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La douceur de la voix

Plaidoyer pour une théologie sapientielle

Michel Van Parys, o.s.b.

N°2011-3 Juillet 2011

| P. 182-191 |

Donnée en hommage au grand spirituel que fut le Père Charles-André Bernard, ce « plaidoyer pour une théologie sapientielle » formait d’avance un profond commentaire de la récente exhortation apostolique Verbum Domini. Quand l’expérience sensorielle et l’expérience spirituelle « symbolisent », la douceur de l’invitation divine se découvre comme sagesse et visite d’un mystère à célébrer.

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Au beau milieu du Prologue de la Règle, saint Benoît s’adresse aux moines avec ces mots : « Quoi de plus doux pour nous, frères très chers, que cette voix du Seigneur qui nous invite ? » [1]. Le contexte immédiat de cette interrogation est l’exégèse, en forme de dialogue, que saint Benoît propose de quelques versets du Ps 33 (34) : « Quel est l’homme qui veut la vie et désire voir des jours de bonheur ? » (Ps 33/34, 13). Le Seigneur, comme la Sagesse, cherche dans la multitude quelqu’un qui veuille librement devenir son disciple, marcher à sa suite dans l’obéissance à l’Évangile vers le Royaume de Dieu. Saint Benoît souligne l’engagement du disciple par une glose : « Si tu écoutes et si tu réponds : moi !… » (RB Prol. 16).

La Parole de Dieu interpelle. Le premier mot du Prologue de la Règle l’énonçait déjà : « Obsculta, écoute ». Écouter la voix du Christ, maître et père, avec l’oreille du cœur (RB Prol. 1-2), parce qu’« il a les paroles de la vie éternelle » (Jn 6, 68). Le bref commentaire de saint Benoît trahit un accent chargé d’émotion intense. N’est-ce pas le Seigneur Jésus qui lui parle personnellement par les versets du Psaume 33/34 ? Ces versets évoquent certainement d’autres passages des Écritures Saintes (en langue latine) qui lui sont familières : « Que tes paroles sont douces à ma bouche… » (Ps 118/119, 103 [2]), et la parole de l’épouse du Cantique des Cantiques à l’époux : « … ta voix est douce et ton visage est beau » (Ct 2, 14 [3]). A la fin du Prologue le père des moines d’Occident mentionnera encore « la douceur de la dilection » [4] qui fait courir le disciple vers le Royaume et qui le soutient dans sa participation aux souffrances de son Seigneur (RB Prol. 50 ; cf. 1 Pi 4, 13).

La douceur de la Parole de Dieu touche le sens de l’ouïe. Elle touche de même celui du goût, car la Parole est proclamée à haute voix dans l’assemblée liturgique et « ruminée » à mi-voix dans la lecture personnelle. Le père Marcel Jousse a parlé à juste titre de la « manducation » de la Parole. Ne passons pas à a légère sur ce « sapere », qui en latin signifie à la fois savourer et savoir (comprendre). L’exégèse sapientielle que le Prologue propose, à la suite d’une déjà longue tradition de catéchèse prébaptismale, montre que pour saint Benoît l’homme tout entier, celui des sens corporels et spirituels, est touché par la Parole, s’exprimant en langage humain. Une théologie de type « sapientiel », s’il est permis d’anticiper quelque peu notre proposition, a le goût ou la saveur de l’expérience personnelle et le savoir ou la sagesse du mystère de la foi (1 Tim 3, 16) célébré, prêché et actualisé. Théologie dont la source jaillissante ne peut être que la Parole de Dieu, attestée dans les Saintes Écritures, mais qui doit humblement faire sienne les cheminements exigeants des outils de l’étude et de l’intelligence.

Par là nous mettons simplement en avant ce que le concile Vatican II dans la Constitution Dei Verbum a affirmé comme une certitude et un programme, répétés inlassablement par le Magistère depuis lors.

« L’Épouse du Verbe incarné, l’Église, instruite par le Saint-Esprit, s’efforce d’acquérir une intelligence chaque jour plus profonde des Saintes Écritures, pour offrir continuellement à ses enfants la nourriture de la parole divine ; aussi favorise-t-elle également à bon droit l’étude des saints Pères, tant d’Orient que d’Occident, et celle des Saintes Liturgies. Il faut que les exégètes catholiques et tous ceux qui s’adonnent à la théologie sacrée, unissant activement leurs forces, s’appliquent, sous la vigilance du Magistère sacré, et en utilisant des moyens adaptés, à si bien scruter et à si bien présenter les divines Lettres, que le plus grand nombre possible de serviteurs de la parole divine soient à même de fournir utilement au peuple de Dieu l’aliment scripturaire, qui éclaire les esprits, affermit les volontés et embrase d’amour de Dieu le cœur des hommes. Le saint Concile encourage fortement les fils de l’Église qui se consacrent aux sciences bibliques, à poursuivre jusqu’au bout le travail heureusement entrepris, avec une énergie chaque jour rénovée, une ardeur totale, et conformément au sens de l’Église. La théologie sacrée s’appuie sur la Parole de Dieu écrite, inséparable de la Sainte Tradition, comme sur un fondement permanent ; en elle aussi elle se fortifie, s’affermit et se rajeunit toujours, tandis qu’elle scrute, sous la lumière de la foi, toute la vérité qui se puise cachée dans le mystère du Christ. Les Saintes Écritures contiennent la Parole de Dieu et, puisqu’elles sont inspirées, elles sont vraiment cette Parole ; que l’étude de la Sainte Écriture soit donc pour la sacrée théologie comme son âme. Que le ministère de la parole, qui comprend la prédication pastorale, la catéchèse et toute l’instruction chrétienne, où l’homélie liturgique doit avoir une place de choix, trouve, lui aussi, dans cette même parole de l’Écriture, une saine nourriture et une sainte vigueur » (Vatican II, Dei Verbum, § 23-24).

La foi du théologien

Permettez-moi de vous proposer maintenant quelques réflexions modestes sur le rapport entre le mystère de la foi, la Parole de Dieu dans les Saintes Écritures et l’attente par le Peuple de Dieu d’un témoignage authentique aujourd’hui. Ne serait-ce pas un signe des temps présents que le film sur les moines de Tibhirine, Des hommes et des Dieux, théologie visuelle d’une expérience crucifiante du mystère, fascine des millions de spectateurs ? Le logos de la croix (1 Cor 1, 18) pour parler avec saint Paul, est un cri silencieux qui fait sens aujourd’hui, qui confère le sens.

Nos réflexions tourneront donc davantage autour de la condition du croyant-théologien, qu’autour des questions directement théologiques. Par là elles rejoignent et reprennent le questionnement des Pères de l’Église d’Orient et d’Occident non seulement sur l’orthodoxie de la foi professée, mais tout autant sur l’attitude intime du théologien [5]. N’est-ce pas là rendre hommage également à la personne et à la pensée du père Charles-André Bernard qui a courageusement exploré les voies d’une intégration de la théologie, de la symbolique et de la mystique [6] ?

Précisons en même temps que nous n’avons pas de leçons à donner aux théologiens. Tout le déploiement des méthodes exégétiques, historiques, canoniques… en théologie sont indispensables à son service ecclésial. Bien discernées, ces méthodes relevant des sciences humaines sont d’une grande aide. Comme l’écrivait le père Lagrange, fondateur de l’École biblique de Jérusalem : « Le questionnement de l’intelligence promet une croissance du sens spirituel de la Bible ». Encore faut-il oser ce questionnement.

Approcher du mystère

« Quand il fut à l’écart, ceux de son entourage avec les Douze interrogeaient Jésus au sujet des paraboles. Et il leur disait : ‘A vous le mystère du Royaume de Dieu a été donné ; mais à ceux-là qui sont dehors tout arrive en paraboles, afin qu’ils aient beau regarder et ils ne voient pas, qu’ils aient beau entendre et ils ne comprennent pas de peur qu’ils ne se convertissent et qu’il ne leur soit pardonné » (Mc 4, 10-12) [7]. Paroles dures dans la bouche de Jésus ! Les images (ou les symboles ?) font écran. Le don du Père requiert adhésion et foi à la personne du Fils Messie, Jésus. Il faut accueillir le mystère. Saint Paul en parle à plusieurs reprises pour l’avoir inlassablement médité. Le mot « mystère » pointe vers le dessein éternel de Dieu le Père d’introduire l’humanité dans la communion de sa vie. Ce salut, qui nous arrache au péché et à la mort, était caché à l’intelligence et au cœur des humains, il est manifesté dans l’aujourd’hui du Christ, il rend présent le Royaume caché de Dieu par la puissance de l’Esprit Saint. Le mystère s’accomplit en Christ Jésus et déploie sa puissance dans l’Église, grâce au ministère de l’apôtre. L’élection du Peuple s’élargit maintenant à l’appel des Nations à la foi et au salut, faisant la paix entre eux, réunis en un même Corps. Les noces de Dieu et d’Israël deviennent réalité dans les noces du Christ et de l’Église. Le cosmos tout entier participera lors de la résurrection finale à ce salut, quand tout sera soumis au Christ (Rm 16, 25-26 ; 1 Cor 15 ; Éph 1, 9-10 et 3, 3-10 ; Col 1, 26-27 ; cf. Dan 2, 21-23. 28-30. 47). Saint Jean le théologien médite, lui aussi, à sa manière propre, ce mystère du salut (Jn 10 et 11, 45-54).

Il convient d’interroger Jésus, nous assure Marc. Interroger n’est-ce pas se faire disciple, chercher patiemment la bonne question ? N’est-ce pas s’effacer, ne pas se faire valoir, et chercher la gloire de Dieu (cf. Jn 7, 18) ? Le mystère s’ouvre uniquement aux petits, aux cœurs simples (Lc 10, 21-24). L’intelligence du théologien frappe humblement à la porte du mystère. L’effort de l’intelligence ouvre au don de la sagesse qui suscite l’émerveillement. L’émerveillement passe à la bénédiction et à la louange de Dieu.

En résumé, une théologie qui se veut sapientielle, sans rien omettre du labeur de l’intelligence, s’abreuve au « mystère ». Et le mystère du Règne de Dieu touche déjà les croyants (Mc 1, 15) et les configure par le Saint Esprit au Fils de l’homme et de Dieu. L’humilité du théologien répond à l’humilité de la révélation du « mystère » sur la croix et à l’humble humanité des paroles de Dieu dans la Bible.

Les Écritures nous parlent du mystère

« Dieu, dans la Sainte Écriture, a parlé par les hommes, à la manière des hommes. Car c’est en parlant ainsi que Dieu allait à notre recherche » [8]. Ces paroles de saint Augustin disent déjà ce qu’affirmera Vatican II (Dei Verbum, § 12) et ce que confirment les exégètes aujourd’hui. La Bible est en fait une bibliothèque. Une comparaison opportune serait celle d’un estuaire dans lequel confluent de multiples cultures de l’Orient ancien. Les mots, les récits, les prières, les genres littéraires, attestent la pédagogie de Dieu qui parle, mais toujours avec et par les paroles humaines. D’où la grande diversité culturelle et symbolique de l’Écriture. Il reste cependant que les paroles, les images, les procédés rhétoriques, en vertu de la promesse faite à Abraham et de l’Alliance avec le peuple hébreu, portent la marque indélébile de la culture biblico-sémitique [9]. Pourtant la Bible est une parce qu’unifiée par l’Esprit de Dieu : unité plurielle. Plurielle parce que l’Unique vient à nous par une infinité d’actes et de noms, un foisonnement de symboles. Unité plurielle faite de reprises, de débats, de repentirs (pour reprendre le vocabulaire des œuvres d’art). Il convient donc de la lire, de la méditer, de l’étudier, afin de « faire et écouter » (Ex. 24, 7). La Parole est l’âme de la théologie.

La réponse à l’appel de la Parole est la foi. Les mystères de la foi ne sont pas des problèmes à résoudre. Ils sont des dons de Dieu à recevoir et à vivre, à comprendre et à goûter (sapere). L’Esprit qui a inspiré les Écritures est aussi l’Esprit qui habite le cœur et l’intelligence des auditeurs et lecteurs croyants.

Une métaphore biblique peut nous éclairer : celle de la visite. La Parole de Dieu, au-delà des paroles écrites et entendues, surprend et visite l’homme. Quelque chose se passe quand le Seigneur passe. Encore faut-il que le théologien soit vigilant pour accueillir la visite de Dieu. L’évangile de Luc a mis en relief le thème de la visite. Pensons à Marie visitant Élisabeth, au cantique de Zacharie (Lc 1, 68 et 78 : visitavit nos Oriens ex alto). Visite ou visitation qui resurgit à l’autre bout de son Évangile (Lc 24). Les disciples d’Emmaüs s’en retournent chez eux le soir de Pâques. Ils sont tristes et discutent (syzètein signifie discuter des passages de l’Écriture). Jésus les rejoint et leur donne une grande « lectio divina » sur le « il faut » de la croix et de la gloire (Lc 24, 26). Visite qui réchauffe et enflamme les cœurs abattus, illumine les intelligences. Des deux disciples, un seul porte un nom, Cléopas. La place de l’autre disciple reste libre pour chacun de nous.

L’expérience de saint Paul sur le chemin de Damas, narrée trois fois dans les Actes des Apôtres (Act. 9 ; 22 ; 26), figure encore une visite du Ressuscité. L’accueil de la visite de Dieu ne dispense pas Paul des médiations humaines : celle d’Ananie de Damas et les années de retraite en Arabie (Act. 9, 6 ; Gal. 1, 18).

Essayons de faire un pas de plus : à la visite de Dieu correspond dans l’homme une structure d’accueil, celle de la capacité de Dieu (capax Dei). L’homme est en mesure de « percevoir » des indices de la présence de Dieu dans la nature et dans l’histoire tragique de l’humanité. Ce quelque chose, il le « perçoit » aussi dans l’absolu de sa propre dignité et de sa quête de liberté. Quelque chose en l’homme ne veut et ne peut pas mourir. La mort physique et la mort spirituelle s’opposent à ce qu’en termes bibliques nous appelons « la vie éternelle ». La disposition de l’être humain à la vie éternelle est l’empreinte de l’eschaton sur la création de l’homme à l’image et à la ressemblance de Dieu. Un passage énigmatique de la traduction grecque des Proverbes peut nous éclairer : « Alors tu comprendras la crainte du Seigneur, et le sens divin (theia aisthèsis), tu le trouveras » (Prv. 2, 5). La leçon « sens divin » est attestée depuis Clément d’Alexandrie. Les Pères grecs ont compris qu’en tout être humain est inscrite une disposition (une structure) d’accueil pour la visite de Dieu. Les mots grecs « sens divin » évoquent à la fois une expérience sensorielle, symbolique, et une expérience qu’on peut qualifier de spirituelle et intellectuelle [10]. Cette « perception » pourtant doit être éveillée, animée et développée…

Nous nous trouvons ici en présence de la réalité si riche des sens spirituels de l’homme. Il n’est pas fortuit que ce verset (Prov. 2, 5) se trouve dans un contexte de la quête de la Sagesse. Saint Éphrem le Syrien ne parle pas d’autre chose lorsqu’il dit que Dieu s’habille de noms, d’images et de symboles (dans la nature et dans la Bible) pour se révéler à nous [11], et que nos sens spirituels peuvent les percevoir.

Le mystère que le Verbe incarné manifeste se fait récit de la compassion de Dieu pour son peuple opprimé (Ex 2, 23-25), en Jésus médecin durant son ministère, à la parousie quand Dieu essuiera toute larme (Apc. 7, 17 et 21, 4). Voilà le grand mystère que le théologien est appelé à contempler. Il doit aussi le vivre. « Va et fais de même, toi aussi » (Lc 10, 37), dit Jésus en conclusion de la parabole du bon Samaritain.

Célébrer le mystère

Le « lieu » par excellence de la voix du Seigneur est l’assemblée liturgique. Là, la voix, la Parole de Dieu, convoque dans la force de l’Esprit Saint les baptisés pour célébrer le « mystère » de leur salut [12].

L’assemblée liturgique est le « lieu » par excellence où Jésus, Verbe de Dieu, proclame la Parole, créatrice et recréatrice, et l’interprète. Ainsi l’évangile selon Luc ouvre le ministère du Messie dans la synagogue de Nazareth (Lc 4, 16-21) et le clôture après la Résurrection (Lc 24) par la mystagogie exégétique du Messie. « Le Christ lui-même est le livre dont le parchemin est sa chair et l’écriture le Verbe de Dieu… Le livre par excellence est le Fils incarné » [13].

Ce livre vivant raconte tout ce que Jésus a fait et enseigné (Act. 1, 1), récapitulation et clef d’intelligence du Premier Testament, arrhes de l’accomplissement dans le Règne de Dieu. Ce livre vivant se lit (et nous lit) en Église, grâce à la Tradition qui en garantit le sens authentique à l’image de ce grand fleuve de vie (Ez. 47) qui sort du Temple et abreuve la Jérusalem céleste (Apc. 22, 1-2). Cette Tradition elle-même se déploie en un foisonnement de traditions liturgiques et théologiques [14], riches de tant de symboliques humaines, qui épurent et subliment les cultures assumées, sans jamais épuiser ses richesses infinies. Richesses que nous rencontrons dans les diverses liturgies de l’Orient chrétien, et qui demain s’épanouiront en d’autres Églises de Dieu.

On peut dire que l’Église, l’assemblée liturgique, tisse des réseaux de symboles, bibliques et autres, qui transmettent de génération en génération le sens « christique » des Écritures [15].

Avec une grande diversité et une réelle unité christique, l’interprétation ecclésiale oriente et nourrit la réflexion du théologien. Cette interprétation ecclésiale doit rester l’horizon d’intelligence du théologien. Ce qui ne veut nullement dire qu’il peut se désintéresser de l’histoire des réceptions longues des Écritures, au sein même de la Bible d’abord, ensuite au cours de l’histoire de l’Église et des Églises. Pas plus qu’il ne doit se désintéresser des outils de compréhension, bien évalués critiquement, que lui offrent les sciences humaines aujourd’hui. Ce faisant, le théologien répondra à sa vocation au sein de l’Église : comprendre, interpréter, prêcher la Parole, directement ou indirectement.

Conclusion

Célébrer le mystère, par l’écoute et la prédication de la Parole, est œuvre de Dieu (Opus Dei) : l’œuvre que Dieu fait pour l’homme et la prière que l’homme adresse à Dieu.

La Bible elle-même désigne cette « œuvre de Dieu » comme recherche de la Sagesse. Il ne s’agit certes pas de la seule approche biblique du grand mystère de la foi. Mais cette approche suggère une dimension essentielle du mystère. La Parole, le Verbe, est l’origine et la fin de l’histoire humaine. L’accomplissement, le huitième jour (de la Résurrection) donne raison de l’origine, du jour premier [16]. Face à ce dessein bienveillant de Dieu Père le cœur de l’homme s’émerveille et son intelligence est éblouie par la lumière du Messie transfiguré. Dessein de Dieu qui s’étend en amont de la Pâque à la création et en aval de Pâques à la venue (et au retour) du Messie.

Mais explicitons encore : la Sagesse biblique indique un art de vivre. Elle est un don de Dieu que l’homme se prépare à recevoir dans la crainte (de Dieu). Ce don de la sagesse requiert un style de vie : écouter avec foi et obéissance (mise en pratique). Le faire et l’écouter (Ex. 24, 7) font entrer (initient) dans l’intelligence du dessein de Dieu.

Qu’ajouter encore ? Que la voix du Seigneur devienne douce, assidûment entendue et écoutée, pour que l’intelligence et le cœur de la théologie s’enflamment, pour que le témoignage du théologien ait le goût de la visite du Ressuscité et de l’expérience spirituelle.

[1Règle de saint Benoît (= RB), Prol. 19 : Quid dulcius nobis ab hac voce Domini invitantis nos, fratres carissimi ?).

[2« quamdulcia faucibus meis eloquia tua… »

[3vox enim tua dulcis et facies decora ; cf. RB Prol. 9 « … les yeux larges ouverts à la lumière déifiante et les oreilles attentives, écoutons chaque jour… ».

[4RB Prol. 49 : dulcedo dilectionis.

[5Voir l’article « Théologie » dans le Dict. Spiritualité XV (1991), col. 463-487 par A. Solignac. « Jusqu’au milieu du 12e siècle… theologia se rapporte immédiatement à la connaissance de Dieu et cette connaissance pour être authentique, implique toujours une attitude spirituelle… Dans la suite, le contenu du terme prendra une extension plus large, mais il gardera une relation étroite avec la vie de l’homme devant Dieu » (col. 464). Il existe dans les milieux monastiques de l’Antiquité chrétienne un vif débat sur la condition existentielle du théologien dont l’histoire mériterait d’être écrite.

[6Voir son ouvrage posthume Théologie mystique, Paris, 2005 et le recueil d’articles publié par les soins de M. G. Muzj, « Tutte le cose in lui sono vita ». Scritti sul linguaggio simbolico, Milano, 2010.

[7Commentaire de B. Standaert, Évangile selon Marc, Paris, 2010, pp. 316-321.

[8Augustin, Cité de Dieu, XVII, 6, PL 41, 537.

[9L’auteur renvoie ici à la contribution du Père R. Meynet donnée pour la même occasion (N.D.L.R.).

[10Voir M. Harl, « La bouche et le cœur de l’apôtre. Deux images bibliques du ‘sens divin’ de l’homme chez Origène », dans Le déchiffrement du sens. Études sur l’herméneutique chrétienne d’Origène à Grégoire de Nysse, Paris, 1993, pp. 151-176.

[11Hymnes sur la foi, XXXI, 3, 6.

[12Voir Y. De Andia, « Mystique et liturgie. Recentrement sur le mystère au siècle de Vatican II », dans La Maison-Dieu, n° 250 (2007/2), pp. 59-109.

[13Garnier de Rochefort, Discours sur la Nativité du Seigneur, 6 ; voir G. Boselli, Leggere le Scritture nella liturgia, Bose, 2010.

[14Circumdata varietate : Ps 44, 15.

[15Voir Paul Beauchamp, « Lecture christique de l’Ancien Testament », dans Biblica 81 (2000), pp. 105-115.

[16Cf. Hymne des Vêpres des dimanches ordinaires de la liturgie latine.

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