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Une nouvelle présidente pour l’U.C.E.S.M.

N°2008-3 Juillet 2008

| P. 203-209 |

L’hebdomadaire Tertio a publié récemment une interview sur deux pleines pages de Sœur Lutgardis Craeynest, des Sœurs de don Bosco (Filles de Marie Auxiliatrice). Nous traduisons ce document qui permet à nos lecteurs de faire connaissance avec la nouvelle présidente de l’U.C.E.S.M. et ses préoccupations.

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La réunion de l’UCESM [1] qui a lieu tous les deux ans s’est tenue du 11 au 17 février à Torhout [2]. L’UCESM représente à peu près 400.000 religieux et religieuses de toute l’Europe. Les représentants des 38 organisations regroupant les religieux et religieuses de 26 pays différents se sont rencontrés pour échanger, pour mieux se connaître et arriver ainsi à une meilleure collaboration. À Torhout, l’UCESM a élu un nouveau conseil et une nouvelle présidente : la supérieure provinciale de Flandre des Sœurs de Don Bosco, Lutgardis Craeynest, présente à la rencontre en tant que présidente de l’Union des religieux et religieuses de Flandre (URV [3]).

Emmanuel van Lierde : Quelle place tiennent les religieuses dans la communauté ecclésiale ?

C’est une chose qui n’est pas tellement évidente. Les religieux et religieuses n’appartiennent ni à la hiérarchie, ni au laïcat. Si on s’en réfère par exemple à la structure du document conciliaire Lumen Gentium – la constitution dogmatique sur l’Église –, on voit que, d’abord apparaît l’Église comme mystère ; puis le peuple de Dieu, puis seulement la hiérarchie d’une part, et les laïcs d’autre part. Les religieux ne sont encore guère mentionnés. C’est seulement dans le VIe chapitre que la Constitution s’attachera à leur type de vocation, entre le chapitre V, sur la vocation universelle à la sainteté, et le chapitre VII, qui porte sur l’eschatologie et la fin des temps.

Peut-être cette structure nous dit-elle quelque chose sur ce que sont les religieux. Manifestement, nous avons quelque chose à voir avec cet appel à la sainteté, et nous sommes un signe du Royaume de Dieu qui vient. C’est un défi pour les religieux de méditer sur la signification du salut et comment nous représentons sur la terre le Royaume de Dieu.

Cependant, il ne faut pas considérer les religieux comme des saints, comme des gens qui seraient supérieurs aux autres. « Nous ne sommes pas meilleurs », fait remarquer à bon droit Enzo Bianchi, le fondateur et prieur de la communauté de Bose.

Mais où se trouve alors la signification de la vie religieuse ?

Nous montrons ce que comporte une attitude de vie évangélique, qui rend la vie religieuse pleine de sens, pour l’Église aussi bien que pour le monde. En ces temps marqués par tant de solitude et de suicides, où le divorce et l’euthanasie sont devenus des plus ordinaires, les religieux montrent par leurs vœux une vie qui ne s’attache pas uniquement à des choses d’ici-bas. A l’encontre de l’individualisme, nous mettons la communauté à la première place. Même si nous ne nous choisissons pas, nous cherchons une manière de vivre ensemble dans cette vie communautaire dans la durée. Pour les gens mariés, la vie commune n’est pas toujours facile non plus, même si eux, ils se sont choisis. Quand ils voient que nous, avec nos hauts et nos bas, nous tenons bon, notre exemple peut les encourager.

A côté de cela, il y a ce grand engagement social des religieux. Que n’ont pas fait et que ne font pas les congrégations en matière d’œuvres caritatives ? Le document final de l’UCESM à Torhout a souligné que la vie religieuse est un lieu d’apprentissage pour les relations, pour la réconciliation et le pardon, et pour l’hospitalité. Ce sont des tâches où la société a du mal, et où les religieux contribuent à une identité culturelle, humaine et spirituelle de l’Europe. La vie religieuse est si essentielle qu’elle ne peut pas se perdre. Mais je répète que, pour autant, nous ne sommes pas meilleurs que les autres. Nous essayons de faire pour un mieux. Ça, c’est la vraie solidarité pour moi. La solidarité n’est pas seulement d’économiser de l’argent pour le donner ensuite, non, on est solidaire quand on devient comme les autres, ni plus, ni moins non plus. C’est pour cela que « sœur » ou « frère » n’est pas un titre, mais une tâche. Parfois cela s’exprime en donnant quelque chose aux autres, mais cela signifie d’abord être simplement homme avec les hommes.

Ça semble une mission facile, mais…

Qui s’engage, se sent responsable. Il réagit à des besoins qu’il voit. Comme disait Levinas : l’autre est une question et celui qui prend au sérieux cette question lui prête l’oreille. Il ne joue pas avec l’autre, mais il fait quelque chose pour lui. Ce n’est pas paternaliste, parce que celui qui traite l’autre avec respect, découvre justement cette spécificité de l’autre et il le traite avec considération. Je le vois personnellement dans l’éducation quand les parents et les professeurs s’émerveillent vraiment devant leurs enfants et les prennent au sérieux. Dans une véritable relation d’homme à homme, les deux partenaires changent. Par le contact avec l’autre, on devient plus soi-même. Dans notre couvent à Heverlee, nous accueillons des jeunes avec beaucoup de problèmes. Un jour, une fille de 14 ans m’a dit : « en fait, nous vous faisons être sœur ». Elle avait mis le doigt sur l’essentiel. Ce sont les autres qui nous font devenir ce que nous sommes. Pour les croyants, cette orientation vers l’autre a quelque chose à voir avec notre orientation vers Dieu. C’est pourquoi l’eucharistie est d’un intérêt capital pour garder vivantes nos racines religieuses. Sinon, nos bons œuvres ne sont que de la philanthropie et les institutions catholiques deviennent des entreprises. Comme religieux, nous avons, de par notre vie communautaire, une mission commune, mais celle-ci naît toujours à partir de notre relation à Dieu.

Cette relation nous a fait choisir la vie communautaire et elle fait notre unité. C’est pour cela que la relation à Dieu doit être nourrie régulièrement par la liturgie, par la méditation, par un groupe biblique, mais aussi simplement par notre être ensemble avec les gens.

Est-ce que vous voyez en Europe des dissemblances dans la manière de vivre la vie religieuse ?

Chez les sœurs de Don Bosco, les 13 supérieures provinciales, de l’Irlande à la Russie, se réunissent régulièrement pour se concerter. Là, on découvre une diversité énorme. Par exemple, pendant le communisme, la foi dans les pays de l’Est a été vécue dans le secret. L’un ne savait pas de l’autre s’il était croyant ou pas. J’ai entendu raconter l’histoire d’un prêtre qui ne savait pas que sa propre sœur était religieuse… Croire était une question individuelle et cachée, sans appartenance communautaire. Le régime enseignait aux gens à être tout à fait « en ordre » extérieurement, mais la vie intérieure était réprimée.

On s’aperçoit, dans cette expérience de la foi, que l’extériorité est parfois plus importante que d’être touché intérieurement. Quand, subitement, la foi a pu être vécue ouvertement, dans les pays de l’Est, et que les églises, les couvents et les séminaires se sont remplis de nouveau, il est apparu que c’était souvent un engouement. Maintenant, avec la montée du capitalisme et de l’hédonisme, on voit chez beaucoup de gens dont la foi est superficielle que celle-ci se dilue et qu’ils tournent le dos à l’Église. Nos expériences pourraient aider l’Église là-bas à approfondir cette foi superficielle et à purifier les vocations.

En Europe occidentale, on voit l’inverse. Qui se présente comme candidate chez nous a déjà discerné ce choix. Cette vocation a déjà été purifiée. Par contre, dans l’Europe de l’Ouest, le grand problème c’est le vieillissement des religieux. Les échanges avec les pays de l’Est nous encouragent et nous montrent qu’il y a une avenir pour la vie religieuse. Partager comment on vit la vie religieuse, quelles difficultés on rencontre et comment on les traverse, enrichit tout le monde. Bien qu’il y ait toutes ces différences en Europe, la vie communautaire est finalement la même pour tout le monde et on aspire tous à une vie religieuse authentique.

Pourtant le Vatican a récemment reproché aux religieux de devenir trop mondains

Il faut sans cesse se convertir de nouveau, ça c’est clair. En tant que religieux, on n’a pas pris un train où on n’aurait plus besoin de réfléchir dans quelle direction aller. On est dans une voiture où à chaque carrefour, il faut choisir si on va à gauche ou à droite ou tout droit. Il faut oser avoir un regard critique sur soi, rester vigilant et sans cesse redécouvrir l’inspiration du départ. Ce n’est pas à l’habit qu’on reconnaît les religieux, mais à leur témoignage en paroles et actes, à leur sobriété et à leur solidarité. Les religieux sont aussi de ce monde et ils vivent dans le monde, mais la question, c’est quelle place ils veulent donner à ce monde. Si ce monde signifie tout, ils renient leur vocation. Il y a toujours des excès, mais je refuse la sinistrose à propos de la vie religieuse.

Il manque de relève pour de nombreuses congrégations. Des laïcs assument leurs tâches dans l’enseignement et les soins hospitaliers. Que va-t-il se passer pour ces congrégations ?

On sort d’une époque où les religieux se sont engagés fortement et ont investi beaucoup d’énergie dans leur enseignement et leurs institutions. Ce qu’ils ont fait était extrêmement important et le reste. Ces écoles et maisons de soins perdurent. C’est une valeur évangélique d’abandonner ses propres œuvres, et, si nécessaire, de mourir. Il faut lâcher prise sur ses enfants. Ils doivent mener leur propre vie ; mais ce n’est pas la même chose que de rompre toute relation. C’est pour cela qu’il faut qu’on transmette notre spiritualité à ceux qui poursuivent notre travail, de sorte qu’ils puissent porter nos institutions dans le même esprit.

Il y a des congrégations qui préfèrent arrêter tout, il y en a d’autres qui se mettent ensemble. Il n’y a pas de solutions toutes faites. Chaque congrégation cherche son propre chemin. Les instituts doivent faire des choix et voir où ils sont encore nécessaires et où il est difficile pour les personnes mariées de s’engager. C’est pourquoi les Sœurs de Don Bosco ont choisi récemment d’être encore présentes dans une maison d’accueil pour mamans en difficultés et qu’elles ont construit un internat pour les enfants de bateliers. Mais une présence priante dans une église ou une heure de jeu de cartes avec une personne isolée sont tout aussi importantes. Les religieux répondent à beaucoup de besoins et donnent une voix aux sans voix. En même temps, je crois qu’il y aura toujours des personnes qui entendront l’appel de Dieu et qui poursuivront notre travail.

Est-ce qu’il en va autrement pour les congrégations contemplatives, quant au vieillissement de leurs membres ?

Certains ordres contemplatifs gardent un grand attrait par lequel ils arrivent à se maintenir. D’autres tombent dans la misère parce qu’ils n’ont plus de membres actifs. En vieillissant, les religieux actifs deviennent de plus en plus contemplatifs et ils vivent d’une manière plus intense leur union avec Dieu. Cela prouve qu’ils ont été vraiment appelés et qu’ils n’ont pas fui dans leur travail, sans quoi, en vieillissant, ils seraient tombés dans un grand vide, maintenant qu’ils deviennent plus passifs. Ainsi, les contemplatifs et les actifs se rapprochent les uns des autres. Les contemplatifs ne vivent jamais seulement avec Dieu, eux aussi sont ouverts et accueillants pour les autres, visiteurs et hôtes. Dans leurs tâches journalières, eux aussi sont des religieux actifs. Répondre à l’appel de Dieu et se rendre attentifs aux besoins des gens sont deux vocations très proches. Bien que les congrégations connaissent des accents différents, on se ressemble fort quand même.

Est-ce que le vieillissement a été la cause de la fusion des trois organisations flamandes des religieux ?

Déjà depuis longtemps, on avait remarqué que nos activités se chevauchent et qu’on était en train de faire le même travail deux ou trois fois. Cela avait-il encore un sens que les religieuses contemplatives, les sœurs actives et les religieux masculins aient un périodique distinct, des jours de formation séparés et leur propres représentants dans les autres organisations ecclésiales ? De plus, dans d’autres pays d’Europe, les différentes associations des Supérieurs majeurs avaient déjà fusionné. C’est pourquoi nous avons décidé d’unir les trois organisations dans une « Union des religieux de Flandre » (Unie van Religieuzen van Vlaanderen, URV) avec dorénavant un seul périodique « Golfslag » (la houle). De cette manière, nous réunissons nos forces et nos inspirations, ce qui donne un effet positif pour la formation des religieux, les soins des seniors et des malades, et pour la bonne gestion du patrimoine. Cela renforce la solidarité avec les congrégations de notre propre pays qui vont connaître des difficultés dues au vieillissement et aussi, avec les congrégations engagées dans les missions. Il y a longtemps que les congrégations féminines ont investi de l’argent dans un fonds pour la formation des religieuses dans les missions. Aujourd’hui, on arrive moins à faire croître les contributions. Mais avec les intérêts de ce fonds, on arrive quand même à maintenir en l’état la solidarité construite durant des années.

Par la nouvelle Union, nous pouvons aussi défendre d’une seule voix nos intérêts auprès des instances ecclésiales ou civiles. Songeons à l’enseignement, par exemple. Aujourd’hui les religieux possèdent encore beaucoup d’écoles et il est préférable d’adopter une position commune devant le Ministère ou auprès du Secrétariat national pour l’enseignement catholique, au lieu de réagir chacun de son côté.

[1Union des Conférences Européennes de Supérieur(e)s Majeur(e)s.

[2Non loin de Bruges, en Belgique.

[3En Belgique, la partie néerlandophone du pays compte environ 8500 religieuses et 2.600 religieux.

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