Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Célibat sacerdotal

Emmanuel Schwab

N°2011-4 Octobre 2011

| P. 278-283 |

Quand un curé de Paris réfléchit au célibat auquel il s’est engagé, les repères qui marquent sa consécration apparaissent clairement dans leur profonde unité avec d’autres consécrations. En ouvrant ce dossier, nous offrons à qui a des oreilles pour l’entendre de poursuivre avec nous un chemin d’avenir.

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« En signe que votre âme est livrée au Christ Seigneur, voulez-vous garder à jamais le célibat pour le Royaume des Cieux ? » C’est dans cette traduction littérale du rituel latin [1] que le cardinal Lustiger, le 19 décembre 1987, m’a interrogé, ainsi que quatre autres jeunes hommes, avant de nous ordonner diacres en vue du sacerdoce presbytéral. D’emblée, cette question place le célibat sacerdotal dans une relation intime à Jésus, Christ Seigneur. Une relation unifiante de la personne puisque, pour livrer son âme, il s’agit d’engager son corps.

Cette « garde du célibat » s’enracine dans les sacrements de l’initiation chrétienne, puisqu’à ce moment de la liturgie, le candidat aux Ordres est un christifidelis laicus. Le concile Vatican II n’hésite pas à parler de « consécration au Christ » à propos des fidèles laïcs : « Les baptisés, en effet, par la régénération et l’onction du Saint-Esprit, sont consacrés pour être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint, pour offrir, par toutes les activités du chrétien, autant de sacrifices spirituels, et proclamer les merveilles de celui qui des ténèbres les a appelés à son admirable lumière (cf. 1P 2,4-10) » [2]. La « garde du célibat » déploie un des aspects de cette fondamentale consécration du baptisé. En ce sens, elle rejoint ce que le Catéchisme, reprenant les termes du Code de Droit Canonique, dit de la vie consacrée : « L’état de la vie consacrée apparaît […] comme l’une des manières de connaître une consécration « plus intime », qui s’enracine dans le Baptême et dédie totalement à Dieu [3]. Dans la vie consacrée, les fidèles du Christ se proposent, sous la motion de l’Esprit Saint, de suivre le Christ de plus près, de se donner à Dieu aimé par-dessus tout et, poursuivant la perfection de la charité au service du Royaume, de signifier et d’annoncer dans l’Église la gloire du monde à venir (cf. CIC 573) » [4].

Pas une seule de ces caractéristiques de la vie consacrée ne peut être enlevée du célibat sacerdotal sans que soit perdu quelque chose de sa richesse et de sa vérité. Au milieu de ses frères, le prêtre, ainsi spécifiquement consacré au Christ, est appelé à manifester par sa vie en cohérence avec son état, la « gloire du monde à venir ». Ayant fait lui-même l’offrande exclusive de lui-même pour le Règne de Dieu [5] en « livrant son âme au Christ Seigneur », il est témoin privilégié du Christ qui, par la bouche de l’apôtre, appelle les baptisés à s’offrir à Dieu comme des vivants revenus de la mort et faire de leurs membres des armes de justice au service de Dieu. (Rm 6,12).

Membre du Corps du Christ qu’est l’Église, le prêtre vit d’abord son état de célibataire dans l’union sponsale de l’Église au Christ. Il a à se faire tout entier réceptif, jusqu’en son affectivité, et son affectivité corporelle, au Christ sauveur qui prend soin de son corps qui est l’Église (cf. Ep 5,29). Son état réclame une vie de prière amoureuse fidèle et généreuse, nourrie de la Parole de Dieu, et une fidélité aux sacrements de l’Eucharistie et de la Pénitence. Ce sont là les « touchers » du Christ qui prend soin de son Église.

Mais ce célibat sacerdotal signifie aussi quelque chose du ministère sacerdotal et de la personne du Christ lui-même. Le célibat du Christ Jésus est d’abord un fait. Et un fait volontaire puisqu’il déroge au commandement fondamental que l’homme reçoit au jardin d’Éden : « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme et ils seront deux vers une seule chair » (Gn 2,24). Saint Paul, dans le même passage que précédemment cité, donne la clef de cette dérogation. A propos de ce verset de la genèse, il s’écrit : « Ce mystère est grand ! Moi, je le dis à propos du Christ et à propos de l’Église » (Ep 5,32). Le Christ vient accomplir le mystère des noces comme il viendra accomplir la Torah et les prophètes (Mt 5,17). D’emblée – et dans l’évangile selon saint Jean, le commencement des signes se situe à Cana –, Jésus se dévoile comme l’Époux. Le célibat de l’Agneau est en vue du festin de ses noces.

Le célibat sacerdotal, tenu comme règle venant des apôtres [6], renvoie d’abord au célibat de Jésus, Messie d’Israël. Il s’agit pour l’évêque, le prêtre ou le diacre, de manifester l’amour exclusif et inconditionnel de Jésus Sauveur pour son Église et par là, l’amour de Dieu pour chaque homme. Le célibat sacerdotal se trouve donc à nouveau relié au mystère nuptial, mais cette fois-ci du côté de l’époux. « « Saisi par le Christ Jésus » (Ph 3,12) jusqu’à s’abandonner totalement à Lui, le prêtre se configure plus parfaitement au Christ également dans l’amour avec lequel le Prêtre éternel a aimé l’Église son Corps, s’offrant tout entier pour elle, afin de s’en faire une Épouse glorieuse, sainte et immaculée (cf. Ép 5,25-27). La virginité consacrée des ministres sacrés manifeste en effet l’amour virginal du Christ pour l’Église et la fécondité virginale et surnaturelle de cette union, en vertu de quoi les fils de Dieu ne sont pas engendrés de la chair et du sang (Jean 1,13) » [7].

L’anneau de l’évêque a clairement une signification nuptiale. La parole du rituel qui accompagne la remise de l’anneau dit : « Recevez cet anneau, signe de fidélité : gardez dans la pureté de la foi l’Épouse de Dieu, la sainte Église ». La réforme liturgique qui a déployé la célébration de l’Eucharistie dans laquelle le prêtre à l’autel fait face au fidèle a aussi accentué cette dimension nuptiale de la liturgie eucharistique.

Mais plus profondément, la célébration même de la messe convoque le prêtre au mystère nuptial. « La nuit même où il fut livré, il prit le pain, en rendant grâce il le bénit, il le rompit et le donna à ses disciples, en disant : Prenez, et mangez-en tous : ceci est mon corps livré pour vous » [8]. Il est clair qu’il s’agit du Christ. Que c’est le Christ qui se livre en son corps, accomplissant ainsi ce qu’il disait en entrant dans le monde : « En entrant dans le monde, le Christ dit : ‘Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation ; mais tu m’as façonné un corps. Tu n’as agréé ni holocaustes ni sacrifices pour les péchés. Alors j’ai dit : Voici, je viens, car c’est de moi qu’il est question dans le rouleau du livre, pour faire, ô Dieu, ta volonté.’ Il commence par dire : Sacrifices, oblations, holocaustes, sacrifices pour les péchés, tu ne les as pas voulus ni agréés – et cependant ils sont offerts d’après la Loi –, alors il déclare : Voici, je viens pour faire ta volonté. Il abroge le premier régime pour fonder le second. Et c’est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés par l’oblation du corps de Jésus Christ, une fois pour toutes. » (He 10,5-10). Mais le prêtre ne peut prononcer ces paroles sans entendre de sa propre bouche : « mon corps » ; intuitivement, il perçoit qu’il ne peut dire ces paroles de Jésus sans que son propre corps, à lui, prêtre de Jésus Christ, soit concerné. Il ne peut livrer le Christ sans être lui-même livré. Il ne peut vouloir donner le Christ sans vouloir lui-même se donner.

Certes, tout baptisé est destiné à devenir une éternelle offrande à la gloire du Père [9]. Tout baptisé est exhorté par l’apôtre Paul à « offrir [son] corps en sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu » pour accomplir ce qui est bon, ce qui est agréable à Dieu, ce qui est parfait (Rm 12,1-2). Mais le prêtre qui célèbre l’Eucharistie reçoit cet appel de manière spécifique. Il lui faut offrir son corps, par Jésus, avec lui et en lui, en amour nuptial pour l’Église à travers le ministère qu’il a reçu. La continence pour le Royaume dit cette offrande et cet amour exclusif du Sauveur.

Cette relation du célibat sacerdotal au mystère des noces de l’Agneau se trouve unifiée par le Verbe. Si, parmi les formes de prédication, l’homélie est réservée au prêtre (sacerdoti) ou au diacre [10], c’est qu’elle a à voir avec la nature même du ministère. Pour que le Verbe de Dieu se fasse chair dans le cœur des fidèles, il faut qu’il se fasse chair dans la vie du ministre. Livrer son âme au Christ Seigneur, c’est se livrer tout entier au Verbe de Dieu pour lui devenir, comme le dit la bienheureuse Élisabeth de la Trinité « comme une humanité de surcroit en laquelle il renouvelle tout son mystère » [11]. L’expérience concrète de l’homélie, c’est que le Verbe de Dieu transforme le prédicateur en le traversant. La parole d’amour que le Verbe-Époux adresse à l’Église-Épouse se trouve en la personne du ministre à l’état à la fois de parole prononcée et de parole reçue. Le choix s’impose entre unification de la personne et schizophrénie. Cette unification suscite dans le cœur du ministre une joie semblable à celle du Baptiste (un autre célibataire pour le Royaume !) : « l’ami de l’époux qui se tient là et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de l’époux » (Jn 3,29).

Du temps de saint Augustin, il était impensable qu’un évêque résidentiel change de siège. Mutatis mutandis, l’Église l’avait perçu aussi pour la charge curiale puisque les curés de paroisse étaient normalement inamovibles [12]. Le curé qui m’a accueilli comme jeune prêtre, très rarement absent de sa paroisse le dimanche, l’expliquait en disant : « Je suis marié avec ma paroisse ». L’expérience curiale est une étonnante expérience nuptiale. Et la fécondité de cette Alliance n’est pas seulement les nouveaux baptisés, mais aussi tous les chemins de conversion et toutes les initiatives missionnaires qui se font jour.

L’actuel archevêque de Paris allonge les mandats de curés jusqu’à 12 ans, durée maximum fixé par la Conférence des évêques. Béni soit-il ! Le fait que, pour l’année sacerdotale, le Pape ait placé comme figure de référence un curé qui est resté 41 ans dans la même paroisse ne m’a pas semblé anecdotique. La stabilité des prêtres dans leur ministère permet aussi l’enracinement humain du don qu’ils font de leur vie, dans la personne du Christ-tête – in persona Christi capitis [13] – à l’Église son Épouse.

« Alors, l’un des sept Anges aux sept coupes remplies des sept derniers fléaux s’en vint me dire : ‘Viens, que je te montre la Fiancée, l’Épouse de l’Agneau’ » (Ap 21,9). Le prêtre n’est pas seulement ébloui par la personne de Jésus Christ. Il l’est aussi par la personne de l’Église. Se tenant à sa place de ministre, c’est-à-dire de serviteur – et l’Église est sage de n’ordonner aujourd’hui prêtres que des diacres ! – le prêtre contemple la fiancée de l’Agneau, celle à qui le Christ, Agneau de Dieu, se donne. Il trouve sa joie en rendant présent l’Époux. Il sait qu’il n’est pas lui-même cet Époux. Mais il en apprend les mœurs puisqu’il a été configuré à Lui. Pour la joie de l’Épouse.

[1Vultis, coram Dómino et Ecclésia, in signum ánimi vestri Christo Dómino dediti, cælibátum propter regnum cælórum in Dei hominúmque servítio perpétuo custodíre ?

[2cf. Vatican II, Lumen Gentium, 10 ; cf. aussi Lumen Gentium, 34

[3cf. Vatican II, Perfectæ caritatis, 5

[4Catéchisme de l’Église Catholique, § 916

[5Benoît XVI, Sacramentum Caritatis, 24.

[6Comme le montre Christian Cochini, s.j., dans son livre Les Origines apostoliques du célibat sacerdotal, Paris, Ad Solem, 2006 (1ère édition : Paris-Namur, Lethielleux-Culture et Vérité, 1981 ; thèse soutenue en 1969 à l’Institut catholique de Paris sous la direction du cardinal J. Daniélou).

[7Paul VI, Sacerdotalis cælibatus, 26

[8Prière Eucharistique III.

[9Id.

[10Code de 1983, c. 767

[11Bse Elisabeth de la Trinité, 34e Élévation à la Sainte Trinité.

[12Code de 1917 c. 454 : §1. Ceux qui sont préposés, en qualité de recteur propre, à l’administration d’une paroisse doivent y être établis d’une manière stable. Cela n’empêche pas cependant qu’ils puissent en être écartés selon les règles du droit.§2. Tous les curés n’obtiennent pas le même degré de stabilité. Ceux qui obtiennent le degré supérieur sont habituellement appelés inamovibles ; ceux qui n’ont que le degré inférieur sont dits amovibles.§3. […] Que les paroisses nouvellement érigées soient inamovibles, à moins que l’évêque, à raison des circonstances spéciales de lieux et de personnes, ne décide avec prudence, après avoir entendu son chapitre, que l’amovibilité convient mieux.

[13Vatican II, Presbyterorum ordinis, 2.

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