Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Chronique d’Écriture Sainte

Ancien Testament

Didier Luciani

N°2002-5 Septembre 2002

| P. 334-349 |

Un dossier important, réparti en cinq rubriques (le texte biblique, les commentaires, les études de thèmes, les réflexions herméneutiques et les questions de méthodes, à la frontière de l’A.T et du N.T.) donne une information critique de qualité dans cette chronique toujours appréciée.

La lecture en ligne de l’article est en accès libre.

Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.

Riche moisson de livres pour cette année 2002. La chronique se divisera en cinq parties : le texte biblique (I) ; les commentaires, présentés selon l’ordre canonique des livres qu’ils abordent (II) ; les études de thèmes ou de realia (III) ; les réflexions herméneutiques et les questions de méthodes (IV) ; et, pour terminer, trois ouvrages à la frontière de l’Ancien et du Nouveau Testament, concernant les origines juives du christianisme (V).

I

Après avoir publié, en volumes séparés, la traduction française des cinq premiers livres de la Bible d’Alexandrie (voir V.C. 65, 1993, p. 264 et V.C. 67, 1995, p. 320), les éditions du Cerf regroupent en un seul volume, solidement relié, ce Pentateuque grec [1]. La principale nouveauté vient de la juxtaposition du texte source (selon l’édition critique de Rahlfs, 1935) et de sa traduction française, et de la longue introduction (29-130) qui condense et récapitule le travail entrepris depuis presque vingt ans par l’équipe de M. Harl. La probité intellectuelle et la qualité de ces recherches ont déjà été, à maintes occasions, saluées. Ceux qui, comme moi, ont acheté les volumes au fur et à mesure de leur parution ne regretteront pas de pouvoir encore recourir à leurs notes abondantes pour les analyses de détail ; s’ils acquièrent le nouvel ouvrage, ils seront heureux de pouvoir se reporter immédiatement au texte original, d’avoir accès à une information rapide et fiable ou de lire de remarquables synthèses qui éclairent les aspects importants de ce monument du judaïsme hellénistique, de son histoire et de sa réception.

Dans la collection « Connaître la Bible » et sous la direction de J.M. Auwers, signalons la réédition de l’excellent petit guide des traductions françaises de la Bible (voir V.C. 71, 1999, p. 338-339) [2]. Cette nouvelle édition, revue et augmentée, intègre notamment une présentation de la toute récente et controversée « Bible Bayard ».

Au moment de clore cette chronique, les éditions Ad Solem nous font parvenir un essai de « translation » de Gn 1-3 dû à J. Borella, ancien professeur de philosophie. J’attendrai le commentaire promis en prolongement de cet opuscule pour présenter cet essai et en discuter éventuellement les présupposés [3].

II

Pour honorer A. de Pury, professeur d’Ancien Testament à l’université de Genève, une trentaine de ses collègues et amis ont eu la riche idée de relire « à plusieurs voix » ce qui constitua, au début de sa carrière, l’objet de sa recherche et le sujet de sa thèse : le cycle de Jacob [4]. De J.L. Ska (Gn 25,19- 34) à E. A. Knauf (Gn 36,1-43), la geste patriarcale, découpée en vingt-quatre péricopes, est ainsi parcourue dans son intégralité au gré des appartenances linguistiques (trois contributions en anglais, neuf en allemand, le reste en français), mais surtout en fonction d’une diversité d’approches. Le contenu de chacune de ces contributions, souvent intéressant, parfois assez technique, ne peut évidemment pas être discuté ici. A défaut d’une vision unifiée – le fils d’Isaac est lui-même un personnage complexe –, il en ressort au moins un large panorama de la recherche exégétique actuelle. Quelques chapitres supplémentaires traitent de la postérité de la figure de Jacob dans la littérature et dans l’art. Une bonne manière de redécouvrir le patriarche.

La grâce et l’exigence du jubilé ne s’exténuent pas dans la célébration que l’Église en fait une fois tous les vingt-cinq ans. J.F. Lefebvre, dans une présentation allégée et simplifiée de sa thèse, soutenue en juin 2000 à Fribourg, en apporte la démonstration convaincante [5]. En parcourant tout simplement Lv 25 et en faisant jouer ses harmoniques, l’auteur parvient à faire sentir la profondeur théologique et la portée morale de ce texte biblique. Indissociablement mémorial de la création et de la rédemption, le jubilé vécu cycliquement n’est pourtant pas un acte ponctuel, mais la forme institutionnelle et juridique qui pérennise, en terre d’Israël et dans un corps social fragile, l’acte libérateur accompli une fois pour toutes par Dieu à la sortie d’Egypte. Il est réconfortant de constater que, par d’autres voies, J. F. Lefebvre rejoint, sur de nombreux points, l’interprétation que j’avais proposée de ce texte (« Le Jubilé dans Lévitique 25 », R.T.L. 30, 1999, 456-486). Mais il importe encore davantage de découvrir comment la loi d’Israël est « une lumière sur la route ».

Les commentaires en français sur le Deutéronome ne sont pas si fréquents pour qu’on néglige de signaler, nonobstant ses dimensions modestes, celui que vient de signer J.M. Carrière [6]. Ce professeur du Centre Sèvres (Paris) est particulièrement qualifié puisque sa thèse (Théorie du politique dans le Deutéronome, Francfort, 2001), récemment publiée, portait déjà sur ce livre. Le titre de cette thèse indique, par ailleurs, un des intérêts qui mobilise la réflexion de notre auteur et oriente aussi le propos du commentaire présent. Ce dernier est dédié aux « prêtres ouvriers et à tous ceux et celles qui se battent pour que tout homme soit un frère ». Comme pour l’ouvrage précédent, le souci d’une exégèse respectueuse du texte s’allie à l’exigence d’une lecture ouverte à l’actualisation. Conformément au cahier des charges de la collection dans lequel il s’insère, le commentaire avance pas à pas (l’invention du Deutéronome, son architecture, la loi de centralisation du culte...) ménageant des étapes et des reprises plus réflexives sous formes de tableaux, d’encadrés, mais aussi de propositions de structures. Cette attention soutenue aux procédés d’écriture de l’œuvre est sans doute ce qui fait l’originalité du livre de J.M. Carrière. Non pas que, sur ce plan, le dernier mot soit dit. Mais la mise en valeur des qualités esthétiques du Deutéronome permet de percevoir que son message affleure autant dans le contenu que dans la manière dont ce contenu est organisé. Il y a là, me semble-t-il, un facteur puissant pour renouveler l’intérêt à l’égard de ces « vieux » textes.

Différemment, mais encore plus exclusivement présupposée, c’est l’attention minutieuse à la structure de l’œuvre, qui guide la lecture biblique de J. Cazeaux [7]. Poursuivant le travail d’analyse littéraire entrepris dans un ouvrage antérieur (Le refus de la guerre sainte. Josué, Juges et Ruth, Paris, 1998), l’auteur applique aux livres des Maccabées, de Judith, d’Esther, des Nombres et du Deutéronome, les mêmes outils et, pourrions-nous dire, la même grille de lecture : la Bible ne parle jamais plus de paix que dans ces livres remplis de crimes et de sang. Loin d’exalter un nationalisme vengeur, ces livres ironiseraient et chercheraient, par l’établissement du jubilé et du cadastre (temps et espace d’Israël), à prémunir le peuple contre les deux dangers symétriques qui le guettent de l’intérieur : l’individualisme et la monarchie. La thèse est provocante, roborative ; elle suscitera, chez les spécialistes de ces livres, des réactions. Elle oblige au moins le lecteur à se rendre attentif à des aspects souvent négligés et, en conséquence, à interroger une lecture trop convenue de ces textes.

L’ouvrage collectif Prophètes et rois. Bible et Proche-Orient, dirigé par A. Lemaire, nous ramène sur le terrain de l’histoire [8]. La comparaison des prophéties israélites avec les archives palatiales ou royales de Mari (xviie s.), d’Assyrie (viie s.) ou de Syrie-Palestine (ixe- vie s.) récemment découvertes ou, au moins rendues disponibles sous forme d’éditions critiques, obligent à reconsidérer la documentation biblique sous deux aspects : la datation des textes (à l’encontre d’une tendance massive à rajeunir ceux-ci) et le rapport prophètes-rois. Cette double tâche commande l’organisation de la matière : trois chapitres substantiels (p. 19-115) rédigés par D. Charpin, P. Villard et A. Lemaire font le point sur la documentation proche-orientale ; le reste du livre (p. 117-301) traite, en sept contributions, du rapport d’Elie, d’Amos, d’Osée, d’Isaïe, de Jérémie, d’Ezéchiel et de Zacharie avec les autorités et montre, par là même, l’implication de ces hérauts dans les problèmes de leur temps. Ce parcours permet tout à la fois de mesurer, sur trois siècles et demi, l’évolution de la fonction politique du prophète et d’établir des rapprochements avec la documentation extrabiblique. La fin de la royauté ne signe ni la fin des autorités, ni celle des prophètes, mais conduit à un déplacement des compétences et à une transformation radicale de leurs relations mutuelles : le grand-prêtre tend à remplacer le roi et le prophète « s’eschatologise ». Un dossier sérieux et documenté pour ceux que le sujet intéresse.

Le dernier ouvrage d’A. Wénin s’inscrit presque totalement entre deux points d’interrogation : pourquoi donc nommer « livre de louanges (Séfèr Tehillîm) un livre rempli de cris et de supplications (Introduction, p. 5) ? Peut-on, doit-on « prier la violence » et comment le faire (chapitre iv, p. 115 sq.) ? Ces deux questions, qui résument le principal obstacle à la prière des psaumes et paradoxalement en expriment la richesse, prouvent que face à l’objectif avoué de « fournir quelques clés pour entrer dans le monde poétique et théologique des psaumes » (8), l’auteur n’entend pas se dérober. Il s’attaque d’emblée aux plus gros cadenas ! Ces questions indiquent, en même temps, la veine anthropologique qu’il entend exploiter et à laquelle ses lecteurs sont devenus familiers (voir L’homme biblique, Paris, 1995). L’ouvrage, avec sa tonalité propre, n’en reste pas moins une introduction, en bonne et due forme, au Psautier : description des principaux procédés littéraires de la poésie hébraïque (chap. i), présentation et articulation des deux genres principaux – le cri et la louange – de la prière psalmique (chap. ii), application de la méthode de lecture à plusieurs psaumes (Ps 1,2,22, 58, 83, 94,148,149,150 : chap. iii et iv). Le chapitre iii, et son essai de penser le Psautier, non comme une collection de poèmes, mais comme un livre unifié porteur d’un projet théologique global, me semble le plus novateur. A. Wénin a beau reconnaître sa dette envers J. Trublet, J.N. Aletti (Approche poétique et théologique des Psaumes, Paris, 1983) et P. Beauchamp (Psaumes nuit et jour, Paris, 1980), le contenu a beau être la reprise de publications antérieures (voir p. 9), ce petit livre vient comme une bonne et originale idée et rendra d’éminents services.

III

Lors de la crise moderniste, alors qu’il pouvait être risqué de se prononcer sur l’interprétation de tel verset biblique, certains exégètes préférèrent déployer leurs énergies sur des terrains déminés. C’est ainsi que se multiplièrent les livres sur la faune, la flore ou la géographie bibliques. L’abondance de tels ouvrages aujourd’hui (voir J. et S. Maillat, Les plantes dans la Bible dans V.C. 73, 2001, p. 342-343) n’a sans doute pas la même cause ni, d’ailleurs, une cause unique, mais signale peut-être aussi un certain appauvrissement et une pénurie, en monde francophone, de la recherche fondamentale au profit de domaines annexes : il est plus facile d’accumuler des fiches sur les plantes de la Bible que de se confronter à la composition littéraire du Lévitique ! Ceci dit, cela ne signifie pas que l’ouvrage de C. Boureux sur les plantes de la Bible [9] et celui, dans un autre genre, de P. Lefebvre sur l’homme et l’arbre dans la Bible [10] soient sans intérêt. Les deux émanent de frères dominicains, les deux recourent au symbole (ce qui n’était pas le cas des études antérieures), mais alors que le premier est davantage une nomenclature raisonnée et joliment illustrée de cinquante deux plantes bibliques, le second se propose surtout comme un commentaire attentif des trois premiers chapitres de la Genèse. Dans tous les cas, ils attestent que les végétaux nous disent quelque chose de l’homme, de Dieu et de leur rapport mutuel et il est bon de pouvoir découvrir, dans ce contact avec l’humus, une autre manière d’accéder à la rationalité et à la sagesse propres de la Bible.

De 1995 à 2001, la revue Le Monde de la Bible a demandé à deux professeurs de l’Institut catholique de Paris – J. Briend (pour l’A.T.) et M. Quesnel (pour le N.T.) –, d’assurer une rubrique « vie quotidienne » destinée à présenter le cadre de vie habituel d’une famille villageoise en terre d’Israël, depuis la royauté jusqu’à la période hellénistique, puis sous la domination romaine. Ce sont ces rubriques, rassemblées, remaniées et amplifiées que les éditions Bayard publient en un seul volume [11]. Trente quatre chapitres sont ainsi classés sous cinq titres principaux : « Habitat et objets privés » ; « Alimentation et agriculture » ; « Culture, rites et société » ; « Administration et religion » ; « Voyages et commerce ». Une bibliographie, un index des textes bibliques et quelques illustrations complètent l’ouvrage et en facilitent le maniement. Si celui-ci met à la disposition d’un grand public un aperçu des fruits de la recherche archéologique, il pourra peut-être aussi aider tous les priants à élaborer la « composition du lieu » de leur prière (Ex. Sp. 47,1).

D’une certaine manière, l’ouvrage de J.C. Lavigne et I. Berten, dominicains travaillant dans l’association « Espaces-Spiritualités, cultures et société en Europe » (Bruxelles) prolonge, au plan socio-politique, les réflexions exégétiques d’un J. Cazeaux (voir ci-dessus). En cherchant à détecter les échos bibliques du thème de la nation [12], ils retraversent les mêmes textes du Deutéronome, de Josué, de Juges et des Maccabées. Pour élargir leur enquête, ils sondent aussi la littérature prophétique et sapientielle et portent leurs regards jusque dans le Nouveau Testament. La finalité de la démarche et le positionnement de la question sont clairement établis : « Comment faire l’Europe sans détruire les valeurs propres à chacune des nations qui la constituent ? Comment préserver le sens de l’appartenance à un territoire et à une culture spécifique et entrer de manière positive dans l’ouverture européenne qui dépasse les particularismes ? Comment articuler nation et Europe ? Ce questionnement va plus loin qu’une simple interrogation sur le fédéralisme, le confédéralisme ou l’Europe des nations. Il requiert une reprise à fond de la réflexion sur ce qu’est appartenir à un peuple, sur ce qu’est l’identité de chacun : à la fois individuelle et inséparablement collective » (6). Pour avoir vécu tout au long de son histoire, cette tension entre affirmation de soi et reconnaissance d’autrui, définition de son identité et ouverture aux cultures environnantes, fidélité créatrice à sa vocation et risque de dissolution, Israël et sa tradition, sans fournir de réponses directes et univoques aux problèmes actuels, ont de quoi éclairer nos pratiques et nos recherches et peuvent nous aider à discerner entre un nationalisme mortifère et un patriotisme respectueux. La tâche est urgente.

La réflexion menée depuis plusieurs années dans le cadre des facultés N.D. de la Paix (Namur, Belgique), et qui consiste à confronter la Bible avec une des disciplines universitaires (voir Bible et Histoire dans V.C. 73, 2001, p. 338-339 et Bible et littérature dans VC. 74, 2000, p. 346-347) ressortit un peu au même genre que l’ouvrage précédent. En programmant le thème « Bible et droit », pour l’année 2001, il est clair, en effet, que les organisateurs cherchaient à établir des passerelles entre les deux disciplines et à suggérer une possible fécondité du droit biblique pour vivre et penser les défis éthiques et juridiques du moment présent. En témoignent, sans conteste, le contenu des conférences dont le volume recensé ici publie les actes. Dès la première contribution (« Le droit d’Israël dans l’Ancien Testament » : p. 9-43), J.L. Ska commence fort puisqu’il entend montrer, à la suite de E. Otto et indirectement de E. Auerbach, que le berceau des démocraties occidentales ne se trouve pas seulement à Athènes, mais aussi à Jérusalem. Un double parcours permet de comparer le droit du Proche-Orient ancien au droit vétéro-testamentaire et de faire ressortir l’étonnante spécificité de ce dernier : pour Israël, être responsable devant Dieu, c’est, compte-tenu de la conception biblique de Dieu, être responsable devant « personne », donc être renvoyé à sa propre responsabilité. En d’autres termes, le droit d’Israël n’est pas « territorial », mais « personnel » et l’une des conséquences majeures de cela est l’égalité de tous devant la loi. Ce qui fait dire paradoxalement à l’auteur qu’en Israël, la démocratie est « née en même temps que la théocratie » (p. 31). L’article de F. Ost (p. 45-65) sur le jubilé réfléchi – notamment à la lumière de l’herméneutique ricœurienne – en terme de « temps racheté », est tout aussi stimulant et établit la capacité de cette institution à produire les conditions d’un temps social porteur de sens. D. Marguerat (« Loi et jugement dernier dans le Nouveau Testament », p. 67-86), X. Dijon et E. Montera (« La Bible, source d’inspiration pour le droit en bioéthique ? », p. 87-120), A. Borras (« Bible et droit canonique », p. 121-155) enrichissent ce tableau et font de cet ouvrage un modèle de dialogue interdisciplinaire.

IV

Par son objet et sa composition même, l’ouvrage précédent nous orientait déjà implicitement sur les questions de méthodes et sur le rapport de la Bible à la culture. C’est ce dernier thème – ou plus exactement la relation de la Bible aux cultures – que la Fédération Biblique Catholique (sous-région Europe latine) avait choisi d’aborder lors de son colloque parisien d’octobre 2000. Les actes en ont été publiés en 2001 [13]. Face à un sujet aussi vaste, il n’y a guère d’autres possibilités que de résumer, avec les mots mêmes du préfacier (p. 13), les huit interventions des différents orateurs. C. Geffré (« La Parole de Dieu face aux religions et aux cultures », p. 15-43) partage ses réflexions de théologie fondamentale sur la lecture de la Bible dans un monde multiculturel et pluri-religieux. B. Eltrop (« La lecture de la Bible par les femmes : une approche féministe ou féminine de la Bible ? », p. 45-65) explique l’enjeu de la lecture de la Bible par les femmes. A.M. Pelletier (« Lectures culturelles de la Bible », p. 67-77) s’interroge sur l’intérêt d’une lecture non-croyante ou culturelle de la Bible. P.M. Beaude (« La Bible dans l’espace de la culture littéraire », p. 79-96) attire l’attention sur une lecture de la Bible qui se fait hors de l’Église, à savoir dans la littérature. J. Zumstein (« Lectures et Églises ; réflexions d’un protestant », p. 97-112) et Ph. Bacq (« Les lectures de la Bible et les Églises ; réflexions d’un catholique », p. 113-136) esquissent la situation de la lecture biblique à partir de leur appartenance ecclésiale respective. P. Babin (« La Bible devant le marché de la communication », p. 137-166) parle des défis que le marché de la communication multi-médiatique lance aux Églises. F. Mabundu (« La pastorale biblique au carrefour des cultures », p. 167-172) pose un regard africain sur le thème du colloque. En introduction et en conclusion, T. Osborne résume bien les défis pastoraux et théologiques que la pastorale biblique, et plus largement toute entreprise ecclésiale de lecture de la Bible, se doit et se devra d’affronter dans les temps qui viennent.

La mort de R.E. Brown (en 1997) – un des grands noms de l’exégèse américaine – semble avoir provoqué une accélération dans le rythme de traduction de son œuvre. Après l’excellente introduction au Nouveau Testament aux éditions Bayard (Que sait-on du Nouveau Testament ?, Paris, 1999), le Cerf publie un recueil d’articles issus d’une série de conférences que l’auteur donna, en diverses occasions, entre juin 1976 et avril 1981 [14]. Le titre de l’ouvrage en anglais, The critical meaning of the Bible, jouant sur le sens du mot « critique », dit plus nettement que le titre français la conviction qui anime et unifie ces différentes contributions : « L’approche critique de la Bible n’est pas une option mais une nécessité et son apport est « critique » – c’est-à-dire crucial – pour les chrétiens, l’Église et les Églises » (p. 10-11). En bref, une apologie – au bon sens du terme – de l’exégèse critique (c’est-à-dire, ici, historico-critique). Le premier chapitre (« La parole humaine du Dieu tout-puissant », p. 13-43) pourrait se présenter comme une explicitation des premiers mots de la constitution dogmatique Dei Verbum : qu’entend-on par « parole de Dieu » ? Le chapitre ii (« La parole biblique pour ses auteurs et pour nous », p. 45-74) est une réflexion sur les sens de l’Écriture, et en particulier, sur l’écart légitime qui existe entre le sens voulu par l’auteur (pas immédiatement réductible au sens littéral) et le sens que la lecture ecclésiale peut produire. En d’autres termes, entre le sens d’hier et celui d’aujourd’hui. Le chapitre iii (« Les exégètes, adversaires de l’Église : réalité ou fiction ? », p. 75-101) tord le cou au mythe, savamment entretenu par les médias, d’un conflit récurrent entre le magistère de l’Église et celui des exégètes. Les chapitres iv, v et vii (« Pourquoi la recherche biblique ne fait-elle pas avancer l’Église plus rapidement ? », p. 103-128 ; « Inciter tous les chrétiens à réfléchir », p. 129-147 ; « Inciter toutes les Églises à se réformer », p. 165-187) sont une invitation forte à un effort de formation intellectuelle et de réforme, tant au plan institutionnel que personnel, intégrant ce moment nécessaire de l’exégèse critique des textes bibliques. Le chapitre vi et le chapitre viii (« Repenser le sacerdoce », p. 149-163 ; « Réétudier la fonction épiscopale dans le Nouveau Testament » : p. 189-221) illustrent, par des exemples concrets, les propos antérieurs et témoignent que ceux-ci n’ont pas seulement une incidence sur la compréhension que chacun a du christianisme, mais aussi sur la vie spirituelle. Sur tous ces points, l’exposé est l’occasion de vérifier la modération des positions de R.E. Brown, mélange de liberté audacieuse et de fidélité tranquille, à laquelle l’auteur nous a déjà habitué dans ses précédents écrits. Même si le contexte américain et la relative ancienneté – l’ouvrage recensé ci-après dit bien qu’en vingt-cinq ans les paradigmes se sont modifiés – entament quelque peu la pertinence de ces propos pour le public francophone d’aujourd’hui, ceux-ci rien constituent pas moins un vigoureux plaidoyer pour l’intelligence de la foi.

L’air de rien, les éditions Lessius sont en train de constituer une véritable petite bibliothèque d’outils en analyse narrative à l’usage des lecteurs francophones. Après « l’incontournable » Alter (L’art du récit biblique, Bruxelles, 1999 ; voir VC. 72,2000, p. 343-345), elles traduisent, avec la complicité des cisterciennes de Clairefontaine, l’ouvrage d’un autre pionnier de la narratologie, le néerlandais J. P. Fokkelman : Vertelkunst in de bijbel. Een handleiding bij literair lezen, 1995 (trad. anglaise en 1999 : Reading biblical narrative. A practical guide) [15]. Dès le premier chapitre, et sans trop de préambules (un avant-propos d’une page pour nous avertir qu’il y a lire et lire), l’auteur nous plonge dans la méthode avec une analyse de 2 R 4, 1-7 (la veuve et l’huile). C’est une prise de contact qui permet de parler des personnages et de l’intrigue du récit, d’évoquer les ellipses de la narration et l’omniscience du narrateur et de faire quelques remarques sur la manière dont le récit est structuré. Mais ces premières pages contiennent, me semble-t-il, plus qu’une prise de contact, une sorte de petit manifeste méthodologique. « Le récit, nous dit Fokkelman, est si puissamment construit qu’il n’exclut pas » deux structurations possibles : l’une selon un parallélisme simple (a b c a’ b’ c’), l’autre selon un parallélisme concentrique (a b c c’ b’ a’). Derrière cette affirmation, il y a bien sûr la reconnaissance du génie littéraire de l’auteur implicite, capable de jouer sur plusieurs registres à la fois, mais j’y vois aussi une interpellation liminaire lancée au lecteur de lire sans rigidité et de s’impliquer dans la production du sens : la structure d’un texte – pas plus que son sens – n’est dans le texte seul, mais émane plutôt du dialogue entre un sujet parlant et un sujet écoutant. Le chapitre ii (« L’art de la lecture. Eléments ; langues et temps ») s’explique avec ces prémices, mais à maintes reprises et jusque dans son dernier chapitre, Fokkelman insistera sur cette attitude fondamentale qui consiste à réinterroger sans cesse ses propres présupposés et ses fascinations secrètes et à adopter autant que faire se peut, à chaque nouvelle lecture, l’attitude d’un parfait débutant ouvert à un nouveau dialogue. La force de son ouvrage tient d’ailleurs dans la mise en œuvre pratique de ce principe théorique. Tous les aspects fondamentaux de l’art narratif sont ainsi passés en revue et illustrés par des exercices concrets : le narrateur et ses personnages, l’intrigue et le héros, la gestion de l’espace et du temps, la puissance de la répétition, la question du point de vue et de l’échelle des valeurs du narrateur etc. Mais ce qui compte par dessus tout, c’est le rendez-vous à ne pas manquer pour que le texte vive. Avec les « dix questions utiles » posées en fin d’ouvrage (chapitre xii), les suggestions de lecture pour continuer l’étude, les indications concernant cent dix récits et l’index des références bibliques, le lecteur tient en main un guide pratique qui n’entend pas agir par procuration, mais invite à se mettre au travail, indiquant les procédures les plus sûres et dénonçant les pièges les plus grossiers sur les chemins du « bien lire ».

L’ouvrage de J.L. Ska, Les énigmes du passé. Histoire d’Israël et récit biblique, vient à point pour clôturer cette section de la chronique [16]. En effet, comme son titre l’indique, il propose une voie médiane et cherche à articuler ce que les deux auteurs précédents voulaient honorer en propre : l’enracinement historique de la Bible (Brown) et sa dimension littéraire (Fokkelman). L’auteur, qui peut revendiquer une compétence à la fois en exégèse historico-critique et en analyse narrative, ne réfléchit pas ce rapport entre histoire réelle et histoire racontée de manière théorique, mais procède beaucoup plus simplement en analysant, pour chaque phase du récit biblique, les éléments essentiels d’un double dossier historiographique et littéraire. Si l’on reconnaît en général assez facilement le caractère « mythique » (l’auteur évite ce mot) des récits de Gn 1–11, l’histoire du Proche-Orient ancien et l’archéologie ne peuvent-elles, par contre, rien nous apprendre sur les patriarches et Moïse ? Que savons-nous de la conquête de la terre de Canaan et comment comprendre la manière violente dont la Bible rapporte ces événements ? Et même que reste-t-il de la description glorieuse des royautés de David et Salomon à l’aune des critères et des découvertes de la science historique moderne ? En bref, l’histoire racontée par la Bible est-elle « fiable » ? La réponse n’est pas simple, la moisson de certitudes historiques paraissant souvent très maigre. Comme le dit l’auteur, « la façon traditionnelle de présenter la révélation biblique comme révélation de Dieu dans l’histoire avait comme première conséquence de créer un lien étroit entre théologie et historiographie. Le lien existe certainement, et il continue d’exister. Toutefois une chose a changé : ce lien est moins étroit, moins immédiat et la situation est plus complexe qu’auparavant » (p. 83). Cette complexité oblige à réfléchir au statut de la vérité, aux procédures d’écriture de l’histoire, à la façon dont nous nous représentons cette histoire, à l’intention théologique inhérente aux récits. Le livre de Ska nous y aide grandement et il traite, de manière accessible, ces questions profondes et importantes. Comme les deux ouvrages précédents, il nous invite à une lecture intelligente et critique de la Bible. Les narratologues n’y apprendront rien, les spécialistes de l’archéologie et de l’histoire proche-orientale se sentiront parfois frustrés, mais tout lecteur curieux y trouvera de quoi renouveler son plaisir de lire.

V

Les trois ouvrages de cette dernière section de notre chronique biblique mériteraient tout aussi bien (et même davantage) de figurer dans la partie néotestamentaire qu’assure V. Fabre. Par leur contenu – les origines du christianisme – ils se situent, en effet, à la charnière de l’Ancien et du Nouveau Testament. C’est pourquoi je conclus, de manière brève, par eux, assurant ainsi la transition avec ce second volet de la chronique, à venir dans le prochain numéro de la revue.

D’un niveau assez technique, le premier livre reproduit les actes d’un colloque sur le « judéo-christianisme », qui s’est tenu à l’école biblique et archéologique française de Jérusalem en juillet 1998 [17]. Ce colloque s’inscrit dans la succession de celui de Strasbourg en 1964 – sur le même sujet – et dans le prolongement de travaux comme ceux de M. Simon, J. Daniélou, ou plus lointainement, F.C. Baur. Il fournit donc l’occasion de faire le point, en vingt deux interventions variées et multidisciplinaires (histoire, archéologie, exégèse...), sur cette période encore peu connue et longtemps occultée des origines juives du christianisme. La dénomination même de « judéo-christianisme » et sa définition ne font pas l’unanimité, la documentation disponible à son sujet reste, en grande part, à répertorier et à interpréter, mais une chose au moins ressort avec évidence de toutes les contributions présentées : une extrême diversité et une multitude de courants (Ebionites, Nazaréens, Elkasaïtes...) marquent déjà les origines juives du christianisme. D’où la double question qui, par-delà la technicité des débats, pourra intéresser le plus grand nombre : qu’est-ce qui, du fait de l’occultation plus ou moins volontaire de ces origines, s’est perdu de la révélation initiale ; et conjointement, qu’est-ce que la théologie chrétienne actuelle a à gagner d’une redécouverte de ses origines ? Le débat est ouvert.

A côté, et en complément des études de détail de l’ouvrage précédent, F. Blanchetière, un des participants du colloque de Jérusalem, présente sa propre synthèse sur les racines juives du mouvement chrétien [18]. Le champ couvert par cette étude est quasiment identique à celui de l’ouvrage précédent, sauf que l’auteur se limite ici à une période plus réduite allant de 30 à 135 et qu’il préfère, pour en parler utiliser le terme de « nazaréen » plutôt que celui de « judéo - chrétien ». Son enquête confirme les conclusions du colloque de Jérusalem et aboutit également à une description polyphonique du christianisme primitif qui obligent à remettre en cause pas mal d’idées reçues. Pour ne prendre qu’un exemple, la division classique de la société juive en quatre « sectes » politico-religieuses (sadducéens, pharisiens, esséniens, zélotes), héritée de Flavius Josèphe, semble à l’auteur aussi arbitraire que fallacieuse. La rupture des divers courants nazaréens et proto-nazaréens avec Israël aussi bien qu’avec la grande Église se jouera principalement sur des questions de halakah et d’interprétation de cette halakah. Un riche instrument de travail dont l’édition aurait pourtant mérité davantage de soins.

Cette scission originelle entre l’ ecclesia ex circumcisione et l’ ecclesia ex gentibus a bien sûr eu, en premier lieu et pour longtemps, des répercussions sur les rapports entre juifs et chrétiens, l’Église et Israël. C’est en quelque sorte l’histoire de ces relations, mais surtout l’évaluation théologique de la situation et des responsabilités qui en découlent, qui font l’objet du livre de M. Remaud. On y trouvera notamment le récit de la laborieuse rédaction du chapitre 4 de Nostra oetate (texte de Vatican ii sur la religion juive), un lourd dossier patristique, une réflexion sur Israël et sa terre et une lecture de Rm 9–11. Au moment où la commission biblique pontificale publie un texte important sur Le peuple juif et ses Saintes Écritures dans la Bible chrétienne, il est utile de faire mémoire de ce passé – aussi douloureux soit-il – et d’ouvrir de nouvelles perspectives de dialogue avec un judaïsme qui ne soit pas que « virtuel ».

Didier Luciani, chroniqueur pour l’Écriture Sainte depuis 1992, est né en 1954. Laïc, marié, il est père de cinq enfants. Après avoir étudié à Jérusalem, Bruxelles et Paris, enseigné les mathématiques à Alger et travaillé comme assistant à l’Institut d’Etudes Théologiques à Bruxelles, il est maintenant professeur d’Écriture Sainte à temps plein au grand séminaire de Namur (Belgique) tout en poursuivant un doctorat à Louvain-la-Neuve. On retiendra, notamment, ses articles sur le Lévitique (NRT, RTL et ETR), sans oublier une réflexion intéressante à propos du Laïc en formation au laïc formateur (NRT 117, 1995, 565-579).

[1Le Pentateuque d’Alexandrie. La Bible des Septante, texte grec et traduction. Ouvrage collectif sous la direction de C. Dogniez et M. Harl, Paris, Cerf, 2001, 23 x 16, 919 p., 38,00 €.

[2J.M. Auwers et al., La Bible en français. Guide des traductions courantes (nouvelle édition revue et augmentée). « Connaître la Bible » 11/12, Bruxelles, Lumen Vitae, 2002, 21 x 15,144 p., 9,00 €.

[3J. Borella, Le poème de la Création. Traduction de la Genèse 1-3, Genève, Ad Solem, 2002, 20 x 12, 44 p., 10,00 €.

[4Jacob. Commentaire à plusieurs voix de Gn 25-36. Mélanges offerts à Albert de Pury. Coll. « Le Monde de la Bible » 44, Genève, Labor et Fides, 2001, 22 x 15, 399 p.

[5J.F. Lefebvre, Un mémorial de la création et de la rédemption. Le jubilé biblique en Lv 25. Coll. « Connaître la Bible » 23, Bruxelles, Lumen Vitae, 2001, 21 x 15, 64 p., 6,20 €.

[6J.M. Carrière, Le livre du Deutéronome. Choisir la vie. Coll. « La Bible tout simplement » 8, Paris, Ed. de l’Atelier/Ed. ouvrières, 2002, 23 x 17,188 p.

[7J. Cazeaux, La guerre sainte n’aura pas lieu. Coll. « Lectio Divina » 185, Paris, Cerf, 2001, 21 x 13, 463 p., 39,00 €.

[8A. Lemaire (éd.), Prophètes et rois. Bible et Proche-Orient. Coll. « Lectio Divina » hors série, Paris, 2001, 21 x 13, 304 p., 30,00 €.

[9C. Boureux, Les plantes de la Bible et leur symbolisme. Paris, Cerf, 2001, 28 x 21,125 p., 32,00 €.

[10R Lefebvre, « Comme des arbres qui marchent ». L’homme et l’arbre dans la Bible. Coll. « Connaître la Bible » 24, Bruxelles, Lumen Vitae, 2001,21 x 15,64 p., 6,20 €.

[11J. Briend, M. Quesnel, La vie quotidienne aux temps bibliques. Paris, Bayard, 2001,21 x 15, 235 p., 21,50 €.

[12J.C. Lavigne, I. Berten, Nations et patries. Echos bibliques. Coll. « Connaître la Bible » 21/22, Bruxelles, Lumen Vitae, 2001,21 x 15,111 p., 9,50 €.

[13T.P Osborne, R.F. Poswick (éd.), Bible et cultures (actes du colloque « La pastorale biblique au carrefour des cultures », Paris, 6-8 octobre 2000), Paris, Lethielleux, 2001, 22 x 15, 193 p., 19,06 €.

[14R.E. Brown, Croire en la Bible à l’heure de l’exégèse. Coll. « Lire la Bible » 123, Paris, Cerf, 2002, 22 x 14, 223 p., 18,00 €.

[15J.P Fokkelman, Comment lire le récit biblique. Une introduction pratique. Coll. « Le livre et le rouleau » 13, Bruxelles, Lessius, 2002, 21 x 15, 239 p., 19,00 €.

[16J.L. Ska, Les énigmes du passé. Histoire d’Israël et récit biblique. Coll. « Le livre et le rouleau » 14, Bruxelles, Lessius, 2002, 21 x 15,144 p., 13,50 €.

[17S.C. Mimouni et al., Le judéo-christianisme dans tous ses états (actes du colloque de Jérusalem, 6-10 juillet 1998). Coll. « Lectio Divina » hors série, Paris, Cerf, 2001, 24 x 15,464 p., 34,00 €.

[18Fr. Blanchetière, Enquête sur les racines juives du mouvement chrétien. Coll. « Initiations », Paris, Cerf, 2001, 22 x 14, 587 p., 45,00 €.

Mots-clés

Dans le même numéro