La vie consacrée dans le Code de droit oriental
Perspectives et questions
Dimitrios Salachas
N°2007-3 • Juillet 2007
| P. 186-201 |
Voici une précieuse étude canonique à verser au dossier de la double codification, orientale et latine, de l’Église catholique. Assez technique, l’article permet de mieux comprendre l’enjeu des fondations de maisons de rite oriental par les instituts latins en « Orient » et d’en éviter les impasses. Il peut aussi faire comprendre les différences entre les deux codes, en particulier pour ce qui concerne moines et ermites [2].
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La promulgation du Code de droit canonique (Codex iuris canonici) , le 25 janvier 1983, pour l’Église latine [3], et du Code des canons des Églises orientales (Codex canonum Ecclesiarum orientalium) , le 18 octobre 1990 [4], illustre bien l’esprit du législateur. Dans la Constitution apostolique Sacri canones, le pape Jean-Paul II explicite l’intention des papes à ce propos : « Dès le début de la codification canonique des Églises orientales, la volonté constante des Pontifes romains de promulguer deux Codes, un pour Église latine, l’autre pour les Églises orientales catholiques, démontre elle-même très clairement qu’ils veulent conserver ce qui, par la providence de Dieu, est arrivé dans Église, afin que, réunie par l’unique Esprit, elle respire par les deux poumons d’Orient et d’Occident et brûle dans la charité du Christ par un seul cœur ayant deux ventricules [5]. »
Il ne s’agit pas d’une déclaration rhétorique, mais d’une conséquence cohérente, qui correspond pleinement à la nature de l’Église, spécialement telle qu’elle est décrite par le magistère de Vatican II en général. Dès le début du cheminement de la codification orientale, en 1927, Pie XI avait refusé catégoriquement d’accepter l’idée dominante alors, dans la curie romaine, d’un Code unique, commun à Église latine et aux Églises orientales, et il soutenait que la codification du droit canonique oriental n’était pas seulement nécessaire, mais il la considérait parmi les affaires les plus urgentes de son pontificat, et il décida de la présider lui-même [6]. Les Pontifes romains, pour répondre aux préoccupations des Orientaux et à leurs instances d’éviter le danger ou même le soupçon d’une latinisation du droit de ces Églises, ont voulu un Code typiquement oriental, qui fût conforme aux particularités traditionnelles de ces Églises.
Au sein de l’Église une, sainte, catholique et apostolique, l’Église latine d’Occident et les Églises d’Orient sui iuris (« de droit propre ») possèdent des traditions différentes de conciliarité et de pratique synodale, qui permettent de comprendre de façon objective la nature de leur unité et l’exercice de l’autonomie dont elles ont joui au cours de l’histoire et qu’elles possèdent dans la pleine communion avec le Siège apostolique de Rome. Par rapport au Code latin, la promulgation du Code oriental a clarifié (bien qu’implicitement) la notion de « l’Église universelle ». Ainsi, après la promulgation du Code oriental, les termes Église universelle et lois universelles, employés par le Code latin, ne peuvent plus créer d’équivoque, car ni l’Église latine, ni toutes ou chacune des Églises orientales, ne sont l’Ecclesia universa ; et les lois universelles de l’Église latine ne sont que le droit commun appliqué uniquement à l’Église latine. Ainsi, par Codex Iuris Canonici (CIC), on entend le Code de droit canonique de l’Église latine, et par Codex Canonum Ecclesiarum Orientalium CCEO), on entend le Code de droit canonique des Églises orientales catholiques.
La tradition monastique orientale dans l’Église catholique
Le monachisme a depuis toujours été l’âme même des Églises orientales ; en effet, les premiers moines chrétiens sont nés en Orient et la vie monastique a été une partie intégrante du patrimoine spirituel oriental transmis en Occident par les Pères de l’Église indivise. Le concile Vatican II, en décrivant la tradition spirituelle des Églises orientales, déclare : « En Orient, on trouve aussi les richesses de ces traditions spirituelles, qui s’expriment surtout par le monachisme. Là, depuis le temps glorieux des Saints Pères, en effet, a fleuri la spiritualité monastique, qui s’est répandue ensuite en Occident, devenant pour ainsi dire la source de l’institution religieuse latine et lui conférant par la suite une nouvelle vigueur. Par conséquent, on recommande instamment aux catholiques d’accéder plus fréquemment à ces richesses spirituelles des Pères Orientaux qui élèvent l’homme tout entier à la contemplation des mystères divins » (Unitatis redintegratio, 15).
Le Concile demande « que l’on conserve fidèlement et que l’on fasse toujours mieux ressortir dans son véritable esprit, tant en Orient qu’en Occident, la vénérable institution de la vie monastique qui, tout au long des siècles, a si bien mérité de l’Église et de la société […] De même les sociétés religieuses qui, de par leur règle ou leur institution, associent intimement la vie apostolique à l’office choral et aux observances monastiques, harmoniseront leur genre de vie avec les exigences de l’apostolat qui leur convient de façon à conserver fidèlement leur forme de vie pour le plus grand bien de l’Église » (Perfectae caritatis, 9).
La Lettre apostolique du pape Jean Paul II Orientale Lumen rappelle, au numéro 9, qu’« en Orient, le monachisme a conservé une grande unité, ne connaissant pas, comme en Occident, la formation des divers types de vie apostolique. Les différentes expressions de la vie monastique, du cénobitisme strict, ainsi que le concevaient Pacôme ou Basile, à l’érémitisme plus rigoureux d’un Antoine ou d’un Macaire l’Égyptien, correspondent davantage à différentes étapes du cheminement spirituel qu’au choix entre différents états de vie. Quoi qu’il en soit, tous se réfèrent au monachisme lui-même, quelle que soit la forme sous laquelle il s’exprime. En outre, le monachisme n’a pas été considéré en Orient uniquement comme une condition à part, propre à une catégorie de chrétiens, mais, de façon plus particulière, comme un point de référence pour tous les baptisés, selon les dons offerts à chacun par le Seigneur, se présentant comme une synthèse emblématique du christianisme ». Le pape rappelle aussi « le témoignage éclatant des moniales de l’Orient chrétien, modèle de valorisation de la spécificité féminine dans l’Église, allant également au-delà de la mentalité de l’époque [7] ».
L’Exhortation apostolique Vita consecrata (25 mars 1996) met en relief, au numéro 6, l’importance, pour l’Église, des valeurs évangéliques de la vie monastique d’Orient et d’Occident, apparue dès les débuts du christianisme et florissante aujourd’hui encore, surtout dans les Églises orthodoxes. Les moines et les moniales « en portant la Croix (staurophoroi) se sont ainsi engagés à devenir témoins de l’Esprit (pneumatophoroi), authentiquement spirituels, capables de féconder secrètement l’histoire par la louange et l’intercession continuelles, par les conseils ascétiques et les œuvres de charité ».
Sans doute, la vie monastique a-t-elle une éloquente dimension œcuménique, car les principaux traits communs qui unissent l’expérience monastique de l’Orient et celle de l’Occident font d’elles un admirable pont de fraternité, où l’unité vécue resplendit davantage même que dans le dialogue entre les Églises.
L’état monastique dans le Code oriental
Le Titre XII du Code oriental intitulé « Des moines, des religieux et des membres d’autres instituts de vie consacrée » révise le motu proprio de Pie XII Postquam Apostolicis Litteris (9 fév. 1952) [8]. Le CCEO, après les canons généraux sur les moines et tous les autres religieux (can. 410-432), est divisé en quatre sections :
- les Monastères, les Ordres et les Congrégations (can. 433-553) ;
- les Sociétés de vie commune à l’instar des religieux (can. 554-562) ;
- les Instituts séculiers (can. 563-569) ;
- les autres formes de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique (can. 570-572).
L’inscription du Titre XII entend conserver essentiellement la discipline orientale en vigueur, « car elle est conforme et adaptée à la tradition monastique de l’Orient, approuvée par les saints Basile le Grand, Théodore le Stoudite, Pacôme, Athanase l’Athonite et autres. Cette vénérable tradition est admirablement confirmée, promue et soutenue par le concile Vatican II. Il est connu qu’en Orient, tous les religieux et religieuses sont communément et indistinctement appelés « moines » (monachoi) {}, bien qu’il y ait une distinction de structure canonique et de forme de vie spirituelle entre ces deux types de vie consacrée.
La terminologie utilisée par le CCEO est essentiellement orientale, évitant, en général, l’usage des termes religio (Institut religieux), religiosus, religiosa (religieux, religieuse), moins connus dans les Églises orientales ; tout de même, on conserve ces termes surtout aux lieux du Code où ils ont un sens général (inscription du Titre XXI, can. 412, 415, etc.). On emploie donc des termes plus spécifiques, comme Monastère, Ordre, Congrégation. La conservation de cette triple typologie est due au fait qu’en Orient, traditionnellement monastique, on a une perception claire des cinq formes d’Instituts de vie consacrée (Monastères, Ordres, Congrégations, Sociétés de vie commune, Instituts séculiers), sans exclure les nouvelles formes de vie consacrée à approuver. « L’état monastique et religieux, même s’il ne concerne pas la structure hiérarchique de Église, appartient sans conteste à sa vie et à sa sainteté. »
Le Monastère
Le canon 433 décrit le Monastère comme « une maison religieuse dans laquelle les membres tendent à la perfection évangélique en observant les règles et les traditions de la vie monastique. Un Monastère sui iuris (“de droit propre”) est celui qui ne dépend pas d’un autre Monastère et qui est régi par un typicon (règle) propre approuvé par l’autorité compétente ». Le canon 436 §1 ajoute que « tout Monastère sui iuris peut avoir des monastères dépendants, dont les uns sont dénommés filiaux, si, en vertu de l’acte même d’érection ou du décret émis selon le typicon, ils peuvent tendre à la condition de Monastère sui iuris, les autres sont dénommés subsidiaires ». Le terme typicon indique la règle dont est régi le Monastère, et il souligne aussi la dimension fondamentalement liturgique de la vie monastique ; en effet, le terme grec typikón indique, au moins dans les Églises de tradition byzantine, le rituel observé au cours de l’année liturgique et dans la célébration des sacrements et des sacramentaux (par exemple « le Typicon de la Grande Église de Constantinople »). Le typicon monastique était le document de fondation d’un Monastère byzantin, qui comprenait aussi les saintes règles relatives à la vie interne du Monastère. Le CCEO n’use pas typicum dans le sens de typikón liturgique, mais dans le sens général du document de fondation de Monastères et de ses règles, tandis que, pour les autres Instituts, il emploie le terme statuta (statuts ou constitutions).
Le canon 433 ne donne pas une définition stricte du Monastère, mais il renvoie aux règles et aux traditions de la vie monastique. Toute une série de « sacrés canons » anciens traitent de la vie monastique : esprit et but de la vie et de l’ascèse monastique ; dépendance des monastères et des moines de l’Évêque éparchial (diocésain) ; inscription de chaque moine à un Monastère et vertu de stabilité ; noviciat et consécration monastique ; vœu de pauvreté et dot que les candidats doivent apporter au monastère ; supérieurs des monastères ; clôture monastique, etc. [9] Sous l’expression « les règles et les traditions de la vie monastique », on entend tout ce qui comprend « la vie contemplative, la célébration quotidienne des louanges divines, la profession unique monastique ou perpétuelle, le travail manuel, la non distinction des moines entre clercs et frères convers – car tous étaient et sont simplement des moines –, et les Higoumènes (de hegoumenos, « supérieur ») constitués à vie. Le Monastère ne peut jamais devenir un Ordre, ni avoir des provinces, mais il peut avoir des maisons ou monastères dépendants [10]. La tradition voit le moine comme celui qui se consacre tout entier dans la contemplation des choses célestes et se sépare en tout des hommes et du monde. Il faut donc souligner que la profession monastique comprend non seulement les trois vœux, mais tout un modus vivendi du moine selon une règle monastique déterminée.
Le Monastère est de droit pontifical, s’il a été érigé par le Siège apostolique ou s’il a été reconnu comme tel par un décret de celui-ci ; de droit patriarcal, s’il est stauropégiaque ; de droit éparchial (diocésain), s’il a été érigé par l’Evêque, sans qu’il soit nécessaire d’obtenir un décret de reconnaissance du Siège apostolique (can. 434).
Un Monastère de droit éparchial peut devenir Monastère stauropégiaque. C’est au Patriarche qu’appartient le droit, après avoir consulté l’Évêque éparchial (Évêque diocésain) et avec le consentement du Synode permanent, d’accorder, dans l’acte même d’érection, à un Monastère sui iuris le statut de Monastère stauropégiaque (can. 486 §1). Ce Monastère est immédiatement soumis au Patriarche, de sorte que seul il ait les mêmes droits et obligations que l’Évêque éparchial à l’égard du Monastère, des membres qui y sont inscrits et des personnes qui, nuit et jour, vivent dans le Monastère (can. 486 §2 ; 101).
Les Ermites
Le CCEO conserve l’institution orientale traditionnelle de la vie érémitique strictement liée avec la vie monastique. Le can. 481 décrit l’ermite comme « un membre d’un Monastère sui iuris, qui s’établit tout entier dans la contemplation des choses célestes et se sépare en tout des hommes et du monde ». Pour conduire la vie érémitique, l’ermite doit obtenir la permission du Supérieur (avec le consentement de son conseil) du Monastère auquel il appartient et dans lequel il a vécu pendant au moins six ans à compter du jour de la profession perpétuelle (can. 482). Le can. 41 du Concile in Trullo ou Quinisexte (691) traite de ceux qui veulent mener la vie érémitique : « Ceux qui veulent mener la vie érémitique dans une recluserie de ville ou de village et veiller sur eux-mêmes dans la solitude, doivent d’abord entrer dans un monastère et s’y entraîner à la vie érémitique ; s’y soumettre pendant trois ans dans la crainte de Dieu au prieur du monastère ; y accomplir comme il convient tous les devoirs de l’obéissance ; et ayant confessé leur volonté de mener ce genre de vie qu’ils embrassent volontairement de tout cœur, ils doivent se présenter à l’Évêque du lieu pour l’examen canonique [11]. »
Selon le CCEO, l’ermite dépend du Supérieur du Monastère et il est lié par les canons qui concernent les moines et le typicon du Monastère ; c’est un moine avancé dans l’ascèse, un exemple pour les autres moines. Pour une juste raison, le Supérieur du Monastère peut imposer la cessation de la vie érémitique, même contre le gré de l’ermite (can. 484 et 485).
Ordres et Congrégations
Le can. 504 définit la notion d’Ordre et de Congrégation : « L’Ordre est une société érigée par l’autorité ecclésiastique compétente, dans laquelle les membres, même s’ils ne sont pas moines, émettent une profession qui est équiparée à la profession monastique. La Congrégation est une société érigée par l’autorité ecclésiastique compétente, dans laquelle les membres émettent une profession avec les trois vœux publics d’obéissance, de chasteté et de pauvreté, qui n’est cependant pas équiparée à la profession monastique, mais qui a une force propre selon le droit. » Cette formulation sur l’équiparation ou non équiparation à la profession monastique n’est pas suffisamment claire ; elle ne rend pas de manière précise la nature spécifique de la vie religieuse dans un Ordre ou une Congrégation, par différence de la vie monastique traditionnelle. Historiquement, la plupart des Ordres religieux orientaux catholiques ont été initialement fondés comme Monastères et ils se sont progressivement transformés en Ordres, conservant des éléments monastiques traditionnels tout en introduisant des éléments de vie apostolique.
Un Ordre est de droit pontifical, s’il a été érigé par le Siège apostolique ou s’il a été reconnu comme tel par un décret de celui-ci ; de droit patriarcal, s’il est érigé par le Patriarche, sans nécessité d’obtenir un décret de reconnaissance du Siège apostolique (can. 505 §1). Une Congrégation est de droit pontifical si elle a été érigée par le Siège apostolique ou si elle a été reconnue comme telle par un décret de celui-ci ; de droit patriarcal, si elle a été érigée par le Patriarche ou reconnue comme telle par un décret de celui-ci, sans nécessité d’obtenir un décret de reconnaissance du Siège apostolique ; de droit éparchial, si elle a été érigée par l’Évêque éparchial, sans nécessité d’obtenir un décret de reconnaissance du Siège apostolique ni du Patriarche (can. 505 §2). Un Ordre ou une Congrégation est clérical, s’il est sous la direction de prêtres, et assume des ministères propres à l’ordre sacré (can. 505 §3). Contrairement au can. 588 §3 du CIC, qui prévoit des Instituts « laïques », les Ordres et les Congrégations non cléricales ne sont pas nommés « laïques » par le CCEO, car « dans la conception orientale un Institut religieux (et les religieux eux-mêmes) ne peut pas être considéré comme “laïque” ».
Instituts religieux latins en Orient et fondation des maisons ou provinces de rite oriental
Le concile Vatican II, dans son Décret Orientalium Ecclesiarum, au numéro 6, avait recommandé « aux Ordres et Congrégations religieuses de rite latin qui déploient leur activité dans les pays d’Orient ou parmi les fidèles orientaux de créer, en vue d’une plus grande efficacité apostolique, des maisons et même des provinces de rite oriental, dans la mesure du possible ». Le même paragraphe signale en note qu’en effet la pratique de l’Église (catholique) au temps de Pie XI, Pie XII, Jean XXIII, manifeste abondamment ce mouvement ; on y ajoutera les noms de Jean-Paul II et de l’actuel Pontife [12].
Le CCEO, au can. 432, traduit en norme cette recommandation conciliaire : « Le monastère dépendant, la maison ou la province d’un Institut religieux d’une Église sui iuris, même de l’Église latine, qui sont inscrits avec le consentement du Siège apostolique à une autre Église sui iuris, doivent observer le droit de cette Église, restant saufs les prescriptions de la règle ou des statuts qui concernent le gouvernement interne de cet Institut, et les privilèges octroyés par le Siège apostolique. » Il en découle qu’un Monastère, un Ordre ou une Congrégation d’une Église sui iuris, même de l’Église latine, peuvent avoir, avec le consentement du Siège apostolique, un monastère dépendant, une maison ou une province d’une autre Église sui iuris ; par exemple, l’Ordre des Franciscains peut fonder, avec le consentement du Siège apostolique, une maison ou une province en Égypte, inscrites à l’Église copte catholique ; mais cette maison ou province doit observer le droit de l’Église copte, restant sauves les normes de la règle ou des statuts, qui concernent le gouvernement intérieur de cet Institut. Le Code latin ne prévoit pas une norme semblable, mais puisque l’Église latine est expressément mentionnée dans le can. 432, la norme s’applique aussi chez elle.
La norme du can. 432 n’est pas nouvelle ; elle était prescrite déjà dans le Motu proprio Postquam Apostolicis Litteris (1952), au can. 5, avec la seule différence qu’un Institut religieux oriental, ne pouvait (avec le consentement du Siège apostolique) inscrire une maison ou province qu’à une autre Église orientale, et non à l’Église latine. Tout de même, comme on l’a dit, la pratique de l’Église catholique déjà au temps de Pie XII manifeste abondamment cette évolution.
Admission des fidèles orientaux dans les Instituts religieux latins
La législation orientale précitée prescrivait, au can. 74 §2, 6°, que, restant sauves les dispositions des statuts de chaque Institut religieux, les fidèles latins sont admis illicitement mais validement aux Instituts orientaux ou les fidèles orientaux aux Instituts latins ou orientaux de rite différent, s’ils n’ont pas la permission écrite de la Congrégation pour les Églises orientales. Dans la refonte de ce canon, le groupe d’étude de la Commission de révision du Code avait opté, dans un premier moment, pour l’invalidité de l’admission au noviciat d’une autre Église sui iuris, quand manque la permission du Siège apostolique, mais par la suite, dans la dernière révision (denua recognitio) du schéma de 1980, on opta pour l’illicéité seulement.
Le législateur du CCEO, soucieux de l’épanouissement de la vie monastique et religieuse dans chaque Église orientale prescrit donc, contre une éventuelle tendance de certains Instituts latins de recruter des vocations parmi les orientaux et d’induire les jeunes à passer à l’Église latine, que personne ne peut être licitement admis au noviciat d’un Monastère ou d’un Ordre ou Congrégation d’une autre Église sui iuris sans la permission du Siège apostolique, à moins qu’il ne s’agisse d’un candidat qui est destiné à un monastère dépendant ou à une province ou à une maison de sa propre Église, dont question au can. 432 (can. 451 et 517 §2) [13]. Cette norme ne se trouve pas dans le Code latin 1983, mais elle concerne aussi implicitement l’Église latine à cause précisément de sa mention can. 432, qui la regarde expressément.
Selon le can. 432, comme on l’a dit, un Monastère sui iuris, un Ordre ou une Congrégation d’une Église sui iuris, même de l’Église latine, peuvent, avec le consentement du Siège apostolique, fonder un monastère dépendant, une maison ou une province inscrits à une autre Église sui iuris ; mais ce monastère dépendant, cette maison ou province doivent observer le droit de cette Église, restant sauves les normes de la règle ou des statuts, qui concernent le gouvernement interne de cet Institut.
Le CCEO n’exclut donc pas l’admission d’un fidèle oriental au noviciat d’un Institut religieux latin, ni l’admission d’un fidèle latin au noviciat d’un Institut religieux oriental, mais il requiert, pour la licéité de l’admission, la permission du Siège apostolique, à savoir de la Congrégation pour les Églises Orientales [14]. La dite permission ne comporte pas le passage automatique à une autre Église sui iuris [15] ; celui qui a obtenu cette permission reste toujours inscrit à sa propre Église sui iuris ; pour qu’il passe validement à l’Église latine, selon le can. 32, il faut le consentement du Siège apostolique.
La clause « à moins qu’il ne s’agisse d’un candidat qui est destiné à un monastère dépendant ou à une province ou à une maison de sa propre Église sui iuris, dont il est question au can. 432 » a été ajoutée « parce que, même si un Ordre ou une Congrégation de rite latin a des maisons ou des provinces de rite oriental, on ne devrait pas admettre les candidats orientaux sinon en les inscrivant à telle maison ou province. La clause veut éviter la “latinisation” des Orientaux qui entrent dans les Instituts religieux latins [16] ».
En outre, au cours de la discussion au sein du groupe d’étude de la Commission de révision du Code, il été noté, que « jusqu’à présent en certaines régions, une coutume a été en vigueur depuis une période de temps considérable, selon laquelle une personne qui entre au noviciat d’un Institut religieux d’un autre rite, peut se conformer à ce rite. Mais si telle personne abandonne l’Institut, il retourne ipso facto au rite d’origine ». La position du groupe d’étude a été que « en ces cas, le transitus (passage) n’a jamais eu lieu, juridiquement parlant, car manquait la venia Sedis Apostolicae (CIC 1917, can. 98 §3) ou bien la permission de celui-ci [17]. Il avait aussi été recommandé « aux Orientaux qui vivent en des pays de prédominance du rite latin, s’ils veulent devenir religieux, qu’ils soient pleinement libres d’opter entre le rite latin et le rite oriental ». La proposition n’a pas été acceptée « car contraire à la prescription qui requiert pour la validité la licence du Saint-Siège en ce qui concerne le passage d’un rite à l’autre, qui n’est pas “automatique”, même si a été obtenue la licence pour entrer au noviciat d’un autre rite [18] ».
Passage d’un religieux oriental à un Institut religieux latin
Pour le passage valide d’un religieux à un Monastère, un Ordre ou une Congrégation d’une autre Église sui iuris, même de l’Église latine, est requis, disions-nous, le consentement du Siège apostolique. Ce passage, même s’il est légitime, ne comporte donc pas le passage automatique à une autre Église sui iuris, même de l’Église latine, pour lequel est requis, selon le can. 32, le consentement du Siège apostolique ; ce passage comporte simplement l’adaptation au rite latin, et s’il s’agit d’un religieux constitué dans l’ordre sacré, la faculté de célébrer les sacrements selon le rite latin (biritualisme ; cf. can. 674).
Pour le reste s’appliquent les normes générales suivantes : dans les limites du territoire de l’Église patriarcale, le religieux peut passer validement à un autre Institut religieux avec le consentement, donné par écrit, du Patriarche et avec le consentement de son Supérieur général et du Supérieur général de l’Ordre ou de la Congrégation auquel il veut passer. Pour donner ce consentement, les Supérieurs ont besoin du consentement préalable de leur conseil ou, s’il s’agit d’un Monastère, du consentement de la Synaxe (le chapitre, can. 544 §1). Pour le passage d’un religieux d’une Congrégation de droit éparchial à un autre Institut religieux de droit éparchial, est requis le consentement écrit de Évêque éparchial du lieu où se trouve la maison principale de l’Institut auquel se fait le passage, après avoir consulté le Supérieur général de la Congrégation de laquelle se fait le passage et avec le consentement du Supérieur général de la Congrégation ou du Supérieur du Monastère sui iuris auquel se fait le passage. Pour donner ce consentement, les Supérieurs ont besoin du consentement préalable de leur conseil ou, s’il s’agit d’un Monastère, du consentement de la Synaxe. Dans tous les autres cas, à savoir en dehors des limites du territoire patriarcal, est requis le consentement du Siège apostolique (can. 544, §3).
Celui qui fait ce passage doit accomplir le noviciat tout entier, à moins que le Supérieur général ou le Supérieur du Monastère sui iuris, avec le consentement de leur conseil, ne réduise le temps du noviciat, mais pas en deçà de six mois. Le noviciat achevé, celui qui fait le passage, s’il est déjà profès de vœux perpétuels, émettra publiquement la profession perpétuelle selon les prescriptions du nouvel Institut religieux ; celui qui est encore profès de vœux temporaires émettra publiquement la profession temporaire pour une durée d’au moins trois ans, à moins qu’il n’ait accompli totalement les trois années de noviciat dans le Monastère sui iuris auquel il passe (can. 545).
Ordination sacrée d’un religieux oriental inscrit à un Institut latin
Un moine ou religieux oriental de vœux perpétuels, légitimement inscrit à un Institut religieux latin et candidat au diaconat ou au presbytérat, doit être ordonné selon le rite de sa propre Église sui iuris. Dans ce cas, le Supérieur d’un monastère sui iuris ou le Supérieur majeur d’un Ordre ou d’une Congrégation (général ou provincial) peut donner, selon la règle ou les statuts, à ses membres de vœux perpétuels les lettres dimissoriales pour l’ordination sacrée. Pour les membre d’un monastère, ces lettres doivent être envoyées à Évêque éparchial du lieu où est situé le monastère, même dépendant, ou, s’il s’agit d’un monastère stauropégiaque, à l’Évêque désigné par le Patriarche (can. 472).
Pour les membres d’un Ordre ou d’une Congrégation, l’Évêque, auquel le Supérieur doit envoyer les lettres dimissoriales, est l’Évêque éparchial du lieu où l’ordinand a domicile ; un autre Évêque, si l’Évêque éparchial a donné la permission ou s’il est d’une autre Église sui iuris que l’ordinand ou s’il est absent ou enfin si le siège éparchial est vacant et que celui qui le gouverne n’est pas un Evêque ordonné ; de tout cela, l’Évêque ordinant doit être assuré dans chaque cas par un document authentique de la curie éparchiale (can. 537). Il s’ensuit que les lettres dimissoriales pour l’ordination sacrée doivent être données à un Évêque éparchial de la même Église sui iuris que l’ordinand.
Un Évêque ne peut ordonner qu’avec la permission du Siège apostolique un candidat aux ordres sacrés qui est inscrit à une autre Église sui iuris ; mais s’il s’agit d’un candidat qui est inscrit à une Église patriarcale et qui a domicile ou quasi-domicile dans les limites du territoire de cette même Église, le Patriarche aussi peut concéder cette permission (can. 748, §2). La raison de cette norme est qu’en fait, dans la célébration des sacrements, on doit observer avec soin ce qui est contenu dans les livres liturgiques, et que le ministre doit célébrer les sacrements selon les prescriptions liturgiques de son Église sui iuris, à moins qu’il n’ait obtenu lui-même une faculté spéciale du Siège apostolique (can. 674).
Conclusion
Le concile Vatican II recommande aux Instituts religieux latins qui déploient leur activité dans les pays d’Orient ou parmi les fidèles orientaux de créer, en vue d’une plus grande efficacité apostolique, des maisons et même des provinces de rite oriental, « dans la mesure du possible ». Mais, en vue d’une telle perspective, il faut que les autorités compétentes de ces Instituts d’une part soient formées avec soin à la connaissance et à l’estime du rite de l’Église sui iuris dans laquelle ils entendent créer des maisons et même des provinces de rite oriental, et d’autre part, que soit écarté tout prétexte – devant la grave crise des vocations en Occident – de recruter des vocations parmi les orientaux et d’induire les jeunes à passer à l’Église latine.
[1] Sur ce sujet, on lira aussi, p. 234, la recension par le père B. Malvaux de l’ouvrage récent de Mgr Salachas.
[2] Sur ce sujet, on lira aussi, p. 234, la recension par le père B. Malvaux de l’ouvrage récent de Mgr Salachas.
[3] AAS (Acta Apostolicae Sedis), 75 (1983).
[4] AAS 82 (1990) 1061-1353.
[5] AAS 82 (1990) 1033-1044 ; CCEO-fr., p. 11.
[6] Cf. CCEO Préface, en CCEOfr., p. 37. Cf. R. Metz, « La seconde tentative de codifier le droit des Églises orientales catholiques au xxe siècle, Latinisation ou identité orientale ? », L’Année canonique 23 (1979) 296-297 ; Id., Le nouveau droit des Églises orientales catholiques, Paris, 1997, 45.
[7] Cf. Jean-Paul II, Orientale Lumen (2 mai 1995) : AAS 87 (1995) 745-774.
[8] AAS 44 (1952) 65-150.
[9] Cf. D. Salachas, Il Diritto canonico delle Chiese orientali nel primo millennio, Bologna, EDB, 1997, 164-184.
[10] C. Pujol, La vita religiosa orientale, commento al Codice del Diritto Canonico Orientale (canoni 410-572), Roma, 1994, 131.
[11] Fonti, fasc. IX, t. I, 1, 177-179 ; cf. D. Salachas, « La normativa del Concilio Trullano », Oriente Cristiano, 1-2, 1991, 83-85 (étude monographique).
[12] Cf. J. Abbass, « Institutes of Consecrated Life (cc. 410-572) », in A Guide to the Eastern Code, Kanonika 10 (éd. G. Nedungatt), Rome, 2002, 353.
[13] Cf. Natale Loda, « L’ammissione nel monastero sui iuris secondo il Codex Canonum Ecclesiarum Orientalium », in Commentarium pro Religiosis, 76 (1995) 39-79, p. 65 ; M. Brogi, « Ammissione di candidati di rito Orientale in istituti religiosi Latini », in Antonianum 54 (1979) 701-713 ; C. Pujol, « Regimen domus orientalis ritus in Religione latina », in Periodica 50 (1961) 137-159.
[14] Selon la Const. ap. Pastor Bonus (1988), art. 58 §1, la compétence de la Congrégation pour les Églises Orientales s’étend à toutes les affaires qui sont propres aux Églises orientales et qui doivent être déférées au Siège apostolique, parmi lesquelles aussi le statut, les droits et les obligations des personnes. Sa compétence s’étend également à toutes les questions concernant les rapports « interrituels ». La Congrégation a élaboré les documents nécessaires, approuvés par la Secrétairerie d’État.
[15] Cf. Nuntia 16 (1983) 40.
[16] Nuntia 16 (1983) 81.
[17] Motu proprio Cleri sanctitati, can. 8 §1 ; Nuntia 28 (1983) 72.
[18] Nuntia 16 (1983) 40.