« Où sera la vie consacrée demain ? »
Lieux d’insertion, styles de vie religieuse, formes communautaires, etc.
Noëlle Hausman, s.c.m.
N°2003-1 • Janvier 2003
| P. 47-50 |
Avec vigueur et quelques raccourcis fulgurants dont l’auteur est coutumière, voici quelques lignes seulement qui méritent méditation et nous invitent à traverser « toutes les autres couches de la question ». Ce n’est pas pour quitter le concret du terrain où l’avenir est promis à des mini-insertions « visibles, mais peu puissantes, des présences sans gloire auprès des plus simples ». Ce n’est pas sans raison qu’à nouveau ici le recours à la « réserve apocalyptique » de l’Agneau immolé et vainqueur se donne comme notre seule assurance et finalement comme notre seul témoignage : « Le témoignage de Jésus. La vie consacrée y sera demain si elle s’y trouve aujourd’hui ».
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Le sentiment qui semble l’emporter aujourd’hui, dans les milieux ecclésiaux aussi bien qu’ailleurs, est que la vie consacrée, au moins sous sa forme dominante, la vie religieuse, est largement orientée vers sa prochaine disparition. Certes, on va redisant que la vie consacrée ne peut manquer à l’Église (c’est l’un des messages forts de Vita Consecrata, et déjà du Concile), et l’on ajoute parfois, comme vient de le faire clairement l’instruction Repartir du Christ, que « la vie consacrée ne peut se contenter de vivre dans l’Église et pour l’Église » (RdC 40). Ainsi, au plan doctrinal, la vie consacrée est entendue (cf. VC) comme l’une des « vocations paradigmatiques » de la vie chrétienne, l’un des éléments constituants de l’ecclésiologie donc, et au plan pastoral (cf. RdC), comme un des plus audacieux agents de l’œcuménisme, du dialogue interreligieux ou encore, de l’inculturation de l’Évangile, par toutes les voies possibles, en particulier celles de la spiritualité.
Dans la pratique, le tableau, dans le monde développé surtout, n’est pas aussi rose, surtout pour la vie religieuse - il est vrai que c’est la forme de vie consacrée au sujet de laquelle on a le plus d’informations, étant donné que les autres sont soit plus décadentes encore, soit trop nébuleuses (qui donc relève au juste de la vie consacrée dans l’Église catholique aujourd’hui ?). Pour en rester derechef à la vie religieuse, relevons par exemple que les religieuses du Québec dont l’âge moyen est aujourd’hui de 74 ans sont, statistiquement, vouées à la disparition en 2035, si la tendance démographique se maintient [1]. Nonobstant quelques variations régionales, ce doit être le cas des Etats-Unis et de toute l’Europe occidentale, dans la vie religieuse apostolique, le monde de la vie monastique et contemplative étant, contrairement à ce que l’on croit souvent, plus encore touché par le vieillissement [2].
Faut-il, comme la récente instruction, en appeler à la conversion et à retrouver le premier amour qui fut à l’origine de la sequela Christi, ou, en d’autres termes, à « une nouvelle imagination de la charité » ? Ce langage exhortatif semble être celui de bien des évêques, qui pensent, comme le cardinal Danneels par exemple, que les religieux sont, par leur triple profession, ceux qui « exagèrent » dans l’amour ; ils sont donc nécessaires à l’Église, car « les causes pour lesquelles personne ne veut mourir sont déjà mortes ». Peut-être y a-t-il là pour nous plus d’une leçon. Je risque à mon tour une interprétation.
Où sera la vie consacrée demain ? Dans le cœur de Dieu, puisqu’elle y a toujours été. Cette réponse, qu’on peut trouver facile, transcende toutes les autres couches de la question (état sociologique de la chrétienté occidentale, problème démographique général, invasion de l’État-Providence dans toutes les composantes de la société civile, sécularisation interne, etc.). Je crois à cet égard que nous n’avons pas fini de nous redimensionner vers la plus petite échelle. Les petites communautés vivantes forment, en Wallonie et à Bruxelles par exemple, le vrai tissu de l’Église catholique, alors que du côté néerlandophone, l’implosion des « standen » (milieux institutionnalisés du « pilier » catholique) n’est pas achevée. De même, la vie religieuse subsistera en plongeant plus profondément dans le tissu ecclésial, sous des formes toujours plus circonscrites et pour des temps probablement plus courts. En tant que membre d’un tout petit institut où l’âge moyen est moins élevé qu’ailleurs, je dois faire valoir ce point de vue des mini-insertions, des institutions visibles mais peu puissantes, des présences sans gloire auprès des plus simples, de la prise en compte des nécessités des personnes réelles - bref, de la dimension diocésaine des actions et des passions de la vie religieuse postconciliaire, quelle que soit par ailleurs la nature de l’institut (local ou international) auquel on appartient.
D’un autre côté, je reste réservée sur des visions qui nous retourneraient vers l’âge d’or (supposé) des grands réseaux d’influence et des identités sans reste. le suis, comme on doit le savoir dans ce milieu, fort portée vers la visibilité de la vie religieuse, que je considère comme un élément constitutif, même s’il est aujourd’hui contesté en pratique par la grande majorité : qu’on pense au mode d’habillement, d’habitation, au niveau de vie, au style de prière communautaire ou personnelle, mais surtout, au genre d’action très fragmentée dans la plupart des instituts. Mais il me semble que notre avenir est devant nous, et non pas dans un retour au début, fût-ce au Christ de nos commencements, aux fondateurs de nos origines, aux entreprises qui ont autrefois réussi, dans les domaines de nos prédilections. L’origine est une source pour qui s’en détourne.
S’il y a un sens à l’Apocalypse, c’est justement de ne pas tourner l’Église vers le Jésus de Palestine, mais de lui apprendre que l’Agneau immolé est debout et vainqueur, qu’il est l’alpha et l’oméga de nos histoires, qu’il advient, comme la Jérusalem céleste, dans le concret du témoignage et de la liturgie qui font notre présent. Notre histoire est tout aimantée, non par le paradis des origines, mais par la ville qui nous est donnée d’en haut. La supplication de l’Église demande au Seigneur de venir, dès lors que la prière des anges et des saints ne cesse d’être présentée, dans le martyre, sur l’autel de Dieu. Ce n’est pas dire que le monde soit dédoublé, avec un en haut qui vaut tellement plus que l’en bas (on en resterait aux Grecs), mais ce n’est pas non plus avaliser la nostalgie archétypique qui nous tire toujours vers l’arrière (comme peut-être chez les juifs, malgré leur temps linéaire). C’est reconnaître dans le présent le lieu où Dieu nous sauve de toutes ces infidélités qui peuvent être reprochées aux Églises, parce qu’il est dit aussi que nos pauvres fidélités sont fondées dans le Témoin fidèle, prototype de la création nouvelle. Ces cieux nouveaux, ces choses nouvelles adviennent maintenant ; il n’est que d’y entrer, comme on entre dans le combat déjà gagné par Michel et ses anges contre le Dragon des origines, victoire qui permet à la Femme de se tenir au désert de l’intimité divine.
La vie consacrée se trouve aujourd’hui, spécialement sous sa forme religieuse, dans ce courant qui unit le ciel à la terre. Elle a, au long de son histoire millénaire, goûté déjà les fruits de l’arbre de vie, elle connaît le remède qui sourd de l’arbre de la croix. Tout peut passer de ses lieux d’insertion, styles de vie, formes communautaires, si demeure actuel, en nous et par nous aussi, le témoignage de Jésus. La vie consacrée y sera demain si elle s’y trouve aujourd’hui.
Sœur du Saint Cœur de Marie, de La Hulpe (Belgique), professeur de théologie à la Faculté jésuite de Bruxelles. Supérieure générale. A participé comme expert au Synode de 1994 sur la vie consacrée et a été choisie comme auditrice au dernier Synode sur l’Europe.
[1] Cf. N. Laurin, « Quel avenir pour les religieuses du Québec ? », in Relations, juin 2002, 30-34.
[2] Bien entendu, on peut aussi faire remarquer, comme Christiane Hourticque, qu’il nous reste plus d’années (trente ans) avant notre disparition présumée, que ne comptait l’espérance de vie de bien de nos devancières au moment où elles entraient dans la vie religieuse.