Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Les plumes du paon

Sheila Anne Burke

N°2016-1 Janvier 2016

| P. 77-80 |

Sur un autre ton

Cette notule, de la plume d’une Franciscaine de Swormville (New York) récemment décédée, est parue dans la Religious Life Review 54 (2015), p. 361-363, avec cet avertissement de l’éditeur : « l’humour de ces pages n’apparaîtra peut-être pas toujours drôle à certains supérieurs »...

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Le paon possède un plumage merveilleux, coloré, artistique, unique. C’est ce qui le met tout à fait à part des autres oiseaux. Il déploie sa magnificence à chaque fois qu’il veut impressionner et attirer l’attention, ou faire tomber sous son charme l’autre de son espèce. Il en est tellement fier ! « Fier comme un paon ! », dit le proverbe.

Il ne connaît la beauté incomparable de son plumage que lorsqu’il sent l’attention et entend les expressions de ceux qui s’attroupent autour de lui pour l’admirer. Je ne pense pas qu’il ait jamais vu ses propres plumes. Mais nul doute qu’elles sont spectaculaires et qu’il a de quoi en être fier.

Sa beauté le fait se sentir puissant, important, et il s’en délecte en se pavanant. C’est à la manière dont on le regarde qu’il comprend qu’il est tellement différent du commun des oiseaux.

Application

Le jour où vous êtes élu par votre Congrégation, lors du Chapitre général, vous vous sentez exactement comme ce paon. Tout le monde voit en vous une grandeur, un jeu de couleurs, une force et des capacités que vous n’apercevez pas vous-même. Vous en êtes tout hébété.

« Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qu’ils me trouvent tous ? »

« Je ne vois rien de si spécial ! D’autres, de toute évidence, feraient bien mieux l’affaire. Certains envient même cette place privilégiée, qui semble remplie d’autorité et de grandeur. Moi non ! »

Emporté par un moment d’émotion, un sentiment d’euphorie, ou par la pression de vous entendre nommer encore et encore et encore (lors du dépouillement des bulletins), vous sombrez en état de choc, comme si cela ne pouvait pas être vrai. Vous n’entrevoyez que faiblement les conséquences de ce moment et tous les moments qui vont suivre.

En surface, l’état total de chaos vous conseille de dire « Non merci ! ». Mais votre orgueil balaye cela d’un revers de la main. Et, comme le paon, vous faites la roue.

Vous commencez à croire que oui, il y a bien en vous ce quelque chose, que les autres ont su discerner, un aspect de vous que vous ne pouviez voir vous-même. Au milieu des larmes et des promesses de soutien que vous recevez de presque tous, vous êtes porté à croire que vous avez été choisi à bon droit et que vous avez ce qu’il faut pour ça.

La journée avance, et dans votre tête se bousculent toutes sortes de pensées extrêmes, stratégies, résultats, réussites, échecs. « Mais bon, je ne suis là que pour un temps ».

Le jour suivant apporte avec lui la réalisation de ce qui attend inévitablement celui qui a un plumage aussi exotique ! Chaque plume est très recherchée... et la réalité vous rattrape. Petit à petit, on vous plume, on vous arrache, un à un, vos charmants atours. Certains, par jalousie – et vous voici dépouillé de tout attrait visible, que d’autres convoitent pour eux-mêmes. Certains, simplement pour vous appauvrir et vous faire perdre jusqu’à la crédibilité dont vous jouissiez dans votre position.

En clair, à la fin de votre mandat, vous n’avez plus aucune raison de faire le paon. Votre plumage a perdu sa forme spectaculaire, son éclat, sa couleur, tout juste pourrait-on encore s’en servir comme plumeau ! Comme un objet auquel se colle tout ce qui est indésirable et déplacé. Comme une chose usée et malmenée et si laide qu’elle n’est bonne qu’à finir dans la poubelle !

Et c’est ce que pensent et ont expérimenté bien des membres de l’équipe.

Arrive alors le jour où votre mandat s’achève, et vous réalisez que votre beauté, votre force, ne sont pas celle d’un paon déplumé de tout son charmant plumage. Non, votre grandeur, c’est d’avoir osé, comme Marie, un « Fiat » courageux.

Maintenant, le moment est venu de dire un « Merci » plein de gratitude. Votre grandeur ne dépend pas de ce que les autres voient en vous, mais de ce que Dieu et vous voyez l’un dans l’autre.

C’est la beauté de donner et d’exister !

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