Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

« Repartir du Christ »

Miser sur la spiritualité : une nouvelle instruction sur la vie consacrée

Noëlle Hausman, s.c.m.

N°2002-5 Septembre 2002

| P. 328-333 |

L’instruction issue de la dernière session plénière de la CIVCSVA ne se veut pas un nouveau document sur la vie consacrée, mais se propose comme une aide dans la réception de Novo millennio ineunte et de Vita consecrata. Quelques traits plus importants sont mis en exergue par notre collaboratrice, experte et auditrice aux Synodes récents sur la vie consacrée (1994) et sur l’Europe.

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L’instruction publiée en date du 19 mai 2002 par la Congrégation pour les Instituts de Vie consacrée et les Sociétés de Vie apostolique porte le beau titre « Repartir du Christ », emprunté à l’homélie donnée par Jean-Paul ii, le 2 février 2001, à l’occasion du Jubilé de la Vie consacrée [1]. Cinq ans après Vita consecrata, les Pères de l’Assemblée plénière de notre Dicastère romain veulent ainsi inviter la vie consacrée d’aujourd’hui, « à miser d’abord sur la spiritualité ». Leur réflexion, poursuit le numéro 4 du document, s’est articulée en quatre parties :

  • exprimer leur reconnaissance pour ce que la vie consacrée est et fait,
  • interpréter les épreuves et défis comme une occasion d’avancer en profondeur,
  • appeler les consacrés à s’engager nouvellement dans la vie spirituelle en repartant du Christ,
  • reconnaître en eux des témoins de l’amour sur les routes du monde.

Dans cette brève présentation, nous nous attacherons surtout à la troisième partie, la plus neuve d’un texte où les échos de l’exhortation postsynodale Vita consecrata et de la lettre apostolique Novo millennio ineunte ne manquent pas (nous comptons respectivement 67 et 50 citations, pour 147 notes).

La vie consacrée, présence de la charité du Christ au sein de l’humanité (nos 5-10)

En enfilant simplement les intertitres de cette Première partie, on dira que la vie consacrée apparaît comme « un chemin dans le temps », donné « pour la sainteté de tout le Peuple de Dieu », et qu’il s’agit de s’y trouver toujours « en mission pour le Royaume » et « dociles à l’Esprit Saint ». Discrètement, l’affirmation massive de Vita consecrata, selon laquelle « ceux qui suivent les conseils évangéliques proposent pour ainsi dire, une thérapie spirituelle à l’humanité » (VC 87) devient, plus modestement, suggestion d’une « quasi-thérapie spirituelle pour les maux de notre temps » [2].

Le courage d’affronter les épreuves et les défis (nos 11-19)

Avant de donner une vue tout aussi cavalière de cette Deuxième partie, soulignons l’intérêt de voir un document magistériel prendre en compte les souffrances et défis qui travaillent aujourd’hui la vie consacrée, et qu’il nomme, à juste titre, un temps de « purifications » (n° 11). Déjà le texte en appelle à la contemplation du visage du Christ, « crucifié et abandonné » (thème cher à l’un des plus anciens « nouveaux mouvements ») ; ce « visage » deviendra, sous toutes sortes d’aspects, le paradigme du document.

Il s’agit donc de « retrouver le sens et la qualité de la vie consacrée », alors que certains voient dans le troisième millénaire « le temps de l’action des laïcs » (12). « La tâche des supérieurs et supérieures » (notons ce petit clin d’œil au langage inclusif) s’avère ici fondamentale et c’est un « devoir d’autorité spirituelle ». « La formation permanente » représente aujourd’hui « une façon théologique de penser la vie consacrée », fondée en particulier sur l’année liturgique, où l’on apprend à « repartir du Christ » (c’est, on l’a dit, le titre du document) et de sa Pâque chaque jour de la vie (15).

L’animation des vocations est l’un des nouveaux défis que la vie consacrée doit à présent affronter, dans une Église locale où les communautés chrétiennes deviennent des « laboratoires de la foi ». « Les parcours de formation » mettront en acte un itinéraire qui permette à l’Institut d’être avant tout « une école de sainteté » (18), une « école de communion » (ibidem) pour les communautés chrétiennes et (même) une proposition de coexistence fraternelle entre les peuples.

« La nécessité de la qualité de vie et l’attention aux exigences de la formation » apparaissent ainsi comme « les aspects les plus urgents », mais d’autres défis particuliers demeurent, comme celui de l’inculturation [3]. En tout état de cause, la vie consacrée doit résolument « repartir du Christ », en privilégiant les voies de la spiritualité. Ce sera le thème de la Troisième partie, la plus importante, nous paraît-il.

La première place à la vie spirituelle (nos 20-32)

« Repartir du Christ », c’est « reprendre avec vigueur un chemin de conversion et de renouveau » déjà parcouru par les premiers disciples en Galilée, puis les Apôtres, « avant et après la résurrection », car c’est le Christ qui, le premier, est venu à leur rencontre et les a accompagnés sur le chemin. « Repartir du Christ » signifie retrouver le premier amour qui fut à l’origine de la sequela Christi, un amour qui rend fort et fait tout oser (21-22). Mais où contempler le visage du Christ, empreint de souffrance et cependant ressuscité ?

Le document déroule alors les « lieux privilégiés » où contempler ce visage dans l’Esprit : l’écoute de la Parole de Dieu (ce « retour à l’évangile » où le Concile avait déjà indiqué le premier principe de la rénovation), la prière et la contemplation (donc la vie intérieure qui attire le Verbe, le Père, l’Esprit), la célébration eucharistique et l’adoration assidue et prolongée (avec une discrète mention de la condition essentielle de la communion qu’est le pardon réciproque), la contemplation du visage du Crucifié (dans l’épreuve du travail apostolique, du vieillissement, des structures inadaptées, de l’incertitude quant à l’avenir). En outre, les personnes consacrées ont toujours reconnu le Christ dans les malades, les détenus, les pauvres, les pécheurs (et elles font l’expérience de l’amour miséricordieux dans le sacrement de pénitence) ; mais de nouveaux visages apparaissent aujourd’hui, de « nouvelles pauvretés matérielles, morales et spirituelles », où il s’agit d’entendre le cri de Jésus sur la croix.

Enfin, la spiritualité dont on parle sera une « spiritualité de communion », fondée dans le mystère de la Trinité, dont la lumière se reflète sur le visage des frères à nos côtés : communion, par la vie fraternelle, avec toute l’Église, communion entre les charismes anciens et nouveaux, dans le dialogue avec les nouvelles formes de vie évangélique, d’où peut naître un enrichissement réciproque. En effet, ces charismes nés de l’Esprit sont appelés à réaliser ensemble le même dessein de Dieu.

On peut d’ailleurs constater qu’un nouveau type de collaboration s’instaure entre les personnes consacrées et les laïcs : « la nouveauté de ces dernières années est surtout la demande, venant de certains laïcs, de participer aux idéaux charismatiques [4] des instituts » (31), sous un mode qui n’est plus celui de la suppléance, mais dans la communion et la réciprocité (qui « ne sont jamais, dans l’Église, à sens unique »). Une « expérience de fraternité évangélique et d’émulation charismatique mutuelle » peut ainsi s’instaurer, entre « prêtres, religieux et laïcs », dit l’instruction, qui introduit ainsi d’un coup les clercs et restreint, au même moment, la vie consacrée aux religieux. L’unité avec les pasteurs (effective et affective) est particulièrement requise, face à des « forces centrifuges récurrentes ». La responsabilité des théologiens « religieux » est, dans ce domaine, spécialement soulignée (32), avant que le document ne s’achève sur une Quatrième partie.

Témoins de l’amour (nos 33-46)

« Quand on repart du Christ, la spiritualité de communion devient une solide et robuste spiritualité de l’action » (33). Or, aux anciennes formes de pauvreté s’en sont ajoutées de nouvelles, comme déjà dit. On réclame donc une « nouvelle imagination de la charité », qui va jusqu’aux racines de la pauvreté et reprend avec enthousiasme l’annonce du Christ au peuple, sert la vie et la mort humaines, « spécialement dans certains milieux délicats et conflictuels », répand la vérité dans le monde de l’éducation, s’ouvre aux grands dialogues œcuméniques et interreligieux (« La vie consacrée ne peut se contenter de vivre dans l’Église et pour l’Église », 40). Impossible de se tenir à l’écart des inquiétants problèmes écologiques, ou de rester passif face au mépris des droits humains fondamentaux.

Les jeunes consacrés, « à qui il reviendra de mener à bien le renouveau de leurs instituts » (46) sont eux aussi ces « veilleurs du matin » que sont tous les jeunes aux dires de Jean-Paul II. Sur eux repose en grande partie l’avenir de la vie consacrée et de sa mission. Marie, première Consacrée (cf. déjà 10), nous y conduit. « Cette mission est possible si, nous exposant à la lumière du Christ, nous savons nous ouvrir à la grâce qui fait de nous des hommes nouveaux » (45, citant n.m.i. 54). C’est cela, « regarder en avant et en haut ».

Conclusion : « Un engagement renouvelé » ?

Certains se demanderont, en prenant connaissance de la nouvelle instruction, si tout cela n’a pas déjà été dit ailleurs, et mieux. Le document s’appuie constamment sur la belle trilogie qui le précède, depuis Potissimum Institutioni (2 février 1990), en passant par Congregavit nos in unum Christi amor (2 février 1994), jusqu’à Vita consecreta (25 mars 1996) : la formation, la vie fraternelle, la théologie même y ont été profondément renouvelées. Rien ne pouvait donc être attendu de cette instruction-surprise [5] sinon une meilleure réception de ces documents fondamentaux, selon les lignes de force que l’on vient de présenter. Il nous semble qu’on peut prévoir dans le troisième millénaire, plutôt que le « temps des laïcs » (annoncé depuis au moins un siècle), une époque où l’Église, et en elle la vie consacrée, se manifestera comme un mystère de communion.

Noëlle Hausman. Sœur du Saint-Cœur de Marie de La Hulpe (Belgique), professeur de théologie à la Faculté jésuite de Bruxelles. Supérieure générale. A participé comme experte au Synode de 1994 sur la vie consacrée et a été choisie comme auditrice au dernier Synode sur l’Europe.

[1Et reprise de Tertio Millennio ineunte (6 janvier 2001), n° 29.

[2Sous réserve que la traduction dont nous disposons, téléchargée sur le site du Vatican, soit exacte (plusieurs passages nous semblent prendre des libertés avec la langue française).

[3On notera l’absence totale de problématiques plus brûlantes encore, celle du féminisme en particulier.

[4Une expression curieuse, dont on suivra avec intérêt la répétition éventuelle dans des documents ultérieurs.

[5C’est le terme employé par les premiers commentateurs, en particulier A. Amato dans une livraison spéciale de l’Usmi Informata (juillet 2002) et A. D. dans Testimoni 13, du 15 juillet 2002.

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