Sur la profession des conseils évangéliques
Le cas des Salésiens de Don Bosco
Lambert Lwamba Musinde, s.d.b.
N°2007-4 • Octobre 2007
| P. 281-287 |
Dans la série déjà bien fournie des premières publications de jeunes auteurs, voici un commentaire précis de la formule de profession d’une grande famille religieuse ; on comprendra en la suivant à quel point la liturgie informe la pratique et combien les conseils évangéliques, vécus selon les accents propres à l’institut, constituent la trame de la liberté personnelle comme de la mission.
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La Société de saint François de Sales dont je suis membre propose à tous ceux qui veulent s’engager à la suite du Christ, la formule de profession suivante :
Dieu Père,
Tu m’as consacré à Toi au jour de mon baptême.
En réponse à l’amour de ton Fils Jésus, le Seigneur,
qui m’appelle à Le suivre de plus près,
et conduit par ton Esprit Saint, qui est lumière et force,
moi, NN., je m’offre totalement à Toi, en pleine liberté,
et je m’engage à dépenser toutes mes forces
pour ceux auxquels Tu m’enverras,
spécialement pour les jeunes les plus pauvres,
à vivre dans la Société salésienne
en communion d’esprit et d’action avec mes frères
et à participer ainsi à la vie et à la mission de ton Église.
C’est pourquoi, en présence de mes frères,
Devant NN., Recteur majeur de la Société de saint François de Sales
(ou bien : devant NN., qui remplace le Recteur majeur de la Société de saint François de Sales),
je fais vœu pour toujours de vivre obéissant, pauvre et chaste,
selon la voie évangélique tracée par le Constitutions salé siennes.
Que ta grâce, ô Père,
l’intercession de Marie auxiliatrice,
de saint Joseph, de saint François de Sales et de saint Jean Bosco,
et mes frères salésiens, m’assistent chaque jour et m’aident à être fidèle.
Notre profession commence par reconnaître l’initiative divine, trinitaire, de la vocation du candidat. C’est le Père qui consacre, le Fils qui appelle et l’Esprit qui conduit le jeune homme qui se présente à la porte de la maison salésienne et demande de s’engager dans la Société. Le rôle de la Société est de reconnaître cet appel et d’aider le jeune homme à y répondre en toute liberté, par la profession des conseils évangéliques. Ce qu’on appelle « la vocation » est une rencontre d’amour entre Dieu qui appelle et le jeune homme qui répond ; il y a bien l’appel de Dieu qui descend vers moi ; mais il y a aussi le désir qui monte du cœur. Et la vocation ne s’épanouit que dans la rencontre de ces deux dimensions. L’appel de Dieu peut prendre mille et une formes. La personne appelée s’engage totalement à vivre de cet amour qu’elle découvre chaque jour davantage, en se donnant totalement pour cet amour. Elle cherche à donner forme à son engagement en frappant à la porte d’un institut et en s’y laissant former.
Or, quand Jésus attire quelqu’un à vivre dans son intimité, il l’envoie en même temps en mission. Il n’y a qu’une manière de vivre avec Jésus, c’est de vivre comme Jésus. Et Jésus est l’envoyé du Père au service du salut de l’homme. Il existe, dans l’Église, de multiples formes de missions qui accompagnent tous les domaines de la vie de l’homme : le service des plus pauvres, le soin des malades et des personnes âgées, l’éducation des enfants et des jeunes, la recherche intellectuelle, l’annonce de l’évangile à ceux qui ne connaissent pas le Christ, la prière de louange ou d’intercession, le service de la vie de l’Église, l’animation des communautés chrétiennes par la parole et les sacrements, etc. Quelle que soit sa forme, la mission prend la figure d’un service de l’homme, afin de le conduire à lui-même et à Dieu. La vocation à suivre Jésus s’épanouit normalement dans une passion pour l’homme, une amitié pour tout ce qui est humain, une soif d’aider tout homme mis sur ma route, à rencontrer le Christ en vérité, à s’approcher de Dieu et de son Amour.
Cet amour est traduit dans la formule de profession par l’engagement à dépenser toutes ses forces pour ceux auxquels le Seigneur enverra son élu, avec une mention spéciale de la mission pour les jeunes, surtout les plus pauvres, l’engagement à vivre dans la Société en communion d’esprit et d’action avec les frères. C’est la traduction salésienne de la mission du Christ dans l’Église, puisque le lieu de la rencontre entre l’homme et Dieu, c’est l’Église. Pour celui qui répond à l’appel de se mettre à la suite du Christ, l’Église est une réalité magnifique. Elle est le beau mystère de ce peuple des baptisés qui sont un seul Corps en Jésus Christ et qui se nourrissent sans cesse de la vie du Christ dans les sacrements, en particulier dans l’Eucharistie. L’amour de l’Église résulte de la découverte que celle-ci ne se laisse pas ramener à une réalité purement humaine dont la sociologie suffirait à rendre compte. C’est quand l’Église émerge dans son mystère, dans son contenu de vie divine, qu’il devient possible de l’aimer, de se passionner pour sa vie, d’user jusqu’à l’extrême de ses forces pour son service. Don Bosco recommandait à ses Fils d’aimer l’Église, d’aimer le Pape.
C’est seulement après cet engagement que le jeune homme peut faire profession des conseils évangéliques. Il fait vœu (dans la formule de la profession perpétuelle) en ces termes : « C’est pourquoi, en présence de mes frères, devant NN., Recteur majeur de la Société de saint François de Sales [ou bien : devant NN. qui remplace le Recteur majeur de la Société de saint François de Sales], je fais vœu pour toujours de vivre obéissant, pauvre et chaste, selon la voie évangélique tracée par les Constitutions salésiennes [1]. » Il invoquera ensuite l’aide de la Vierge Marie Auxiliatrice, de trois saints particuliers (saint Joseph, saint François de Sales, don Bosco), et de ses frères salésiens.
De la chasteté à la mission
Par sa profession, le profès répond librement à un amour qui vient d’ailleurs, du Christ qui appelle. C’est en vivant son amour avec le Christ qu’il trouve le plein épanouissement de son être. Nous savons que certaines vocations se sont vécues difficilement dans le passé, à cause d’un choix mal éclairé, influencées souvent par des pressions sociales ou ecclésiales, insistant surtout sur une certaine obligation à répondre à « l’appel », ou encore jouant de manière culpabilisante quant au risque de dire non à Dieu. Nous pensons que toute cette notion d’appel de Dieu aurait besoin d’être renouvelée afin de présenter aux personnes en quête vocationnelle ce qui est vraiment au cœur de l’appel à la vie religieuse salésienne : une visitation où le sujet de l’appel trouve son bonheur et non pas une contrainte où il se perd. C’est là l’idéal de la suite du Christ qui libère et donne la vie en abondance.
Le « viens, suis-moi ! » de Jésus, lorsqu’il invite ses apôtres à le suivre, est sans doute ferme et sans hésitation, mais il ne peut certainement pas s’agir d’un ordre péremptoire, ne laissant aucun choix aux personnes interpellées ! Les disciples qui ont répondu à l’invitation de Jésus étaient libres de le faire, et ils ne devaient certainement pas suivre Jésus sans une certaine fascination à son endroit, sans être saisis par le mystère de sa personne et de son message. Et c’est là un point de départ important pour bien comprendre le vœu de chasteté. Car ce vœu est certainement celui qui rejoint le plus la personne dans la totalité de son être, tant dans sa quête de sens que dans ses désirs et ses besoins les plus intimes. Il faut sérieusement se demander quelle force est capable de mobiliser totalement une personne, et ce, pour toute sa vie, en l’engageant dans un célibat et une chasteté absolus.
Qu’est-ce qui détermine la décision des disciples à suivre le Christ dans les évangiles si ce n’est une rencontre personnelle avec lui ? Une rencontre où le disciple est saisi par la personne de Jésus, où il est fasciné et où il se sent aimé par lui. Rappelons-nous la rencontre de Jésus avec le jeune homme riche : « Et Jésus se mit à l’aimer », dit saint Marc. Ou encore lorsqu’il rencontre Pierre après sa résurrection sur la rive du lac Tibériade et lui demande : « Pierre, m’aimes-tu ? », aux dires de saint Jean. Nous sommes ici au cœur de l’expérience spirituelle chrétienne, qui consiste en une foi vive en l’amour de Dieu pour nous, où l’amour appelle l’amour. Cette expérience de réciprocité est une composante fondamentale dans le choix que fait une personne pour la vie salésienne. Un engagement pour la vie ne peut être fondé que sur l’amour. Sans vrai amour pour le Christ et son Évangile, il est impossible d’aimer les jeunes comme le demandent les Constitutions salésiennes. Partant de cet élan d’amour du Christ, l’apostolat auprès des jeunes devient possible et fructueux. Afin de bien comprendre la pertinence de la vie religieuse, il faudra redécouvrir toute l’importance de l’aspect éminemment personnel de l’appel à la vie religieuse.
Un appel qui est une invitation en toute liberté, à tout laisser pour suivre le Christ. Un appel à se donner et à se réaliser dans le monde par un engagement de sa personne avec le Christ et pour le Christ. Ce choix trouve sa véritable authenticité lorsqu’il est fait dans la liberté et dans la joie, lorsqu’il est accueilli à la fois comme un don et comme un appel de la part de Dieu. Et au cœur de cet appel, le vœu de chasteté met tout particulièrement en relief la dimension intime et personnelle de la suite du Christ. Ainsi, celui qui aime le Christ le choisit comme son unique bien. Il voudra aussi vivre à la suite du Christ pauvre.
Vivre pauvre
Pauvreté ne veut pas dire indigence, mais ce vœu implique néanmoins une pauvreté de l’être et de l’avoir, ainsi qu’un authentique souci de partage avec les plus démunis, les jeunes en particulier. Il s’agit tout d’abord d’une orientation fondamentale de nos vies, appelées à entrer dans l’abaissement même du Christ, lui qui s’est abaissé dans une vie humaine pauvre, solidaire avec les plus démunis, avec les exclus (Ph 2, 5-8). Jésus n’a pas recherché le pouvoir, ni le prestige, ni à occuper la première place, mais il s’est fait le serviteur de tous. La pauvreté du Christ est une affirmation de sa liberté, et notre vœu de pauvreté est une invitation à entrer nous-mêmes dans cette liberté à l’égard du monde. Par ce vœu, nous nous engageons à ne rien posséder en propre. Non pas parce que la pauvreté est un bien en soi. Au contraire, la pauvreté dans le monde est un mal, un mal qu’il nous faut combattre de toutes nos forces, comme notre père, don Bosco, nous l’a appris. Mais nous sommes appelés à nous détacher des choses matérielles afin de signifier que le sens de la vie ne trouve pas sa fin dans le fait de posséder. Ainsi, le vœu de pauvreté vise à affirmer la dignité de tous ceux et celles qui ne possèdent pas, en rappelant que l’abondance matérielle n’est pas la raison d’être ultime de l’homme, qu’elle n’est pas sa fin.
C’est dans le travail que notre pauvreté prend forme. S’il y a un verbe que don Bosco a le plus conjugué dans ses écrits, ce sera le verbe travailler. Il est mort usé par le travail pour ses jeunes. La pauvreté nous engage à suivre le Christ sur les routes du monde, afin de vivre avec lui et comme lui. La condition de disciple est un appel à vivre dans le monde avec le Christ pauvre et donné aux pauvres : les pauvres de richesses, bien sûr, mais aussi les pauvres d’amour, les pauvres de savoir ainsi que les pauvres de sens. Écouter les besoins du monde et tenter d’y répondre à la lumière de l’Évangile ne peut se réaliser si nous sommes esclaves du monde et de ses pouvoirs. Il y a donc dans notre vœu de pauvreté une orientation fondamentale de notre vie chrétienne en tant que religieux. Notre vœu est avant tout un appel à vivre une qualité d’être au monde, solidaires des plus pauvres, un appel à nous détacher du monde et de ses séductions afin de nous attacher à l’essentiel : aimer et se donner comme le Christ. C’est pourquoi notre vœu de pauvreté est un appel à la liberté, à devenir libres comme lui, libres de cette liberté qui nous configure peu à peu au Christ, lui qui s’est fait tout à tous. Elle est notre seule et unique richesse.
Que dire de l’obéissance ?
Le vœu d’obéissance fait appel à l’adulte en nous. C’est pourquoi c’est un vœu libérateur, qui vient chercher ce qu’il y a de meilleur en nous. Mais le vœu d’obéissance, à cause du droit de regard de mes frères (et de mes sœurs) sur ma manière de vivre avec eux le projet de vie salésien et la suite du Christ, devient aussi un lieu de vérité, de croissance et de libération vis-à-vis de mes limites et de mes pauvretés. Le vœu d’obéissance est un lieu d’interpellation et de libération. En somme, le vœu d’obéissance, comme vœu qui exige le plus d’humilité, d’abaissement, nous rapproche du Christ, lui qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort.
C’est son obéissance à lui qui fonde la nôtre et lui donne sens. Notre défi comme religieux est d’entrer dans l’intelligence de ce vœu et alors, avec la grâce de Dieu, nous pourrons assumer les exigences de notre vie religieuse et la voir fructifier pour le salut du monde et le nôtre.
Puissions-nous découvrir davantage la richesse des conseils évangéliques.
[1] S’il s’agit de la profession temporaire, « pour toujours » est remplacé par « bien qu’ayant l’intention de m’offrir à toi pour toujours, je fais vœu pour X ans ».