Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Le jour du Seigneur et le développement de l’année liturgique

Pierre Piret, s.j.

N°2009-4 Octobre 2009

| P. 275-287 |

D’un point de vue liturgique, l’octave pascale est comme la matrice du rythme hebdomadaire en tant que célébration du premier jour durant huit jours. Ce mystère du Christ mort et ressuscité est déployé tout au long du cycle de l’année, de dimanche en dimanche, selon l’enseignement des évangiles. Prenant son départ dans le temps qui suit la Pentecôte, l’auteur nous invite à parcourir le développement de l’année liturgique, où nos temps s’intègrent au présent éternel de Dieu.

La lecture en ligne de l’article est en accès libre.

Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.

Le Christ de Dieu, Sauveur de la multitude, se rend « présent » en « tout temps » par l’action sacramentaire tandis que son Esprit lui configure, lui incorpore, lui assimile les membres de l’Église qui le célèbre. Mais encore, nous désignons « le temps liturgique » ou distinguons « les temps » variés et successifs d’une même « année » : le temps pascal, le temps ordinaire, etc.

D’une part, le Christ déploie en personne son agir selon des temps particuliers, depuis sa venue du Père jusqu’à son retour au Père (cf. Jn 13, 1). D’autre part, à l’intérieur de son Église mue par l’Esprit, c’est nous-mêmes qui déterminons les temps, les jours de sa naissance, de son ministère, de sa pâque au cours de chaque année humaine que nous offrons au Père [1].

Le « mémorial » ainsi vécu suppose et implique une intégration des temps dans le présent éternel de Dieu, qui soit une œuvre conjointe du Père, du Fils, de l’Esprit Saint. À ce mémorial, acte de Dieu, doit correspondre quant à nous cette puissance spirituelle d’intégration qu’est la « mémoire », acte de l’homme.

La liturgie s’identifie bel et bien à la grande tradition (ou transmission, livraison : paradôsis) du Verbe fait chair. Cette tradition est caractérisée par l’incorporation du Verbe dans l’Église et dans l’Écriture, ainsi que, de façon correspondante, par l’incorporation de l’Église et de l’Écriture au seul et même Verbe de Dieu.

L’Écriture Sainte est le « mémorial » des paroles et des gestes noués entre Dieu et son peuple, livré en « mémoire » pour le salut des hommes, à la gloire de Dieu. Dans la liturgie, elle n’est pas seulement un livre disponible, mais une parole choisie et proclamée à cause de la réalité spirituelle qui entend se livrer à nous « en ce temps-là ». Ainsi le temps liturgique permet-il aux fidèles de vivre communautairement et individuellement dans l’intimité de Dieu, de reconnaître ses interventions et de leur répondre, selon les Écritures.

Le jour de la résurrection

Dans sa constitution sur la liturgie, Sacrosanctum Concilium, le concile Vatican II définit comment l’Église célèbre l’œuvre salvatrice du Christ par une commémoration, « à jours fixes », au long de l’année. « Chaque semaine, au jour qu’elle a appelé “Jour du Seigneur” (Dominicam), elle fait mémoire de la Résurrection de son Seigneur, qu’elle célèbre encore une fois par an, en même temps que sa bienheureuse Passion, par la grande solennité de Pâques. Et elle déploie tout le mystère du Christ pendant le cycle de l’année, de l’Incarnation et la Nativité jusqu’à l’Ascension, jusqu’au jour de la Pentecôte et jusqu’à l’attente de la bienheureuse espérance et de l’avènement du Seigneur » [2].

La relation entre le jour de la résurrection et le dimanche de chaque semaine, médité selon l’enseignement des évangiles, éclaire le développement de l’année liturgique (dont le présent article propose un résumé) et en fournit un fil conducteur.

Chaque évangile

Chacun des quatre évangélistes souligne que la résurrection de Jésus est annoncée, par un ou par deux anges, au « premier jour de la semaine » (tè mia tôn sabbatôn : Mt 28, 1 ; Mc 16, 2 ; Lc 24, 1 ; Jn 20, 1). C’est à l’aurore (Mt), de très bonne heure (Lc), que des femmes, que Marie de Magdala (Jn), viennent au tombeau. Elles reçoivent le message céleste avant que le Seigneur lui-même s’approche d’elles et se fasse reconnaître. L’apparition de Jésus aux disciples, ultérieure, est mentionnée par Luc et par Jean au soir du « même jour ».

Une révélation du Père et de l’Esprit par le Fils ressuscité des morts semble parcourir et spécifier ce même et seul jour, le premier de la semaine. Matthieu fait entendre la formule liturgique du baptême des nations « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » énoncée par Jésus ressuscité, sur la montagne de Galilée (Mt 28, 18-20). Marc déclare l’enlèvement du Seigneur au ciel, sa session à la droite de Dieu, ainsi que son assistance aux disciples, partis prêcher en tout lieu (Mc 16, 19-20). Luc relate les recommandations de Jésus, apparu à Jérusalem aux Onze et à leurs compagnons : il va envoyer sur eux ce que le Père a promis ; ils ont à demeurer dans la ville jusqu’à ce qu’ils soient revêtus de la force d’en Haut (Lc 24, 49). Au livre des Actes, la réalité promise est nommée précisément : « vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit Saint ; vous serez alors mes témoins… » (Ac 1, 8). Selon Jean, Jésus ressuscité fait savoir à Marie de Magdala, et par elle à ses disciples, sa montée vers le Père : « va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père qui est votre Père, vers mon Dieu qui est votre Dieu » (Jn 20, 17). Plus tard, il vient et se tient au milieu d’eux ; comme le Père l’a envoyé, leur dit-il, lui aussi les envoie – et il souffle sur eux l’Esprit Saint pour la remise des péchés (Jn 20, 21-23).

Saint Jean

Rappelons l’insistance de l’évangéliste Jean à ce moment-là du récit. C’est « le soir de ce même jour, le premier de la semaine » que, toutes portes étant closes par crainte des Juifs, Jésus vint là où se trouvaient les disciples (Jn 20, 19).

Le jour de la résurrection contient en plénitude la révélation de notre Seigneur et de son action salvatrice en notre faveur, sa victoire sur le péché et sur la mort. Ce jour unique intègre en lui-même tous les temps, de leur origine à leur fin. « Unique », un tel jour est aussi le « premier » de ceux qui forment la semaine. Par son sacrifice de louange au Père et de miséricorde pour les hommes, le Christ grand-prêtre est entré dans le repos de Dieu, au septième jour, entraînant avec lui la création tout entière dans l’espérance. Et c’est de là qu’il surgit, dans sa vie filiale, divine autant qu’humaine : lumière du premier jour de la création nouvelle, dont les rais déferleront sur les jours qui suivront.

Mais encore, au chapitre 20 du quatrième évangile, ce jour unique paraît se dédoubler lui-même, tout en sauvegardant son identité. Jean vient de signaler l’absence de Thomas, « l’un des Douze », lors de la venue de Jésus parmi les disciples, et sa réaction incrédule face aux dires de ceux-ci. « À nouveau », dans des circonstances semblables, Jésus apparaît aux disciples alors que Thomas est avec eux, suscitant la foi de ce dernier. L’évangéliste précise le moment : cela s’est passé « huit jours après » le premier jour de la semaine (Jn 20, 26).

« Parce que tu me vois, tu crois. Heureux ceux qui croiront sans avoir vu » (Jn 20, 29). Comme les autres disciples et avec eux, Thomas pourra témoigner qu’il a vu le Ressuscité. Comme ceux qui, au long des âges, accueilleront leur témoignage, Thomas ne voit pas, au premier jour de la semaine, mais il croit, huit jours après.

De générations en générations, les chrétiens célèbrent le jour du Ressuscité, qui est à jamais le jour unique et premier. Ils le célèbrent à chaque fois « huit jours après », tous les huit jours, de dimanche en dimanche. Faisant cela, ils ne s’éloignent pas du jour plénier de la résurrection ; ils s’y laissent plutôt intégrer par le Seigneur Jésus, à l’exemple de Thomas et à l’écoute de sa confession : « Mon Seigneur et mon Dieu » (Jn 20, 28).

Le choix, par l’Église, de cet évangile johannique dans la liturgie eucharistique est remarquable. Le jour de Pâques, à la messe du matin, nous entendons le récit de la venue, au tombeau, de Simon-Pierre et de l’autre disciple. Le texte conclut : jusqu’alors, ils « n’avaient pas vu (édeisan) que, d’après l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts » (Jn 20, 9). L’Écriture découvre, aux yeux des croyants, la présence du Ressuscité et le témoignage apostolique. Le dimanche qui suit, « deuxième dimanche de Pâques », l’évangile (commun aux années A, B et C) proclame, en une seule fois, comment Jésus apparaît aux disciples le premier jour et, en présence de Thomas, huit jours après (Jn 20, 19-31). La relation intime du jour de la résurrection et du dimanche chrétien est par là mise en valeur.

Saint Luc

L’évangéliste Luc évoque, lui aussi, le « même jour » de la résurrection jusqu’à la « tombée du soir » (Lc 24, 13.29). Revenant à Jérusalem qu’ils avaient quittée pour Emmaüs, deux disciples racontent aux Onze et à leurs compagnons, qui leur apprennent que le Seigneur ressuscité est apparu à Simon-Pierre, comment eux-mêmes « l’avaient connu à la fraction du pain » (Lc 24, 35). Cet évangile est proclamé le jour de Pâques, à la messe du soir.

Le texte poursuit : « Ils parlaient encore, quand il se tint en personne au milieu d’eux » (Lc 24, 36). Puis, les ayant emmenés aux environs de Béthanie et « tandis qu’il les bénissait, il se sépara d’eux et fut emporté au ciel » (Lc 24, 51). Aucune césure temporelle n’est indiquée. Comme les autres évangélistes, Luc laisse voir que le seul et même jour, premier de la semaine, réunit tous les événements, y compris le départ de Jésus auprès du Père.

Par ailleurs, dans le livre des Actes des apôtres, second ouvrage qu’il dédie à Théophile, Luc montre comment le jour de Pâques se déploie dans le temps – plus précisément : déploie son temps. Suivant cet enseignement, l’Église étend, dans sa liturgie, le temps pascal sur cinquante jours [3].

Le jour de Pâques célèbre la victoire de Jésus sur le péché et sur la mort, sa présence à l’Église, son autorité dans le don du salut et la mission apostolique. « Après sa passion, il se montra vivant » aux apôtres et « le leur prouva de maintes façons, leur apparaissant pendant quarante jours et leur parlant du Royaume de Dieu » (Ac 1, 3).

Le chiffre quarante est fixé, évoquant d’emblée, dans l’Écriture, l’apprentissage des choses de Dieu (Moïse et le peuple au désert, Élie à l’Horeb, Jésus après son baptême). Ici, tandis qu’il les habitue à le voir apparaître et disparaître, le Seigneur Jésus forme progressivement ses disciples à le connaître dans la foi : il est le Vivant, l’engendré du Père. Le temps vient, alors, qu’« une nuée le dérobe à leurs regards » (Ac 1, 9). La liturgie de l’Ascension célèbre l’entrée de Jésus au ciel, sa session à la droite du Père.

« Celui qui vous a été enlevé viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller au ciel ». Cette parole des anges aux « hommes de Galilée » (Ac 1, 11) nous découvre comment le Seigneur Jésus vient et viendra, encore et toujours, au milieu de nous : il attire l’humanité vers son Père, pour la vie éternelle, il laisse le Père l’attirer à lui, avec tous les siens.

Avec tous les siens, et aussi par eux : car telle est la mission qu’il leur donne, dans la force de l’Esprit Saint qui descendra sur eux. La Pentecôte célèbre l’envoi de l’Esprit Saint aux apôtres (Ac 2, 1-4). Celui-ci est source à la fois de notre intimité avec le Seigneur et de l’expansion de l’Évangile à travers les temps et les espaces humains. Par sa grâce, les hommes sont à même de s’attirer mutuellement, comme le Fils les y attire, vers le Père, et de laisser le Père les attirer à lui, comme il attire le Fils. L’acte unique du Christ et du Père à l’égard de l’humanité, dans le mystère de Pâques, est devenu aussi l’acte de l’humanité à l’égard de Dieu, par le don de l’Esprit Saint.

Le temps ordinaire

Le temps ordinaire de la liturgie avait débuté au lendemain du Baptême de Jésus, fête qui clôt les célébrations de l’Épiphanie. Interrompu par le Carême (dont le calendrier dépend de la date de Pâques), il reprend son cours dès le lendemain de la Pentecôte. Les deux fêtes dominicales peuvent être comparées : l’Esprit de Dieu descend sur Jésus lors de son baptême, sur les disciples au jour de la Pentecôte.

L’une et l’autre référence à l’Esprit Saint influe assez naturellement sur la période du temps ordinaire qu’elle précède.

Par l’écoute de l’évangile au cours de la première période du temps ordinaire, nous rejoignons la condition des disciples sur les chemins de Galilée ; nous recueillons les paroles et les gestes de Jésus qui nous convie à la connaître et à le suivre. Par l’écoute de l’évangile encore, c’est la condition des disciples à la Pentecôte que la seconde période nous fait partager : la puissance d’accomplir, en son nom, les œuvres de notre Maître et Seigneur (cf. Jn 13, 13 et 14, 12-13).

Cette remarque sur le temps ordinaire et le texte évangélique est applicable à toute l’Écriture et à l’ensemble de l’année liturgique. Les temps distincts de celle-ci et l’intelligence chrétienne de l’Écriture Sainte se promeuvent mutuellement. Une telle promotion s’attestera dans la prédication (l’homélie de la messe), dans la prière personnelle, dans l’exégèse même du texte [4].

Des solennités

Alors que vient de s’achever une semaine de temps ordinaire, l’Église célèbre, au dimanche qui suit celui de la Pentecôte, la sainte Trinité de Dieu. Une semaine après, la foi chrétienne se concentre sur la présence tangible du salut de Dieu : c’est le dimanche du Saint-Sacrement, auquel succédera le vendredi du Sacré-Cœur de Jésus.

Dans les derniers jours du temps ordinaire, la liturgie eucharistique retient, comme évangiles, les annonces prophétiques (ou « petites apocalypses »), par Jésus, de « la venue du Fils de l’Homme ». Plusieurs fois, nous entendrons la même introduction (répétée par le missel) au texte évangélique : « En ces jours-là, Jésus parlait à ses disciples de sa venue ».

Au cours de sa marche vers Jérusalem, Jésus parle de sa venue en tant que Fils de l’Homme, Juge des vivants et des morts, Berger qui sépare les brebis et les boucs, Roi d’Israël et des Nations.

Tel qu’il se révèle en s’annonçant ainsi, l’Église le célèbre au 34e et dernier dimanche du temps ordinaire, par la solennité du « Christ Roi de l’univers » [5].

Mais encore, celle-ci fait passer les chrétiens, sans heurts, au début du temps de l’Avent – durant lequel « nous attendons sa venue ».

L’Avent

Le temps de l’Avent est le temps de l’avènement (adventus), de la venue du Seigneur, est le temps de l’espérance, de la vigilance, de l’attente qui continûment nous éveillent à cet avènement [6].

Les quatre dimanches de la liturgie et les semaines qui leur correspondent nous conduisent, progressivement, de l’attente du « jour du Seigneur », jour du jugement à la fin des temps, que proclament et auquel préparent les prophètes d’Israël (1er dimanche), au jour de la nativité (dies natalis), attendu par Notre-Dame (4e dimanche). Dans cette progression, le rôle de Jean-Baptiste est central (2e et 3e dimanches).

L’annonce des prophètes d’Israël initie, puis accompagne dans son intégralité, le temps de l’Avent. C’est au nom même de notre espérance du jugement de vie, au dernier jour (1er dimanche), que nous sommes conviés à la conversion et au combat spirituel ; Jean-Baptiste relaie cet appel prophétique (2e dimanche). Mais encore, c’est le Seigneur en personne qui s’approche de son peuple, fait annoncer sa venue comme imminente ; Jean-Baptiste en devient le précurseur (3e dimanche). Marie reçoit l’annonce, elle deviendra la mère du Sauveur (4e dimanche).

Notre espérance dans l’avènement glorieux du Seigneur est-elle par là affaiblie, détournée de son intention première ? Elle s’affermit, plutôt, en se laissant concentrer sur la conception charnelle du Verbe de Dieu et en recueillant son nom d’homme confié à Joseph : « tu l’appelleras Jésus » (Mt 1, 21).

Noël

L’évangile proclamé à la messe de la nuit de Noël transmet l’annonce, aux bergers, de la « grande joie pour tout le peuple » : la naissance d’« un Sauveur, dans la ville de David » (Lc 2, 1-14). Celui entendu à l’Épiphanie débute par l’interrogation des « mages venus d’Orient » sur le « roi des Juifs qui vient de naître », car ils ont vu « se lever son étoile » (Mt 2, 1-12). La continuité du temps de Noël, des fêtes de la Nativité (le 25 décembre) et de l’Épiphanie (le dimanche après le 1er janvier) se laisse bien saisir par le regard croisé que nous offrent Matthieu (à l’Épiphanie) et Luc (à Noël) au sujet de celui qui est, selon la prière adressée à Dieu par Siméon, « lumière pour éclairer les Nations et gloire d’Israël ton peuple » (Lc 2, 32. Cf. la fête de la Présentation de Jésus au temple, le 2 février).

Dans le cours des célébrations particulières qui scandent ce temps de Noël, on trouvera quelques anachronismes, quelques redites dans les textes employés. Le fil conducteur est cependant très ferme. L’économie du Verbe de Dieu dans la chair est engagée, dès le commencement, par le sang versé : saint Étienne, le premier martyr du Christ (Ac 7, 55-60), est célébré le 26 décembre. Saint Jean, témoin du Verbe de vie, est célébré le 27 décembre ; sa première lettre parcourt les jours de la férie. Le 28 décembre concerne le massacre, par Hérode, des enfants de Jérusalem, « les saints Innocents » ; en retenant la lamentation de Rachel pleurant ses enfants (Mt 2, 16 : cf. Jr 31, 15), l’évangile du jour rappelle la foi des justes d’Israël au cours des âges.

« Épiphanie » (epiphaneia) signifie manifestation. Durant la semaine qui suit le dimanche de la fête, les textes évangéliques choisis découvrent, chaque jour, telle ou telle manifestation du Christ Jésus, puissante en paroles ou en gestes. Au dimanche après l’Épiphanie, la fête du Baptême du Seigneur, par la voix du Père et la descente de l’Esprit, confirme le temps de l’avènement et de la manifestation de l’Emmanuel.

Elle inaugure, aussi, sa mission au milieu de son peuple et notre apprentissage auprès de lui. L’année liturgique se poursuivant, nous entrons, le lendemain du Baptême, dans la 1ère semaine de ce temps ordinaire de la grâce quotidienne.

Le Carême

Le temps du Carême, qui dure quarante jours [7], correspond à « la montée vers Jérusalem » qu’entreprend résolument Jésus et dont l’évangéliste Luc, en particulier, décrit la lente progression. Celui qui est venu et que nous attendions (cf. le temps de l’Avent), qui marque nos journées de sa présence et de son action (cf. le temps ordinaire), voici qu’il s’en va.

Ce départ est souligné par l’évangéliste Jean à plusieurs reprises. Jésus déclare aux Juifs : « Je m’en vais et vous me chercherez » (Jn 8, 21). Au cours du dernier repas, il avertit ses disciples : « Vous me chercherez ; et comme je l’ai dit aux Juifs, je vous le dis à vous aussi maintenant : où je vais, vous ne pouvez venir » (Jn 13, 33). De l’ensemble des chapitres 13 à 17 se dégage alors la révélation définitive : Jésus explique aux siens qu’il s’en va vers le Père et qu’ils seront conduits là où il se trouve.

C’est pour nous sauver du péché, pour nous « réconcilier avec Dieu » (2 Co 5, 20) que Jésus monte à Jérusalem et y souffrira sa passion. Le Carême nous est un temps de conversion, moyennant les trois comportements radicaux : la prière, le jeûne, l’aumône. La foi au Christ Sauveur illumine le combat contre le mal et ce qui conduit au mal, renouvelle l’accueil de la grâce filiale et fraternelle.

On comprend alors que le temps du Carême, dans la vie de l’Église, soit essentiellement le temps de la préparation au Baptême par les catéchumènes, ainsi que de la conformation à la grâce baptismale par les fidèles.

La semaine sainte

Au terme des quarante jours, le dimanche des Rameaux et de la Passion, qui introduit à la semaine sainte, célèbre l’entrée de Jésus à Jérusalem. La lecture de l’évangile correspondant et une procession ouvrent la liturgie du jour : « avançons, comme les foules de Jérusalem heureuses d’acclamer le Messie ». L’évangile de la passion, qui sera proclamé le vendredi dans la version de saint Jean, l’est déjà ce dimanche, selon l’un des trois récits synoptiques [8]. La croix domine ainsi toute la semaine sainte, en même temps que la lumière prophétique projetée sur elle par Jésus, lors de son entrée royale dans la Cité de David.

Dans la matinée du jeudi, ou l’un des trois premiers jours de la semaine, l’évêque concélèbre, avec plusieurs prêtres, une messe qui réunit des fidèles du diocèse. Il y consacre le saint-chrême – qui sera employé pour baptiser et confirmer durant la veillée pascale – et bénit l’huile destinée à l’onction des malades, ainsi que l’huile des catéchumènes.

Le triduum pascal est le moment le plus intense de l’année liturgique, qui atteint au plus profond toute communauté chrétienne. Il commence avec la messe du jeudi soir et, après le déploiement de la veillée dans la nuit du samedi au dimanche, il s’achève au soir de Pâques.

La messe du jeudi soir commémore l’institution de l’eucharistie et du sacerdoce ministériel à la « dernière cène ». Les lectures rappellent, successivement : la manducation de l’agneau pascal par le peuple juif au seuil de sa libération (Ex 12, 1-14), la dimension cultuelle de l’action de grâce (Ps 115), la tradition ecclésiale du Corps du Seigneur (1 Co 11, 23-26), le service de la charité, dont Jésus fournit l’exemple par le lavement des pieds (Jn 13, 1-15).

L’office liturgique du vendredi, qui ne comporte pas d’eucharistie, nous tourne vers la passion et la mort de notre Seigneur. Après en avoir écouté le récit par saint Jean, l’assemblée implore longuement « Dieu éternel et tout-puissant » afin que la rédemption effectuée par le Christ atteigne la terre entière. À la parole de Dieu, selon les Écritures, répond la parole de l’Église, qui intercède auprès de Dieu en faveur de tous les hommes. La prière universelle étant achevée, la croix est présentée, puis vénérée par toutes les personnes présentes. La communion eucharistique termine la célébration.

La veillée pascale

Dans la veillée pascale, c’est à la lumière du Ressuscité que l’Église fait mémoire des paroles et des gestes de Dieu en faveur de son peuple. Après la bénédiction du cierge, en effet, les lectures de l’Ancien Testament proclament les quatre interventions fondamentales de Dieu : la création (Gn 1, 1 – 2, 2), le sacrifice d’Isaac par Abraham (Gn 22, 1-18), le passage de la mer rouge (Ex 14, 15 – 15, 1) ; les temps messianiques. L’annonce de ceux-ci est portée par quatre prophéties : la Cité sainte (Is 54, 5-14), le don de la vie (Is 55, 1-11), les œuvres de la sagesse (Ba 3, 9 – 4, 4), l’Alliance nouvelle et éternelle (Ez 36, 16-28). Psaumes et oraisons conclusives accueillent et confirment la promesse divine. Après l’hymne « gloire à Dieu » (gloria), une oraison introductive mentionne « cette nuit très sainte » de notre participation au Christ, que souligne l’apôtre (Rm 6, 3-11). L’évangile, alors, livre à jamais son enseignement : Jésus de Nazareth, le Crucifié, est ressuscité [9].

La liturgie de la veillée pascale aboutit aux sacrements de l’initiation chrétienne : le baptême, la confirmation, l’eucharistie. Par le geste et la parole sacramentels qu’effectue l’Église en sa personne, le Seigneur corporellement ressuscité introduit les hommes dans sa vie divine. Il nous attire à lui, aujourd’hui, puisqu’étant mort, il est ressuscité.

La reconnaissance ecclésiale d’un tel don s’affermit et se déploie au long des jours de la semaine de Pâques. Les récits des apparitions de Jésus ressuscité se succèdent, extraits des quatre évangiles. La lecture des Actes des apôtres, qui parcourra tout le temps pascal, débute dès le lundi de cette octave avec la première déclaration de Pierre, à Jérusalem, lors de la Pentecôte : « nous tous, nous en sommes les témoins » (Ac 2, 32).

[1La date de la fête chrétienne de Pâques est fixée en correspondance avec la Pâque juive, qui commémore la manducation de l’agneau et le passage de la Mer rouge. Elle peut varier, selon un calendrier à la fois solaire et lunaire, entre le 22 mars et le 25 avril.Propre lui aussi à l’hémisphère nord, un symbole seulement naturel motive la date de Noël : la nuit la plus longue de l’année tombe le 25 décembre, ouvrant l’espérance à la victoire de la lumière.

[2Concile Vatican II, Sacrosanctum Concilium, chapitre V, « L’année liturgique », n° 102 ; Paris, Éditions du Centurion, 1967, p. 191.

[3Cinquante jours après la Pâque – pentèkonta signifie, en grec, cinquante – le peuple d’Israël célèbre la fête des semaines, qui marque le début de la moisson et rappelle le don de la Loi au Sinaï. Luc signale expressément, à propos des disciples, que « le jour de la Pentecôte étant arrivé, ils se trouvaient tous ensemble dans un même lieu » (Ac 2, 1). Jusqu’au Ve siècle, les chrétiens désignaient par « Pentecôte » la durée de cinquante jours consacrée à la fête de Pâques. Sept fois sept jours, soit sept semaines : un tel multiple du chiffre sept, dans la confirmation du jour premier, signifie une plénitude.

[4« Les invités de la noce pourraient-ils donc faire pénitence pendant le temps où l’époux est avec eux ? Mais un temps viendra où l’époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront » (Mt 9, 15). Cette même parole de Jésus, qui distingue deux moments dans les relations entre lui et ses disciples, est lue, et à l’eucharistie du 13e samedi ordinaire, et à celle du vendredi après les Cendres. (Il s’agit d’un exemple parmi d’autres).

[5La fête a été instituée par Pie XI en 1925.

[6Les trois termes « Avent, Noël, Épiphanie » deviennent synonymes lorsqu’au VIe siècle, le temps de l’Avent est adjoint aux deux solennités de la Nativité et de la Manifestation du Seigneur. La réforme de la liturgie par Vatican II, en plus de celles des quatre dimanches, organise des messes quotidiennes qui correspondent à ce temps liturgique.

[7Les comptes des « quarante jours » varient. Certains retiennent la période allant du mercredi des Cendres au jour de Pâques, en excluant les dimanches. Pour d’autres, c’est la période qui, incluant les dimanches, va du 1er dimanche du Carême au Jeudi saint.Or il convient, et d’intégrer la période des Cendres, qui est mise en valeur dès Grégoire le Grand, et d’intégrer les dimanches (même exemptés de privations), essentiels à la vie liturgique des catéchumènes et des baptisés. Le temps du Carême, dirons-nous, commence le mercredi des Cendres, s’achève au dimanche des Rameaux et de la Passion. Celui-ci inaugure la semaine sainte, accomplie au dimanche de la Résurrection.La monition prévue à la procession des Rameaux est précise : « Frères biens-aimés, pendant quarante jours, nous avons préparé nos cœurs par la prière, la pénitence et le partage ; et nous voici rassemblés au début de la semaine sainte pour commencer avec toute l’Église la célébration du Mystère pascal ».

[8Rappelons l’attribution des évangélistes aux trois années liturgiques : Matthieu à l’année A, Marc à l’année B, Luc à l’année C.

[9Mt 28, 9-10 ; Mc 16, 1-18 ; Lc 24, 1-12.

Mots-clés

Dans le même numéro