vie de sa communauté, pour montrer comment s’est façonnée, au fil du temps, la « culture monastique » de Vitorchiano, une communauté qui se distingue singulièrement par sa fécondité : outre cinq maisons filles fondées pendant les années d’abbatiat de Mère Cristiana, Vitorchiano demeure la communauté de moniales trappistines la plus nombreuse (73 sœurs) et avec la moyenne d’âge la plus basse. « Les raisons d’une telle fécondité, les principes, les expériences et la sagesse qui ont permis tout cela, constituent la matière de ce livre » (p. 13). Avec humilité, l’A. commence ainsi son introduction : « Les pages qui suivent ne sont pas une étude bien documentée ; ce sont plutôt de simples causeries faites au sein d’une communauté précise, entre des personnes connues et aimées. C’est un échange familier au sujet d’une expérience vécue et soufferte ensemble, mise en œuvre à partir de quelques orientations pédagogiques qui nous ont aidées à vivre notre fidélité à Dieu, à l’Église, à notre Ordre et à notre communauté. Il s’agit de permettre au souvenir d’affleurer dans le présent, au passé de germer dans l’aujourd’hui, à la gratitude pour la miséricorde reçue de projeter dans l’avenir l’espérance qui nous a fait vivre » (p. 17). Un modèle du genre.

A. Barrientos (dir.), Introduction à la lecture de sainte Thérèse. Vol. 1. Introduction générale

coll. Recherches carmélitaines, 12, Toulouse, Éditions du Carmel, 2015, 15 x 21,5 cm, 374 p., 25,00 €

● Les trois études qui composent cette Introduction à la lecture de sainte Thérèse sont magistrales, et d’une richesse telle qu’il est ardu de les présenter en quelques lignes. Disons seulement qu’elles sont l’œuvre de fins connaisseurs de la sainte. Teófanes Egido Lopez en propose une biographie originale, qui intègre tous les apports de l’historiographie contemporaine sur l’Espagne du XVIe siècle. L’A. souligne l’importance, encore trop souvent minorée, de l’ascendance juive de Thérèse et de sa condition de femme pour la compréhension de ses écrits ; il montre aussi, à rebours de l’hagiographie thérésienne classique qui laisse penser à « l’assentiment de Thérèse aux principes et structures sociales dans lesquelles elle vécut et survécut », combien une lecture attentive des écrits thérésiens révèle au contraire que « ses pages, par ses dénonciations subtiles et fines, doivent être ajoutées aux contestations les plus bruyantes dont furent victimes la société établie de son temps et ses valeurs dominantes » (p. 63). Dans une synthèse resserrée, Jesús Castellano Cervera (1941-2006) nous fait magnifiquement entrer dans la pensée de Thérèse, maîtresse spirituelle pour notre temps en quête d’expérience de Dieu. Le chemin de l’oraison garde naturellement une place de choix dans cette contribution, mais l’A. s’intéresse également aux vertus évangéliques les plus manifestes dans la spiritualité thérésienne, ainsi qu’à l’engagement ecclésial de Thérèse et à son approche des problèmes humains de l’époque. L’étude de Juan Antonio Marcos, plus originale, regarde le corpus thérésien sous l’angle de la littérature : Thérèse « devant la tâche d’écriture » : les styles de ses œuvres, qui révèlent l’écrivain professionnel ; la construction de ses discours, ou encore son effort pour « se faire comprendre » même « quand les mots manquent ». Ce premier volume sera suivi d’un second, qui introduira à la lecture, livre par livre, des œuvres de la Madre.

Mgr P. Raffin, La vie consacrée

Paris, Parole et silence, 2016, 14 x 21 cm, 172 p., 16,00 €

● Mgr Pierre Raffin, dominicain depuis 60 ans, évêque émérite de Metz et actuellement membre de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, rassemble ici plusieurs de ses contributions antérieures, anciennes ou récentes (dont la date et le lieu de publication initiaux ne sont jamais mentionnés), sur des sujets aussi divers que la situation actuelle de la vie consacrée et son avenir, les éléments essentiels la constituant (vœux, vie commune, mission, pureté de conscience pour faire la volonté de Dieu), ou encore la restauration de formes anciennes de vie consacrée (érémitisme, ordre des veuves) et la question du sacerdoce monastique.

B. Sombel Sarr, Vie consacrée et prophétisme en Afrique

coll. Croire et savoir en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2015, 13,5 x 21,5 cm, 186 p., 19,00 €

● Benjamin Sombel Sarr, lui aussi dominicain, sénégalais, nous entraîne au cœur de la culture africaine et interpelle les consacrés sans ménagement : comment tolérer plus longtemps que « la prolifération des pratiques divinatoires » – qui marque une « crise de la désespérance » dans laquelle les hommes « essaient d’entrer par effraction dans le futur pour domestiquer l’avenir » (p. 23) –, perdure jusque dans la vie consacrée ? Comment supporter que les clivages ethniques et la lutte pour le pouvoir empêchent parfois des congrégations d’élire un supérieur ; au point « qu’on soit obligé de leur en imposer un venu d’outre-Atlantique » (p. 34) ? Comment penser la nouvelle évangélisation de l’Afrique en relevant à la fois le défi lancé à l’Église par les grandes mégalopoles, marquées par le fléau de la pagano-modernité, mais aussi les défis de la sauvegarde de la culture et de l’option préférentielle pour les pauvres que le monde rural continue d’incarner ? Il est temps de passer de la divination à la prophétie, des fausses joies éphémères de la culture kleenex à l’austérité joyeuse de l’intériorité et de l’engagement fidèle, des conflits tribaux au lavement des pieds et à la spiritualité de communion ! Un style oral parfois imprécis et des notes souvent incomplètes, mais un langage qui fait du bien !

L. Bira, Consacrés africains, pour quoi faire ? Redécouvrir la fonction sociale des vœux religieux

coll. Églises d’Afrique, Paris, L’Harmattan, 2015, 13,5 x 21,5 cm, 198 p., 20,50 €

● Dans la même veine prophétique, mais avec une rigueur d’analyse théologique et une qualité littéraire plus poussées, Louis Bira, Missionnaire Xavérien congolais, appelle les consacrés d’Afrique subsaharienne à prendre davantage conscience du rôle essentiel qu’ils sont appelés à remplir dans la société en donnant le témoignage joyeux de leur vie d’obéissance, de pauvreté et de chasteté ; et à prendre en conséquence les décisions personnelles et communautaires qui s’imposent pour vivre ces vœux de manière plus vraie et évangélique. En poursuivant la réflexion du théologien allemand J.-B. Metz sur la dimension fonctionnelle du charisme de la vie consacrée, l’A. offre ainsi des pages d’une grande pertinence, non seulement sur la dimension mystique de chacun des trois vœux, mais surtout, puisque c’est là la fine pointe de son ouvrage, sur leur dimension politique. La pratique de l’autorité et de l’obéissance religieuses, par exemple, vécue dans un « contexte politico-religieux en Afrique subsaharienne [qui] fait rimer l’autorité avec atrocité » et où « l’instabilité politique de beaucoup d’États africains a eu pour conséquence majeure la confiscation par différentes “autorités” du droit des peuples à la participation de la gestion de la “ Res publica” », doivent se révéler comme « puissance libératrice » et aider les citoyens africains, « peuples soumis et résignés », à relever le défi de la « participation » et à redécouvrir leur « être-sujet », capable et responsable de « participer librement et d’influencer le cours de l’histoire » (p. 131-132).

A. Alibert, J.-P. Sagadou, J.-F. Petit, Religieuses et religieux au XXI siècle. Une proposition à la suite de Michel de Certeau sj

Le Coudray Macouard, Saint-Léger éditions, 2015, 12,5 x 21 cm, 204 p., 18,00 €

● Autre piste de recherche quant à la « réinvention » de la vie religieuse aujourd’hui, celle que suivent trois religieux assomptionnistes, héritiers des intuitions du Jésuite Michel de Certeau (1925-1986). Une première partie de sociologie religieuse entend « situer la vie consacrée en France dans la diversité de la référence au religieux » et conclut que, si l’appartenance religieuse est en recul massif, l’homme postmoderne n’a cependant pas cessé de croire, et que les religieux, « loin de se complaire dans une “esthétique du désastre” » (p. 37), sont parmi les mieux placés pour dialoguer aujourd’hui avec l’homme en quête de spirituel. Comment entamer ce dialogue ? Certainement pas en partant « d’une essence présupposée de la vie consacrée, dans une posture identitaire souvent crispée » (p. 71), mais plutôt en misant sur l’« hétérologie » dont témoigne la vie religieuse. Ce concept forgé par M. de Certeau, comme celui de « rupture instauratrice », sert de fil conducteur aux A. pour « quitter les “sentiers battus” », « éviter la répétition de lieux communs théologiques sur la vie religieuse » (p. 11) et opposer aux « définitions standards et pour tout dire “passe-partout” de la vie consacrée » (p. 73) « un nouvel art de marcher », « dans une volonté d’alliance avec ceux qui sont chercheurs de Dieu comme elle » (p. 72). Une bonne trentaine de « coquilles » typographiques ou orthographiques accompagnent cette recherche riche en propositions et en questionnements.

Ch. Theobald, S. Robert, P. Roland et al., Appelés au cœur du monde avec le cœur de Dieu. Colloque de la Conférence nationale des Institus séculiers de France du 17 oct. 2015

Roubaix, Bayard Service Édition, 2016, 15 x 21 cm, 162 p., 10,00 €

● Autre fruit de l’année de la vie consacrée, le Colloque de la Conférence nationale des Instituts séculiers de France, qui s’est tenu au Centre Sèvres en octobre 2015. Outre les riches interventions, l’ouvrage constitue, avec ses nombreuses annexes, une mine d’or pour mieux connaître la vocation spécifique des membres des Instituts séculiers, 70 ans après que Pie XII, par la constitution apostolique Provida Mater Ecclesia, eut signé leur acte de naissance officielle dans l’Église en 1947. Le titre donné à l’ouvrage reprend les encouragements du Pape François, qui s’adressait ainsi aux membres des Instituts séculiers en Italie en mai 2014 : « La vocation des instituts séculiers est une des formes les plus récentes de vie consacrée reconnue et approuvée par l’Église, et c’est peut-être pourquoi elle n’est pas encore pleinement comprise. Ne vous découragez pas, car vous faites partie de cette Église pauvre et sortante dont je rêve. [...] Vous êtes dans le monde mais non du monde. Vous êtes au cœur du monde avec le cœur de Dieu » (cité p. 8-9).

H. U. Von Balthasar, L’état de vie chrétien

coll. Œuvres complètes, Fribourg, Éditions Johannes Verlag, 2016, 14 x 21 cm, 511 p., 22,00 €

● Paru il y a 40 ans en allemand, le chef d’œuvre d’H. U. von Balthasar sur les états de vie n’a pas pris une ride et est enfin accessible aux lecteurs francophones, qui feront leurs délices de cette « méditation détaillée sur les fondements de la contemplation de l’“appel du Christ” dans les Exercices Spirituels (Ex. 91 s), sur la réponse à donner à cet appel si l’on “veut s’attacher davantage” (Ex. 97), et sur le choix auquel cet appel nous confronte : suivre le Christ notre Seigneur [...] “pour se consacrer au pur service de son Père éternel”. Et ceci afin de pouvoir “arriver à la perfection” – de l’amour chrétien bien sûr – “en quelque état de vie que Dieu notre Seigneur nous donnera de choisir” (Ex. 135) » (p. 7). De ce monument théologique, qui traite tour à tour du fondement et de la finalité de la diversité des états de vie, de la nature de l’appel et de l’événement de la vocation, nous retiendrons spécialement, au cœur de l’ouvrage (p. 233-363), la mise en perspective des « deux états d’élection » que sont le sacerdoce et la vie consacrée et l’explicitation si actuelle de l’« antériorité temporelle ainsi que qualitative dans l’Église de la vie consacrée par rapport au ministère » (p. 9). « L’Église est et reste fondée sur le ministère, mais [...] ce dernier repose à son tour sur le don total de l’Ecclesia immaculata (Ep 5,27), sur l’état de ceux qui doivent au moins représenter l’amour parfait » (p. 10).

Histoire

P. Ortega, Histoire du Carmel thérésien

coll. Carmel vivant, Toulouse, Éditions du Carmel, 2016, 14 x 21 cm, 639 p., 23,00 €

● Sans se présenter comme « étude scientifique », mais comme « outil de formation et de vulgarisation sérieux, bien documenté, en offrant un panorama de l’histoire du Carmel et de son état actuel », l’ouvrage de Pedro Ortega, carme déchaux espagnol, est impressionnant par son ampleur. D’après les mots mêmes de l’A., au moment de la parution de la 2e édition en 2009 (celle que nous présentons ici est la 4e), le but « est d’offrir un manuel susceptible de satisfaire et de faciliter la connaissance de notre histoire aux postulants ou candidats qui ont frappé à la porte du Carmel, aux membres du Carmel séculier et à ces personnes qui veulent avoir une vue d’ensemble sur nos origines et sur ce que nous sommes » (p. 9). Une « vue d’ensemble » du Carmel, certes, mais qui s’étend également jusqu’au détail ! Après 100 pages sur les racines médiévales de l’Ordre, l’A. consacre 350 pages à l’histoire du Carmel déchaussé ou thérésien et à son expansion dans chaque pays d’Europe et dans chaque continent jusqu’à aujourd’hui, poursuit par un état des lieux volumineux sur le processus de rénovation initié après Vatican II et sur le rayonnement culturel et spirituel du Carmel aujourd’hui, et gratifie encore son lecteur d’une centaine de pages d’appendices et notes complémentaires...

L. de Saint Moulin, Histoire des Jésuites en Afrique. Du XVI siècle à nos jours

coll. Petite bibliothèque jésuite, Namur, Lessius, 2016, 12 x 19 cm, 140 p., 12,00 €

● Les ouvrages passionnants de deux jésuites, L. de Saint Moulin et S. Nicaise, gagnent à être présentés ensemble et intéresseront des lecteurs bien au-delà des frontières de la Compagnie de Jésus. L. de Saint Moulin, qui vit depuis près de cinquante ans en RDC, est le premier à avoir relevé le défi de présenter l’histoire des Jésuites dans toute l’Afrique (à l’exception des pays de sa façade méditerranéenne). L’ampleur du projet entraîne nécessairement – l’éditeur nous en avertit d’emblée – des « inévitables déséquilibres, dus notamment à l’histoire même de ces missions et à la documentation de l’auteur » (p. 10). Cette fresque grandiose, qui prend naissance du vivant même d’Ignace, qui envoya les premiers missionnaires en Éthiopie, est retracée en trois grandes périodes : de la fondation de la Compagnie à sa suppression en 1773 ; l’époque coloniale, de la restauration de l’Ordre en 1814 aux indépendances africaines vers 1960 ; enfin, la période après-Vatican II, celle de l’émergence des Églises africaines, qui voit l’érection en diocèses de la plupart des anciens territoires de missions. On entend battre, à travers et au-delà des activités de la Compagnie de Jésus, le cœur de tout un continent : son histoire, son évangélisation, ses appels et ses défis.

S. Nicaise,Les missions jésuites dans l’océan Indien. Madagascar, La Réunion, Maurice

coll. Petite bibliothèque jésuite, Namur, Lessius, 2016, 12 x 19 cm, 176 p., 12,00 €

● L’ouvrage de S. Nicaise se concentre, lui, sur Les missions jésuites dans l’océan Indien. Madagascar, La Réunion, Maurice, auxquelles L. de Saint Moulin, vision d’ensemble oblige, ne consacrait que quelques pages. Plus limité dans son étendue et son projet, l’ouvrage gagne ainsi en précision, en « personnalisation », surtout. Ce n’est plus là une « grande Histoire », toujours un peu anonyme, qui nous est contée, mais toutes les histoires individuelles de ces missionnaires jésuites toujours intrépides, souvent attachants, parfois maladroits, qui ont tous un nom, une personnalité, un rôle bien précis à jouer dans cette grande Histoire de l’annonce du Règne du Christ. Moins historien qu’anthropologue, l’A., qui vit depuis une trentaine d’années à La Réunion, excelle à formuler les questions-clé qui émergent au cœur de l’Histoire et font « entendre ce que les autres traditions, culturelles et religieuses, disent de l’homme, et de l’homme en société », invitant dès lors à « mettre encore davantage à profit notre usage des médiations culturelles et sociales pour assurer l’inculturation de l’Évangile » (p. 156-157).

Spiritualité

Frère Alois, Vers de nouvelles solidarités. Taizé aujourd’hui. Entretiens avec Marco Roncalli

Paris, Seuil, 2015, 14 x 20,5 cm, 144 p., 15,00 €

● C’est la première fois qu’est publié un livre issu d’entretiens avec fr. Alois, prieur de Taizé qui a succédé à fr. Roger en 2005. Fils de catholiques qui furent expulsés de Tchécoslovaquie à la fin de la Seconde Guerre mondiale à cause de leurs origines allemandes, fr. Alois est né en Bavière et a grandi « dans le Stuttgart des années 1950, où subsistaient encore les ruines des bombardements alliés » (p. 47) ; il a découvert Taizé en 1970 et y est entré en 1974 et a très vite été désigné par fr. Roger comme son futur successeur. Des entretiens passionnants, où l’on (re)découvre, sans jamais s’ennuyer, l’histoire de l’aventure de Taizé, les intuitions essentielles de fr. Roger, et ce qui fait le cœur de la vocation des frères aujourd’hui, « parabole de communion », dans leur engagement au service de l’unité des chrétiens, l’accueil des jeunes qui continuent à se presser par milliers sur la petite colline bourguignonne, ou encore, moins connus, les nombreux gestes de solidarité qu’ils ont initié de par le monde : « pèlerinage de confiance », « opération Espérance », accueil à Taizé de familles de réfugiés...

C. Aubin, Les saveurs de la prière

Paris, Salvator, 2016, 13 x 20 cm, 124 p., 14,90 €

● Après Prier avec son corps (Cerf, 2005) et Les fenêtres de l’âme (Cerf, 2010), les pages du nouveau recueil de Catherine Aubin, o. p, Les Saveurs de la prière, chantent comme une source claire et joyeuse. L’A., discrètement accompagnée par les attitudes de prière de saint Dominique, revisite les fondamentaux de la prière en 12 petits chapitres (initialement parus dans le mensuel Magnificat en 2014) : le cloître intérieur, la prière de Dieu en nous, la place du corps et des sens dans la prière : entendre, regarder, toucher et être touché, goûter, être assis, debout, marcher, descendre, et enfin naître, connaître et renaître dans la prière. Des pages vivifiantes qui pourront nourrir et accompagner la prière de tous.

E. Pastore, Force et mystère des femmes. Dans le monde et dans l’Église

coll. Petits traités spirituels. Bonheur chrétien, Nouan-le-Fuzelier, Éditions des Béatitudes, 2015, 11,5 x 17,5 cm, 128 p., 8,00 €

● Le petit traité d’E. Pastore, laïque consacrée de Regnum Christi, n’apporte rien de très novateur à la théologie de la femme qu’il voudrait promouvoir. L’intérêt de l’ouvrage n’est pas dans son originalité, mais dans le profond bon sens de l’A., qui présente, en une centaine de pages et avec une grande clarté, l’évolution de la question féminine au fil de l’histoire, le débat contemporain sur la question homme/femme (écueils d’un féminisme erroné mesurant constamment la femme à un modèle masculin au lieu d’approfondir pour lui-même le mystère féminin : non-sens de la théorie du gender ; réflexion sur la complémentarité profonde entre l’homme et la femme en termes de don), ainsi que les principaux acquis de l’enseignement de l’Église sur le mystère de la femme (en particulier chez Jean-Paul II et Benoît XVI), en ses divers états de vie. Qui a dit que les femmes n’avaient pas d’esprit de synthèse ? Un tour de force en la matière !

S. Hamring, Stairway to Heaven. Un voyage initiatique

coll. Témoignage, Paris, Éd. de l’Emmanuel, 2015, 15 x 22 cm, 274 p., 18,00 €

● Le « voyage initiatique » que nous propose Sofie Hamring retrace le parcours, chaotique s’il en est, qui l’a menée jusqu’à la vie dominicaine. Des soirées-concerts bien arrosées entre amis à Stockholm à un kibboutz israélien, d’un ashram indien à la découverte de l’Australie, du yoga à la psychanalyse freudienne, rien ne comblait la quête spirituelle de la jeune femme, jusqu’au jour, enfin, de la rencontre avec le Christ. Un témoignage qui frise souvent l’étalage, mais qui pourra néanmoins aider des jeunes en recherche à découvrir Celui qui est le Chemin, la Vérité et la Vie.

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