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Une année sacerdotale pour les prêtres et les fidèles laïcs

Pierre Raffin, o.p.

N°2010-1 Janvier 2010

| P. 19-26 |

Le cent cinquantième anniversaire de la mort du curé d’Ars, est l’occasion de proposer cette année « sacerdotale » afin de faire redécouvrir à tous la grâce du sacerdoce ministériel. L’auteur retrace l’évolution des ministères ordonnés, leurs rapports aux laïcs et le service du peuple de Dieu sur lequel Vatican II attira l’attention. Ainsi, le défi actuel ne peut faire l’impasse d’une meilleure articulation de la pluralité des ministères (ordonnés et laïcs) au service de la mission évangélisatrice de l’Église.

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Une année sacerdotale, pour quoi faire ?

Jean-Marie Vianney, curé d’Ars, a vécu son dies natalis le 4 août 1859, il y a donc cent cinquante ans. À cette occasion, le pape Benoît XVI a estimé devoir proposer une année sacerdotale qui permettrait à la fois aux prêtres de se ressourcer dans la grâce de leur ordination et aux fidèles de mieux connaître la vocation et la mission du prêtre. Un récent sondage du journal La Croix révélait en effet qu’en dehors de la revendication de l’ordination des femmes [1] et de l’ordination des hommes mariés, les catholiques français étaient plutôt dans le brouillard sur l’identité du prêtre.

L’Europe occidentale, depuis de nombreuses années, manque de plus en plus de prêtres et la situation devient gravement préoccupante en certains diocèses. Malgré de nombreuses et pertinentes réflexions et une pastorale parfois courageuse des vocations, la situation n’évolue guère.

Le but de cette année n’est donc pas de redresser des torts, mais de contribuer à promouvoir l’engagement de renouveau intense de tous les prêtres, en vue d’un témoignage plus fort et plus incisif, dans le monde d’aujourd’hui (Benoît XVI, Angelus du 28 juin 2009). Le but de cette année, c’est de faire découvrir la beauté et l’importance du sacerdoce ministériel tant pour les prêtres que pour les fidèles laïcs dont certains ne savent pas clairement ce qu’est un prêtre.

Le corps sacerdotal, dans sa majorité, est sain, même si les scandales causés par quelques-uns de ses membres ont pu abîmer l’image du prêtre dans l’opinion publique ; mais la moyenne d’âge des prêtres est très élevée et beaucoup d’entre eux sont fatigués par toutes les remises en cause et les restructurations que le « métier » de prêtre a connues au cours des dernières décennies. Aucune corporation, il est vrai, n’a connu plus que l’Ordre des prêtres autant de remises en question depuis au moins cinquante ans.

À ces prêtres fatigués, l’Église redit les paroles de Jésus aux Douze : Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu (Mc 6, 31). Venez à l’écart, non pas pour oublier les questions qui sont posées, mais pour les étudier avec une profondeur plus grande. Reposez-vous, non pas pour oublier le quotidien de vos vies, mais pour le mettre plus radicalement entre les mains du Maître : Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos. Oui, mon joug est facile à porter et mon fardeau léger (Mt 11, 28-30).

La figure stimulante du curé d’Ars

Pour ces prêtres fatigués comme pour les plus jeunes qui commencent à œuvrer dans la vigne du Seigneur, la figure exemplaire du curé d’Ars est censée jouer un rôle de stimulant.

Le temps du curé d’Ars (il est né en 1786 et mort en 1859) n’est évidemment plus le nôtre. Il s’agissait alors de relever l’Église des ruines provoquées par la Révolution française et les campagnes de France étaient bien différentes de celles du début du XXIe siècle. On ne saurait donc le copier servilement, mais son exemple peut continuer d’inspirer les prêtres d’aujourd’hui.

  • Le curé d’Ars est comme la Vierge Marie un petit à travers qui la grâce de Dieu a fait de grandes choses. On doit à Charles Balley, ancien chanoine régulier de saint Augustin sécularisé par les lois révolutionnaires, d’avoir discerné chez le jeune paysan, peu apte aux études, des capacités pastorales insoupçonnées et de les avoir développées. Sans le Chanoine Balley, Jean-Marie Vianney ne serait sans doute jamais devenu prêtre. Pour autant, l’exemple du curé d’Ars n’est pas un encouragement donné à la paresse intellectuelle des prêtres et des séminaristes.
  • Jean-Marie Vianney a eu un sens aigu de sa mission pastorale, ainsi que le déclarait Jean-Paul II le 6 octobre 1986 en venant en pèlerinage à Ars :Le Christ s’est bien arrêté ici à Ars, au temps où Jean-Marie Vianney y était curé. Oui, il s’est arrêté. Il a vu les foules des hommes et des femmes du siècle dernier qui étaient fatiguées comme des brebis sans berger. Le Christ s’est arrêté comme le Bon Pasteur. Au lendemain de la Révolution comme au lendemain de la guerre de Trente ans, les catholiques français, surtout dans les campagnes, étaient dans une grande ignorance. Ils connaissaient à peine le B. A-BA des vérités de la foi. Par ses catéchèses simples et profondes, longuement et péniblement préparées, le curé d’Ars réussissait à toucher les cœurs et à nourrir la foi de ses paroissiens. De nos jours, les catholiques de France sont-ils moins ignorants, même si certains laïcs ont des diplômes en théologie et si toutes sortes de moyens sont à leur disposition pour les instruire ? Le rôle d’enseignant du prêtre n’a rien perdu de sa pertinence.
  • La source de la fécondité du curé d’Ars, c’est sa prière.Mon Dieu, répétait-il,convertissez ma paroisse. Les prêtres risquent parfois de se prendre pour les sauveurs du monde, ils ne le seront qu’en laissant agir en eux le Sauveur. Le Sauveur, Jean-Marie Vianney l’a rencontré en habitant littéralement l’église de sa paroisse. Il y était très tôt le matin, à telle enseigne que les gens disaient : « on a un curé qui vit dans l’église ! ». La prière, dans la vie du prêtre, est décisive non seulement pour nourrir sa vie spirituelle, mais pour prolonger le ministère du Christ, notre grand Prêtre, tourné en permanence vers son Père.
  • L’eucharistie « sacramentum caritatis » a été au cœur de la prière et du ministère du saint curé. Il passait un temps considérable à adorer le Saint-Sacrement. Il voulait que la maison du Seigneur soit belle. À ses yeux, rien n’était assez beau pour contenir le corps et le sang de Notre Seigneur. Il célébrait la messe normalement,ni trop prompt, ni trop long, rapportent ses proches, mais avec une intensité d’engagement qui frappait tous les participants. Comment le prêtre célèbre-t-il aujourd’hui l’eucharistie ? Quelle place tient-elle dans sa vie ?
  • Au cours des vingt-cinq dernières années de son ministère à Ars, Jean-Marie Vianney a passé en moyenne douze heures par jour au confessionnal. Il n’avait pas programmé à l’avance ce ministère, ni fait de publicité dans ce sens. Il s’est mis tout simplement à la disposition de ceux qui venaient à lui. On dit souvent qu’aujourd’hui les gens ne se confessent plus et même que certains ne veulent pas se confesser. C’est possible, mais l’expérience montre que là où un prêtre sait se montrer disponible, attendant tout simplement les pénitents à l’église, les gens viennent.
  • Tout cela nous montre que le curé d’Ars n’a rien fait d’extraordinaire : il a fait tout simplement ce que devaient faire les prêtres à son époque, mais il l’a fait avec un tel engagement de lui-même que les moyens les plus ordinaires ont produit des fruits exceptionnels. Sa vie est une illustration magnifique de ce que Vatican II dit de la charité pastorale :C’est l’exercice loyal, inlassable de leurs fonctions dans l’Esprit du Christ qui est, pour les prêtres, le moyen authentique d’arriver à la sainteté (Presbyterorum Ordinis, n° 13). Plus que tous les autres, les prêtres sont des hommes donnés à la suite de l’unique Bon Pasteur, dont la nourriture était de faire la volonté de son Père et d’accomplir son œuvre, ce fut là la sainteté du curé d’Ars, c’est ainsi que le prêtre d’aujourd’hui est appelé à devenir saint.

De nouveaux défis

La figure lumineuse de Jean-Marie Vianney demeure aujourd’hui encore un appel à devenir prêtre selon le cœur de Dieu, mais dans l’Église et le monde du XXIe siècle, marqués par le renouveau théologique et spirituel issu du IIe Concile du Vatican.

Le ministère du prêtre, fondamentalement le même depuis l’âge apostolique, a beaucoup changé en plus de deux mille ans d’histoire. S’il s’origine dans le ministère confié par Jésus aux Douze, ce n’est que vers 170, avec les Lettres d’Ignace d’Antioche, que le ministère ordonné se déploie en trois ordres : épiscopat, presbytérat et diaconat. Pendant plusieurs siècles, le ministère et la vie des prêtres étaient étroitement liés au collège des prêtres ou presbyterium autour de l’évêque. C’est la création des églises rurales qui, à la fin de l’ère patristique, provoquera un éclatement de cette vie collégiale, sans pour autant détruire le presbyterium lui-même. L’Église des premiers siècles se construit non seulement à partir d’un ministère ordonné prolongeant celui des Douze, mais aussi d’un certain nombre de ministères laïcs. La cléricalisation progressive de ces ministères laïcs et la disparition du diaconat comme degré permanent du sacrement de l’Ordre vont entraîner à certaines périodes une véritable hypertrophie sacerdotale qui conduira à déposséder le laïcat de sa mission au cœur de l’Église et de sa participation active à la liturgie.

Tant à l’époque de la réforme grégorienne qu’à l’issue du Concile de Trente, c’est en proposant aux prêtres un idéal de type religieux qu’on va les inviter à vivre la sainteté de leur état. L’École française dont l’influence sera si déterminante pour le clergé français n’affirmera-t-elle pas que le prêtre est le parfait religieux de Dieu (Pierre de Bérulle) ? Il serait trop long d’évoquer en détails cette longue histoire qui aboutit en France au XIXe siècle à proposer comme modèle de prêtre le curé, pasteur d’un peuple dont il connaît la plupart des membres et qu’il dessert pendant de longues années, voire durant toute sa vie. Pour ce peuple à taille humaine, le curé fait pratiquement tout, du catéchisme des enfants aux derniers sacrements ; dans l’accomplissement de son ministère, il n’est entouré que d’un minimum de collaborateurs qui sont surtout des exécutants : d’un ou de plusieurs vicaires si la paroisse est importante et de quelques laïcs au service de l’église ou du presbytère. La figure emblématique de ce type de prêtre est évidemment celle de Jean-Marie Vianney qui fut curé d’Ars pendant quarante-deux ans.

Le prêtre selon Vatican II

Le deuxième Concile du Vatican ne nous suggère-t-il pas un autre modèle de prêtre ? Il nous rappelle en premier lieu que le sacerdoce ministériel est au service de la croissance spirituelle du sacerdoce commun et que tous les baptisés sont à la fois prêtres, prophètes et rois. Si la vocation et la mission des fidèles laïcs se déploient prioritairement au cœur des réalités séculières qu’ils ont à ordonner selon Dieu, elles peuvent aussi se déployer dans des tâches intra-ecclésiales. Concernant les tâches intra-ecclésiales confiées aux fidèles laïcs, l’Exhortation apostolique Christifideles laici (30 décembre1988) va plus loin que Vatican II.

Pour Vatican II, l’épiscopat, qui hérite directement du ministère confié par Jésus aux Douze, est le ministère-source. L’évêque a deux types de collaborateurs au sein du ministère ordonné : les prêtres qui partagent avec lui le même sacerdoce et qui constituent autour de lui le presbyterium, et les diacres chargés, comme les Sept dont nous parlent Actes 6, 1-7, de la diaconie de l’Église. Évêques et prêtres sont configurés, par leur ordination, au Christ Prêtre, Tête et Époux de son Église. Les textes de Vatican II soulignent la dimension communautaire du ministère ordonné : on n’est pas évêque tout seul mais au sein d’un collège dont le successeur de Pierre est la tête, on n’est pas prêtre tout seul mais au sein d’un presbyterium dont l’évêque est la tête, on n’est pas diacre tout seul, mais au sein d’une fraternité diaconale dont le statut se cherche encore. Et, par ailleurs, évêques, prêtres et diacres sont ensemble au service du peuple de Dieu. L’articulation de ces divers ministères ordonnés doit incontestablement être améliorée.

À côté de ces ministères ordonnés constitutifs de l’Église existent des ministères institués. La lettre apostolique Ministeria quaedam du pape Paul VI (15 août 1972) les limite précisément à deux : le lectorat et l’acolytat, éventuellement confiés à des fidèles laïcs de sexe masculin ; mais elle ne ferme pas la porte à la création par les Conférences épiscopales d’autres ministères pouvant être confiés aussi bien à des hommes qu’à des femmes. On a été jusqu’à présent peu créatif en ce domaine : la catéchèse, la pastorale de la santé, l’accompagnement des mourants et des familles en deuil pourraient par exemple donner lieu à la création de nouveaux ministères institués.

Cette nouvelle donne transforme profondément le ministère du prêtre d’aujourd’hui et de demain. L’histoire nous apprend que, quand les prêtres sont trop nombreux par rapport au travail proprement sacerdotal, ils cherchent des occupations ailleurs et convoitent les bénéfices. À l’inverse, quand le nombre des prêtres est insuffisant, le niveau de la foi s’abaisse. Pour la bonne santé du peuple de Dieu, il faut un nombre raisonnable de prêtres : or nous sommes aujourd’hui en de nombreux endroits en dessous du nombre raisonnable de prêtres. Mais il n’est pas déraisonnable de penser que, si le ministère presbytéral est correctement articulé avec celui des diacres et des divers ministères laïcs, le nombre des prêtres peut être moins important qu’il a pu l’être par le passé.

Cette meilleure articulation des divers ministères n’est pas un remède à la pénurie présente, elle est appelée par la nature même des divers ministères et elle est au service d’un meilleur accomplissement de la mission prioritairement évangélisatrice de l’Église.

À l’imitation du Christ obéissant, chaste et pauvre

Vatican II, dans Presbyterorum Ordinis, a invité les prêtres à vivre les conseils évangéliques, notamment l’obéissance, la chasteté dans la continence et la pauvreté. Et cette invitation fut reprise en 1992 dans l’Exhortation apostolique Pastores dabo vobis. Les prêtres diocésains, mêmes si ils ne font pas des vœux, vivent selon les conseils évangéliques.

Le célibat du prêtre, même s’il ne s’imposa qu’au premier Concile du Latran en 1123, a été pratiqué très tôt. La garde du célibat dans la continence ne répond pas d’abord à des exigences pratiques de disponibilité et de liberté apostoliques, même si celles-ci sont réelles, mais aux exigences de la sequela Christi. C’est le Christ qu’il s’agit d’imiter et sans cette référence au Christ, le célibat du prêtre est incompréhensible. Il s’agit donc de tout autre chose que de renoncer au mariage.

L’Église latine aurait donc tort de renoncer à cet engagement. Pour quel profit ? Pour avoir, disent certains, plus de candidats. C’est un leurre que de le penser. La comparaison avec les autres confessions chrétiennes qui permettent le mariage de leurs ministres montre que les difficultés de recrutement sont tout aussi grandes.

*

L’innovation concernant le ministère du prêtre doit consister non pas à ouvrir des pistes impossibles comme le préconisent certains avec un acharnement têtu, mais à retrouver la pluriministérialité des premiers siècles, c’est-à-dire la pluralité des ministères et une meilleure articulation entre eux. Évêques, prêtres, diacres et laïcs en mission ecclésiale, tous ensemble au service d’une Église missionnaire. Puisse être là l’un des fruits de l’année sacerdotale en cours !

[1Le 22 mai 1994, dans la Lettre apostolique Ordinis sacerdotalis, le pape Jean-Paul II a engagé l’infaillibilité pontificale, en déclarant que l’Église n’a en aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l’Église. Cette prise de position a été et demeure mal comprise d’une opinion publique qui la juge à la lumière de la parité homme-femme qui prévaut dans la société contemporaine. Si l’Église catholique reconnaît la parfaite égalité des sexes, elle les comprend comme différents et complémentaires dans la répartition des tâches. Autre est pour elle le ministère propre de Marie, autre le ministère propre des Douze : ces deux ministères ne se confondent pas, et ils ont l’un et l’autre leur grandeur propre.

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