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Homélie pour le dimanche des vocations

Godfried Danneels

N°2008-1 Janvier 2008

| P. 5-8 |

Dans le style limpide qu’on lui connaît, l’archevêque de Malines-Bruxelles égrène les conditions des vocations au sacerdoce ministériel : prier ensemble, mais aussi, pour les communautés et les familles, aimer le Christ et pareillement son Église, accueillir les pauvres, se réjouir et intercéder, dans la discrétion propre aux cœurs livrés.

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Celui qui prononce aujourd’hui le mot « prêtre », entendra presque à coup sûr résonner comme en écho le terme « manque ». Il y a en effet moins de prêtres, ils vieillissent et la relève en vocations sacerdotales est faible. En ce dimanche des vocations, le Seigneur nous invite à y réfléchir et à considérer avec une foi plus profonde le problème du manque de prêtres. Nous sommes bien conscients que la problématique des vocations est plus vaste – il y a aussi les diacres, la vie religieuse, les vocations laïques – mais aujourd’hui, nous nous en tiendrons à la question du prêtre.

Pourquoi a-t-on besoin de prêtres ? La réponse découle encore trop souvent de cette autre question : que fait le prêtre ? « Qui d’autre s’occuperait de la prédication, de la liturgie et des sacrements ? Qui d’autre dirigerait les communautés au nom du Christ ? C’est pour cela qu’il faut effectivement des prêtres. » Pareille réponse va-t-elle vraiment au fond des choses ? Les prêtres sont davantage que ce qu’ils font. Il est trop court de se dire que, tout comme il faut du personnel pour faire tourner la poste, les chemins de fer, l’enseignement et les soins de santé, il s’agit également d’avoir des agents qualifiés pour le secteur de la religion. Non, un prêtre est davantage que ce qu’il « fait ».

Un regard de foi nous invite à creuser plus profondément : dans la personne du prêtre, c’est le Christ qui se rend présent aux hommes d’une manière bien particulière ; en chaque prêtre, c’est le Seigneur Jésus lui-même qui parle, qui célèbre et qui agit. Non pas que le prêtre soit meilleur ou plus saint que les autres, mais bien parce que, sans mérite aucun de sa part, il a été appelé à pareil service. Tout comme Jésus fit au cours de sa vie terrestre le choix de douze hommes parmi la multitude de ses disciples afin que ceux-ci le suivent de plus près et aient part à sa mission, de même en est-il encore aujourd’hui : dans la communauté des baptisés, le Seigneur en appelle quelques-uns à qui Il confie son œuvre d’une manière toute particulière. Ils ne valent pas mieux que les autres, mais sont différents. L’Église ne peut donc s’en passer.

Mais alors que faire pour obtenir des prêtres ? C’est Jésus lui-même qui nous donne la réponse : Il prie son Père. « La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux ; priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson » (Mt 9,37). Si Jésus – le propre Fils de Dieu – a déjà dû en faire la demande à son Père, combien plus le devons-nous ? Car des prêtres, nous ne pouvons pas en faire, il nous faut les obtenir. Et on n’obtient rien sans demander. La prière pour de nouveaux prêtres n’est pas un accessoire qu’il convient d’ajouter à tout le reste : elle est indispensable et première. Sans doute parlons-nous, réfléchissons-nous et planifions-nous abondamment autour du problème des vocations, mais nous prions trop peu. « Demandez et l’on vous donnera ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira » (Mt 7,7). Pouvons-nous prétendre en toute honnêteté que dans notre Église nous prions vraiment pour des prêtres ? Savons-nous que si, en outre, nous le faisons ensemble – publiquement et en paroisse – cette prière est plus puissante encore ? « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux » (Mt 18,20). Nous devons dès lors prier bien davantage pour avoir des prêtres et de préférence, le faire ensemble.

Mais prier ne suffit pas. Les prêtres sont issus de communautés et, plus en amont encore, d’une famille. Ils sont comme les fruits d’un arbre. Et il n’y jamais de fruits sans floraison préalable. Or, quand est-ce qu’une communauté « fleurit » ? Et une famille, quand fleurit-elle ? Une floraison n’advient que là où se vit une passion pour le Christ. Là où le Christ est aimé, règne le printemps, et les fruits sont en attente dans leurs bourgeons : là où parents et enfants ont une intimité avec le Christ, là où ils portent en eux comme une blessure d’amour qui leur fait dire : « Je l’aime et je n’y peux rien : c’est plus fort que moi ». Là où l’on écoute volontiers les paroles du Maître et où elles viennent naturellement sur les lèvres, là où l’on s’entretient volontiers avec Lui, là où l’on a le cœur sensible, c’est là que naissent des vocations. C’est là aussi qu’on entend parfois ce reproche, même de la part d’amis ou de familiers : « n’êtes-vous pas de grands naïfs ? Vous parlez une autre langue ! »

Dans les familles et les communautés qui sont touchées par le Christ, la porte est toujours grande ouverte pour les enfants et les humbles, ainsi que pour les pauvres et les malades. Cette sensibilité du cœur pour tout ce qui est petit, est une qualité essentielle du terrain où germent les vocations. Les vocations sacerdotales ne germent que là où les pauvres sont admis et invités à s’asseoir.

Parce qu’un prêtre porte en lui le désir – qui est avant tout celui du Christ – de « donner la vie », il y a en lui quelque chose de tout à la fois « paternel et maternel ». Le biotope où une vocation à la prêtrise se développe le mieux – telle une plante qui pousse dans un jardin – est donc la famille où l’homme est vraiment père et la femme pleinement mère. Le souci pour de nouveaux prêtres commence par le souci d’avoir de bons pères et mères de famille. Car l’amour qui anime le prêtre, agit d’abord en eux.

Qui aime le Christ aime aussi l’Église. En effet, celui qui aime la tête, aime également les membres. Ils ne peuvent être séparés l’un de l’autre. Certes il y a dans l’Église de l’indifférence, des compromis, de la suffisance et du péché. Certaines critiques sont dès lors justifiées. Il faut aussi constater que l’on est souvent plus attaché à l’Église en prenant de l’âge. Cependant, il y a un lien direct entre l’amour pour l’Église dans nos communautés et familles et la question des vocations. N’est-ce pas des mains de l’Église que nous recevons tout : l’Écriture, les sacrements, notre paroisse, nos frères et sœurs dans la foi ? Nous ne pouvons pas avoir Dieu pour Père, si nous n’avons pas l’Église pour Mère.

Les prêtres proviennent de lieux où règne un goût profond pour la vie intérieure et pour la joie de se recueillir. Ils surgissent là où l’on prie également régulièrement pour autrui. En effet, ce sont les intentions du monde entier qui passent par le cœur d’un prêtre afin d’être portées devant Dieu. N’est-il pas une sorte de Moïse qui intercède sur la montagne pour son peuple ? Comment donc pourrait-il intercéder, si personne ne lui a jamais appris à le faire ?

Finalement le terreau d’où jaillissent les vocations à la prêtrise se caractérise toujours par la discrétion, le sens de l’accueil et la joie évangélique. C’est aussi un lieu où l’on est disposé à porter le fardeau de l’Évangile. Qui donne beaucoup, dit Jésus, reçoit beaucoup en retour (cf. Mt 19,29). Il y a davantage de joie dans le partage et dans la confiance en un Dieu qui veille sur nous que pour tous les oiseaux du ciel et les lys des champs.

Comme Jésus nous a demandé de le faire, nous voulons dès lors demander au Père des vocations. Mais nous Lui demandons aussi des communautés et des familles où le Christ et son Église sont passionnément aimés, où les pauvres et les petits sont les bienvenus, où résident de bons pères et de bonnes mères de famille tout à la fois pieux, discrets et accueillants, et où règnent la joie et la confiance parce que Dieu veut être notre Père à tous. C’est de là que peuvent venir et que viendront des prêtres. Mais ces communautés et ces familles, il nous faut les demander à Dieu. Même celles-là, nous sommes impuissants à les forger. Lui le peut. Aussi, nous allons le Lui demander, tous ensemble.

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