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Cinquante ans de présence jésuite au Vietnam

Pierre Gervais, s.j.

N°2007-3 Juillet 2007

| P. 170-174 |

Ayant repris pied au Vietnam il y a tout juste cinquante ans, la Compagnie de Jésus a connu, elle aussi, la tourmente de 1975 qui n’épargna pas l’auteur de ces lignes ; mais aujourd’hui, la plus jeune des provinces jésuites compte 120 membres vietnamiens et autant de candidats, et elle se porte vers les réalités anciennes et nouvelles de la mission – « l’heure est à l’action de grâces ».

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Les jésuites célèbrent cette année le cinquantième anniversaire de leur retour au Vietnam. Ils y avaient été présents par le passé. Ils y étaient arrivés au tout début du xviie siècle. C’est même avec eux que commence à vrai dire l’histoire de l’Église du Vietnam. Ils y ont imprimé leur marque grâce à des hommes de la stature du P. Alexandre de Rhodes qui, entre autres, a donné au pays son écriture actuelle. Mais après cent cinquante ans de présence, la Compagnie devait disparaître du paysage vietnamien avec sa suppression en 1773.

Il aura donc fallu attendre jusqu’en 1957 pour que la Compagnie reprenne pied au Vietnam. Dès le point de départ, le groupe qui l’a constituée avait un caractère international. Au moment des événements d’avril 1975 qui ont conduit à la réunification du pays, la Région du Vietnam comptait déjà 67 jésuites, dont 26 Vietnamiens. Le gouvernement qui se mettait alors en place allait porter dans un premier temps un dur coup à l’Église du Vietnam et à la Compagnie. Les jésuites étrangers furent priés de quitter le pays. Les maisons de la Compagnie furent réquisitionnées : le centre Alexandre de Rhodes de Saïgon, le scolasticat et le grand séminaire interdiocésain de Dalat dont la Compagnie avait la charge, le noviciat dans la banlieue de Saïgon et la maison pour étudiants de Huê. La plupart des jésuites vietnamiens se retrouvèrent dans les « nouvelles zones économiques », ou encore en prison, pour des périodes de temps qui pour certains se sont prolongées sur une dizaine d’années. Ils vécurent ces années isolés du reste du monde, laissés à eux-mêmes pour ainsi dire, partageant dans la foi et la constance le sort de nombre de leurs compatriotes. Ils ont su passer à travers la tourmente et, malgré des contraintes qui subsistent encore, se reconstituer et donner à leur région un nouvel élan apostolique.

Des 26 qu’ils étaient au moment du départ des jésuites d’origine étrangère, ils sont maintenant 120, la moitié d’entre eux encore aux étapes initiales de la formation : noviciat et philosophat, ce qui fait sans conteste de la région du Vietnam la Province la plus jeune de la Compagnie à l’heure actuelle, du point de vue de la pyramide des âges. Les jésuites du Vietnam n’ont à vrai dire d’autre horizon que celui de l’avenir qui s’offre devant eux et dont ils ont à écrire l’histoire.

Un noviciat a été construit dans la proche banlieue de Saïgon ; il accueille pour l’instant une trentaine de novices. Une résidence de belles dimensions a aussi été érigée, il y a trois ans, dans la même localité, tout près de l’église d’une paroisse dont la Compagnie a la charge depuis une dizaine d’années ; elle abrite les services du Supérieur régional et les Pères à la retraite. Les étudiants en philosophie y demeurent pour l’instant dans l’attente de l’achèvement d’une maison de soixante chambres en construction sur le même terrain. Autre élément important et d’une grande portée symbolique, signe tangible aussi des nouveaux rapports qui s’établissent entre l’État et l’Église, une partie du centre Alexandre de Rhodes de Saïgon vient d’être restituée à la Compagnie par le gouvernement. En réintégrant ainsi ce qui a été le berceau de leur refondation en 1957, les jésuites du Vietnam reprennent pied dans la capitale économique du pays, Hô Chi Minh Ville, bien enracinés dans la culture et l’histoire de leur pays.

Voilà pour ce qui est de la face visible de la reprise en main de sa destinée par la Région du Vietnam. Mais, encore plus que les bâtiments, ce sont les hommes qui assurent à une Province sa vitalité et lui donnent son dynamisme au service de l’Église. Or un jeune Père de la Région a mis sur pied au cours des dernières années un réseau impressionnant qui rejoint de jeunes universitaires et les aide à approfondir ensemble leur foi et à mûrir leur vocation éventuelle à la Compagnie. Pour l’instant, ce réseau regroupe plus de 120 aspirants, répartis dans 12 lieux d’habitation, et qui se réunissent chaque semaine pour prier et échanger. C’est de ce vivier que viennent pour l’instant la plupart des entrées au noviciat.

Et il y a la jeune génération des jésuites en formation : novices, philosophes et théologiens. Tout le monde reconnaît ici que la région manque de formateurs pour encadrer ces générations montantes et leur assurer tant au point de vue intellectuel que spirituel les bases de leurs insertions apostoliques futures. L’Église du Vietnam se trouve d’ailleurs devant un défi analogue. Mais déjà un certain nombre de scolastiques ont pu poursuivre leurs études à l’étranger, en Amérique du Nord, en France ou aux Philippines, et se spécialiser en théologie, philosophie, sciences sociales ou ministère pastoral. Ce sont eux qui constituent le socle sur lequel la Région pourra se construire et devenir, un jour qui n’est sûrement pas si lointain, une Province à part entière de la Compagnie.

Reste à penser l’immense champ de l’apostolat pour les années à venir. La tourmente des années 1975 a créé une situation nouvelle. On ne peut donc revenir tout simplement aux œuvres auxquelles la Compagnie avait consacré toutes ses énergies au cours des vingt premières années de son existence. D’ailleurs, le gouvernement actuel est soucieux de garder un contrôle strict sur toutes les institutions d’enseignement du pays. La Région est donc acculée à créer du neuf, en lien avec les besoins de l’Église et de la société vietnamienne, pour assurer dans des œuvres nouvelles sa cohésion comme corps apostolique.

De ce point de vue, on sent dans les nouvelles générations une conscience vive de l’importance des Exercices spirituels de saint Ignace, non seulement pour sa propre formation personnelle, mais comme instrument privilégié pour rejoindre toutes les classes de la société vietnamienne dans leur recherche de sens et leur désir d’approfondissement de leur vie chrétienne. Plusieurs jeunes pères se consacrent déjà à temps plein aux Exercices, soit dans leur forme traditionnelle en termes de retraites données aux prêtres ou encore aux religieuses – qui ont toujours constitué l’un des piliers de l’Église du pays –, soit sous forme de récollections, de haltes de prière ou de groupes de réflexion biblique. Dans cette perspective, on n’exclut pas l’ouverture d’une maison de retraite dans les années à venir.

La région s’est aussi ouverte ces dernières années à une réalité du pays face à laquelle la Compagnie était restée étrangère par le passé, celle des tribus de montagnards qui habitent les hauts plateaux du pays. Majoritairement animistes, beaucoup de ces montagnards se tournent vers le christianisme. D’où le besoin d’aller à leur rencontre et de leur assurer une formation humaine et religieuse. C’est ainsi qu’a été fondée ces dernières années une communauté qui travaille auprès d’eux, dans le respect de leurs langues et de leurs cultures. La réalité sociale du pays interpelle aussi. Bon nombre de jésuites aux études travaillent auprès des jeunes arrachés à leur milieu familial et engagés comme ouvriers pour des salaires souvent modiques dans les entreprises qui pullulent depuis quelques années autour de Saïgon, ou encore auprès des jeunes atteints du sida. Reste encore à préciser les formes concrètes que prendra cet engagement social dans les années à venir.

Enfin, alors qu’elle trouve son identité propre, la Région entend faire pleinement sienne la dimension missionnaire de la Compagnie. Le Seigneur a beaucoup donné, jusque dans l’adversité. L’accueil de ce don ne peut que porter vers d’autres nations. Deux jeunes jésuites de la Région œuvrent pour l’instant au Timor oriental et une équipe vient de se former pour travailler au Laos, pays de tradition bouddhiste. Revenue au Vietnam il y a cinquante ans, la Compagnie rayonne désormais depuis le Vietnam même.

Au moment de célébrer ses cinquante ans de présence au Vietnam, la Compagnie témoigne donc d’une vitalité qui reflète bien celle de l’Église du Vietnam tout entière en ces années-ci. Les jésuites du Vietnam ont pris leur propre destinée en main. Or, j’ai pu le constater, ceux-ci demeurent profondément attachés à leurs compagnons jésuites venus de l’étranger et qui ont contribué dans un premier temps à la renaissance de la Compagnie sur le sol vietnamien. Ces derniers ont dû quitter le pays au moment de la réunification. L’épreuve a été grande. Elle a été aussi une grâce, celle qui permet à la Région de voler désormais de ses propres ailes, au service de l’Évangile.

Les jésuites du Vietnam sont conscients des défis que, tout comme l’Église du Vietnam dans son ensemble, ils auront à relever dans les années qui viennent. Ceux-ci ne sont pas moindres que ceux qu’ils ont eus à affronter jusqu’à présent. Ils découlent des mutations qui affectent en profondeur la société vietnamienne, suite à une expansion industrielle et économique extrêmement rapide, pour ne pas dire brutale. Mais pour l’instant, l’heure est à l’action de grâce. Le Père Général de la Compagnie présidera en personne les célébrations jubilaires des cinquante ans de la Compagnie au Vietnam en juillet prochain, profitant de l’occasion pour conduire sur le sol vietnamien une conférence de tous les Provinciaux jésuites d’Asie.

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