Sacerdoce commun et vie consacrée
Benoît Malvaux, s.j.
N°2010-4 • Octobre 2010
| P. 270-279 |
Pour achever l’année sacerdotale du peuple de Dieu, il convenait aussi de réfléchir à ce que le « sacerdoce commun » implique pour la vie consacrée. L’auteur prend, avec le Concile Vatican II, son départ dans le baptême et la triple mission du Christ, pour mettre en évidence deux lieux spécifiques d’engagement « sacerdotal » : la vie quotidienne et le service de l’Église particulière.
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L’année sacerdotale qui s’est récemment achevée a été l’occasion de nombreuses réflexions, tant sur le sacerdoce commun que sur le sacerdoce ministériel. La contribution qui suit voudrait se pencher plus particulièrement sur l’articulation entre sacerdoce commun et vie consacrée. Dans un premier temps, je vais retracer à grands traits ce qu’on entend aujourd’hui par sacerdoce commun, dans le cadre de la réforme promue par Vatican II. Je dirai ensuite en quoi cette revalorisation du sacerdoce commun peut interpeller la vie consacrée par la profession des conseils évangéliques.
La redécouverte du sacerdoce commun, fondé sur le baptême
Commençons par situer cette question dans le contexte plus général du concile Vatican II. « L’Église » a constitué un des thèmes majeurs traités par Vatican II. Il l’a fait selon deux grands axes, qu’expriment bien les deux constitutions conciliaires principales, Gaudium et spes et Lumen gentium : le rapport de l’Église au monde, d’une part ; une réflexion sur l’Église elle-même, d’autre part, qui a mis en évidence la notion de peuple de Dieu ainsi que celle de l’Église sacrement de communion. C’est dans le cadre de cette réflexion plus ad intra sur l’Église qu’on peut situer la redécouverte du sacerdoce commun.
Plus précisément, cette réappropriation traduit le souci des pères conciliaires de promouvoir ce qui est commun à l’ensemble du peuple de Dieu, en redécouvrant la richesse de la condition baptismale commune à tous les chrétiens, antérieurement à toute vocation spécifique. Auparavant, on était davantage sensible à la diversité des vocations dans l’Église. Ainsi, le code de 1917, dans son développement sur les personnes dans l’Église, ne contenait guère de dispositions communes à l’ensemble des chrétiens, mais il traitait surtout des clercs, des religieux et des laïcs. Il considérait donc amplement ce qui était particulier aux différentes catégories de fidèles, sans s’attarder sur la condition commune aux baptisés.
Le concile s’est inscrit en faux contre cette manière de voir, en remettant en valeur ce qui est commun à l’ensemble des chrétiens. Il l’a opéré de différentes manières, dont la revalorisation du sacerdoce commun n’est qu’une dimension. Par exemple, si on considère l’ordonnancement de la constitution Lumen gentium (= LG), le fait de traiter d’abord de l’Église mystère de communion et de l’Église peuple de Dieu, avant d’aborder la question de la hiérarchie et des laïcs, traduit bien ce souci de privilégier l’universel sur le particulier. De même, le concile va rappeler l’égalité fondamentale en dignité de tous les baptisés (LG 32). Il posera également le principe de l’appel universel à la sainteté dans l’Église (LG 40). Ce dernier point est un exemple particulièrement clair du souci du concile de donner la priorité à ce qui est commun aux baptisés, avant de voir ce qui est propre à telle ou telle catégorie spécifique de chrétiens. On peut citer ici un court extrait de LG 40 : « il est donc bien évident pour tous que l’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur état ou leur rang. » De même, lorsque le concile traitera des formes multiples d’exercice de la sainteté, en LG 41, il commence par rappeler que, « dans les formes diverses de vie et les charges différentes, c’est une seule sainteté que cultivent tous ceux que conduit l’Esprit de Dieu ».
L’enracinement du sacerdoce commun dans l’Écriture
Pour ce qui concerne plus précisément le sacerdoce commun, on retournera au début du deuxième chapitre de Lumen gentium, relatif au peuple de Dieu. Le concile, citant l’Apocalypse, dit à ce propos que « le Christ Seigneur, grand-prêtre pris parmi les hommes, a fait du peuple nouveau [qu’est l’Église] un royaume, des prêtres pour Dieu son Père » (LG 10). Le concile fait référence ici à deux passages de l’Apocalypse. Au tout début du livre, lorsque Jean s’adresse aux sept Églises qui sont en Asie, il rend gloire au Seigneur, qui a fait de « nous », c’est-à-dire de lui-même et de l’ensemble des chrétiens auxquels il s’adresse, « un Royaume et des prêtres pour Dieu son Père » (Ap 1, 6). Un peu plus loin, on trouve le cantique nouveau, chanté par les 24 anciens prosternés devant l’Agneau, où il est dit du Christ « qu’il a fait [des hommes qu’il a rachetés] un royaume et des prêtres, et ils régneront sur la terre » (Ap 5, 10).
« Prêtres » ?
Vatican II s’appuie donc ici sur l’Écriture sainte. Effectivement, on peut remarquer que, quand le Nouveau Testament parle de sacerdoce ou de prêtre (hiereus en grec, sacerdos en latin), il n’emploie jamais cette expression pour désigner une catégorie particulière de chrétiens, comme on le fait aujourd’hui en parlant des prêtres au sens courant du mot. Mais il utilise le terme hiereus dans trois sens différents. Le premier, qui ne nous intéresse pas directement ici, désigne les prêtres des religions païennes ou les prêtres juifs chargés d’offrir les sacrifices au Temple de Jérusalem, comme Zacharie, le père de Jean Baptiste, ou le grand-prêtre devant lequel Jésus est conduit durant la passion (Lc 22, 54).
Les deux autres emplois du mot sont propres aux chrétiens. Le premier d’entre eux renvoie à Jésus lui-même, prêtre par excellence. C’est particulièrement le cas dans la lettre aux Hébreux. Le cœur de l’argumentation de la lettre aux Hébreux se trouve au chapitre 7, où l’auteur de la lettre compare le sacerdoce de Jésus au sacerdoce des prêtres juifs, pour montrer que le premier a définitivement pris la place du second. On peut citer ici les versets 24 et 26-27 du chapitre 7 : « Jésus, puisqu’il demeure pour l’éternité, possède un sacerdoce exclusif. Tel est bien le grand-prêtre qui nous convenait, saint, innocent, immaculé, séparé des pécheurs, élevé au-dessus des cieux. Il n’a pas besoin, comme les autres grands-prêtres, d’offrir chaque jour des sacrifices, d’abord pour ses propres péchés, puis pour ceux du peuple. Cela, il l’a fait une fois pour toutes en s’offrant lui-même ». En s’offrant en sacrifice d’amour sur la croix, Jésus a rendu l’acte suprême de culte à Dieu et il n’est plus nécessaire d’offrir de nouveaux sacrifices. On n’a donc plus besoin des prêtres de l’ancienne loi. Dorénavant, le seul prêtre à proprement parler, c’est le Christ.
Cependant, le Nouveau Testament utilise encore le terme hiereus dans un troisième sens, qui désigne alors l’ensemble des chrétiens, appelés à constituer un peuple sacerdotal. On a déjà vu deux citations de l’Apocalypse en ce sens. Un autre exemple de cette compréhension du sacerdoce se trouve dans la première lettre de Pierre (1 P 2, 5 ; 2, 9), où l’auteur, s’adressant aux chrétiens d’Asie, emploie l’expression de communauté sacerdotale pour désigner l’ensemble des chrétiens. La fin de l’épître aux Hébreux, sans employer explicitement ce terme, laisse entrevoir elle aussi le sens que les premiers chrétiens donnaient à cette expression, lorsqu’elle dit (He 13, 15-16) : « par lui [Jésus, notre grand-prêtre], offrons sans cesse à Dieu un sacrifice de louange, c’est-à-dire le fruit de lèvres qui confessent son nom. N’oubliez pas la bienfaisance et l’entraide communautaire, car ce sont de tels sacrifices qui plaisent à Dieu. »
« Sacerdoce commun »
En parlant de sacerdoce commun des fidèles, Vatican II ne faisait donc que revenir à la tradition la plus authentique et la plus vénérable, obscurcie par des siècles de « rétrécissement ecclésial », qui avaient abouti à ne réserver l’expression de sacerdoce qu’à une catégorie particulière de chrétiens, les prêtres, oubliant ainsi l’enseignement de l’Apocalypse, de la lettre de Pierre et de la lettre aux Hébreux. Mais il ne suffit pas de rappeler que tous les chrétiens sont prêtres en participant au sacerdoce du Christ pour que cet abus historique soit réparé. Encore faut-il préciser ce qu’on entend par sacerdoce commun. Deux dispositions de Lumen gentium s’y emploient particulièrement : LG 10, qui traite explicitement du sacerdoce commun, et LG 33-37, qui va préciser les conséquences de cette redécouverte du sacerdoce commun pour les laïcs.
Voyons d’abord ce que LG 10 dit du sacerdoce commun :
« Les baptisés […] sont consacrés pour être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint, pour offrir, par toutes les activités du chrétien, autant de sacrifices spirituels, et proclamer les merveilles de celui qui les a appelés des ténèbres à son admirable lumière. C’est pourquoi tous les disciples, persévérant dans la prière et la louange de Dieu, doivent s’offrir en victimes vivantes, saintes et agréables à Dieu, porter témoignage du Christ sur toute la surface de la terre et rendre raison, sur toute requête, de l’espérance qui est en eux d’une vie éternelle. »
Par delà les mots qui peuvent apparaître un peu vieillots, le concile met ici en évidence deux dimensions importantes du sacerdoce commun : l’offrande de soi, dont il était déjà question dans le Nouveau Testament ; la proclamation, le témoignage rendu à l’espérance qui est en nous.
Ces deux dimensions du sacerdoce commun se retrouvent en LG 34-37, avec une troisième, celle du service. On peut exprimer ces dimensions en termes de participation à la mission – ou fonction – du Christ : participation à sa mission sacerdotale au sens strict (LG 34), à sa mission prophétique (LG 35), à sa mission royale (LG 36). Parcourons brièvement ces dispositions.
Une offrande de toute sa vie à Dieu
À propos de la participation des laïcs à la fonction sacerdotale du Christ – le sacerdoce commun au sens strict –, LG 34 dit que
« toutes leurs activités, leurs prières et leurs entreprises apostoliques, leur vie conjugale et familiale, leurs labeurs quotidiens, leurs détentes d’esprit et de corps, s’ils sont vécus dans l’Esprit de Dieu, et même les épreuves de la vie, pourvu qu’elles soient patiemment supportées, tout cela peut devenir offrandes spirituelles, agréables à Dieu par Jésus-Christ. Et dans la célébration eucharistique, ces offrandes rejoignent l’offrande du Corps du Seigneur pour être offertes en toute piété au Père. C’est ainsi que les laïcs consacrent à Dieu le monde lui-même. »
Même si cette disposition s’adresse aux laïcs, d’où par exemple la mention de la vie conjugale et familiale, ce qu’elle dit vaut pour l’ensemble des baptisés. Elle exprime même à mon sens le cœur du sacerdoce commun auquel sont appelés tous les chrétiens.
Pour le dire en termes simples, il s’agit de faire de toute sa vie, y compris dans ses dimensions les plus banales, les plus quotidiennes, une offrande d’amour à Dieu. Le prêtre du culte ancien, comme nous l’avons vu, offrait à Dieu des sacrifices. Ce sacerdoce ancien a été aboli par le Christ, qui s’est offert lui-même au Père par amour pour toute l’humanité, afin de nous libérer du mal et de la mort. Comme baptisés ayant revêtu le Christ, nous sommes appelés à vivre la même remise de tout notre être au Père. L’idéal à poursuivre pour bien vivre notre sacerdoce commun, c’est de faire en sorte que nos vies soient entièrement données à Dieu et aux autres, comme l’a été la vie du Christ. Pour nous aider sur cette route, il y a bien sûr la prière, dont parle LG 10, dans laquelle nous pouvons plus explicitement présenter notre vie au Seigneur. Il y a aussi les sacrements, et singulièrement l’eucharistie, qui nous permet de nous unir plus étroitement à l’offrande que le Seigneur fait de lui-même, dans son Corps et son Sang offert et partagé.
Une nouvelle compréhension du sacré
En soulignant la possibilité pour tout chrétien de faire de sa vie une offrande à Dieu, le concile nous invite à revoir notre conception du sacré. Il réagissait ainsi contre une dérive qui a parfois touché l’Église, et développait une conception plus païenne que chrétienne du sacré. Les païens, pour le dire en bref, voient le sacré et le profane comme des termes antinomiques. Pour rencontrer Dieu, je dois me rendre dans un endroit sacré, comme un temple, qui lui est spécialement dédié, parce que je ne peux pas le rencontrer dans la vie profane. De même, je dois m’adresser à un spécialiste du sacré, le prêtre, parce que je suis moi-même incompétent pour m’adresser à Dieu.
Telle n’est pas la conception chrétienne, même si l’Église a pu parfois éprouver des tentations en ce sens. En rappelant que tous les chrétiens sont prêtres, à la suite du Christ prêtre, et qu’ils sont appelés à offrir leur vie entière à Dieu en union à l’offrande que le Christ a faite de la sienne à son Père, le concile a remis en évidence qu’il n’y aucun lieu ni moment qui auraient l’exclusivité du sacré, pas plus qu’il n’existe des personnes qui seraient les dépositaires exclusifs du sacré. Tout lieu, tout moment de la vie peut devenir sacré, habité de la présence de Dieu, si nous l’y invitons en lui offrant ce que nous sommes appelés à vivre.
Une telle vision du sacré donne tout son poids à notre vie quotidienne, y compris dans ce qu’elle a de plus humble, de plus banal. Elle ne nie pas pour autant qu’il puisse y avoir des moments ou des lieux privilégiés où la présence de Dieu se fait particulièrement forte, comme lors d’une eucharistie ou dans une église, mais sa présence ne peut être limitée à ces lieux ou ces moments.
Témoignage et service, dans le monde et dans l’Église
Voilà la dimension fondamentale du sacerdoce commun. Mais les autres dimensions relevées par le concile ne sont pas secondaires pour autant. Il y a d’abord la dimension prophétique, rappelée par LG 35. Le Christ n’est en effet pas seulement le grand prêtre qui offre sa vie au Père par amour, il est aussi le grand prophète venu annoncer au monde la Bonne Nouvelle du Salut. À sa suite, tout chrétien est appelé, chacun à sa manière, à être prophète, et cette mission fait partie du sacerdoce commun au sens large. LG 35 dit à ce propos que le Christ accomplit sa fonction prophétique, « aussi par les laïcs dont il fait […] des témoins, en les pourvoyant du sens de la foi et de la grâce de la parole, afin que brille dans la vie quotidienne, familiale et sociale, la force de l’Évangile. » De nouveau, ce qu’il dit ici des laïcs vaut de tout baptisé. Si tout moment et tout lieu de la vie est susceptible d’être sacré, en étant offert à Dieu, cela signifie aussi que tout lieu et tout moment peut être occasion d’annoncer l’Évangile. La Bonne Nouvelle n’est pas seulement proclamée à l’église mais elle peut l’être en tout lieu et à tout moment, par toute personne qui vit de l’esprit du Christ.
La troisième et dernière dimension du sacerdoce commun soulignée par le concile, c’est la participation à la fonction royale du Christ. LG 36 voit cette participation en termes de concours à la croissance du règne de Dieu dans le monde, « un règne de vérité et de vie, de sainteté et de grâce, de justice, d’amour et de paix ». Ici encore, le lien avec ce que y a été dit plus haut du sacerdoce commun apparaît clairement. Si tout ce qui fait notre vie quotidienne est susceptible d’être sacré, s’il est offert à Dieu pour qu’Il vienne l’habiter de son Esprit, il est logique que nous travaillions à ce que cette vie quotidienne et le monde dans lequel elle se déroule corresponde autant que possible aux valeurs du Royaume auquel le Christ nous appelle. Les baptisés sont donc appelés, avec leurs frères et sœurs de bonne volonté, à travailler à ce que grandissent la justice, la paix, la réconciliation, le respect mutuel, la vie dans son sens le plus large.
Il est possible de lire la disposition suivante de Lumen gentium (LG 37) dans la perspective du sacerdoce commun, auquel elle ajoute une dimension importante. En effet, ce qui a été dit plus haut du sacerdoce commun vaut principalement ad extra, dans le monde. Offrir tout ce qui fait sa vie à Dieu, témoigner de Lui au quotidien, travailler à ce que son Royaume grandisse dès ici-bas, ce sont des missions qu’il s’agit avant tout d’exercer dans le monde. Est-ce à dire que le sacerdoce commun ne concernerait pas la vie de l’Église, qui resterait le domaine exclusif ou privilégié des clercs ? Non, bien sûr. On a en a déjà eu une illustration dans la mention de l’eucharistie à propos de la participation à la fonction sacerdotale du Christ au sens strict. L’eucharistie n’est donc pas le domaine privé du prêtre qui la préside, mais tous les baptisés sont appelés à la célébrer. LG 37 développe un autre aspect de cette dimension intra-ecclésiale du sacerdoce commun, lorsqu’il invite les pasteurs « à reconnaître et promouvoir la dignité et la responsabilité des laïcs dans l’Église, […] leur remettant avec confiance des charges au service de l’Église, leur laissant la liberté et la marge d’action, stimulant même leur courage pour entreprendre de leur propre mouvement. » La redécouverte du sacerdoce commun suppose donc également que les baptisés s’impliquent davantage dans la vie ecclésiale, en y prenant des responsabilités.
Sacerdoce commun et vie consacrée : deux lieux d’interpellation
Voilà à grands traits en quoi consiste le sacerdoce commun, tel qu’il a été remis en valeur par le concile. Cette revalorisation est bien sûr susceptible d’interpeller les consacrés par la profession des conseils évangéliques, qui sont d’abord des baptisés. Je vois plus particulièrement deux lieux d’interpellation principaux.
Le premier lieu concerne la vie quotidienne des consacrés. La revalorisation du sacerdoce commun aide à redécouvrir la vie quotidienne de tout baptisé comme une histoire ou un lieu sacré, où Dieu peut se rendre présent, si nous lui offrons chaque moment de notre vie pour qu’Il vienne l’habiter de son Esprit d’amour. Pour ce faire, il nous faut prier, mais d’une prière qui soit connectée à notre vie. Ce n’est pas la seule forme de prière possible, bien sûr. Mais une prière qui aide à vivre le sacerdoce commun sera nécessairement en lien avec la vie quotidienne, qui implique que nous puissions rendre grâce à Dieu pour ce que nous vivons de beau, ce que nous recevons de lui, qui suppose que nous puissions lui demander pardon, ou encore lui confier les divers instants de notre vie pour qu’il vienne les habiter de son Esprit d’amour. Le même principe vaut également pour l’eucharistie, qu’elle soit quotidienne ou dominicale. Elle peut constituer un lieu privilégié où l’offrande de tout ce que nous vivons vient rejoindre l’offrande que le Christ fait de lui-même au Père.
Évaluer sa vie à la lumière du sacerdoce commun conduit donc nécessairement à réfléchir à la qualité de la prière et de la vie sacramentelle, au lien entre elles et la vie quotidienne. C’est un premier lieu d’interpellation. N’hésitons pas, par exemple, à nous interroger sur la qualité de notre offrande du matin, de notre examen de conscience du soir, ou encore à nous demander si nous avons, durant la journée, des moments de prière qui aident à rester dans cet état d’esprit d’offrande à Dieu.
Mais nous pouvons également nous interroger sur les deux autres domaines où le baptisé est appelé à vivre le sacerdoce commun au quotidien. En quoi notre vie, dans ses dimensions les plus concrètes, est-elle un témoignage rendu à la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ ? En quoi notre agir quotidien fait-il grandir le Royaume ? Bien sûr, c’est fondamentalement le Seigneur qui témoigne ou qui édifie le Royaume à travers nous, et ce n’est pas à nous de décider des fruits que nous porterons. Mais du moins pouvons-nous nous demander si nous sommes dans des dispositions qui permettront à ces fruits d’éclore.
Un autre lieu d’interpellation concerne l’exercice du sacerdoce commun à l’intérieur de la vie ecclésiale. Redécouvrir le poids et la valeur de notre vocation de baptisé, c’est aussi redécouvrir notre responsabilité à l’égard de l’Église. C’est un point qui n’était autrefois évident ni pour les laïcs, ni pour les religieux. Ce n’était pas patent pour les laïcs, car on leur avait suffisamment répété que l’Église était l’affaire des prêtres, pour qu’ils ne sentent pas concernés par sa vie interne. Ce n’était pas avéré pour les religieux car, du moins dans les grands instituts, ceux-ci avaient développé leurs œuvres propres qui, même si elles étaient en dernier ressort au service de l’Église universelle, se développaient cependant sans grand contact avec l’Église locale. Vatican II a invité les consacrés à changer leur regard sur les Églises particulières, en rappelant que c’est en elles et à partir d’elles qu’existe l’Église catholique une et unique (LG 23), et en rappelant aux consacrés leur devoir de collaborer de toutes leurs forces au bien des Églises particulières (CD 33), et d’être coopérateurs de l’évêque dans les œuvres d’apostolat (CD 34). Dans la perspective du sacerdoce commun qui est le nôtre, il est donc important de nous interroger sur le service ecclésial que nous rendons. Sommes-nous conscients que, comme baptisés appelés à exercer le sacerdoce commun, nous avons à travailler au bien de l’Église particulière qui est la nôtre ? Quel est notre souci de cette Église particulière ? Dans quelle mesure nous engageons-nous pour cette Église ?