Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Pensées sur l’Année de la Vie consacrée

D’une lettre du Père Ghislain Lafont o.s.b.

Ghislain Lafont, o.s.b.

N°2015-1 Janvier 2015

| P. 44-46 |

Voici un courrier aux saveurs multiples, dont nous n’avons pas voulu priver nos lecteurs. La délicieuse liberté de l’auteur nous donne certainement de réfléchir et, qui sait ?, suscitera d’autres interventions brèves, percutantes, utiles, qui permettront à cette Année de la Vie Consacrée de ne pas s’installer dans les célébrations plus ou moins convenues…

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L’article sur Mutuae Relationes que vous reproduisez sur votre site a été écrit en relation avec ou sur la base de plusieurs travaux que j’ai publiés après le Concile.

Le premier [1] essayait de mettre au clair la question préceptes/conseils et de montrer que la plupart des enseignements de Jésus ne sont pas des conseils, mais des préceptes (la « Loi nouvelle ») adressés à tous, les conseils visant plus précisément l’état de vie des « eunuques pour le Royaume ».

Les deux suivants montraient que la théorie du centralisme pontifical, construite par les théologiens de l’âge baroque (Bellarmin et Suarez) expliquait la pratique de l’Église en matière de vie religieuse : au niveau de la liturgie [2] (pourquoi la prière des prêtres, et des religieux et religieuses à vœux solennels était réputée « prière de l’Église », à l’exclusion des autres ; c’est un commentaire critique de Sacrosanctum Concilium 83-84). Puis au niveau de l’institution religieuse elle-même [3], la prégnance d’une ecclésiologie pontificale ne permettant pas de fonder théologiquement le caractère propre et l’autonomie institutionnelle de la vie religieuse. Dans les deux cas, j’essayais de construire une théologie qui me semblait plus cohérente.

L’article sur Mutuae relationes était l’application à la question évêques/supérieurs religieux des prémisses établies dans les travaux ci-dessus.

Je crois sincèrement que le Saint Siège, depuis l’avènement de Jean-Paul II, a interprété le Concile sous le signe de la « continuité », c’est-à-dire d’une mise à jour progressive et sans vagues – ce dont témoignent entre autres une « année sacerdotale » dominée par la figure du Curé d’Ars (un très saint prêtre, mais rural, sans vraie culture et personnellement rigoriste), et maintenant une « année de la vie consacrée » (quel modèle va-t-on nous proposer ?). Les difficultés que rencontre l’Église sont, dans cette perspective, attribuées aux « abus » internes et aux concessions indues à la « modernité ». La « continuité » implique donc une grande part de restauration.

Personnellement, je ne parviens pas à entrer dans une telle interprétation. Je pense que les textes du Concile, tels qu’ils sont écrits, comportent une part de « rupture » avec le passé tridentin, voire médiéval ; et c’est cette rupture partielle qui permet l’avènement d’un chemin plus évangélique et d’une continuité vraie. Je crois que les notions de « prêtre » et de « religieux » ont été approfondies et donc modifiées au Concile, et qu’il aurait par conséquent fallu travailler à un renouvellement en profondeur des institutions correspondant à ces notions renouvelées. Je crois que la crise des « vocations » vient pour une part de ce que celles-ci ne correspondent plus à la figure d’Église dessinée à Vatican II ; c’est d’ailleurs pourquoi, je crois, les « vocations » sont plus nombreuses dans les espaces de restauration à l’ancienne – en France, par exemple, la communauté Saint-Martin ou les prêtres de saint Jean-Marie Vianney.

Il me semble que la vraie catégorie interprétative est bien exprimée dans la formule de Michel de Certeau : « ruptures instauratrices ». Je crois que l’histoire procède toujours ainsi : dans le cosmos, dans l’humanité, dans l’Église. C’est après coup qu’on perçoit que l’évolution était homogène ; sur le moment, il faut accepter les mutations. Rien n’est alors perdu de la valeur indestructible du passé, car celle-ci se retrouve transformée, au terme de la rupture. Si on refuse la mutation, la voie royale sur laquelle on était devient voie de garage.

Par ailleurs, je m’étonne de tant de réunions, réflexions, conférences, écrits… comme si la vie religieuse était florissante, comme s’il n’y avait pas lieu d’en faire une « critique » (au sens des Critiques de Kant). Il est possible que vous le fassiez dans votre Revue. Vous me pardonnerez, mais je vais sur 87 ans, j’ai un peu décroché de l’actualité, je n’arrive plus tellement à m’intéresser à ce sur quoi j’ai pourtant pas mal travaillé !! (Puis-je vous dire que je me sens un peu mal à l’aise avec l’éditorial de votre numéro d’octobre 2014 : il y a un catalogue tellement exhaustif de genres de vie, dont certains n’ont que des liens assez lointains avec la vie religieuse, qu’on finit par se demander : quelle est l’originalité de celle-ci, ou bien, inversement : qu’est-ce qu’un laïc ? (celui qui n’entre pas dans ce catalogue ?). Mais je suis peut-être aveuglé par mes préjugés.

[1« Les voies de la sainteté dans le peuple de Dieu », dans M.-J. Le Guillou et Gh. Lafont, L’Église en marche, Paris, Desclée de Brouwer, 1964, 147-209.

[2« Liturgie et ministères dans les communautés baptismales » a été publié dans deux revues différentes, Istina, 1967, 274-286 et Questions liturgiques et paroissiales, 1967, 764-785.

[3« L’Esprit-Saint et le droit dans l’institution de l’Église », La Vie Spirituelle. Supplément, 1967, 473-502 et 594-650.

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