Le charisme cistercien à l’épreuve des laïcs
Joël Regnard, o.c.s.o.
N°2002-3 • Mai 2002
| P. 178-198 |
Dans la série des contributions à la réflexion sur le thème de l’année (suite au Conseil de 2001), nous proposons ici une reprise d’un texte publié dans les Collectanea Cisterciensia 63 (2001, 315-331). Nous pensons peut être trop souvent, en effet, la question des « fidèles associés » en référence aux œuvres apostoliques propres aux congrégations de même nom. Mais la question de « l’association », ou mieux de la communion à un charisme est plus profonde et trouve peut-être son paradigme dans les diverses pratiques inaugurées par le monachisme (donnés, tiers-ordres...). Les remarques de Dom Regnard sont donc très intéressantes non seulement parce qu’elles resituent bien le problème dans son histoire et sa généralité, mais parce qu’elles pointent des aspects spécifiques de cette association dans le contexte d’un charisme monastique « partagé » aux fidèles dans la situation de sécularité qui leur est propre et ne peut être relâchée en rien.
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Survol historique
Depuis le haut Moyen Age, des hommes et des femmes laïcs, mariés ou célibataires, ont vécu dans la mouvance des ordres religieux et en premier lieu des monastères : mercenaires, ouvriers salariés au service des communautés, villages avec leurs églises, vivant sur les terres des abbayes et les exploitant. Dans le contexte de chrétienté de ce temps, l’assistance pastorale et spirituelle des moines se joignait à la collaboration matérielle, y compris chez les cisterciens, pourtant réticents au départ à posséder des villages. Frappante est l’importance de ces formes de vie laïque vivant autour des communautés religieuses, leur étant associées et vivant de leur spiritualité [1].
A partir des xie et xiie siècles, outre les convers laïcs, célibataires ne prononçant pas les vœux des moines mais engagés à vie avec une règle précise, des laïcs célibataires ou mariés étaient attachés spirituellement et matériellement aux monastères – auxquels souvent ils donnaient leurs biens – et bénéficiaient d’une protection matérielle en échange de divers services [2]. On les regroupe sous le terme générique de familiers avec différentes dénominations : donnés, rendus, prébendiers. Ces derniers assuraient leurs vieux jours dans l’environnement monastique.
Au xiiie siècle, une nouvelle forme de vie laïque liée aux Ordres mendiants apparaît : les pénitents qui vivent dans le monde, mais de façon non mondaine ; s’ils ne portent pas d’habit religieux, leur manière de se vêtir est très sobre. A la fin du xiiie siècle et au xive siècle, cette forme de vie aboutira aux Tiers Ordres reconnus. Leur vie est très réglée, avec des offices, des jeûnes, des périodes de continence dans le mariage. Il faut nommer encore les Béguines, en milieu urbain : elles gardent leurs biens, ne font pas de vœux, mais restent dans le célibat, en groupes plus ou moins importants ; elles aussi ont une vie très réglée. La pauvreté et l’ascétisme en conformité avec la passion du Christ n’ira pas sans excès, par exemple dans les confréries de Flagellants. Au xviie siècle, apparaissent les confréries du rosaire, liées aux couvents dominicains, ou celles du Sacré-Cœur.
Les laïcs des Tiers Ordres vivent comme des religieux dans le monde, qu’ils soient mariés ou célibataires ; ils sont sous la « haute direction » de l’Ordre, par exemple dominicain. Ils disent les heures canoniales et se livrent aux œuvres de miséricorde [3]. On remarque une extrême diversité dans ces formes de vie, parfois très exigeantes ou à mi-chemin entre la vie religieuse et la vie laïque, une grande créativité qui s’adapte aux besoins des temps. Des dérives ont parfois inquiété la hiérarchie ecclésiale, mais globalement le partenariat entre laïcs et religieux au plan matériel et spirituel semble bien harmonisé.
La réalité actuelle en France
« Les laïcs associés manifestent l’émergence d’un courant différent dans l’Église. Entre la Tradition, l’Action catholique, le Renouveau et les communautés nouvelles, existe une autre mouvance qui vit en lien étroit avec les instituts religieux. Ce courant se veut actif et présent à la société dans laquelle et pour laquelle l’Église est lieu d’espérance » .
Quelques articles récents serviront de base à notre réflexion : « Les laïcs goûtent à la vie religieuse » et « Révolution de velours à l’ombre des couvents » (La Croix, 13-14 mars 1999, p. 12-13), « Des laïcs dans les pas des grands ordres religieux, enquête » (Panorama, janvier2000, p. 13-19), « Le charisme religieux à l’épreuve des laïcs » (Bruno Chenu, dans La Croix, 31 janvier 2000). Nous pouvons le remarquer, certains de ces titres ne sont pas sans ambiguïtés, laissant entendre que les laïcs s’alignent sur la vie religieuse, alors que les témoignages rapportés et la réflexion qui s’ensuit, montrent que le même charisme partagé s’incarne différemment pour les laïcs et dans la vie religieuse.
Ce qui frappe dans ces groupes, comme pour ceux des siècles précédents, c’est la grande diversité. Certains sont bien enracinés et héritent des anciens Tiers Ordres, avec de nombreux membres et des structures internationales qui en font de véritables institutions. D’autres sont beaucoup plus récents avec un développement rapide. Beaucoup de petits groupes existent souvent à partir d’un lien ou d’une collaboration avec telle ou telle communauté de religieux ou de religieuses, sans être recensés par le Secrétariat national des gve (Groupes de Vie Evangélique) qui compte actuellement onze groupes [4].
Pour les membres de ces groupes, divers au plan social et au plan des sensibilités, engagés dans la vie familiale, professionnelle, ecclésiale, le charisme partagé est « actif » très concrètement dans leur vie et la transforme. Ils se rencontrent au cours de temps forts de fraternité où ils peuvent prendre du recul par rapport à leur quotidien, vivre une écoute et une communion qu’ils ne trouvent pas ailleurs. Leur appel est passé la plupart du temps par une rencontre avec une fraternité religieuse, ou avec un religieux ou une religieuse, parfois par la simple interpellation d’une parole, ou encore par la participation à une retraite ou à un pèlerinage qui ont été comme des tremplins pour redécouvrir ou approfondir leur foi. Ce n’est pas l’étude de telle ou telle spiritualité, des écrits de tel ou tel saint fondateur, qui a provoqué le déclic, mais plutôt la nouveauté inattendue d’une expérience forte, partagée avec d’autres dans une certaine mouvance. On peut parler à leur sujet de vocation, la découverte de la spiritualité étant venue ensuite.
De ces quelques remarques, plusieurs conclusions peuvent être tirées. Alors que les anciens Tiers Ordres venaient après les ordres religieux et étaient dirigés par eux, émerge aujourd’hui comme un don inattendu de l’Esprit, don que, dans un deuxième temps, les ordres religieux en place peuvent reconnaître comme participant de leur charisme. Ceci suppose la reconnaissance d’une théologie du laïcat enracinée dans les textes de Vatican II, où la dimension séculière est perçue comme véritable lieu théologique. Une autre conséquence, non moins importante, est que la réalité du charisme dans l’état de vie laïque ne peut être découverte que par les laïcs eux-mêmes, qui, à strictement parler, sont seuls à même d’en former d’autres.
Eléments pour une réflexion pastorale
Les interventions du Père Dortel-Claudot au colloque qui s’est déroulé en février 1994 au Centre Sèvres [5], essaient de clarifier la relation des instituts et des groupes de laïcs associés en précisant certaines notions fondamentales d’un point de vue pastoral et canonique.
Quatre notes spécifiques sont reconnues aux Groupes de Vie Evangélique :
- Une vocation personnelle dans laquelle une personne laïque se sent appelée à vivre dans son état de vie laïque le charisme évangélique d’une famille spirituelle. Cet appel peut se manifester de manière forte, inattendue, nouvelle.
- Un engagement de tout l’être dans une fidélité évangélique plus grande, engagement qui s’exprime sous différentes formes.
- Un milieu fraternel qui éclaire et soutient cet engagement.
- Une règle de vie exprimant la grâce de cette famille spirituelle.
Ces quatre notes – vocation, engagement, milieu fraternel, règle de vie – vécues ensemble, spécifient une démarche de laïcs associés et la distinguent de tout autre mouvement ou groupement ecclésial.
Une notion importante, celle de famille
La famille est la réalité des divers instituts religieux et des groupes de laïcs associés qui se réclament d’un même charisme. On passe d’une représentation de la famille composée essentiellement d’un institut de vie religieuse s’ouvrant à des laïcs, comme par exemple pour l’oblature bénédictine, à une pluralité, où tous sont membres à part entière, donc en partenariat.
Le lien entre les instituts de vie religieuse et les groupes de laïcs associés
Dans cette perspective, le lien entre l’institut religieux et le groupe des laïcs associés change. Ces derniers ont une réelle autonomie. L’expression « sous la haute direction » du canon 303 du Code de Droit Canonique, laisse encore entendre que l’institut est le seul dépositaire du charisme. Le rôle de l’institut serait actuellement perçu, de par son expérience historique plus enracinée du charisme, comme d’authentification plutôt que de direction.
Dans les groupes importants – comme les cvx (Communautés de Vie Chrétienne, jésuites) ou les fraternités franciscaines –, les structures sont très définies, avec un secrétariat national et international. Le lien avec l’institut est déterminé et passe souvent par l’autorité du supérieur général. Mais de nombreux groupes de petite taille existent, vivant un lien personnalisé avec telle ou telle communauté. Le processus de constitution de ces groupes est souvent le fruit d’une rencontre, de l’expérience d’une personne qui en réunit d’autres. Dans tous les groupes de laïcs associés, la vie commune est expérimentée dans le cadre d’une « fraternité de base » dont le type de rencontre (régularité, fréquence), est très divers, incluant toutes les possibilités actuelles de communiquer à distance : courriers, bulletins, lettres circulaires, téléphone, fax ou internet.
Souvent, un ou plusieurs religieux ou religieuses font le lien entre leur communauté et un groupe de laïcs. Ils sont ceux et celles qui se « tiennent auprès ». Leur rôle peut beaucoup varier selon l’évolution et les besoins des groupes, mais ils n’en sont pas responsables. Ils peuvent aider à prendre du recul par rapport à telle situation, référer les choix à la tradition spirituelle et au charisme, proposer des solutions, parfois intervenir directement pour sortir de telle ou telle impasse. Ils doivent faire preuve de beaucoup de discernement pour ne pas s’octroyer un pouvoir qu’ils n’ont pas et ne pas imposer les formes de la vie religieuse à des laïcs.
Cette réalité d’une fraternité de base est particulièrement adéquate pour les laïcs cisterciens. Même si l’Ordre Cistercien de la Stricte Observance, par exemple, s’intéresse à tous les laïcs cisterciens au niveau de ses plus hautes instances, notamment le Chapitre Général, il reste que les différents groupes représentent une réalité diversifiée, qui ne sera sans doute jamais unifiée. Cela tient en partie au fait que dans la vie cistercienne l’entité fondamentale est la communauté monastique avec le vœu de stabilité pour chacun de ses membres, et non pas une province ou l’Ordre. De ce fait les groupes de laïcs cisterciens trouvent leur identité à partir de leur relation avec telle ou telle communauté cistercienne. On voit donc davantage une communion entre les différents groupes qu’un secrétariat national ou international.
Les formes d’incorporation ou d’engagement
Le processus d’incorporation et d’engagement est progressif, il passe par un accueil, une reconnaissance mutuelle, une information et une formation. Cette phase peut durer d’un an à quatre ans. Les formes d’engagement sont très diverses, temporaires ou d’emblée définitives. Parfois le contenu de l’engagement est précisé, d’autres fois il s’agit d’exprimer, de manière célébrée et rituelle, la reconnaissance d’un chemin parcouru et le propos de continuer sur ce chemin. Dans certains groupes de laïcs associés, il n’y a pas d’engagement précis. Un engagement n’est pas exigé de tous, il est parfois laissé au discernement de chacun. Il peut être aussi pris en couple. Si l’on peut parler d’oblation, voire de consécration (en précisant ce que cela signifie), il paraît délicat de parler de profession. Le fait de prononcer des vœux n’est pas non plus sans ambiguïtés.
La question de l’engagement en appelle d’autres : autorité dans le groupe, statut des anciens et des nouveaux, formes de transmission, etc.
Eléments pour une réflexion théologique
On ne peut comprendre le partage d’un même charisme que dans la perspective d’une ecclésiologie de communion :
Dans l’Église-Communion, les états de vie sont si unis entre eux qu’ils sont ordonnés l’un à l’autre. Leur sens profond est le même, il est unique pour tous : celui d’être une façon de vivre l’égale dignité chrétienne et la vocation universelle à la sainteté dans la perfection de l’amour. Les modalités sont tout à la fois diverses et complémentaires, de sorte que chacune d’elles a sa physionomie originale, et, en même temps, chacune se situe en relation avec les autres et à leur service. Ainsi l’état de vie du fidèle laïc a comme trait spécifique son caractère séculier et il réalise un service ecclésial en attestant et en rappelant, à sa manière, aux prêtres, aux religieux et aux religieuses, le sens que les réalités terrestres et temporelles possèdent dans le dessein salvifique de Dieu (Christifideles laici, C 55).
Le concile Vatican II présente les ministères et les charismes comme des dons de l’Esprit Saint pour l’édification du Corps du Christ et pour la mission en vue du salut du monde (ibid., n° 21).
Que sont ces charismes ?
Extraordinaires ou simples et humbles, les charismes sont des grâces de l’Esprit Saint qui ont, directement ou indirectement, une utilité ecclésiale, ordonnés qu’ils sont à l’édification de l’Église, au bien des hommes et aux besoins du monde.
De nos jours également nous pouvons voir s’épanouir divers charismes parmi les fidèles laïcs, hommes et femmes. Ils sont donnés à une personne déterminée, mais ils peuvent être partagés par d’autres, de sorte qu’ils se maintiennent à travers le temps comme un héritage vivant et précieux, qui engendre une affinité spirituelle particulière entre de nombreuses personnes (Christifideles laici, n° 24).
Cette dernière remarque peut s’appliquer au partage d’un même charisme par des laïcs et des religieux.
Pour conclure cette première partie de notre parcours, nous pouvons reprendre les propos de Bruno Secondin [6] qui parle de « vraie révolution copernicienne » :
« La tâche de donner vie à une nouvelle alliance, fondée non sur une délégation de service mais sur la participation et la coresponsabilité ecclésiale pour la fécondité créatrice du charisme, s’impose aujourd’hui avec urgence entre religieux et laïcs. Ces laïcs ne veulent pas être des religieux de “seconde” ou “troisième classe”, mais ils cherchent une pleine participation au charisme, tout en restant dans la “vie laïque” où mieux, par une nouvelle lecture charismatique de leur caractère séculier »
.Jusqu’à présent, on a considéré le charisme des divers instituts de vie consacrée comme l’impulsion de l’Esprit qui a donné naissance à une famille religieuse et qui reste pour ainsi dire « lié et monopolisé » par telle ou telle forme d’institution approuvée, garantie, privilégiée. C’est dire que le charisme a été reçu « à travers » l’institut spécifique, sa forme institutionnelle. L’institut n’est pas considéré comme le garant de l’authenticité et de la fécondité, mais il en a le monopole et le gère en autarcie.
Cette vision du charisme « à travers » l’institut (charisme = institut) est sentie aujourd’hui comme une autarcie excessive, non conforme au charisme comme « don à l’Église », qui de par sa nature devrait donc être ouvert à de multiples partages [7].
La remarque d’un religieux, relevée par Bruno Chenu dans son article, va dans le même sens :
« Il y a tout un patrimoine de doctrine spirituelle dans nos charismes qui n’a jamais été mis à la disposition de l’Église et du monde, qui circule encore aujourd’hui dans des circuits fermés ou qui gît dans des codes mal traduits où il risque de devenir évanescent, de perdre sens, de suffoquer. Les charismes meurent s’ils restent confinés dans des espaces limités ; ils ont besoin d’être à ciel ouvert et à l’air libre, ils ont besoin de provocations nouvelles. Et même, plus la provocation est forte et exige une inculturation-traduction difficile, parce qu’elle provient d’une culture différente de la nôtre, plus salutaire est cette situation pour une compréhension renouvelée du charisme qui est comme pressé dans sa densité de signification (Amadeo CENCINI).
Partager le charisme cistercien
Il nous faut d’abord considérer en quoi consistent les charismes en vie consacrée [8].
Rouvrir le dossier de la fondation
Lors de la naissance des instituts religieux, il y a une phase initiale de recherche, ouverte et inventive, constructive du service ecclésial, qui va peu à peu susciter un style de vie et une forme institutionnelle, lesquels pourront alors être reconnus comme fruits d’un charisme venant de l’Esprit Saint [9].
Le charisme personnel du fondateur [10] pourra alors être partagé par d’autres et ce partage lui-même sera l’œuvre de l’Esprit :
On doit constater que ce n’est pas le fondateur qui communique le charisme à ceux qui s’associent à lui. Seul l’Esprit Saint est l’auteur des charismes dans le corps ecclésial et c’est lui seul qui les communique. Le groupe autour du fondateur naît quand un certain nombre de personnes prennent conscience de leur propre grâce vocationnelle en rencontrant le fondateur et en s’unissant à lui pour réaliser leur propre vocation. On peut dire, si l’on veut, que le fondateur donne accès au charisme à travers l’harmonie spirituelle entre lui et les autres [11].
On retrouve ce processus de fondation et de vocation dans la naissance des groupes de laïcs associés.
La réouverture du dossier des origines par les laïcs ramène les religieux eux-mêmes à leurs origines pour qu’ils les pensent à nouveau :
Le plus grand bénéfice a été certainement une meilleure définition du charisme et de la spiritualité de ces instituts eux-mêmes. Face aux associés laïcs, les instituts religieux sont provoqués à se définir plus clairement eux-mêmes dans ces deux importants domaines. Le fait que les associés laïcs demandent fréquemment une croissance continue dans la spiritualité de l’institut et une notion plus claire du charisme a conduit des instituts à se mettre à cette étude, ce qui a apporté un profit non seulement aux associés laïcs mais aussi à eux-mêmes. Cela aide les instituts dans leur aggiornamento continu et dans la revitalisation de leur vie [12].
Partager un même charisme
De nos jours également, nous pouvons voir s’épanouir divers charismes parmi les fidèles laïcs, hommes et femmes. Ils sont donnés à une personne déterminée, mais ils peuvent être partagés par d’autres, de sorte qu’ils se maintiennent à travers le temps comme un héritage vivant et précieux, qui engendre une affinité spirituelle particulière entre de nombreuses personnes (Christifideles laici, n° 24).
Aujourd’hui, beaucoup d’instituts sont parvenus à la conviction que leur charisme peut être partagé avec des laïcs, qui, par conséquent, sont invités à participer de façon plus intense à la spiritualité et à la mission de l’institut lui-même. On peut dire que dans le sillage des expériences historiques comme celles des divers Ordres séculiers ou Tiers Ordres, un nouveau chapitre, riche d’espérance, s’ouvre dans l’histoire des relations entre les personnes consacrées et le laïcat (Vita Consecrata 54).
La participation des laïcs suscite souvent des approfondissements inattendus et féconds de certains aspects du charisme, en lui donnant une interprétation plus spirituelle et en incitant à en tirer des suggestions pour de nouveaux dynamismes apostoliques (Vita Consecrata 55).
Bruno Chenu, dans son article de La Croix, énumère les trois facettes du charisme de congrégation :
- une saisie particulière du mystère du Christ (spiritualité)
- un axe spécifique d’apostolat (mission)
- un style original de communauté (communion).
Il est utile de distinguer charisme et spiritualité. Certains courants spirituels ont formé de véritables écoles avec différents auteurs dont les textes ont une réelle parenté, que l’on pense à l’école cistercienne, carmélitaine ou à l’école française. On peut parler d’un patrimoine spirituel, non seulement littéraire, mais aussi architectural, iconographique... Ce patrimoine n’appartient pas à un institut, mais il peut être interprété, inculturé. C’est ainsi qu’on peut très bien se nourrir de textes d’auteurs cisterciens sans pour autant vivre concrètement du charisme cistercien [13]. La spiritualité peut donc à bon droit sembler plus large que les expressions limitées du charisme. Par contre le charisme n’est pas dépendant exclusivement d’une spiritualité et peut intégrer des éléments d’autres spiritualités [14].
Si la mission semble claire pour les instituts de vie apostolique, elle l’est moins pour les instituts de vie contemplative. Les constitutions de l’Ordre Cistercien de la Stricte Observance parlent d’une secrète fécondité apostolique, au service du peuple de Dieu et de l’humanité tout entière [15]. Des laïcs peuvent participer à la mission d’un institut apostolique. Pour les laïcs cisterciens, outre le fait que dans certains cas ils pourront collaborer à l’accueil des monastères ou être engagés dans diverses activités, la mission sera dans le témoignage d’une vie simple, d’un équilibre de vie dans le monde, à contre-courant parfois de certaines valeurs mondaines. Toutes choses qui relèvent d’une sagesse contemplative. Nous y reviendrons à propos de la conversatio cistercienne vécue par des laïcs.
Pas plus que dans l’Église en général, la mission n’est dissociable de la communion. Au Moyen Age, comme dans l’Église primitive, l’expression « vie apostolique » désignait la vie de la première communauté de Jérusalem décrite dans les Actes des Apôtres. C’était l’idéal que voulaient reproduire les communautés monastiques.
L’institut religieux, à l’instar de l’Église elle-même, n’est pas que mission... La communion a même la priorité sur la mission, puisqu’elle en est la source et le fruit [16].
La communion représente la source et tout à la fois le fruit de la mission : la communion est missionnaire et la mission est pour la communion (Christifideles laici, 32 D).
Ceci s’exprime particulièrement par le témoignage de la vie monastique qui est essentiellement communautaire et ne passe pas d’abord par la mission individuelle de tel ou tel frère. Parallèlement chez les laïcs cisterciens, la mission pourrait aussi être dans le témoignage d’une qualité du vivre ensemble. Ce qui dans la Règle de saint Benoît sera appelé obéissance mutuelle et dans la tradition cistercienne école de charité.
Le charisme cistercien en vie laïque
Au tout début d’une expérience qui se cherche, il peut paraître présomptueux d’essayer de donner un contenu au charisme cistercien dans la vie des laïcs. Ainsi la lettre de janvier 1995 de dom Bernardo [17] reste discrète sur ce contenu : si elle pose les bases théologiques pour un charisme ouvert et partagé, fait une relecture historique des formes que le charisme cistercien a pu prendre et donne des critères pour bien vivre le partage, le seul point clairement défini de ce partage est la dimension séculière propre à la vie des laïcs. En effet, cette dimension a aussi une place importante dans la vie monastique cistercienne en tant qu’elle « enfonce ses racines dans le mystère du Verbe incarné ».
Si nous essayons maintenant de partir de l’expérience des différents groupes de laïcs cisterciens pour examiner les fruits du charisme, une première constatation s’impose : entre les groupes ou même à l’intérieur d’un groupe, on peut constater deux tendances, celle des contemplatifs et celle des actifs.
Les contemplatifs donnent une grande importance au modèle monastique, le lien avec telle ou telle communauté est pour eux vital ; les « exercices » qu’ils mettent en place dans leur vie, parfois très exigeants, tendent à reproduire la pratique monastique. La perspective n’est pas sans rappeler celle de l’oblature bénédictine. Le risque est de majorer le côté cistercien plus que le côté laïc avec son caractère séculier comprenant un engagement dans le monde. Cela peut aller jusqu’à des pratiques qui sont des déviations : les laïcs portant le même habit que les moines et les moniales, les groupes ayant des maîtres des novices et prononçant des engagements strictement parallèles aux vœux monastiques. On comprendra aisément que ce genre de confusion est nuisible.
Les actifs insistent sur le côté séculier de leur vie de baptisés dans le monde. Ils ne veulent pas que leur appartenance à un groupe de laïcs cisterciens empiète sur leurs autres engagements. La spiritualité cistercienne est là d’abord pour les ramener à l’écoute de la Parole qui éclaire leur action. Le risque serait alors d’utiliser la tradition cistercienne parfois temporairement et très individuellement, sans véritable actualisation du charisme cistercien. On voit peu alors de différence avec l’appartenance à, tel ou tel mouvement, aumônerie ou groupe de catéchuménat.
Il est sans doute légitime qu’il y ait une diversité à l’intérieur d’un même appel à être laïc cistercien, à condition que certaines tendances ne deviennent pas trop exclusives. Le charisme cistercien est, comme tout charisme, un don que l’on ne s’approprie pas, mais que l’on découvre, que l’on éprouve, avec et par les autres, dans un travail d’écoute et d’obéissance mutuelle selon l’esprit du chapitre 3 de la Règle de saint Benoît. Sans vouloir donner un programme ou des « exercices » comme un mode d’emploi pour savoir ce qu’il faut faire pour être laïc cistercien, des repères importants sont donnés par la tradition cistercienne, qui peuvent largement inspirer une pratique.
Des repères dans la Règle de saint Benoît et le Petit Exorde de Cîteaux
Dans le Petit Exorde, il est dit de saint Albéric qu’il aimait la Règle et les frères, et de saint Etienne, qu’il aimait la Règle et le lieu [18]. De ces brèves notes qui caractérisent les deux premiers abbés de Cîteaux venant après Robert de Molesme, on peut dégager les trois pôles fondamentaux que sont, la Règle, les frères, ou la vie fraternelle, et le lieu. Une étude approfondie montre combien leur articulation est importante dans l’expérience du Nouveau Monastère.
Ces trois pôles peuvent être mis en rapport avec ce que le novice, selon le chapitre 58 de la Règle de saint Benoît, promet au moment de son engagement définitif : stabilité, changement de vie (conversatio morum), obéissance ; la stabilité peut être associée au lieu, car c’est dans l’atelier du monastère que le moine utilise les instruments de l’art spirituel, sans relâche, jour et nuit, jusqu’au bout (RB 4, 76-78).
Que peut signifier « vivre sous une règle » pour des laïcs ?
Qu’est-ce qu’au fond vivre sous une règle ? C’est trouver un chemin précis ici et maintenant pour vivre l’Évangile avec d’autres. L’Évangile est trop vaste pour être en lui-même une règle. On peut voir dans cette délimitation la dimension chrétienne de l’Incarnation. Une question demeure cependant : Comment vivre sous une règle du VIe siècle ? Si cela semble déjà difficile pour des moines auxquels pourtant elle s’adresse, qu’en sera-t-il pour des laïcs ? Mais alors la question rebondit : si la règle bénédictine ne peut plus être pratiquée à la lettre, où est notre règle ? Elle est dans ces repères qui nous sont donnés, que nous les appelions constitutions, déclarations, us ou coutumiers. Mais là où nous pouvons rester dans une démarche cistercienne, c’est quand nous savons trouver dans la Règle méditée inlassablement la source privilégiée qui donne forme concrètement à notre règle pour aujourd’hui et peut inspirer nos structures de vie communautaire et nos comportements personnels partout où nous sommes.
De tout temps les chrétiens ont cherché à concrétiser ce à quoi les invitait l’Évangile. Ces éléments plus ou moins construits, plus ou moins cohérents ou ponctuels, servaient de repères. On pouvait les appeler imitation ou suite du Christ, parfois très concrète : suivre l’exemple de l’Apôtre Paul, suivre des instructions pour plaire à Dieu, suivre les traditions reçues, particulièrement en matière de prière et de travail [19], suivre la règle de foi, c’est-à-dire traduire la foi dans le comportement [20], etc. La vie de la communauté de Jérusalem (Ac 2, 42-47 et 4, 32-35) a toujours été considérée comme l’idéal de toute communauté chrétienne.
Au ive siècle, les Règles Morales de saint Basile, très proches des règles organisant la vie monastique, proposeront les repères exigeants d’un ascétisme pour les chrétiens dans le monde ; à une époque où l’on sortait à peine de la persécution et du martyre, être chrétien était lourd de sens. Des chemins précis sont proposés pour être guidé par l’Évangile. Per ducatum Evangelii, dira Benoît au Prologue de sa Règle, et il propose des comportements quasiment rituels pour concrétiser telle ou telle injonction évangélique :
RB 58, 74 : donner ses biens aux pauvres ou au monastère avant l’engagement définitif, évoque l’homme riche de l’Évangile, invité à tout laisser (Mt19 , 21 et parallèles).
RB 38, 1 : la lecture qui ne doit jamais manquer à table évoque l’homme qui ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Mt 4, 4 ; Lc 4,4).
RB 16, 3 : avec sa citation du Ps 118 « sept fois le jour je te loue » ; peut renvoyer au « prier sans se décourager » de Lc 18, 1, au « priez sans cesse » de 1 Th 5, 7.
RB 13, 12-13 : l’engagement au pardon mutuel de l’oraison dominicale, « pardonne-nous nos offenses comme nous les pardonnons », sera rappelé aux Laudes et aux Vêpres.
On pourrait trouver bien d’autres exemples de ces comportements évangéliques traduits très concrètement : la Règle se révèle inépuisable pour inspirer nos structures de vie communautaire et nos comportements personnels partout où nous sommes.
Nous pouvons en revenir à présent aux trois pôles fondamentaux que nous avions découverts dans le Petit Exorde.
Si l’on définit la stabilité comme permanence de vie dans un monastère, la question se pose immédiatement pour les laïcs : comment peuvent-ils vivre cette stabilité ? Il arrive qu’un groupe de laïcs cisterciens, au moment de sa constitution même, reçoive un lieu de mémoire cistercienne, comme un don, de même que les fondateurs de Cîteaux ont reçu ce lieu comme un don de Dieu adapté à leur propos de vie. Ce don d’un lieu, qui n’est pas un monastère, peut sembler une charge, si on n’en comprend pas le bienfait. On peut l’appeler Grange comme le lieu des convers qui n’étaient pas des moines, mais étaient membres à part entière de la Famille cistercienne. Ce lieu est celui d’une stabilité ; même si des laïcs n’y vivent pas en permanence, une régularité des rencontres existe et surtout la mise en place d’une pratique cistercienne spécifiquement laïque, par la liturgie, la lectio et l’enseignement, le travail, les services et le silence. Même si cette mise en place n’est pas facile, elle est précieuse et ne peut se vivre de la même façon dans le cadre de l’accueil d’une hôtellerie monastique. Cette expérience devrait être la base d’une vie de laïc cistercien dans son milieu « séculier » (familial, professionnel, etc).
Dans le lieu se développe la vie fraternelle que nous assimilerons à l’obéissance du chapitre 58 de la Règle. La vie commune est d’abord un lieu d’obéissance mutuelle. Il est relativement facile d’accepter les différences quand on en reste au stade du partage des idées, mais quand il s’agit d’une pratique commune, c’est autre chose. On peut céder à la tentation de mettre en place des stratégies parallèles, sans concertation, en recherchant parfois d’abord son intérêt. Entrer dans un projet commun, se laisser « déplacer » par rapport à ses projets personnels, reconnaître dans ce que dit l’autre une parole venant de Dieu, voilà ce que peut inspirer le chapitre 3 de la Règle. Ainsi la dimension ecclésiale fondamentale de mission-communion dans la vie chrétienne s’expérimentera par l’obéissance mutuelle des laïcs cisterciens. Un coutumier peut donner des repères suffisants : rythme et contenu des journées de rencontre, pratique au quotidien, formation.
Cette pratique est assimilable au mode de vie particulier selon la Règle, que l’on peut traduire par conversatio. Elle est d’abord vécue en commun dans l’atelier qu’est une grange : sorte de laboratoire où l’on s’exerce à manier les instruments de l’art spirituel pour repartir ensuite dans son lieu habituel de vie (familial, professionnel, ecclésial, associatif...).
Les cinq piliers de la conversatio sont la prière (lectio, psalmodie), la vie fraternelle, la simplicité de vie, le travail et l’ascèse. Chacun de ces piliers correspond plus particulièrement, sans exclusive, à chacun des trois grands domaines de la relation : avec Dieu (prière), avec les autres et avec la création (vie fraternelle, simplicité de vie, travail) et avec soi-même (ascèse).
– Prière : La pratique assidue de la lectio divina est vraiment un chemin privilégié pour la prière dans la spiritualité cistercienne. La pratique de la psalmodie rythmant la journée, seul ou avec d’autres, est aussi une école de prière continuelle en lien avec la prière de l’Église et l’office monastique. Une vie eucharistique qui n’est pas spécifiquement cistercienne s’harmonise parfaitement avec cette quête de Dieu. Un des objets de la formation est d’initier à ces pratiques.
– Vie Fraternelle : Elle renvoie à cette obéissance mutuelle dont nous avons parlé précédemment. Elle est le lieu d’une conversion permanente pour sortir de soi, s’ouvrir à l’autre, en avoir souci, surtout du plus pauvre ou du moins intéressant. Elle est certainement le meilleur lieu de vérification de l’authenticité de notre pratique cistercienne en conformité avec l’Évangile.
– Simplicité de vie : Ce point est le plus spécifique d’une vie de laïc cistercien. Il correspond au retrait du monde, à la vie au désert de la conversatio monastique cistercienne, dans la mesure où il inclut une certaine prise de distance par rapport aux pratiques habituelles du monde environnant et des mentalités qui les alimentent.
Le laïc cistercien est à la fois dans le monde avec son caractère séculier, et pas du monde, dans la mesure où il s’exerce à un art de vivre marqué par une sagesse qui peut aller à contre-courant.
Cela touche aux trois grands domaines du pouvoir, de l’avoir et de la relation. Tout en restant dans la logique de ses responsabilités, le pouvoir sera conçu comme service et obéissance y compris dans l’exercice de l’autorité. L’avoir sera géré en essayant de se dégager d’un trop grand attachement aux choses, par le partage, en élaguant le superflu, une pauvreté peut exister dans la possession de richesses légitimes. La relation avec sa dimension affective sera vécue dans le respect de l’autre, sans les pressions d’une trop grande possessivité et sans séductions pour parvenir à ses fins : art difficile que celui de la chasteté, valable pour tous les états de vie.
– Travail : Cet art de vivre que nous venons de décrire trouvera un de ses lieux principaux d’application dans le travail, qu’il soit professionnel, dans le cadre des activités de la Grange, ou autre, qu’il soit intellectuel, manuel, artistique... Le travail dans la tradition cistercienne n’est jamais dissocié de l’ascèse, voire de la pénitence, ni de la prière. Le contact avec le réel de la création, qui s’impose avec ses contraintes, la collaboration avec les autres, le service et une certaine offrande de soi par son caractère peineux, font du travail un véritable lieu spirituel pour cette tradition cistercienne.
– Ascèse : Ce pilier renvoie à tous les autres, tant il est vrai que le rapport à soi est fondamental pour se tourner vers l’autre ou vers l’extérieur. L’ascèse dans son étymologie connote le fait de s’exercer à, elle est travail, maîtrise. S’exercer au silence et à la solitude, à la maîtrise des sens, propre au recueillement, à la retenue d’une curiosité dispersante, concerne cette dimension contemplative dont les laïcs cisterciens doivent aussi témoigner. Cette prise en compte du silence et de la solitude renvoie bien sûr à la relation avec Dieu dans la prière, mais tout autant aux relations interpersonnelles, car la sobriété d’une parole qui construit est une maîtrise rare, signe d’une réelle perfection (cf. Jc 1, 26). « L’Écriture montre qu’en parlant beaucoup on n’évite pas le péché » (RB 7, 57). Beaucoup de progrès seraient faits dans les communautés chrétiennes par un rapport plus évangélique à la parole.
L’ascèse concerne l’esprit par la formation intellectuelle. L’intelligence nous est donnée pour comprendre et la réaction contre ce qui est intellectuel peut cacher une paresse de l’esprit. Mais l’ascèse de l’esprit, c’est aussi traditionnellement la garde des pensées, le discernement des esprits : véritable vigilance spirituelle qui favorise l’expression d’une sagesse effective dans tous les domaines de la vie.
Ascèse du corps enfin en ce qui touche les besoins fondamentaux : la nourriture, le sommeil, la santé, le plaisir. Le corps est un bon serviteur, y compris au plan spirituel, si on sait lui donner ce dont il a besoin, mais aussi lui poser des limites. Le jeûne commence par la sobriété.
Ces piliers de la conversatio cistercienne que peuvent expérimenter des laïcs forment un tout ; dans la pratique, ils sont indissociables.
Concluons
Si, historiquement, le charisme cistercien s’est exprimé de manière prédominante sous la forme de la vie monastique, cela n’a pas empêché une grande diversité à travers les siècles. Dom Bernardo en donne des exemples dans sa lettre (convers, moniales, ordres militaires, familiers). La réalité diversifiée actuelle de la Famille cistercienne montre que le charisme cistercien n’est pas la propriété de telle ou telle congrégation [21], mais qu’il est riche de potentialités qui ont encore à être explorées. La réouverture du dossier des origines à partir du neuvième centenaire de la fondation de Cîteaux en 1998, se poursuit. L’unité de la Famille cistercienne est liée à la reconnaissance des différentes formes que peut prendre le charisme cistercien, y compris dans un état de vie laïque : chance pour chacun, dans une stimulation mutuelle, chance d’un renouveau de la vie cistercienne, sans risque de dilution si chacun sait garder sa spécificité.
Frère Joël Regnard, à l’abbaye de Cîteaux depuis 1977, responsable du noviciat depuis 14 ans, participe à l’organisation de sessions de formation pour les moines et les moniales. Il accompagne depuis 1991 le groupe des laïcs cisterciens de la Grange de Clairvaux, ce qui l’a amené à réfléchir sur le phénomène des laïcs associés. Il a étudié particulièrement saint Bernard, ce qui l’a amené à collaborer à l’introduction de l’une ou l’autre de ses œuvres, publiées intégralement dans la collection « Sources Chrétiennes » et à publier des articles sur la spiritualité cistercienne.
[1] Nous nous référons ici aux conférences données par André Vauchez au Centre Sèvres lors du colloque de février 1994 (« Participation des laïcs au charisme des instituts religieux »), et à l’ouvrage Les mouvances laïques des Ordres religieux, Actes du Colloque du cercor, Tournus 17-20 juin, 1992, Publication de l’université de Saint-Etienne, 1996.
[2] Cf. le cas de Clairvaux : « Donnés, rendus, à l’abbaye de Clairvaux du xie au xvie siècle » par Sylvette Guilbert, dans Les mouvances laïques des Ordres religieux, p. 103-113.
[3] Cf. Renée Chaput, « Les Tiers Ordres Séculiers de saint Dominique en France aux xviie et xviiie siècles », dans Les mouvances laïques des Ordres religieux, p. 439-450.
[4] Pour en savoir plus sur les gve, on peut consulter le Guide de l’Apostolat des Laïcs réalisé en 1997 par la Conférence des Evêques de France, et la revue Fêtes et Saisons, n° 525, mai 1998.
[5] Cf. note 1. Du même auteur vient de paraître : Les laïcs associés. Participation de laïcs au charisme d’un Institut Religieux, Médiasèvres 2001.
[6] Dossier : Secondin, o.carm. ; Robert ; Schreiter, c.p.p.s., « Partager les charismes de la vie religieuse », dans la Documentation Catholique du 16 janvier 2000, n° 2218 (cité par la suite DC 2000).
[7] Ibid., p. 74.
[8] Nous reprenons ici le titre d’un petit livre de L. Boisvert, Bellarmin, Québec, 2000. Cette réflexion concerne aussi le charisme cistercien qui s’est d’abord manifesté dans une forme monastique de vie consacrée. Le même auteur vient de faire paraître un autre livre, précisément sur notre sujet : Laïcs associés à un Institut Religieux, Bellarmin, 2001.
[9] B. Secondin, DC200, p. 72.
[10] Ou des fondateurs, dans le cas de la fondation de Cîteaux, par exemple. Si le charisme de fondateur – qui se caractérise par le fait d’initier un mouvement – est personnel et non transmissible, il n’en va pas de même du charisme du fondateur, qui est destiné à être partagé par un nombre plus ou moins grand de personnes.
[11] Bernardo Olivera, « Réflexions sur le défi des “associations charismatiques” », in Collectanea Cisterciensia 59, 1997, p. 25.
[12] R.J. Schreiter, DC 2000, p. 84.
[13] Les œuvres de saint Bernard ont été largement lues jusqu’au xviie siècle ; elles ont inspiré des courants spirituels comme la Devotio moderna qui n’avait pas de lien exlusif avec le charisme cistercien. Beaucoup de chrétiens s’en nourrissent encore, sans pour autant avoir de lien avec la vie monastique cistercienne.
[14] Que l’on pense à la réforme des Cisterciennes-Bernardines de Rumilly en Savoie : au début du xviie siècle, la Mère Louise de Ballon, âme de la réforme, est en lien avec saint François de Sales et sa spiritualité, ce qui n’empêche pas ses écrits d’être très marqués par saint Bernard. De même le monastère cistercien à Dijon des Dames de Tart au xviie siècle, (Tart fut la première abbaye de cisterciennes), qui, tout en restant très fidèle à la Règle de saint Benoît, intégrera des éléments tels que l’oraison, la solitude, la vie en cellule, propres au Carmel qui s’implantait alors en France.
[15] Constitutions, c. 3, 4 et c. 7.
[16] L. Boisvert, Les charismes en vie consacrée, p. 47.
[17] Publiée dans les Collectanea Cisterciencia, cf. note 13.
[18] Cf. Petit Exorde ix, 2 et xvii, 3.
[19] Cf. Ph 2, 5 ; 3, 17 ; 1 Co 4, 16 ; I Th 1, 6 ; l Th., 2 ; 2 Th., 15 ;., 1-15.
[20] L’épître de saint Jacques en donne de très bons exemples.
[21] Dom Bernardo, « Réflexions... », p. 259.