Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

À propos d’un livre récent

Augustin, Discours sur les Psaumes

Véronique Fabre

N°2008-2 Avril 2008

| P. 141-143 |

Un « livre récent » qui est un très ancien livre, puisqu’il s’agit des Enarrationes in Psalmos de saint Augustin, le seul commentaire patristique de tout le Psautier dont nous disposons.

La lecture en ligne de l’article est en accès libre.

Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.

« Un livre récent » qui est un très ancien livre, puisqu’il s’agit des Enarrationes in Psalmos de saint Augustin, le seul commentaire patristique de tout le Psautier dont nous disposons [1]. Comme l’explique l’éditeur dans son avant-propos, il y eut deux éditions des Œuvres complètes de saint Augustin à la fin du XIXe siècle, l’une publiée chez Guérin (Bar-le-Duc) de 1864 à 1873, en 17 volumes, l’autre chez Vivès (Paris) de 1869 à 1878, en 34 volumes, avec le texte latin en note. La traduction reprise en deux volumes est celle de la première édition, en raison de sa meilleure qualité pour l’époque, mais surtout parce que depuis les années 1870, nous ne disposons d’aucune autre traduction française. Certes, nous ne désespérons pas de pouvoir lire, un jour, ces commentaires dans la si précieuse collection de la Bibliothèque Augustinienne, mais en attendant, comment ne pas saluer cette initiative qui nous rend un chef d’œuvre de moins en moins connu !

Lors de sa conversion en 386, Les Psaumes enflamment Augustin de l’amour divin [2], et dès le temps de sa prêtrise, il entreprend d’expliquer tous les psaumes, un à un. Les premières Enarrationes sur les Psaumes 1 à 32 furent ainsi dictées en 394-395. La plupart des Enarrationes suivantes furent prêchées, tout particulièrement durant la liturgie. Néanmoins quelques-unes seront encore dictées en 415-418 ; plus « savantes » que les autres, elles semblent avoir été rédigées pour achever l’ensemble du commentaire du Psautier. Finalement, Augustin entame à partir de 422, à la demande de ceux qui l’entourent, la dernière Enarratio manquante, celle du long psaume 118. L’évêque d’Hippone s’est donc adonné aux Enarrationes durant une trentaine d’années, autrement dit, tout au long de son activité pastorale. Le résultat constitue son œuvre la plus longue, et la plus importante parce que « utile au plus grand nombre » [3]. Mais son recours aux Psaumes ne se limitait pas aux Enarrationes, ainsi qu’en témoigne toute son œuvre, et particulièrement les Confessions qui sont comme tissées de versets psalmiques. Augustin était imprégné du Psautier, et sur son lit de mort, il priait les psaumes de la pénitence affichés à sa demande devant lui, en versant d’abondantes larmes [4]. Il n’est donc pas étonnant que ces Enarrationes in Psalmos aient été qualifiées comme « l’œuvre d’Augustin spirituellement la plus mûre et peut-être la plus profonde par sa pensée » [5].

Une magnifique introduction de J.-L. Chrétien intitulée « l’échange des voix » ressaisit en quelques lignes l’interprétation augustinienne des psaumes : « Nous prions [les psaumes] avec des mots et des phrases qui ont été écrits il y a bien longtemps et que nous n’avons pas inventés, nous leur donnons l’hospitalité de notre voix et de notre esprit, en les faisant résonner ici et maintenant, mais en retour ils nous donnent une parole plus forte, plus vive et plus belle que la nôtre, ils communiquent à notre prière une richesse de sens et une profondeur de contenu que n’aurions pu atteindre : nous élevons la voix pour les proférer ou les chanter, mais cette voix est elle-même par eux élevée, grandie et transfigurée. Prier les psaumes, c’est devenir christophore : nous portons ce qui nous porte, nous portons Celui qui nous porte, nous allons vers Dieu avec les mots mêmes que Dieu a inspirés au psalmiste » (p. 11). Par la suite, sont indiqués deux préalables essentiels pour la compréhension de l’interprétation augustinienne : 1) les psaumes sont lus à la lumière du Christ – le Verbe incarné – et plus précisément à la lumière de sa mort et de sa résurrection ; 2) s’il fallait résumer l’objet du livre, il faudrait dire qu’il consiste « dans l’échange de toutes les voix entre elles au sein de l’unique voix chorale du Christ total » (p. 16).

Nous touchons là un point très caractéristique de l’interprétation augustinienne des psaumes, ainsi que l’ont montré bon nombre de spécialistes [6]. L’interprétation christologique était traditionnelle, mais Augustin fait preuve d’originalité à l’intérieur de l’exégèse patristique sur ce point : le sujet véritable de la prière des psaumes est le Christ total (Christus totus) en tant qu’homme unique (unus homo) dans l’unité de la tête et du corps. Augustin ne rejette pas les différenciations de locuteurs, mais il s’oppose à une lecture des psaumes qui séparerait tête et corps, époux et épouse, Christ et Église. L’unité organique de l’unus homo lui permet d’affirmer la présence réciproque du Christ dans l’Église et de l’Église dans le Christ, et donc d’entendre tous les psaumes comme prière du Christ en sa figure totale. Ainsi le célèbre passage de l’enarratio sur le Psaume 85, repris dans la présentation générale de la Liturgie des heures (n° 7) : « Dieu n’aurait pu faire aux hommes plus grand don que celui-ci : de son Verbe, par qui il a créé toutes choses, il fait leur chef, et d’eux il fait ses membres, pour que lui, il soit Fils de Dieu et Fils de l’homme, un seul Dieu avec le Père, un seul homme avec les hommes ; pour qu’en parlant à Dieu dans la prière nous ne séparions pas de lui son Fils, pour qu’en priant, le corps du Fils ne sépare pas son chef de lui-même : pour qu’il soit l’unique sauveur de son corps, Notre Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui, à la fois, prie pour nous, prie en nous et est prié par nous. Il prie pour nous comme notre prêtre, il prie en nous comme notre chef, il est prié par nous comme notre Dieu. Reconnaissons donc nos paroles en lui, et ses paroles en nous ».

Cette prière du Christ total prend toute sa force lorsque l’on considère la dimension prophétique des psaumes. Pour Augustin, les psaumes sont, comme tous les écrits vétéro-testamentaires, des prophéties en tant qu’ils annoncent le Christ et l’Église. Une fois que le Christ est venu accomplir ces prophéties et que son intimité avec l’Église a été donnée par sa venue, son retour au Père et l’envoi de son Esprit, les psaumes restent encore prophéties pour nous, comme le signe permanent du salut. L’accomplissement déjà donné peut et doit toujours plus se déployer, de sorte que le Christ total, corps et tête, s’étende jusqu’aux extrémités de la terre, et que l’intimité du Christ et de l’Église s’exprime en sa plénitude. L’unique voix courant tout au long du Psautier jusqu’à l’Alléluia universel et éternel (cf. Ps 150) est une invitation pour chacun et pour tous, à joindre notre voix à celle du Christ total afin d’accueillir l’accomplissement donné et de participer à la plénitude du Christ. Cette unique voix du Christ total, corps et tête, qui monte vers la louange plénière de Dieu, se déploie dans la prière de l’Église. L’actualité toujours vivante des psaumes s’enracine dans leur dimension prophétique surabondante, comme l’accomplissement toujours plus grand qui advient dans la prière. C’est pourquoi les psaumes sont priés par tant et tant de voix, tout au long de l’histoire de l’Église : prier les psaumes est œuvre d’union à Dieu, œuvre de ressuscité dans le Ressuscité.

[1Le titre Enarrationes apparaît en 1529 sous l’impulsion d’Érasme, mais la forme définitive de l’ouvrage fut établie par Augustin lui-même.

[2Cf. Confessions IX, IV.

[3Cf. Lettre 169,1.

[4Cf. Possidius, Vie d’Augustin, 31,2.

[5M. Fiedrowicz, « Enarrationes in Psalmos », Augustinus Lexicon 2, fasc. 5/6 (2001) 839.

[6Le dernier étant M. Fiedrowicz, avec le livre le plus récent sur la question : Psalmus Vox totius Christi, Studien zu Augustins « Enarrationes in Psalmos », Freibourg-Basel-Wien, Herder, 1997.

Mots-clés

Dans le même numéro