Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

La dimension sponsale de l’Alliance signifiée dans la vie consacrée

Une lecture de Vita consecrata

Anna Hoang, o.p.

N°2003-5 Septembre 2003

| P. 292-306 |

Découvrant l’exhortation apostolique Vita Consecrata, l’auteur détaille la mise en œuvre spécifique à la vie consacrée de la dimension « sponsale » de l’être humain déjà présente dans l’Alliance et qui façonne toute l’histoire d’amour de Dieu avec son Peuple et avec chacun de nous. Certes, le « par amour de Lui » qui justifie les trois vœux traditionnels de la vie consacrée fait de celle-ci une figure particulièrement lumineuse du lien entre le Christ-Époux et l’Église-Épouse. Il ne faudrait pourtant pas limiter l’engagement de la sequela Christi à la mise en valeur de cet aspect de la vie des baptisés (on se souviendra de la lecture prudente de Verbi Sponsa proposée dans nos pages, VC, 2001, 185-196). Si prégnante soit-elle, cette « structure sponsale » ne doit pas occulter d’autres dimensions que reflète avec des accentuations diverses la grande variété des formes de consécration dans l’Église et pour le monde.}

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Introduction

L’exhortation apostolique Vita consecrata est le fruit du synode des évêques réunis en 1994 autour du thème de la vie consacrée. Depuis Vatican II, l’organisation d’un synode permet la reprise régulière de l’un ou l’autre thème important du Concile pour l’approfondir et l’actualiser. Ce synode sur la vie consacrée, dans le sillage des décisions conciliaires, confirme les affirmations de la Constitution Lumen Gentium sur l’état de vie consacrée constitué par les conseils évangéliques : « S’il ne concerne pas la structure hiérarchique de l’Église, [il] appartient cependant sans conteste à sa vie et à sa sainteté » et apparaît « comme un signe qui peut et doit exercer une influence efficace sur tous les membres de l’Église dans l’accomplissement courageux des devoirs de leur vocation chrétienne [1] ».

Vita Consecrata apporte cependant un regard renouvelé sur la vie consacrée. Celle-ci y est désignée comme une Confession trinitaire et les conseils évangéliques sont présentés comme le reflet des relations entre les trois personnes divines. Dans cette lumière nouvelle sur le don de soi à Dieu (1) nous tentons d’approfondir le sens des conseils évangéliques (2) et à travers eux de découvrir la structure sponsale de l’être humain (3) « être de communion, en attente d’autrui ».

La vie consacrée est un don de Dieu

Parler de la vie consacrée, c’est souligner l’initiative de Dieu, ce qu’il est pour l’Église et la manière dont il se donne.

L’appel de Dieu

Tous les hommes sont appelés à la sainteté, selon la parole de Jésus : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait [2]. » A l’intérieur de cet appel fondamental à la sainteté, lié au baptême et à la confirmation, existent des appels particuliers, des vocations spécifiques, telle la vocation à la vie consacrée. Comme Jean-Paul II le rappelle : « la vie consacrée est un don de Dieu le Père à son Église [3]. Un don est fait par le Père, et plus encore, par la Trinité : « Les conseils évangéliques sont avant tout un don de la Très Sainte Trinité [4]. » Dieu choisit ainsi l’homme pour une mission. Jésus l’affirme à ses disciples : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi ; mais c’est moi qui vous ai choisis [5]. » La vocation est une élection divine, un amour gratuit de Dieu.

La vie consacrée n’est donc pas une invention humaine, ni de l’Église hiérarchique, ni des Fondateurs : elle est un don de Dieu pour l’Église et pour ceux qui y sont appelés. Devant la grandeur de ce don, l’homme a toujours la liberté de répondre.

La réponse de l’homme

« Le fondement évangélique de la vie consacrée est à chercher dans le rapport spécial que Jésus, au cours de son existence terrestre, établit avec certains de ses disciples, qu’il invita, non seulement à accueillir le Royaume de Dieu dans leur vie, mais aussi à mettre leur existence au service de cette cause, en quittant tout et en imitant de près sa forme de vie [6] ».

Le « Viens, suis-moi » adressé par le Christ aux apôtres, l’est aussi à d’autres, et appelle une réponse totale : « L’expérience de cet amour gratuit de Dieu est à ce point intime et forte que la personne comprend qu’elle doit répondre par un don inconditionnel de sa vie, en consacrant tout, à ce moment-là et pour l’avenir, entre ses mains [7] ». C’est un engagement de toute la vie.

La réponse de l’homme n’est pas uniquement dans l’instant de sa vie, au contraire elle dure jusqu’à la fin de sa vie [8]. Cette réponse ne vient pas seulement de l’homme qui décide, mais c’est l’Esprit qui suscite le désir d’une réponse totale à suivre le Christ.

Suivre le Christ par les conseils évangéliques

Depuis l’origine jusqu’à aujourd’hui, l’Église a toujours eu la même conception claire de la vie consacrée, à partir « des conseils évangéliques [9] ». Au cours des dernières décennies ont surgi de nouvelles formes de vie consacrée. Les charismes sont différents mais la nature du choix est sans changement : « Il n’y a qu’un seul appel à suivre Jésus chaste, pauvre et obéissant, dans la recherche de la sainteté parfaite [10] ».

Suivre le Christ, c’est se laisser saisir [11], se laisser configurer [12], se laisser identifier [13], se laisser façonner [14] pour devenir jour après jour « christiforme [15] ». La vie consacrée est ainsi un signe authentique du Christ dans le monde. Il ne s’agit donc pas seulement de suivre le Christ de tout son cœur, en l’aimant mais encore de vivre comme lui. Cette vie est une « adhésion qui est configuration de toute l’existence au Christ, dans une orientation radicale qui anticipe la perfection eschatologique [16] ».

La vie consacrée est conduite par l’Esprit Saint

L’Esprit Saint est mentionné cent quinze fois dans le texte de l’exhortation : n’est-ce pas un signe de son importance dans la vie consacrée ? Le jour de Pâques, Jésus disait à ses disciples : « Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20, 22). En nous communiquant son Esprit, le Christ entre dans notre vie, afin que chacun d’entre nous puisse dire comme saint Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20).

L’Esprit Saint est la source de la vie consacrée dans l’Église [17]. Si l’homme est docile à se laisser guider par l’Esprit, il devient le sacrifice qui plaît à Dieu. Toute la vie du Christ est conduite par l’Esprit. La vie de la personne consacrée à Dieu doit l’être aussi. C’est dans l’Esprit que la personne consacrée se donne totalement à Dieu et à ses frères [18]. De plus, l’action de l’Esprit Saint se manifeste dans les fondateurs qui ont suscité dans l’Église de nouvelles formes de vie consacrée pour répondre aux besoins de leur temps. Cette variété des charismes exprime la diversité de l’œuvre de l’Esprit.

Le don de soi à Dieu par les vœux

Les conseils évangéliques sont des dons de la Trinité. Remarquons que chaque conseil évangélique confesse un aspect de la vie trinitaire envisagée dans son ensemble. Jésus a vécu la chasteté, la pauvreté et l’obéissance durant sa vie terrestre. Il a vécu le don de soi au Père et à tous les hommes. A leur tour et à cette mesure divine, les personnes consacrées se donnent dans la chasteté, la pauvreté et l’obéissance.

La chasteté, un don de soi à Dieu

La chasteté est une grâce de Dieu pour ceux qui sont choisis en vue du Royaume des cieux [19]. Elle s’épanouit dans l’amour trinitaire, prend la forme de la continence et s’exprime dans l’amour du prochain. A cause du Royaume des deux, les personnes consacrées s’engagent à conserver la continence parfaite dans le célibat. Ce vœu concerne des données fondamentales de la vie humaine. Puisque l’homme est un être de relation, un être sexué, il a besoin d’exprimer et de recevoir de l’affection. Il a besoin d’être aimé et d’aimer. Par le vœu de chasteté la personne consacrée se donne totalement à Dieu. Elle renonce à une forme de l’amour humain, à la satisfaction légitime de certains désirs, et des pulsions sexuelles ordinaires de la vie matrimoniale. Elle renonce au droit à la paternité ou à la maternité. Elle promet à Dieu de ne jamais exercer son droit à l’acte procréateur en vue de se consacrer totalement à Lui. La continence dans la chasteté est donc comme un don éminent de la grâce qui permet aux personnes consacrées de s’unir plus facilement à Dieu. C’est pourquoi la chasteté du célibat n’est pas d’abord une ascèse pénible contre la nature humaine. Mais elle manifeste « le don à Dieu d’un cœur sans partage [20] ». Elle est donc une affaire d’amour et de don de soi.

La chasteté aide la personne consacrée à grandir dans la relation avec autrui. Cette relation est au-delà du sentiment, des affects et des intérêts. L’autre est aimé pour lui-même. Cet amour est donc généreux, oblatif et non possessif puisqu’il reflète l’amour trinitaire. En effet, un « amour infini relie les trois Personnes divines dans la profondeur mystérieuse de la vie trinitaire ; amour dont témoigne le Verbe incarné jusqu’au don de sa vie ; amour « répandu en nos cœurs par l’Esprit Saint » (Rm 5, 5), qui pousse à une réponse d’amour total pour Dieu et pour les frères [21] ». La relation à autrui n’est pure que dans le don de soi parce que l’homme est créé à l’image d’un Dieu qui se « dit » comme Amour offert.

La chasteté purifie le cœur des personnes consacrées. Elle les dispose à la contemplation et elle leur fait entretenir avec tous des relations limpides et porteuses de salut. De par son union avec le Christ, la personne consacrée ne se referme pas sur elle-même. Au contraire elle s’ouvre aux autres par une affection vraie et par une solide amitié.

La persévérance dans la fidélité au Christ par le vœu de chasteté, nécessite une attitude d’humilité et de pauvreté. Cherchons à comprendre combien cette pauvreté est aussi un don de soi à Dieu.

La pauvreté, l’imitation de Jésus pauvre, par amour de Lui

La pauvreté est un appel du Christ qui retentit avec force dans l’évangile. Jésus a dit : « En vérité, je vous le dis, il sera difficile à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu » (Mt 19,23) .

La richesse est-elle mauvaise ? Dans l’Ancien Testament n’est-elle pas une bénédiction de Dieu ? Comment comprendre l’enseignement de Jésus ? Quelle est la vraie richesse de l’homme ? De quelle pauvreté s’agit-il ? Il faut constater qu’il n’est pas facile de parler de la pauvreté [22]. Que dit-elle d’elle-même à la lumière du mystère Trinitaire ?

Dans son exhortation, Jean-Paul II s’exprime ainsi :

La pauvreté devient une expression du don total de soi que se font mutuellement les trois Personnes divines. C’est un don qui se répand dans la création et se manifeste pleinement dans l’Incarnation du Verbe et dans sa mort rédemptrice .

Ce vœu a un sens quand nous le posons dans la perspective de la création. L’homme est ordonné à Dieu, il est créé par amour. Dieu est l’unique richesse. Il est le seul Bien que l’homme doive posséder et sur lequel il puisse compter. Le vœu de pauvreté ne correspond donc pas à un mépris de la richesse mais à un appel à une dépossession volontaire de soi-même pour ne s’appuyer que sur Dieu.

Pour suivre le Christ, la personne consacrée doit être dépouillée et devenir le serviteur d’autrui. Elle met sa confiance totalement en Dieu comme le Christ qui s’est abaissé lui-même pour adhérer pleinement à la volonté salvifique du Père. C’est dans l’Esprit Saint que la personne consacrée peut vivre dans la pauvreté spirituelle et de fait.

L’obéissance, un don de soi

L’obéissance de la vie consacrée se fonde sur l’obéissance du Christ. Il a fait la volonté de son Père, et a donné sa vie jusqu’à la mort sur la croix. C’est le don total et parfait qu’il offre au Père pour le salut des hommes :

L’obéissance religieuse, pratiquée à l’imitation du Christ, dont la nourriture était de faire la volonté du Père (cf. Jn 4, 34), manifeste une beauté libérante d’une dépendance filiale et non servile, qui est reflet dans l’histoire de la correspondance dans l’amour des trois Personnes divines.

Elle n’est donc pas une fuite des responsabilités, mais au contraire elle est un engagement de toute la personne qui la confesse. Elle est animée par une confiance réciproque et exprime une attitude d’écoute respectueuse des autres dans le respect et une recherche assidue et commune de la volonté de Dieu. L’obéissance est ordonnée à la charité. Elle peut donner à penser qu’elle compromet la liberté et la dignité de la personne. Elle doit démontrer au contraire qu’elle est « une voie de conquête progressive de la vraie liberté [23] ».

Le vœu d’obéissance a une dimension communautaire. C’est dans la vie fraternelle qu’il s’exerce. En effet, par l’obéissance, la personne consacrée devient un don total pour Dieu à travers la mission qui lui est confiée.

La vie consacrée révèle la structure sponsale de l’être humain

La vie consacrée est-elle un renoncement à cette vocation essentielle de toute personne à être image de Dieu « Homme et femme il les créa, mâle et femelle » (Gn 1, 27) ? Au contraire, ne parvient-elle pas à mettre en lumière d’une façon particulière la structure sponsale de l’être humain ? Le père Alain Mattheeuws dit :

Il y a deux modes d’exercer et de vivre la sexualité, Ces deux modes se fondent sur le même mystère qu’est l’homme comme être de don dans sa personne unifiée. Le mystère chrétien de la sexualité se vit et se reconnaît dans la sacramentalité du mariage, mais aussi dans la virginité consacrée, dans la consécration du célibat .

La personne consacrée épouse du Christ

Dans la Bible, l’amour sponsal est premier et fonde l’amour parental. Dès le premier chapitre de la Genèse, Dieu nous est présenté comme un être de dialogue dont le couple est l’image. Ce couple, dans la reconnaissance mutuelle et l’action de grâce, est appelé à une communion totale dans l’amour : « Tous deux ne feront plus qu’une seule chair » (cf. Gn 2, 23-24). La richesse de cet amour sponsal, malgré et à travers les vicissitudes de la condition humaine pécheresse, va peu à peu être révélée. Dans l’Ancien Testament, Dieu se révèle bien plus comme un Époux que comme un Père. Israël, comme peuple et individu, est l’épouse, comme dit Osée : « En ce jour-là, oracle de Yahvé, elle m’appellera : “Mon mari”, elle ne m’appellera plus : “Mon baal” (Os 2, 18).

Dans le Nouveau Testament, la figure du Dieu-Époux se transforme et s’incarne dans la personne même du Christ. La relation s’explicite désormais : « Christ-Époux, Église-Épouse ». Du côté du Christ, nouvel Adam endormi sur la Croix, naît l’Église, son Épouse. En effet, l’Église est l’Épouse du Christ comme le dit saint Paul : « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église : il s’est livré pour elle » (Ep 5, 25).

Dans cette lumière est dévoilée la profondeur de l’amour sponsal : le mariage trouve sa fécondité sacramentelle dans l’eau et le sang qui jaillissent du côté du Christ.

La vie consacrée consiste à suivre le Christ dans tous les mystères de sa vie. Elle exprime de façon privilégiée la relation sponsale entre le Christ et l’Église en épousant le Christ et son mode de vie : « Il ne s’agit pas d’épouser une cause, mais une Personne, celle de Jésus Christ ressuscité [24]. » L’amour sponsal entre la personne consacrée et le Christ doit se comprendre dans et par l’Église. Par les vœux, la personne consacrée exprime un esprit de don total au Christ et à l’Église selon le charisme spécifique de son Institut. Elle choisit la vie de célibat pour vivre avec le Christ, comme le souligne Jean-Paul II :

Les personnes qui ont consacré leur vie au Christ ne peuvent que vivre dans le désir de Le rencontrer, pour parvenir à être avec Lui pour toujours. De là, l’attente ardente, de là, le désir de « se plonger dans le Foyer d’amour qui brûle en elles, et qui n’est autre que l’Esprit Saint », attente et désir soutenus par les dons que le Seigneur accorde librement à ceux qui recherchent les choses d’en haut(cf. Col 3,1).

La dimension sponsale de la vie consacrée est symbolisée corporellement de manière plus aisée pour les femmes que pour les hommes : « Dans cette dimension sponsale, propre à toute la vie consacrée, c’est surtout la femme qui se retrouve spécialement elle-même, y découvrant en quelque sorte la valeur propre de sa relation avec le Seigneur [25] ». Surtout « la vie monastique féminine est un signe de l’union exclusive de l’Église-Épouse avec son Seigneur, aimé par-dessus tout... Grâce à leur exemple, ce genre de vie connaît encore de nombreuses vocations, attirées par la radicalité d’une existence “sponsale” totalement consacrée à Dieu dans la contemplation [26] ».

La femme est celle qui se donne à ceux qui en ont besoin sans demander la réciprocité charnelle en retour, que ce soit celle du mari ou des enfants. Elle manifeste la splendeur possible d’un don que n’oblitèrent pas toujours les tiraillements de la sensualité. C’est pourquoi pour la femme se manifeste souvent le resplendissement, la fraîcheur et la paix qu’apporte une vie rendue féconde par la chasteté parfaite. Cette continence dans la chasteté est une grâce écrit le père Alain Mattheeuws :

La chasteté du célibat ne se vit pas par hasard ou par bonne volonté seulement ; elle se vit comme don de la grâce et comme le fruit d’un travail réfléchi de l’intelligence et de la volonté dans la conduite de sa vie .

Dans l’amour conjugal, l’enfant est le fruit de l’amour passionné entre l’homme et la femme. La question se pose : quel est le fruit de l’amour consacré ?

La fécondité spirituelle de la vie consacrée

En général, la fécondité dans la vie humaine comprend la transmission de la vie par l’engendrement d’un autre être humain. La vie consacrée manifeste l’amour total pour Dieu et pour les hommes à travers la solitude-communion et la continence. Quelle est donc sa fécondité spirituelle ?

Dieu est Amour. Cet amour est fécond dans la communion des trois Personnes divines. Dans cet amour, Dieu engendre et crée tout ce qui existe. De manière analogique, une vie de chasteté parfaite a une fécondité particulière :

Si le Christ appelle des hommes et des femmes à tout quitter pour le suivre et annoncer l’évangile, c’est pour leur offrir un autre type de fécondité spirituelle. Pour les hommes, comme dit saint Paul : « C’est moi qui vous ai engendrés dans le Christ Jésus » (1 Co 4, 15). Pour les femmes, en renonçant aux joies de la maternité, elles seront amenées à une autre fécondité. Femme apparemment stérile sur terre, elle se découvrira dans le paradis « mère heureuse au milieu de ses fils » (Ps 113,9) .

De même, souligne Jean-Paul II dans Vita consecrata :

De cet amour virginal résulte une fécondité particulière, qui contribue à la naissance et à la croissance de la vie divine dans les cœurs. La personne consacrée, sur les traces de Marie, réalise sa fécondité spirituelle en se faisant accueillante à la Parole, pour coopérer à la construction de l’humanité nouvelle par son dévouement inconditionnel et par son vivant témoignage .

C’est pourquoi, la fécondité de la vie consacrée s’exprime par la vie fraternelle qui s’enracine dans l’amour trinitaire. Le consacré s’engage à pratiquer le commandement du Christ : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres » (Jn 13, 34).

Car la personne consacrée met en premier lieu la perspective du don de soi au prochain dans l’Église : « Aucun religieux n’envisagera son état de perfection comme le repliant sur son individualité [27]. »

Il n’y a pas d’expérience possible du mystère trinitaire en dehors de l’expérience de la charité fraternelle.

Plus encore, la chasteté de la vie consacrée est source de fécondité apostolique. En particulier, la vocation de la femme peut s’accomplir au service des autres dans une joie profonde et sereine, ainsi qu’à travers une large disponibilité dans le don de soi et l’accueil de tous. Il faut pour cela que, dans la communauté fraternelle à laquelle la chasteté intègre la personne consacrée par un lien plus étroit, s’épanouissent une affection vraie et une solide amitié. Dans une vie de chasteté, les personnes consacrées s’unissent au Christ. Les femmes manifestent une tendresse maternelle toute spéciale, les hommes un amour paternel en suivant comme modèle l’amour de Dieu. Par le vœu de chasteté, les personnes consacrées aiment Dieu au-dessus de tout et toute créature avec la liberté même que Dieu leur accorde.

La fécondité spirituelle s’exprime dans une autre dimension : celle des vocations. En ce moment, de nombreux Instituts n’ont pas de vocations. Ne doivent-ils pas s’interroger sur leur façon de vivre, de témoigner et de produire du fruit selon leurs charismes ? Si la vie consacrée n’est pas féconde, elle ne pourra pas subsister [28] ». La fécondité spirituelle demande donc la responsabilité de chacun et de chacune dans la promotion des vocations.

Le propos de la vie chaste ouvre donc le cœur à des nouvelles qualités de relations empreintes d’humanité et d’évangile tant dans la vie commune qu’avec le monde extérieur.

La fidélité dans la vie consacrée

La fidélité est l’un des points les plus importants dans la vie du mariage, selon la parole même de Jésus : « Ainsi l’homme et la femme ne sont plus deux, mais une seule chair. Eh bien ! ce que Dieu a uni, l’homme ne doit pas le séparer » (Mt 19, 6).

La fidélité est aussi importante pour la vie consacrée. Il faut affirmer que pour rester dans la fidélité de l’alliance avec Dieu, une condition est indispensable : « la maîtrise de soi ». Elle est le signe d’une liberté capable de dépasser les nombreux conditionnements de son exercice. Elle est une œuvre de longue haleine. Jamais on ne la considérera comme acquise une fois pour toutes. Elle suppose un effort repris à tous les âges de la vie.

La fidélité dans la vie consacrée s’exprime avant tout dans « la fidélité au charisme fondateur et au patrimoine spirituel ensuite constitué dans chaque Institut ». De plus, « cette fidélité à l’inspiration des fondateurs et des fondatrices, don de l’Esprit Saint, permet précisément de retrouver et de revivre avec ferveur les éléments essentiels de la vie consacrée [29] ». Nous savons que l’Église a toujours vu dans la profession des conseils évangéliques une voie privilégiée vers la sainteté. La fidélité est ainsi « un appel à persévérer sur la voie de sainteté, à travers les difficultés matérielles et spirituelles rencontrées dans les vicissitudes quotidiennes [30] ». La nature de l’homme est historique. Il existe et advient à lui-même à travers le temps et les passages spécifiques de sa vie.

Aussi, le don de soi est-il exprimé dans l’instant d’une promesse mais devient ce qu’il est dans la durée des jours, au long des différentes étapes et âges de la vie. Mentionnons le rôle important de la formation initiale qui pose les fondements de l’être de la personne consacrée et lui permet d’être fidèle à l’alliance divine.

La fidélité dans la vie consacrée se nourrit de la prière. Jean-Paul II souligne :

L’appel à la sainteté ne peut être entendu et suivi que dans le silence de l’adoration devant la transcendance infinie de Dieu. Dans la pratique, cela suppose une grande fidélité à la prière liturgique et personnelle, aux temps consacrés à l’oraison mentale et à la contemplation, à l’adoration eucharistique, aux retraites mensuelles et aux exercices spirituels .

Cependant, n’oublions pas que la fidélité demande aussi les moyens de l’ascèse. C’est l’ascèse qui aide la personne consacrée à « dominer et à corriger les tendances de la nature humaine blessée par le péché [31] ». L’ascèse est nécessaire au vœu de chasteté [32] .

Conclusion

« Femmes et hommes consacrés, vivez pleinement votre offrande à Dieu, pour que ce monde ne soit pas privé d’un rayon de la beauté divine qui illumine la route de l’existence humaine. Les chrétiens, plongés dans les occupations et les soucis du monde, mais appelés, eux aussi, à la sainteté, ont besoin de trouver en vous des cœurs purifiés qui voient Dieu dans la foi, des personnes dociles à l’action de l’Esprit Saint, qui marchent allégrement, fidèles au charisme de leur vocation et de leur mission... Les hommes de notre temps veulent voir dans les personnes consacrées la joie qu’ils ressentent en étant avec le Seigneur [33]. » Dans l’exhortation Vita Consecrata, Jean-Paul II montre que la vie consacrée est une Confession Trinitaire. Toute vie consacrée s’enracine précisément dans cet amour trinitaire. A partir de l’évangile de la Transfiguration du Christ selon saint Matthieu, le pape insiste sur la configuration du consacré à chacune des Personnes divines, avec une attention particulière à l’œuvre de l’Esprit Saint. La vie consacrée est sequela Christi, donc signe dans et pour le monde.

La Vierge Marie, par exemple, aide les personnes consacrées à vivre dans la fidélité à leur vocation. Le chemin où la Vierge Marie a vécu dans la foi est aussi le chemin de celui qui veut se consacrer à Dieu dans la foi, l’espérance et la charité.

Sœur Anna nous vient du Viet Nam. En France depuis cinq ans, elle poursuit sa formation au Studium Notre-Dame à Paris.

[1Lumen Gentium n° 44.

[2Mt 5, 48.

[3Vita consecrata n° 1.

[4Ibid., n° 20.

[5Jn 15, 17.

[6Vita consecrata n° 14.

[7Ibid., n° 17.

[8« Répondre oui à l’appel du Seigneur en s’engageant personnellement dans la maturation progressive de sa vocation, cela relève de la responsabilité inaliénable de ceux qui sont appelés, qui doivent ouvrir leur propre vie à l’action de l’Esprit Saint » (Ibid., n° 65).

[9Perfectoe caritatis, n° 1.

[10Ibid., n° 12.

[11Ibid., nos 18 § 2.

[12Ibid., nos 16, 18, 19, 70.

[13Ibid., n° 8.

[14Ibid., n° 70.

[15Ibid., n° 19.

[16Ibid., n° 25.

[17« La contemplation du Christ crucifié est une source d’inspiration pour toutes les vocations ; par le don fondamental de l’Esprit, elle est à l’origine de tous les dons et, en particulier, du don de la vie consacrée » (Ibid., n° 23 § 2).

[18« Il est donc nécessaire d’ouvrir son âme aux suggestions intérieures de l’Esprit, qui invite à saisir en profondeur les desseins de la Providence. L’Esprit appelle la vie consacrée à élaborer de nouvelles réponses aux problèmes nouveaux du monde d’aujourd’hui. Ce sont des appels de Dieu que seules des âmes habituées à chercher en tout la volonté de Dieu savent recevoir avec fidélité puis traduire avec courage par des choix qui s’accordent avec le charisme originel et avec les exigences de la situation historique concrète » (Ibid., n° 73).

[19« Il y a, en effet, des eunuques qui sont nés ainsi du sein de leur mère, il y a des eunuques qui le sont devenus par l’action des hommes et il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels en vue du Royaume des Cieux. Comprenne qui pourra » (Mt 19, 22).

[20Cf. 1 Co 7, 32-34.

[21Vita consecrata, n° 21, p. 26.

[22« La pauvreté est le vœu pour lequel il est le plus difficile de trouver des mots qui sonnent juste, et ceci pour deux raisons : les frères et les sœurs qui ont connu au plus près la pauvreté réelle sont souvent les plus réticents à en parler. Ils savent combien est purement rhétorique une bonne part de ce que nous disons sur la pauvreté et sur l’option pour les pauvres. Une deuxième raison pour laquelle il est si difficile d’écrire sur la pauvreté, c’est ce que signifie “être pauvre” varie tellement d’une société à l’autre, dépend beaucoup de la nature des liens familiaux, du modèle économique, des dispositions sociales de l’État » (Timothy Radcliffe, « Donner sa vie pour la mission », Lettre de l’Ordre, p. 72).

[23Ibid., n° 91.

[24A. Mattheeuws, « Le célibat pour le Royaume », p. 109.

[25Id., n° 34.

[26Ibid., n° 59.

[27C. Dumont, « Spiritualité de religieux et de prêtres séculiers », VC, 1992, n° 6, p. 354.

[28Cf. A. Mattheeuws, « Vocation ? Fécondité et stérilité de la vie consacrée », VC nos 1-2, 1998-1/2, 100-113.

[29Vita consecrata, n° 36.

[30Ibid., n° 37.

[31Id.

[32« Il n’est pas possible de se laisser aller à n’importe quel sentiment sans que soit mise en branle toute l’affectivité par laquelle l’être humain se rend disponible à autrui, en particulier pour répondre à l’appel de la vie qui se renouvelle à travers l’humanité. L’affectivité et ses émotions doivent être rationnellement maîtrisées, ordonnées, offertes. Qu’il s’agisse de la disponibilité à autrui dans la vie commune et ses services, dans le temps à donner, dans le souci de la joie d’autrui, tout un apprentissage de la sortie de soi s’opère jour après jour en fonction des choix et de la discipline affective consentie. Dans tout amour, il y a un exode de soi » (A. Mattheeuws, « Le célibat pour le Royaume », le célibat est une tâche, p. 13)

[33Vita consecrata, n° 109.

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