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Deux femmes « dans la nuit allemande » : Gertrud von Le Fort et Édith Stein

Didier-Marie Golay, o.c.d.

N°2011-4 Octobre 2011

| P. 243-253 |

Sur la somptueuse question des relations de Gertrud von Le Fort avec Édith Stein (eu égard notamment au Dialogue des Carmélites), l’un des heureux traducteurs des œuvres allemandes de la sainte Carmélite nous livre ici l’étude décisive, du point de vue historique, certes ; mais il nous montre aussi l’étonnante rencontre, dans la « nuit allemande », de deux très hautes destinées spirituelles qui ne cessent de nous inspirer.

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Nous voudrions, dans cet article, évoquer l’amitié qui unit Gertrud von Le Fort à Édith Stein, sœur Thérèse Bénédicte de la Croix, et montrer la parenté d’âme qui les unit. Nous nous appuierons tout d’abord sur les divers écrits [1] d’Édith Stein concernant Gertrud von Le Fort ainsi que sur le témoignage et les souvenirs de Gertrud von Le Fort. Pour finir, nous laisserons quelques paroles de l’une et de l’autre entrer en résonance.

Une profonde amitié

Il est extrêmement difficile de savoir la date exacte de leur première rencontre. Un certain nombre de personnes évoquent les années 1930-1932. Dans sa déposition pour le procès de béatification d’Édith Stein, Gertrud von Le Fort parle des années 1925-1926 [2]. Sans doute faut-il distinguer la mise en relation par l’intermédiaire du jésuite polonais Erich Przywara de la première rencontre effective qui pourrait avoir eu lieu à Munich entre 1930-1932 [3]. Par contre ce qui est certain, c’est qu’une profonde amitié unit ces deux femmes comme nous pouvons le voir dans la correspondance et les écrits d’Édith Stein qui évoque à trois reprises Gertrud von Le Fort :

  • En 1932-1933, dans le cours qu’elle prépare pour l’Institut des Sciences Pédagogiques de Münster, dans la partie intitulée « l’anthropologie comme fondement de la pédagogie », elle évoque quatre auteurs : Tolstoï, Dostoïevski, Sigrid Undset et Gertrud von Le Fort.
  • Dans l’introduction de l’article « Histoire et esprit du Carmel », publié dans l’édition du 31 mars 1935 de l’Augsburger Postzeitung, Édith écrit : « En Allemagne, l’attention des milieux intellectuels a été particulièrement attirée sur notre Ordre par la nouvelle de Gertrud von Le Fort ainsi que par sa belle préface aux Lettres de Marie-Antoinette de Geuser ». La nouvelle à laquelle Édith fait allusion ici est La dernière à l’échafaud (Die Letzte am Schafott, 1931), qui raconte le martyre des carmélites de Compiègne.
  • Nous trouvons une dernière mention dans une note de son « grand opus » : L’Être fini et l’Être éternel. Édith écrit : « La plante telle qu’elle est ici décrite, me semble être le symbole achevé de la ‘femme éternelle’ (c’est-à-dire de la mère) comme l’a dépeinte Gertrud von Le Fort (Die ewige Frau, Munich, 1934, p. 97s.) ».

Mais c’est la correspondance qui nous permet de mieux percevoir le lien d’amitié qui unit ces deux femmes. Outre les cinq lettres adressées à Gertrud von Le Fort, cinq autres lettres d’Édith en parlent.

À diverses reprises, Édith recommande la lecture des œuvres de Gertrud von Le Fort :

  • Répondant à la demande de sœur Callista Brenzing, elle lui écrit « Vous vous étonnerez de ce que je voudrais vous proposer : comme roman historique Le Pape du Ghetto (1929) et comme roman éducatif Le Voile de Véronique (1928). Cependant vous pouvez bien sûr ne prendre qu’un des deux ».
  • Elle suggère à Ruth Kantorowicz divers cadeaux pour le jubilé d’argent du père Charles Jopper : « Il n’est pas exclu que quelque chose de Gertrud von Le Fort soit le bienvenu. Vous-même considérez les Hymnes à l’Église comme son œuvre la plus essentielle et fondamentale ».
  • Dans une lettre à sa marraine, Edwig Conrad-Martius, elle indique : « Je crois que la lecture du livre de Gertrud von Le Fort, La Femme éternelle (Kösel 1934, certainement à la bibliothèque du Land) vous serait une joie ».

La correspondance entre Édith et Gertrud

Selon ce qui est conservé, les échanges épistolaires commenceraient en 1933, par une lettre d’Édith du 9 octobre 1933, ce qui tend à accréditer la thèse d’une rencontre dans les années trente.

Édith évoque une « lettre affectueuse » que lui a envoyée Gertrud, puis elle évoque la souffrance de sa mère devant sa prochaine entrée au Carmel de Cologne, le 14 octobre 1933. Elle écrit : « J’ai pensé souvent que cela aurait beaucoup d’importance pour vous de connaître ma mère [4]. Elle a une certaine parenté avec la grand-mère de Véronique ». Elle évoque ici Le voile de Véronique, (Das Schweibtuch der Veronika, 1928), roman dans lequel Gertrud von Le Fort raconte de manière voilée sa conversion du protestantisme au catholicisme en 1926. Édith poursuit : « Naturellement, j’ai aussi pensé très souvent à vous ces derniers mois, depuis que je connais mon chemin ». À la fin de cette lettre, elle écrit : « j’ai entendu parler de quelque chose de très beau que vous avez écrit sur la nature de la femme. Puis-je le recevoir pour le lire ? » [5].

Les notes précisent qu’il s’agirait de l’ouvrage La Femme éternelle (Die ewige Frau, 1934). Dans une lettre du 17 octobre 1933, Édith écrit : « Je viens à l’instant de lire dans ma silencieuse cellule votre belle louange mariale » [6].

La retraite de communauté se déroule du 22 au 31 janvier 1935. Sœur Thérèse Bénédicte écrit à Gertrud : « Ma lecture spirituelle en ces jours était votre nouveau [7] livre [ La Femme éternelle]… Je trouve maintenant superflu tout ce qu’on a écrit ces dernières décennies au sujet de la femme ».

Nous avons déjà vu qu’Édith recommanda la lecture de La Femme éternelle à sa marraine. Elle souhaite susciter un échange entre Hedwig Conrad-Martius et Gertrud von Le Fort : « Vous feriez grande joie si vous pouviez lui [Gertrud] envoyer le livre des plantes : vous remarquerez vous-même combien les deux vont ensemble. Dès ma première rencontre avec Gertrud von Le Fort, j’ai perçu une grande affinité avec vous. Ce serait bien que vous entriez toutes deux en relation » [8]. Édith évoquera brièvement des similitudes dans leurs pensées comme elle l’indique dans L’Être fini et l’Être éternel que nous avons cité au début de notre article.

Quelques interrogations

Ce que nous avons écrit plus haut nous amène à nous interroger sur l’affirmation que nous trouvons un peu partout indiquant que pour écrire son œuvre, La Femme éternelle, Gertrud von Le Fort aurait eu sous les yeux l’image d’Édith Stein en robe de mariée le jour de sa prise d’habit. Cela semble totalement irréaliste car Édith est entrée au carmel le 14 octobre 1933. Elle a pris l’habit le 15 avril 1934. Le 4 mai, sœur Thérèse Bénédicte écrit à Gertrud qu’elle avait espéré sa venue à la célébration. Sans doute lui envoie-t-elle comme à sa sœur Erna une photographie prise par le père Provincial. Elle précise dans un courrier de fin mai 1934, qu’elle n’a pu lui envoyer la « vraie photographie nuptiale », c’est-à-dire celle qui fut prise par Hedwig Spiegel, où le voile est baissé devant le visage d’Édith [9].

À l’automne 1934, Gertrud von Le Fort se rend au carmel de Cologne et découvre concrètement la vie des carmélites [10]. Elle demande et obtient de pouvoir regarder sœur Bénédicte sans le voile d’usage, elle écrit : « Je pus regarder son visage qui était rayonnant, et donc je n’oublierai jamais l’expression radieuse, presque transfigurée. Jamais je n’avais vu Édith ainsi, lorsqu’elle se trouvait encore dans le monde » [11].

Dans une lettre du 9 novembre 1952, à Élisabeth de Miribel, Gertrud von Le Fort répond à la demande de savoir si la conversation vécue durant cette rencontre a influencé un chapitre de son livre La Femme éternelle : « Non, car mon livre était déjà paru lorsque je la vis. Mais tandis que je travaillais à ce chapitre, j’avais sa photographie sous les yeux et je la regardais souvent » [12].

De quelle photographie peut-il s’agir ? En aucun cas de celle qui se rapporte à la profession d’Édith, en avril 1934, puisqu’Édith a eu entre les mains l’ouvrage de Gertrud, non encore publié, dès octobre 1933. Nous pouvons mettre très sérieusement en doute le témoignage de Gertrud von Le Fort. Il s’agit vraisemblablement d’une reconstruction symbolique qui n’est qu’un mythe. Dans ses nouvelles et dans ses romans, Gertrud von Le Fort met en place une « transfiguration romanesque » et il lui arrive de la transposer dans sa propre vie, troublant ainsi ses futurs biographes.

À la question de savoir l’influence qu’elle a pu avoir sur Gertrud von Le Fort pour la rédaction de La Dernière à l’échafaud, Édith répond dans une lettre du 27 février 1935 : « Elle est tombée sur toutes les données nécessaires sans avoir eu aucun rapport avec moi. Cependant peu après, elle est venue me voir à Munich, et tout un après-midi nous avons parlé du Carmel, dont elle était spirituellement encore assez éloignée à l’époque » [13]. Il faut demeurer très prudent au sujet de la possible influence d’Édith Stein sur Gertrud von Le Fort. En effet, la nouvelle est parue en 1931 ; à cette époque Édith connaissait bien les textes des auteurs carmélitains et sans aucun doute l’esprit de l’Ordre, mais elle n’avait aucun contact avec un carmel et ne savait pas grand-chose de la vie concrète des carmélites.

Notons également, que M. William Bush a mis en évidence le lien existant entre la préface du cardinal Villecourt à l’ouvrage Histoire des religieuses carmélites de Compiègne… et la nouvelle de Gertrud von Le Fort [14]. Son ancienne secrétaire atteste par ailleurs que la bibliothèque de Munich possédait un exemplaire de cet ouvrage.

Deux femmes vibrant à l’unisson

Grâce à la déposition de Gertrud von Le Fort en octobre 1965 pour le procès de béatification d’Édith Stein, nous savons qu’elle a lu divers manuscrits qu’Édith lui faisait connaître. Elle rapporte à nouveau : « J’ai vu son visage lors d’une conversation au parloir, un court moment, sans voile : il rayonnait de bonheur. Aujourd’hui encore, j’ai un souvenir très vif de cette vision. Je ne l’oublierai jamais ». Gertrud indique que, son frère étant poursuivi par le nazisme, elle a dû suspendre sa correspondance avec Édith, les lettres passant par la censure. Plus tard, elle écrivit au promoteur de la cause que deux fois seulement un visage humain lui avait paru saint : ceux de Pie X et d’Édith Stein.

Gertrud et Édith avaient toutes deux un grand amour de l’Histoire qui les gardait ancrées dans le temps présent. Gertrud écrit : « Je n’ai jamais considéré l’Histoire comme une fuite de mon époque mais comme une distance qui permet de mieux reconnaître son propre temps comme on perçoit vraiment la forme d’une montagne quand on n’est pas trop proche ». Sur ce même sujet, Édith confie : « Cet amour de l’Histoire n’était pas chez moi une manière purement romantique de me plonger dans le passé ; une participation passionnée aux événements politique du présent représentant l’histoire en train de s’écrire y était étroitement associée » [15].

Toutes les deux sont profondément chrétiennes ; dans Hälfte des Lebens, Gertrud évoque son propre cheminement : « la révélation de l’amour de Dieu pour l’éternité reposait dans le Christ, ce qui m’a été enseigné par ma mère. Sa bouche m’a appris à prononcer son nom et toute ma vie religieuse trouve là sa profonde unité intérieure, qui plus tard trouva au sein de l’Église catholique sa destination ».

Cette confidence nous semble rejoindre celle d’Édith Stein dans une lettre, du 13 décembre 1925, à son ami Roman Ingarden : « Le Christ est le centre de ma vie et l’Église du Christ ma patrie » [16].

Dans la nuit allemande

« Retire tes sandales de tes pieds car le lieu où tu te tiens est une terre sainte » (Ex 3, 6). Ces paroles que Dieu adresse à Moïse avant de lui révéler son nom nous semble montrer l’attitude nécessaire pour entrer dans le récit de Gertrud von Le Fort : Dans la nuit allemande. Il nous faut nous déchausser pour entrer avec respect, mesure et retenue dans le sanctuaire intime de l’expérience de Gertrud, dans le « Saint des Saints » de son être.

En effet la conférence, ou plus exactement le témoignage, qu’elle a offert en 1947 sur l’expérience qu’elle a traversée « dans les ténèbres les plus profondes et dans l’épouvante […] des cinq dernières terribles années de l’histoire allemande » [17] requiert cette attitude de désappropriation et d’humilité pour accueillir ce qu’elle veut nous révéler.

Les temps dans lesquels se rencontrèrent Édith Stein et Gertrud von Le Fort furent ceux de la montée en puissance du National-Socialisme et de la venue au pouvoir d’Adolf Hitler et des nazis. Édith, comme juive, sera emportée par cette tourmente qu’elle avait vu venir. Le 31 janvier 1931, elle donnait une conférence à Ludwigshafen : Le Mystère de Noël, Incarnation et Humanité [18], dans laquelle elle trace un chemin pour les « compagnons du Fils de Dieu fait homme ». Elle indique un chemin pour suivre le Christ : « Il nous […] met en demeure de choisir entre la lumière et les ténèbres » [19]. Il nous semble que ce qu’Édith annonce en 1931 et le chemin qu’elle propose aux chrétiens pour « résister » à la puissance des ténèbres se trouve réalisé et accompli dans le témoignage si puissant de Gertrud von Le Fort, Dans la nuit allemande.

Gertrud évoque « une plongée dans les ténèbres les plus profondes » et pourtant, elle affirme « je ne voudrais pas que le chemin dans la nuit fût absent de ma vie » [20]. Elle confesse même : « Je suis très gravement et très douloureusement reconnaissante d’avoir pu vivre en Allemagne cette route de douleur ». En 1933, lorsqu’Édith ne peut plus enseigner, à cause de sa judaïté, elle écrit : « si les temps n’étaient pas si tristes, je ne pourrais personnellement que leur être reconnaissante de m’avoir finalement ouvert cette voie » [21].

Gertrud nous livre son expérience : « Certaines révélations de l’amour divin ne nous sont données qu’à l’extrême limite du délaissement et au seuil même du désespoir » [22]. Et cette période devient pour elle un « gain » car elle a conduit à « confronter toutes les valeurs humaines avec ce qui est passager et le soumettre à un jugement ».

Elle rappelle ensuite les situations contrastées vécues par des allemands qui aidèrent les persécutés ou qui collaborèrent à la persécution. Elle évoque alors la découverte de « l’extrême fragilité de tout ce que nous avons désigné par les mots de culture, civilisation, comportements humains ». Elle s’appuie sur l’enseignement du Christ en Mt 12, 43-45 [23] et conclut : « Notre génération a en effet perdu la notion de la puissance du mal ». Édith écrivait : « Aujourd’hui comme jadis l’étoile de Bethléem luit dans une sombre nuit. […] La puissance mystérieuse du mal enveloppait le monde dans la nuit » [24].

Gertrud s’oblige alors à réfléchir sur le « Mysterium iniquitatis » [25], sur le mystère d’iniquité, et ose parler du Diable, dont la plus grande ruse est de parvenir à faire croire qu’il n’existe pas. Édith Stein face à cette « nuit allemande » du régime nazi parlera du « combat […] contre l’Antéchrist » [26].

Notre poétesse parle alors d’une clef de compréhension des événements qui advient à la conscience lorsqu’elle comprend qu’il s’agit d’une réalité « surnaturelle ». Dans un texte de 1934, Édith parle de « celui dont les yeux spirituels se sont ouverts sur les interactions surnaturelles des événements de l’Histoire du monde » [27]. Toutes deux nous invitent à un regard théologal sur les réalités de l’Histoire.

Le long passage où Gertrud von Le Fort évoque « le miracle de Noël » [28] nous semble en profonde consonance avec le texte d’Édith, Le Mystère de Noël. Nous retrouvons beaucoup de points communs dans ces deux textes : l’unité des croyants, l’importance de la prière et du sacrifice, le désir de connaître le Christ et de le laisser croître en nous, sans oublier le fait de ne pouvoir compter que sur Dieu seul. Gertrud parle du « gain extraordinaire, irremplaçable d’un temps où tous les soutiens humains nous furent enlevés […]. À ce moment-là une seule réponse peut être donnée : Dieu demeure » [29].

Appuyée sur cette « certitude de l’amour divin », elle évoque le changement d’attitude qui se produit « non envers le péché mais envers le pécheur. […] Comme la nuit ne s’éclaircit que par la lumière, ainsi un peuple déchristianisé doit tout d’abord apprendre à reconnaître la gloire du Christ » [30].

Invitant ses sœurs à renouveler leurs vœux, le 14 septembre 1941, sœur Thérèse Bénédicte écrit : « Mais de cette horreur même du péché jaillit un amour invincible pour le pécheur […] l’amour du Christ les pousse à descendre dans la nuit la plus profonde. Et nulle joie de mère ici-bas n’est comparable à la béatitude de l’âme qui peut allumer dans la nuit du péché la lumière de la grâce. Le chemin qui y conduit est la croix » [31]. Cette « certitude de l’amour divin » conduit à aimer à son tour et Gertrud parle du « gain inappréciable » de la nouvelle signification que prend pour elle « l’amour chrétien : avoir eu la révélation profonde et totale de l’indignité de l’homme, et de sa puissance pour le mal et l’aimer encore » [32].

Dans Le Mystère de Noël, Édith écrivait : « Pour un chrétien, il ne peut y avoir d’“étrangers”. Est toujours notre “prochain” celui qui se trouve près de nous, celui qui a le plus besoin de nous. Peu importe qu’il soit ou non notre parent, qu’il nous “plaise” ou non, qu’il soit ou non “moralement digne” de notre aide. L’amour du Christ ne connaît pas de frontières, il ne s’arrête jamais, ni la laideur, ni la vermine ne le rebutent. Il est venu pour les pécheurs et non pour les justes. Et si l’amour du Christ vit en nous, nous ferons comme Lui et chercherons les brebis perdues » [33]. C’est sur une profonde espérance qu’Édith Stein achève sa conférence : « Avec le Fils de l’Homme, à travers la souffrance et la mort, notre cheminement, celui de toute l’humanité, aboutit aussi à la gloire de la Résurrection » [34].

Le même souffle anime le texte de Gertrud von Le Fort : « Seul l’Esprit, que nous nommons en même temps l’Esprit d’Amour et l’Esprit créateur, peut nous donner une véritable victoire. De Lui seul, et seulement de Lui, nous avons la promesse certaine que sur notre terre encore toutes les choses peuvent devenir nouvelles ».

Les trois textes [35] de Gertrud von Le Fort qui sont confiés aux lecteurs dans Écrits de résistance sont une invitation à une vie surnaturelle, à une vie théologale où notre nature est mue par la Foi, l’Espérance et l’Amour.

C’est bien de cette espérance qu’Édith et Gertrud nous invitent toutes deux à vivre.

[1Pour les écrits d’Édith Stein, nous donnons les références des traductions françaises quand cela est possible. Autrement nous renvoyons à l’édition allemande des œuvres complètes aux éditions Herder : Edith Stein Gesamtausgabe, (ESGA) en 28 volumes. Nous indiquons le numéro du volume et la page.

[2La mémoire et les souvenirs de Gertrud von Le Fort sont à prendre avec beaucoup de précaution. Par exemple, elle affirme dans une lettre du 8 octobre 1952 : « De nos entretiens j’ai conservé surtout le souvenir de l’amour d’Édith envers sa mère, du souci qu’elle avait de son bien spirituel ; elle aurait tant désiré qu’elle se fît chrétienne… Si Dieu a comblé son vœu, je ne saurais le dire… », cité par Élisabeth de Miribel, Édith Stein, Seuil, 1953, p. 64. Citons la réaction d’Édith après la mort de sa maman : « Les nouvelles de sa conversion étaient une rumeur absolument sans fondement. Je n’ai aucune idée de qui a inventé cela… » ; Lettre du 4 octobre 1936, à sœur Callista Kopf, ESGA 3, Selbstbildnis in Briefen II (1933-1942), 2000, p. 203.

[3Cf. ESGA 2, Selbstbildnis in Briefen I (1916-1933), 2000, p. 205, note 3.

[4À plusieurs reprises, Édith propose une rencontre entre sa mère et Gertrud von Le Fort : cf. Lettre du 17 octobre 1933 et lettre postérieure au le 10 mai 1934. Aucune trace d’une éventuelle rencontre n’a été retrouvée.

[5ESGA 2, p. 308.

[6ESGA 3, p. 20.

[7Le terme « nouveau » semble indiquer la récente parution de l’ouvrage. En 1933, Gertrud von Le Fort avait sans doute envoyé une copie de son manuscrit.

[8ESGA 3, p. 174, lettre du 17 novembre 1935,

[9Pour découvrir ces photos, voir notre ouvrage, Édith Stein, Devant Dieu pour tous, Cerf, 2009, p. 186-187.

[10ESGA 3, p. 89, lettre à mère Petra Brüning, du 14 décembre 1934.

[11Élisabeth de Miribel, p. 172.

[12Élisabeth de Miribel, p. 172.

[13ESGA 3, p. 114.

[14Sœur Marie de l’Incarnation, La relation du martyre des seize carmélites de Compiègne, Cerf, 1993, p. 40-41 et note 30.

[15Édith Stein, Vie d’une famille juive, Cerf/Éditions du Carmel/Ad Solem, 2008, p. 245.

[16ESGA, Selbstbildnis in Briefen III, Briefe an Roman Ingarden, 2001, p. 168.

[17Écrits de résistance, p. 97.

[18Édith Stein, Le Mystère de Noël, Éditions de l’Orante, 1955.

[19« Le Mystère de Noël », p. 34.

[20« Écrits de résistance », p. 97.

[21Lettre de fin juin 1933 à Théodor Conrad.

[22« Écrits de résistance », p. 98.

[23« Lorsque l’esprit impur est sorti de l’homme, il erre par des lieux arides en quête de repos, et il n’en trouve pas. Alors il dit : “Je vais retourner dans ma demeure, d’où je suis sorti.” Étant venu, il la trouve libre, balayée, bien en ordre. Alors il s’en va prendre avec lui sept autres esprits plus mauvais que lui ; ils reviennent et y habitent. Et l’état final de cet homme devient pire que le premier » (Mt 12, 43-45).

[24« Le Mystère de Noël », p. 29.

[25Écrits de résistance, p. 97.

[26« L’expiation mystique », in Source Cachée, p. 231 ; « Pour le 6 janvier 1941 », Source Cachée, p. 273.

[27Édith Stein, « L’expiation mystique », in Source Cachée, Cerf/Ad Solem, 1999, p. 233.

[28Écrits de résistance, p. 102s.

[29Écrits de résistance, p. 104-105.

[30Écrits de résistance, p. 106.

[31Édith Stein, « Exaltation de la Croix », in Source Cachée, Cerf/Ad Solem, 1999, p. 280.

[32Écrits de Résistance, p. 108.

[33Le Mystère de Noël, p. 42.

[34Le Mystère de Noël, p. 60.

[35Écrits de résistance offre aux lecteurs trois textes de Gertrud von Le Fort : deux nouvelles, « La femme de Pilate » (Die Frau des Pilatus, 1955) et « La tour de Constance » (Der Turm des Beständigkeit. Novelle, 1954), et une conférence, « Dans la nuit allemande » (Unser Weg durch die Nacht. Vortrag, 1947). Ces trois écrits portent une trace autobiographique. Ils ont une portée existentielle parce qu’ils touchent à l’universel de l’existence. Ils ont pris chair dans l’existence même de Gertrud von Le Fort et ils rejoignent le lecteur dans les plus grandes profondeurs de sa propre existence et l’interrogent sur les valeurs qui sont les siennes. Nous avons supprimé pour cet article la partie de la préface qui concernait les deux premiers textes.

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