Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Un Synode sur la Parole de Dieu

Une question pour la vie consacrée ?

Noëlle Hausman, s.c.m.

N°2008-3 Juillet 2008

| P. 188-193 |

Le Synode qui sera célébré à Rome durant tout le mois d’octobre prochain offre à la vie consacrée une somptueuse occasion de « repartir du Christ », dans l’Esprit-Saint.

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Le XIIe Synode des Évêques qui se réunira à Rome du 5 au 16 octobre prochain, portera sur « la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église ». Il a été introduit par des Lineamenta abondants [1], divisés en trois chapitres : « Révélation, Parole de Dieu, Église » ; « la Parole de Dieu dans la vie de l’Église » ; « la Parole de Dieu dans la mission de l’Église ». Chacune de ces parties est accompagnée d’un questionnaire, dont les éléments sont récapitulés à la fin, sur quatre pages environ. Plusieurs passages du texte et quelques questions (auxquelles les « organismes collégiaux » habituels avaient à répondre avant le mois de novembre 2007) touchent immédiatement à la vie consacrée [2], toujours connotée ici par la Lectio divina. Je mentionne en particulier ce passage :

Sur ce chemin de la Parole de Dieu au peuple, un rôle spécifique est celui des personnes de vie consacrée. Comme le souligne le Concile Vatican II, « que chaque jour la Sainte Écriture soit en leurs mains pour retirer de sa lecture et de sa méditation ‘l’éminente science de Jésus-Christ’ (Ph 3, 8) » [PC 6], et qu’elles trouvent un élan renouvelé pour effectuer leur tâche éducatrice et évangélisatrice, en particulier envers les pauvres, les petits et les derniers. Pour les Pères de l’Église, le texte biblique doit devenir un objet de « rumination » quotidienne. Lorsque l’homme commence à lire l’Écriture divine – disait Saint Ambroise– Dieu revient marcher près de lui dans le Paradis terrestre [Epist. 49,3]. Et Jean-Paul II affirmait : « La Parole de Dieu est la première source de toute spiritualité chrétienne. Elle nourrit une relation personnelle avec le Dieu vivant et avec sa volonté salvifique et sanctifiante. C’est pourquoi la Lectio Divina, dès la naissance des Instituts de vie consacrée, et spécialement dans le monachisme, a été l’objet de la plus haute estime. Grâce à elle, la Parole de Dieu entre dans la vie, sur laquelle elle projette la lumière de la sagesse qui est le don de l’Esprit » [Vita consecrata 94].

Depuis lors, et avant même la publication de l’Instrument de travail [3], le Pape a adressé un message aux membres du Secrétariat permanent du Synode, le 21 janvier 2008 [4], où il souligne que les deux grandes tâches d’aujourd’hui, l’évangélisation et l’œcuménisme, sont toutes deux fondées dans la Parole de Dieu ; il relève aussi l’heureuse coïncidence de la célébration synodale avec l’année dédiée à saint Paul. Il pense enfin qu’il s’agira surtout, en octobre, d’écouter ensemble la Parole de vie que Dieu a confiée à la garde aimante de son Église, pour la proclamer avec l’assurance (parhresia) des Apôtres. Mais revenons à notre question : ce Synode appelle-t-il la vie consacrée à un devoir particulier ?

Dei Verbum, la révélation d’une expérience

En réalité, les documents préparatoires au Synode offrent une sorte de relecture de la constitution dogmatique de Vatican II sur la Révélation divine. On sait que les quatre grandes constitutions conciliaires sont les piliers des autres documents approuvés par les Pères. Lumen gentium et Gaudium et spes représentent les soutiens complémentaires de l’Église et du monde, tandis que la constitution Sacrosanctum concilium sur la Liturgie est le porche d’entrée, et Dei Verbum, le fondement, de tout l’édifice. Jusqu’à nos jours, alors que la réforme liturgique focalise à nouveau bien des regards, la réception du Concile ne s’était pas beaucoup aventurée à reconsidérer les questions d’Écriture et de Tradition, de Révélation et d’Économie du salut, pourtant plus fondamentales encore. C’est dire que le Synode d’octobre prochain, s’il échappe à l’usure de l’institution, pourrait représenter un moment majeur dans la mise en œuvre du dernier Concile, laquelle se trouve toujours largement devant nous.

Le deuxième chapitre de Dei Verbum montre à loisir que ni l’Écriture, ni la Tradition ne sont des sources, au sens plein du mot ; c’est le Christ qui est la source de toute vérité salutaire et de toute morale. La prédication apostolique nous arrive par un double canal : la Tradition (souvent mentionnée en premier lieu, pour respecter l’ordre chronologique) et l’Écriture. Or, la Tradition n’est pas seulement orale, elle est vivante et elle fructifie (c’est le numéro 8 sur lequel nous allons revenir). Tradition et Écriture forment un seul tout : qui veut écouter la Parole de Dieu doit se placer dans la lumière de la Tradition. Le trésor de la foi est confié à toute l’Église, mais en elle existe, institué par le Christ, un magistère auquel il revient de discerner le véritable sens de cette Parole, d’après la Tradition et avec l’assistance de l’Esprit Saint. Le Magistère est donc entendu, et c’est la position doctrinale de l’Église catholique, comme le garant et le gardien (la custode) des interprétations véridiques de l’Écriture, lue dans la Tradition.

Consacré à cette Tradition, le numéro 8 de la Constitution dogmatique sur la Révélation divine contient l’intéressant renvoi, déjà présent en Lumen gentium 57 et 58, à l’attitude réflexive et contemplative de Marie, repassant en son cœur les faits et gestes de Jésus (Lc 2, 19 et 51). Ce passage scripturaire éclaire de l’intérieur l’affirmation conciliaire selon laquelle la tradition qui vient des Apôtres fructifie (proficit) dans l’Église sous l’assistance de l’Esprit :

« en effet, la perception des choses aussi bien que des paroles transmises s’accroît (crescit), soit par la contemplation et l’étude des croyants qui les méditent (conferunt) en leur cœur (cf Luc 2, 19 et 51), soit par l’intelligence intérieure qu’ils éprouvent (experiuntur) des choses spirituelles, soit par la prédication de ceux qui, avec la succession épiscopale, reçurent un charisme certain de vérité ».

D’aucuns voient ici s’énoncer la trilogie des théologiens, des saints et des pasteurs (ces désignations ne s’excluant pas), nécessaire à l’accomplissement dans l’Église des paroles de Dieu (donec in ipsa consummentur verba Dei). De quelque catégorie qu’ils relèvent, les membres de la vie consacrée se trouvent en tout cas confirmés dans leur tâche de croyants contemplatifs et studieux, aussi bien que dans l’intelligence de leur expérience spirituelle propre et dans leur docilité à la prédication donnée ou reçue. Revenons sur un seul de ces aspects, celui de l’expérience de la Parole de Dieu.

La vie consacrée, mise à l’épreuve de la Parole

Dans la vie consacrée notamment, la Parole de Dieu ne représente pas un élément entre autres du renouveau impéré par le Concile ; elle est l’âme et la mesure de l’aggiornamento, le point d’équilibre de la vocation aussi bien que de la mission. C’est sur les assises scripturaires que notre état de vie s’est trouvé refondé [5], en même temps que le mystère de la Transfiguration lui a été offert, avec l’onction de Béthanie, comme son lieu théologique, par l’exhortation Vita consecrata (VC) [6]. Ce ressourcement scripturaire signifie un recentrement sur la seule personne du Christ, « premier consacré » (VC 22), dont le cheminement parmi nous se perpétue d’une manière singulière, précisément dans « l’existence transfigurée » (VC 20, 35, etc.) de ceux qu’il appelle à le suivre. Il ne faut donc pas considérer la Parole de Dieu avant tout comme un texte à prendre « tous les jours dans les mains » (PC 6), mais comme la Présence qui nous révèle aujourd’hui encore la destinée du monde et de l’histoire, sauvée « une fois pour toutes » précisément par Celui dont les Écritures nous rapportent en tous lieux comment il s’est livré « jusqu’au bout » (Jn 13, 1).

Or, cette rencontre n’est pas toujours facilitée par la fréquentation des ouvrages très nombreux dans le domaine de l’Écriture, et pas davantage, par l’écoute assidue des multiples homélies ou méditations de la Parole dont nos milieux sont coutumiers. Il n’est pas rare que la prédication recommence indéfiniment à présenter le texte scripturaire comme une création ex nihilo (sans jamais faire valoir l’harmonie des lectures), ou, pire, sur le mode « on vous a toujours dit, mais moi je vous dis ». Il faudrait davantage se fier à la mémoire chrétienne, qui ne cesse de méditer les mêmes péricopes depuis au moins quarante ans – tout en espérant qu’on ne revienne pas au « formatage préconciliaire » des anciens traités. Comment les homélistes, ou les conférenciers, ou les prédicateurs de retraite (et cela vaut aussi au féminin) pourront-ils faciliter à tous, dans leurs commentaires, une certaine formation exégétique, mais aussi, une connaissance savoureuse de cette Parole qui advient aux auditeurs, pour leur donner de comprendre le mystère qu’ils pressentent et vivent spirituellement ? Comment, en d’autres termes, le commentaire littéral va-t-il permettre aux symboles de s’ouvrir, en sorte que la foi s’affirme, la charité s’invente, l’espérance se fortifie ? On aura peut-être reconnu, dans la question ainsi posée, la séquence des quatre sens de l’Écriture [7], une doctrine selon laquelle le sens spirituel est donné dans la lettre du texte, précisément pour éclairer la pensée et orienter l’action, puisque le témoignage des Écritures sourd du Verbe livrant sa vie pour la vie de la multitude.

Que serait la vie consacrée sans la fréquentation de l’Écriture ? Ce qui est vrai de nous l’est évidemment de toute vie chrétienne, et de sa transmission. Mais pour la vie consacrée, l’enjeu est vital, il conditionne notre renouveau. On sait depuis l’Évangile au moins que l’expérience spirituelle des chrétiens passe par l’Écriture et trouve son expression dans l’Écriture : les premiers écrits « mystiques » [8] de la tradition chrétienne ne sont-ils pas les œuvres de saint Paul et de saint Jean (« le théologien ») [9] ? Or, on est

« singulièrement frappé, à la lecture des mystiques, de constater la place que tient l’Écriture dans leurs écrits, de voir Dieu parler aux mystiques et les former en se servant des textes scripturaires, et d’être comme le témoin de l’extraordinaire efficacité de l’Écriture dans la vie et le rayonnement des mystiques. Quoiqu’il en soit de l’immense variété des expériences authentiques que guide l’Esprit Saint, les mystiques expriment normalement en langage scripturaire leur expérience personnelle, bien mieux, l’Écriture est comme le support de cette expérience et le milieu naturel dans lequel elle naît et s’épanouit ».

Ainsi, le Synode sur la Parole de Dieu fait espérer un renouveau de notre fréquentation de la Parole et un humble service de sa transmission, mais surtout, une attention cordiale à Celui qu’elle nous révèle : « si quelqu’un écoute ma voix, et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, et je prendrai la cène avec lui, et lui avec moi » (Ap 3,20).

[1Qu’on peut trouver notamment sur le site du Vatican (27 avril 2007).

[2Voir par exemple, à la fin du premier chapitre, l’interrogation suivante : « Quel rapport faut-il considérer entre la Parole de Dieu et la vie consacrée ? ».

[3Rendu public le 12 juin 2008.

[4Sur le même site, en anglais ou en italien.

[5On regardera de près sur ce point les appuis du chapitre VI de Lumen gentium et du décret Perfectae caritatis – voir l’abondante littérature sur les fondements scripturaires de la profession des conseils évangéliques. Le Père T. Matura vient de reprendre encore la question dans Sequela Christi.

[6On sait comment les Unions internationales de Supérieur(es) Majeur(e)s des Religieux ont voulu y adjoindre, lors de leur Congres de 2004, les images moins traditionnelles et spécifiques de la Samaritaine et du Samaritain.

[7Voir sa présentation dans le Catéchisme de l’Église catholique, §§115-119.

[8Prenons ce mot au sens d’une vie chrétienne intériorisée et consciente d’elle-même, au point de pouvoir dire son « mystère ».

[9G. Oury, Histoire de la spiritualité catholique, Chambray-lès-Tours, CLD, 1993, 9, 19, 21.

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