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Ermites et ermitages

Autour de la fondation d’un ermitage paroissial de village

Anne Bamberg

N°2003-3-4 Mai 2003

| P. 234-246 |

L’article « Ermite reconnu par l’Église », paru dans VC 2002/2, se terminait (dans la notice présentant l’auteur), par l’évocation du projet de fondation de l’ermitage paroissial Saint-Léon ix (La Hoube, Dabo, France). Voilà ce projet réalisé. C’est donc la description de cette fondation, qui nous est proposée ici. Mais à travers les prescriptions canoniques et les directives administratives (un peu particulières dans un diocèse concordataire) qui entourent cette entreprise, c’est surtout l’esprit qui préside à cette « aventure » qu’il nous est donné de percevoir. Particulièrement intéressante est l’idée architecturale de ménager deux espaces de vie distincts permettant deux formes de retraite : laSolitude et laCellule de l’ermite et favorisant une occupation différenciée de ce qui constitue la fondation pieuse Ermitage Saint-Léon ix . Une abondante bibliographie en note apporte de surcroît les indications nécessaires à la poursuite de la réflexion sur ce sujet sensible en notre temps de « recherche d’intériorité ».

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Un jour, l’idée jaillit comme un éclair. Il suffit d’inverser l’entrée et on peut dégager un espace pour un ermite ! Quelques semaines auparavant, la terrible tempête de la fin du siècle venait d’endommager vilainement les vieilles dépendances du presbytère. Elles menaçaient de s’écrouler. Il fut alors décidé de rénover, transformant buanderie, écurie, poulailler... en garages. Tout fut là : les garages auraient leur entrée côté presbytère, l’ermitage côté jardin ! L’idée de fonder un ermitage dans ce village à habitat très dispersé dans une grande clairière de la forêt vosgienne aux confins de l’Alsace et de la Moselle [1] était vraiment enthousiasmante. Les dons ne tardèrent pas à arriver, tant en argent qu’en travail [2]. Et l’Ermitage Saint-Léon ix était prêt en juin 2002, pour la commémoration du millénaire de la naissance du bon pape [3]. Il s’agit d’un ermitage de village qui a la forme canonique d’une fondation pieuse non autonome, structure juridique originale autour de laquelle il me plaît de livrer quelques éléments de réflexion-témoignage tout en situant la notion d’ermitage d’un point de vue canonique et spirituel.

Ermitage, ermitage

« Le nom d’ermitage, dérivé d’ eremus, « désert », convient proprement aux sites solitaires habités par des ermites », écrivait au milieu du xxe siècle Dom Pierre Doyère [4]. Le désert continue depuis le temps des Pères et Mères du désert à attirer ermites, pèlerins solitaires, chercheurs d’absolu. Si le désert était très tôt devenu une cité [5] parce que les solitaires le peuplaient en nombre, de nos jours il fascine au point que des agences de voyage le mettent à l’affiche, promesse de spiritualité comprise. D’un autre côté, de nombreux ermites cherchent leur désert précisément dans les cités [6], sites solitaires s’il en est ! Bien sûr, il y a toujours des habitats d’ermites dans les montagnes, les forêts, les îles... mais n’allons pas trop les chercher dans les grottes et les ravins en suivant les clichés d’ermites ou la vision idyllique de leur habitat marqués par la littérature et l’iconographie [7].

L’ermitage, comme l’ermite, est toujours au singulier. Il est souvent original, quelquefois construit des mains mêmes de l’ermite. Il prend diverses formes en fonction du lieu, du temps, des moyens disponibles. Parfois il est visible, parfois il se confond avec son entourage. Généralement, il est isolé, mais certains ermitages sont regroupés en colonies semi-érémitiques [8]. Il y a ainsi des ermitages qui ont été réalisés à dessein pour accueillir des ermites et il y a des lieux qui sont devenus des ermitages du fait de la présence d’un ermite [9] : églises désaffectées, vieux moulins, phares... De plus en plus nombreux sont les ermites, solitaires au milieu de la foule, qui prennent pour demeure un modeste logement de cité urbaine [10]. Il existe aussi des ermites, sortes de nouvelles recluses, vivant « dans le clocher d’une basilique » ou « sous les combles d’une cathédrale, dans des conditions de sécurité et d’ incognito désirables [11] ». La diversité d’ermitages est très riche. Il en existe autant que d’ermites, sans compter que certains ermites ont deux lieux de retraite, habitant, selon la saison par exemple, l’ermitage d’été en très haute altitude ou l’ermitage d’hiver plus proche des lieux habités.

Comme le dit Dom Doyère [12], on continue à donner « le nom d’ermitage à la demeure du solitaire ». Et de nos jours encore « le nom d’ermitage évoque peut-être moins l’habitation de l’ermite que la chapelle de pèlerinage » attenante. Si la notion d’ermitage se retrouve aussi dans le langage courant pour désigner la « maison de campagne retirée » [13] ou l’atelier solitaire du poète ou de l’artiste peintre, si elle suggère chez nos contemporains quelquefois plutôt tel ou tel grand cru ou le relais gourmand, hôtel silence en vogue, elle ne fait en tout cas pas partie des choses ayant retenu l’attention du droit canonique. Le législateur universel, très sobre en ce qui regarde les ermites [14], s’est bien gardé de prévoir quelque norme pour les ermitages [15]. Il n’est aucunement dans ses préoccupations de déterminer quel lieu peut être considéré comme ermitage « catholique ». Et pourtant, il peut encore de nos jours se créer du droit canonique autour d’un ermitage ; nous en examinerons un exemple qui recouvre à lui seul deux conceptions possibles de vie silencieuse et solitaire vouée à la prière.

La fondation pieuse Ermitage Saint-Léon ix

La fondation pieuse Ermitage Saint-Léon ix se situe dans le diocèse de Metz, l’un des deux diocèses concordataires de l’Est de la France. Bien que les fondations soient classiques, tant en droit canonique qu’en droit concordataire, et tout aussi concevables en régime de séparation de l’Église et de l’Etat, il s’agit d’une configuration juridique rarement mise en œuvre de nos jours et qui a eu la chance de bénéficier des compétences d’un spécialiste en la matière. Mais avant de parler de l’intérêt de cette structure juridique – une fondation pieuse non autonome – voyons comment se présente l’Ermitage Saint-Léon ix.

« C’est comme une petite maison de chartreux ! » avait dit l’évêque lors de sa première visite de l’ermitage en construction. Et c’est bien vrai que saint Bruno, mort un siècle après la naissance de Brunon, le futur Léon ix, était souvent sur les lèvres de fondateurs attirés par ce grand saint, écolâtre à moult déboires avec une hiérarchie assoiffée de pouvoir et d’argent, qui avait été poussé « dans l’écoute patiente de l’Esprit, à inventer avec ses premiers compagnons un style de vie érémitique, où tout favorise la réponse à l’appel du Christ [16] ». Les doux moments passés dans les cellules amoureusement restaurées de l’ancienne Chartreuse de Molsheim ont fini par affiner les plans pour trouver une place tant à un laboratorium de plain-pied avec le jardin qu’à un lectorium-oratorium situé à l’étage et réservant un très joli lieu à la présence du très saint sacrement. L’entrée de cet espace appelé Cellule de l’ermite se situe dans le jardin sous un auvent faisant fonction de petit cloître, utile aux jours de vent et de pluie interdisant les promenades méditatives dans l’attenant bosquet sainte Hildegarde. Le pays est rude, non seulement par le climat [17], certes vivifiant aux beaux jours et favorisant quelques convalescences, mais encore par l’incroyance qui y progresse et qui constitue une des raisons qu’avaient les fondateurs de poser un signe fort de foi en ce début du troisième millénaire [18].

Comme il restait quelques mètres carrés dans les combles au-dessus des garages les fondateurs ont investi dans une isolation acoustique très poussée et ont dessiné cet endroit n’ayant que deux petites fenêtres dans le toit et une porte vitrée ouvrant vers un large horizon à un lieu de retraite silencieuse pour un court séjour solitaire. On l’appelle Solitude et on y accède par un escalier extérieur très raide, fixé sur la façade nord-est appelé petite échelle de Jacob. La Solitude est totalement séparée de l’espace de vie de l’ermite, mais constitue avec la Cellule de l’ermite la fondation pieuse Ermitage Saint-Léon ix.

Statutairement et financièrement, la fondation pieuse Ermitage Saint-Léon ix est liée au Conseil de Fabrique de La Hoube, paroisse du pays de Dabo, dans le diocèse de Metz [19]. C’est à cause de ce lien que je l’appelle ermitage paroissial mais de fait il résulte de la volonté d’une communauté chrétienne œcuménique et élargie intégrant plusieurs protestants, dont le maître d’œuvre du chantier [20], et des personnes amies venant parfois de loin.

Entrée de la Cellule de l’ermite.(Dessin par Christine Brachet)

Entrée de la Solitude.(Dessin par Christine Brachet)

Même si les cas de figure demeurent rares, les fondations font partie intégrante du système concordataire alsacien-mosellan et relèvent de l’article 15 de la Convention entre le Gouvernement français et Sa Sainteté Pie vii échangée le 23 fructidor an ix (10 septembre 1801) intégrée dans la loi relative à l’organisation des cultes du 18 germinal an x (8 avril 1802) [21]. Du point de vue du droit canonique, cette fondation relève simplement du canon 1303 § 1, 2° du code de droit canonique promulgué en 1983 [22]. C’est ainsi que « la fondation pieuse appelée Ermitage Saint-Léon ix est une fondation pieuse non autonome rattachée au Conseil de Fabrique de La Hoube, personne juridique publique [23] ». La fondation elle-même n’a donc pas de personnalité juridique autonome et ses statuts correspondent à un règlement intérieur. C’est à dessein que cette forme juridique fut choisie, les fondateurs voulant garantir au mieux leurs volontés et se prémunir contre d’éventuelles dérives sectaires, ce qui n’eût pas été possible en optant pour un support juridique associatif. En effet, « ce type d’ermitage est une proie toute désignée pour une secte. Des membres d’une secte pourraient facilement en quelques années s’assurer une majorité dans une assemblée générale d’une association. C’est pour cette raison que les statuts de la pieuse fondation non seulement laissent à l’évêque tous les pouvoirs prévus en l’espèce par le droit général, mais les renforcent encore par le droit particulier [24] ».

Selon l’article 5 § 1 de ses statuts, la fondation est « gérée spirituellement et matériellement par un Conseil de l’Ermitage » dont deux membres sont désignés par le Conseil de Fabrique de la Hoube. Le président ou la présidente du Conseil de Fabrique participe aux réunions du Conseil de l’Ermitage. Suivant l’article 6 § 4 des statuts, le trésorier du Conseil de Fabrique tient lieu de réviseur aux comptes des comptes propres à la fondation. Ces derniers sont approuvés par le Conseil de Fabrique et le budget de la fondation lui est soumis pour examen. Liée au Conseil de Fabrique, la fondation pieuse est aussi liée aux autorités de tutelle. A travers ces dispositions concernant le patrimoine de la fondation, le Conseil de Fabrique devient garant de la volonté des fondateurs.

Les fondateurs ont voulu s’assurer que les droits de l’Église catholique seront toujours respectés. Sur les sept membres du Conseil de l’Ermitage, « quatre au moins dont le (la) président(e) doivent être fidèles de l’Église catholique romaine » dit l’article 5 § 2 des statuts, précisant en outre qu’une personne qui n’appartiendrait pas « à une confession chrétienne membre du Conseil œcuménique des Églises ou en relation, dans un dialogue œcuménique, avec le Saint-Siège » ne pourrait en être membre « qu’avec l’autorisation écrite de l’évêque de Metz [25] » L’article 5 § 6c prévoit encore que « le (la) président(e) présente à l’évêque de Metz un rapport annuel sur l’Ermitage Saint-Léon ix, qui intégrera également des explications sommaires concernant les comptes et le budget prévisionnel ». De la sorte, l’évêque de Metz devrait toujours être en mesure de veiller sur la fondation pieuse.

Dès les premières démarches de sa création, l’Ermitage Saint-Léon ix a dû faire face à de nombreuses incompréhensions, difficultés, attaques même, ce qui a poussé les fondateurs à une réflexion approfondie tant autour de la vie d’ermite et de son statut juridique qu’à propos des garanties dont il fallait entourer la pieuse fondation. On lira ainsi à l’article 3 § 2 des statuts que la gestion de la fondation est assurée selon lesdits statuts [26] et « conformément aux canons 113 à 123, 192 à 195, 208 à 231 et 1254 à 1310 avec une attention particulière aux canons 114 § 2, 214, 219, 220, 1267 § 3, 1281 § 3, 1285, 1287, 1289, 1446 § 1 ». Par ces canons explicitement relevés, la volonté des fondateurs s’exprime clairement en ce qui regarde la gestion de ce patrimoine. Elle est aussi explicite en ce qui concerne le mode de gestion d’éventuels conflits. La prière pour la paix « dans nos cœurs, dans nos familles, dans nos villages » constituant une des volontés des fondateurs il semblait normal de rappeler le fameux canon 1446 § 1 [27], trop souvent oublié, préconisant la résolution pacifique des conflits. Il est cité à l’article 3 § 4 précisant que « les recours se feront auprès de l’évêque de Metz et conformément au droit canonique, après mise en œuvre du canon 1446 § 1 ». La volonté des fondateurs est par ailleurs explicite en ce qui regarde les droits fondamentaux des fidèles, en l’occurrence de l’ermite. Si le canon 220 [28] a pour but de rappeler à quelques curieux ou mauvaises langues que l’Église reconnaît le droit à l’intimité et à la bonne réputation, la mention des canons 214 [29] et 219 [30] tient à rappeler la liberté de l’ermite dans le choix de son état de vie et de sa forme propre de vie spirituelle. Il est ainsi clair que personne ne peut être contraint de devenir ermite selon un schéma imposé, et les fondateurs, se rappelant ce que disait déjà Dom Pierre Doyère [31], ce pionnier du renouveau érémitique, sont décidés à ne pas se laisser influencer par les ragots de malveillants personnages :

Rare est déjà la qualité de foi nécessaire pour comprendre la vie cloîtrée et la place de l’effort de quelques-uns vers la prière pure dans l’économie secrète du salut universel : c’est dans le Christ Rédempteur que se rassemblent toutes les valeurs et lui seul leur donne leur vraie efficacité apostolique. A combien de blâmes, dès lors, s’expose l’ermite. Qu’importe ! La légitimité et la modalité des vocations religieuses appartiennent au seul vouloir de Dieu ; les verdicts de l’opinion publique n’ont rien à y voir.

L’ermitage de l’ermite

La personne qui souhaite être ermite à l’Ermitage Saint-Léon ix doit être une personne libre et consciente du choix qu’elle a fait de mener sa vie érémitique dans cet ermitage. Elle doit donc adhérer aux volontés des fondateurs qui s’expriment à travers les statuts de la fondation pieuse et dont l’article premier précise :

Les fondateurs et fondatrices veulent promouvoir la vie érémitique et les valeurs spirituelles qui y sont attachées telles qu’elles sont présentées au canon 603 § 1 du Code de droit canonique et aux nos 920-921 du Catéchisme de l’Église catholique de 199233. Les fondateurs et fondatrices veulent en particulier que puissent être accueillies à La Hoube, pour de longs ou brefs séjours, des personnes désireuses de tendre vers l’idéal de vie érémitique tel que la tradition chrétienne le connaît depuis les Pères du désert. Ces personnes devront toujours pouvoir prendre en charge elles-mêmes leurs besoins matériels et leur couverture sociale et ne devront pas dépendre matériellement de la communauté des chrétiens de La Hoube.

Quelques aspects de la volonté des fondateurs sont également exprimés aux articles 2 § 3 , 6 § 6 , comme à l’article 8 des présents statuts et, dans ses lignes directrices, par le document Séjour érémitique à l’Ermitage Saint-Léon ix à La Hoube adopté à l’unanimité lors de la première réunion du Conseil de l’Ermitage Saint-Léon ix le 26 mai 2001.

Les Orientations générales adoptées par le Conseil de l’Ermitage le 26 mai 2001 et intitulées Séjour érémitique à l’Ermitage Saint-Léon ix à La Hoube précisent la volonté des fondateurs en ce qui regarde l’habitant de la Cellule de l’ermite [32]. Le Conseil de l’Ermitage se réserve le droit d’exiger un « programme de vie » avant d’accepter une candidature d’ermite. Sans être explicite et détaillé, ce texte devra prendre « en compte la spécificité de cet ermitage de village ». Le Conseil de l’Ermitage demande à l’ermite de s’engager « à la discrétion, à un mode de vie simple et frugal mené dans l’humilité » et de s’abstenir de « toute excentricité ». Il lui demande aussi d’ouvrir et de fermer « quotidiennement l’église de La Hoube en s’y arrêtant le matin comme le soir pour un temps de prière silencieuse », de « prier pour les fondateurs de l’Ermitage Saint-Léon ix et pour la communauté de La Hoube et ses intentions » et de participer « à la liturgie à l’église de La Hoube ». Par ailleurs il est demandé à l’ermite de pourvoir à sa propre subsistance et de veiller à l’entretien régulier de l’ermitage. Suivant ce texte, l’ermite ne sera normalement en contact qu’avec le Conseil de l’Ermitage qui joue un rôle d’interface avec le Conseil de Fabrique et qui le cas échéant crée un lien avec les éventuels supérieurs hiérarchiques de l’ermite. Lorsqu’un ermite « s’engage pour une longue durée, le Conseil de l’Ermitage Saint-Léon ix en informera l’évêque de Metz » et son « statut éventuel d’ermite diocésain dépendra de l’approbation par l’évêque de Metz ». Voilà les grandes lignes de ce qui, outre le droit général en vigueur, est précisé pour un ermite voulant vivre dans la Cellule de l’ermite de l’Ermitage Saint-Léon ix. Bien sûr, matériellement son ermitage lui est aussi imposé, mais spirituellement il aura l’avantage qu’en acceptant ce qu’il y a, il n’aura au moins pas à combattre l’orgueil d’avoir construit son propre ermitage !

L’ermitage est toujours lié à l’ermite. S’il n’est en rien adapté à son tempérament, à sa manière de vivre, à sa conception du silence et de la solitude, l’ermite ne pourra pas rester dans cet ermitage ; il prendra dès que possible la fuite. Mais ce n’est pas pour autant l’ermitage qui fera l’ermite. Ce n’est pas parce qu’il y a un lieu qui porte le nom d’ermitage que la personne qui y vit, même solitaire et silencieuse, est un ermite. L’ermitage demeure bien secondaire par rapport à la vie érémitique. Les fondateurs en sont conscients. Le vrai ermitage est bien celui de l’ermite, l’ermitage du cœur. Car c’est là, dans son désert intérieur [33], lieu de recueillement de la pensée, dans le sanctuaire du cœur, que se passe la vie érémitique. C’est là que « Dieu mendie sa demeure » et, comme le dit Sylvie Germain [34], « il mendie comme les plus pauvres parmi les pauvres, sans faire spectacle, sans haranguer et encore moins invectiver » et ce sera « du fond de ce sombre réduit qu’irradie la lumière, et sourd le chant de fin silence ». Sur cet ermitage les fondateurs n’ont rien à dire. En cas de nécessité, ils ne pourront que répéter les mots d’abba Moïse à l’ermite du désert de Scété : « Va, demeure dans ta cellule et ta cellule t’enseignera toutes choses [35]. » Comme l’ermite ils ne font qu’accueillir humblement le don de Dieu.

Anne Bamberg est née à Luxembourg en 1955. Docteur en Droit canonique de l’Université pontificale Grégorienne, avocate diplômée de la Rote romaine et Docteur d’Etat en théologie catholique, elle est maître de conférence à l’Université Marc Bloch à Strasbourg. A contribué au numéro de mars-avril 2002 de notre revue sous le titre « Ermite reconnu par l’Église. Le c. 603 du code canonique et la haute responsabilité de l’évêque diocésain ».

[1Deux cents maisons s’étalent entre 519 et 623 mètres d’altitude. La Hoube compte encore 258 habitants, mais seule une centaine de personnes, dont un tiers dépasse les soixante-dix ans, est encore présente au village.

[2Fin mars 2002, les dons s’élevaient à 31 000 euros, sans compter mobilier, sanitaires et carrelages et, selon une première estimation, à mille cinq cents heures de travail bénévole d’artisans spécialisés et expérimentés.

[3L’Ermitage Saint-Léon ix fut inauguré le 16 juin 2002 en présence de l’évêque de Metz, accompagné par l’archevêque de Strasbourg, chancelier de la faculté de théologie catholique. En effet, la prière pour cette institution fait partie des volontés expresses de plusieurs fondateurs, membres ou anciens membres et responsables de cette faculté qui ont apporté avec leurs familles et amis une grande part des dons en argent ; cette volonté est inscrite à l’art. 2 § 3 des statuts de la fondation pieuse ayant obtenu, en date du 10 juin 2002, conformément au canon 1304 § 1, l’autorisation de l’évêque de Metz, Mgr Pierre Raffin.

[4« Ermitages », in Catholicisme, t. 4, 1956, col. 391 ; il s’agit d’une demi-colonne suivie d’un long article « Ermites », col. 391-396, ce qui montre le peu d’intérêt qu’a l’habitat lui-même. Et, même si ailleurs dans l’article « Ermites » du Dictionnaire de droit canonique, t. 5, 1953, col. 412-429, l’auteur tente de décrire l’ermitage idéal comme « une très modeste maisonnette, soit dans la solitude d’un bois, soit au versant désert d’une montagne », col. 417, il ne consacre pas d’article particulier aux ermitages dans le dictionnaire dirigé par Raoul Naz.

[5Voir l’ouvrage classique The Deserta City dont la première édition en anglais date de 1966 : Derwas J. Chitty, Et le désert devint une cité. Une introduction à l’étude du monachisme égyptien et palestinien dans l’Empire chrétien, Bégrolles-en-Mauges, Abbaye de Bellefontaine, coll. « Spiritualité orientale » 31,1980, 424 p.

[6Voir par exemple Kenneth C. Russell, « Being a Hermit : Where and How ? », in Review for Religious, 60, 2001, p. 365-376, qui montre bien, p. 373, qu’il est plus facile de rester seul en ville que dans un village où l’on tient à intégrer l’ermite dans la communauté.

[7On a quelques images à portée de main dans la collection « Carnets de Sagesse » magnifiquement illustrée : Paroles d’ermites. Textes présentés et recueillis par Jean-Yves Leloup, Paris, Albin Michel, 2000, 53 p. Sur la figure type de l’ermite, voir Fabriciano Ferrero, « Eremitismo individuale in Occidente (dal sec. xv) », in Dizionario degli istituti di perfezione, t. 3,1976, col. 1245-1258, en particulier col. 1256-1257.

[8Voir par exemple sur le modèle des chartreux l’Ermitage Saint-Bruno, à Parisot, présenté par Ange Helly dans Petite vie de saint Bruno, Paris, Desclée de Brouwer, 1990,119 p.

[9Sans autre précision, l’expression recouvre tant les hommes que les femmes, les clercs que les laïcs.

[10Le cas de Theresa Mancuso, ermite urbaine en plein New York, n’est pas unique ; voir son témoignage « Reflection on the Solitary Life », in Review for Religious, 53, 1996, p. 761-767 et « The Urban Hermit : Monastic Life in the City », in Review for Religious, 55, 1996, p. 133-142. Il est aussi intéressant de se reporter au documentaire télévisé de France 2, « Le retour des ermites : de la grotte à l’hlm », diffusé le 12 janvier 1994.

[11Marie le Roy-Ladurie, Femmes au désert. Témoignages sur la vie érémitique, Paris/Fribourg, Ed. Saint-Paul, 1971, 128 p., ici p. 49.

[12« Ermitages », in Catholicisme, t. 4,1956, col. 391.

[13Le Petit Larousse compact 2000 cite, p. 395, cette seconde définition.

[14Pour une réflexion sur la législation en vigueur, en particulier le canon 603 du code de droit canonique, on pourra se reporter à mes articles « Ermites d’aujourd’hui : entre l’institutionnel et le virtuel. Approche théologique et canonique », in PJR-Praxis juridique et religion, 15, 1998 [2000], p. 163-215 et « Ermite reconnu par l’Église. Le c. 603 du code de droit canonique et la haute responsabilité de l’évêque diocésain », in Vie consacrée, 74, 2002, p. 104-118.

[15Même les recherches dans des livres liturgiques en vigueur sont restées infructueuses : aucune prière officielle de bénédiction d’un ermitage n’a pu être repérée.

[16Voir le message de Jean-Paul ii au Prieur de Chartreuse à l’occasion du 900. anniversaire de la mort du fondateur de l’Ordre cartusien : « Bruno avait soif du Dieu fort et puissant », in La documentation catholique, 98, 2001, p. 555-557, ici p. 555.

[17Afin de rendre la vie quotidienne de l’ermite moins chère pendant les hivers rigoureux, les fondateurs ont fortement investi dans l’isolation thermique.

[18Les fondateurs ont souvent fait référence aux saints ermites qui ont évangélisé ce pays et qui attirent encore quelques priants solitaires, l’un au baptistère de Saint-Fridolin à deux heures de marche de l’Ermitage Saint-Léon ix, l’autre sur le versant alsacien, à l’abbatiale de Niederhaslach ou à la proche chapelle de l’ermitage de Saint-Florent qui fut récupéré pour devenir le septième évêque de Strasbourg.

[19Sur la situation concordataire en Alsace-Moselle où les conseils de fabrique sont régis par le décret impérial du 30 décembre 1809 modifié par un décret du 18 mars 1992. Voir les études de Jean Schlick, « Responsabilités d’argent en Église », in PJR-Praxis juridique et religion, 12-13, 1995-1996, p. 3-335, où se trouvent des réflexions sur les presbytères en régime concordataire français comme sur l’intérêt des fondations en droit canonique. Sur cette paroisse, voir Antoinette Bentz, « La gestion des finances dans une paroisse catholique. Réflexion et témoignage d’une trésorière », in PJR-Praxis juridique et religion, 15, 1998, p. 62-96.

[20... « un Alsacien qui, comme Hugues iv d’Eguisheim [le père du futur pape Léon ix], était venu chercher femme dans l’ancien comté de Dabo. Pour lui, protestant, cela a aussi été, après les déchirures du passé, un témoignage d’œcuménisme à la base », dit Jean Schlick dans Saint-Léon ix et Walscheid. Mémorial du millénaire de la naissance de Saint-Léon ix à Walscheid. 1002-2002, Strasbourg, Ed. du Signe, 2002, 88 p., ici p. 22.

[21Art. 15 : « Le Gouvernement prendra également des mesures pour que les catholiques français puissent, s’ils le veulent, faire en faveur des églises, des fondations. »

[22C. 1303 § 1 : « Par fondations pieuses, on entend en droit : [...] 2° les fondations pieuses non autonomes, c’est-à-dire les biens temporels donnés de quelque façon que ce soit à une personne juridique publique, à charge pour elle d’en employer les revenus annuels, pour célébrer des messes et remplir des fonctions ecclésiastiques déterminées, ou poursuivre les fins dont il s’agit au c. 114 § 2, et cela pendant un temps assez long dont la durée sera fixée par le droit particulier. »

[23Art. 3 § 1 des statuts de la fondation pieuse. En régime de séparation de l’Église et de l’Etat cet article s’écrirait simplement « la fondation pieuse appelée [nom] est une fondation pieuse non autonome rattachée à l’association diocésaine du diocèse de [nom], personne juridique publique ».

[24Jean Schlick dans une note en date du 2 avril 2002 à l’attention de l’administration diocésaine : « Rappels concordataires et canoniques », 4 p., ici p. 2, 3° , 3.

[25Cette disposition s’explique par les précautions que le Conseil de Fabrique a tenu à prendre face aux sectes.

[26Ces statuts ont été dûment approuvés par les membres du Conseil de l’Ermitage le 17 février 2002 et par les membres du Conseil de Fabrique le 18 février 2002. L’autorisation de l’évêque date du 10 juin 2002.

[27C. 1446 § 1 : « Tous les fidèles, et en premier lieu les évêques, s’efforceront de leur mieux, dans le respect de la justice, d’éviter autant que possible les litiges au sein du peuple de Dieu, et de les régler au plus tôt de manière pacifique ».

[28C. 220 : « Il n’est permis à personne de porter atteinte d’une manière illégitime à la bonne réputation d’autrui, ni de violer le droit de quiconque à préserver son intimité. »

[29C. 214 : « Les fidèles ont le droit de rendre le culte à Dieu selon les dispositions de leur rite propre approuvé par les Pasteurs légitimes de l’Église, et de suivre leur forme propre de vie spirituelle qui soit toutefois conforme à la doctrine de l’Église. »

[30C. 219 : « Tous les fidèles jouissent du droit de n’être soumis à aucune contrainte dans le choix d’un état de vie. »

[31Voir « Erémitisme. II. Erémitisme en Occident », in Dictionnaire de spiritualité, t. 4, 1960 col. 953-982, ici col. 981.

[32Pour la Solitude, destinée à des séjours ne dépassant pas quarante jours, un règlement intérieur plus souple est en cours d’élaboration.

[33On peut se reporter au très bel ouvrage de Marie-Madeleine Davy, Le Désert intérieur, Paris, Albin Michel, coll. « Spiritualités vivantes », 1983, 226 p.

[34Les échos du silence, Paris, Desclée de Brouwer, coll. « Littérature ouverte », 1996,101 p., ici p. 96.

[35Voir les apophtegmes des Pères. Collection systématiques. Introduction. Texte critique, traduction et notes par Jean-Claude Guy Paris Cerf coll. « Sources chrétiennes » 387, 1993, 452 p., ici p.135, n° 19

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