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Chronique d’Écriture Sainte

Ancien Testament

Didier Luciani

N°2001-5 Septembre 2001

| P. 334-345 |

Treize ouvrages, d’importance variable, nous sont présentés dans cette première partie de la Chronique d’Écriture Sainte consacrée au Premier Testament. Ceux de J. Potin, A. Paul et J.-L. Ska reçoivent la part du lion, mais celle consacrée à la « postérité littéraire » des grandes figures bibliques (Bible et Histoire, David et Job), ne manque pas d’intérêt, loin de là. Enfin, bien que différentes dans le traitement de leur sujet, les publications des Éditions Désiris, recensant les plantes et les animaux de la Bible, présentées dans la troisième partie de cette chronique, nous invitent à « entrer dans la Bible par une autre porte ».

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I

Les 700 pages du livre de J. Potin [1] ne doivent pas décourager le lecteur : il s’agit bien d’une introduction à l’Ancien Testament (et non pas à la Bible, comme pourrait le laisser croire le titre) et comme telle, elle remplit parfaitement son rôle. Si l’ouvrage est si épais, c’est que, contrairement à beaucoup d’autres du même genre, l’auteur n’hésite pas à intégrer de nombreux passages bibliques au lieu d’y faire seulement référence. Sage précaution sans doute si l’on veut que le lecteur ait un contact minimum avec le texte et non pas seulement des explications à son propos ; mesure dangereuse si on en reste là et que l’on considère ce florilège comme une totalité. L’ordre de présentation des textes - autre élément fondamental pour ce type d’instrument - manifeste une deuxième option, bien traduite, cette fois, par le titre (La Bible rendue à l’histoire). Il s’agit, nous dit J. Potin dans son avant-propos, de lire les livres, non pas selon leur ordre d’apparition dans la Bible (ordre d’ailleurs soumis à variation, selon les traditions), mais d’après leur époque supposée de rédaction, en commençant par les premiers prophètes écrivains (Amos et Osée) et en terminant par le dernier des sapientiaux (La sagesse de Salomon). Ce choix contient bien sûr toujours une part d’hypothèse, mais reconnaissons qu’il s’appuie grosso modo sur un large consensus correspondant à l’opinion exégétique actuellement dominante. Demeurent toutefois quelques problèmes : l’auteur ne paraît pas toujours sûr de ses options (Josias règne-t-il à partir de 622 ou de 630 ? p. 41 et 93) ; il commet quelques anachronismes (Téglat-Phalasar ne commence à gouverner qu’à partir de 745, il ne peut donc avoir été « confronté à de grandes difficultés » à partir de 783, p. 45) ; enfin, il ne parvient pas toujours à éviter une laborieuse paraphrase du texte biblique (voir par exemple le chapitre sur Ex-Nb, p. 219-262). Hormis ces quelques réserves, l’ouvrage trouvera assez aisément sa place au milieu de la pléthore d’introductions qui inonde la marché.

Il y a deux qualités qu’on peut difficilement dénier à A. Paul : le fait d’écrire joliment et celui de proposer des thèses stimulantes, voire provocantes. Même si tout n’y est pas nouveau, son dernier livre en est une belle illustration [2]. Comme J. Potin et tous les ouvrages recensés dans cette première partie de notre chronique, lui aussi s’intéresse à l’histoire. Contrairement à J. Potin toutefois, il le fait en s’arrêtant non pas à ce qui est raconté, mais au contexte social, politique et culturel qui a permis l’émergence de cette écriture biblique. On pourrait, en simplifiant les choses à l’extrême, résumer l’essentiel de son propos ainsi : tout a commencé en Yehûd (province perse de Juda), au retour de l’exil, mais c’est véritablement le modèle de l’historiographie grecque, dont Hérodote est le parangon, qui fournit - on ne sait trop comment - le cadre à l’élaboration d’une histoire nationale d’Israël. De l’écriture du passé d’Israël à la Loi de Moïse (« qui naquit vraiment et s’épanouit dans le contexte hellénisé d’Égypte », p. 157) et des écritures prophétiques (bien postérieures à la Loi et interprètes de celle-ci, p. 203s) à la révélation du Dieu unique (apocalypse), se dessine ainsi un grand arc qui soutient l’ensemble du processus rédactionnel, depuis le premier coup de calame, jusqu’à l’avènement du livre. Un autre arc se développera conjointement qui fera passer du pluriel textuel initial à la canonisation scripturaire (l’auteur annonce ainsi un second tome : « Et il y eut la Bible et la Torah. De Jésus à la Kabbale »). Telle quelle, la thèse suscite une multitude de questions plus ou moins complexes, mais il est possible de formuler les principales simplement : N’y a-t-il rien avant l’exil et en dehors de Juda ? L’écriture de la Loi précède-t-elle celle des prophètes (Potin construit son ouvrage sur le présupposé inverse) ? La loi d’Israël n’a-t-elle rempli aucune fonction juridique et « les prophètes » ne servent-ils que de prête-nom à des excroissances de la Loi datant du IVe siècle ? Quel rôle les écrits de Sagesse (curieusement absents du parcours de A. Paul) jouent-ils dans le processus décrit ? Faut-il privilégier, de manière aussi exclusive, le judaïsme hellénistique et Qumrân pour rendre compte de la genèse de l’Écriture ? Qumrân est-il si important qu’il conduise à déclasser complètement le mouvement pharisien et le texte massorétique qui en émane ? L’homme du Yehûd - pour reprendre la périodisation de notre auteur - est-il apparu d’emblée comme être social et politique, puis un peu plus tard être culturel et enfin, un beau matin s’est réveillé comme être éthique et visionnaire ? Etc. Une tendance au « rajeunissement » des traditions et rédactions bibliques a beau voir le jour ces dernières années, il y a, à mon avis et nonobstant nombre d’aperçus intéressants, peu de chance pour que les exégètes emboîtent le pas à A. Paul et le suivent jusque dans ces conclusions extrêmes. Une seule chose est sûre : il ouvrira un débat.

Autrement plus modéré et bien que se limitant au Pentateuque, le livre de J.L. Ska, s.j. [3], professeur d’Ancien Testament à l’Institut Biblique de Rome, élargit et participe déjà à ce débat. En moins de quatre cents pages, l’auteur parvient non pas tant à proposer une synthèse complète et alternative à la théorie wellhausénienne - même si des points importants sont éclaircis, trop de questions restent encore en suspens - qu’à établir quelques bases solides favorisant l’émergence d’un nouveau modèle explicatif. A défaut de pouvoir examiner, ici, le détail de discussions parfois très techniques, il vaut la peine de passer en revue les « fondamentaux », méthodologiques aussi bien que de contenu, de cette recherche. Tout d’abord, le moment de lecture synchronique doit précéder l’analyse diachronique, « l’ensemble » étant toujours plus que « la somme des parties ». C’est pourquoi notre auteur consacre ses deux premiers chapitres à un parcours canonique du Pentateuque (parcours dont on peut seulement regretter le peu d’espace accordé au Deutéronome). Ce premier point illustre déjà l’éloignement des présupposés méthodologiques de A. Paul et de J.L. Ska : celui-ci part de la fin et du texte biblique tel qu’il se donne à lire, celui-là remonte aux origines, là où la Bible n’a rien à dire parce que de Bible il n’y a point. Mais - revenons à Ska - toute étude synchronique de péricopes suffisamment larges ne peut manquer, si elle est menée avec honnêteté, de reconnaître que le texte n’est pas d’une seule venue et de recourir, en conséquence, à une approche génétique pour en expliquer certaines aspérités et fractures. Les trois chapitres suivants recensent les différents types de problèmes littéraires qu’un lecteur peut rencontrer, tant dans les codes de lois que dans les récits. Dans ce travail de critique littéraire et historique, la meilleure solution est celle qui explique le plus simplement le plus grand nombre de données. Nul besoin donc de multiplier les strates et les interventions rédactionnelles sans nécessité. De plus, le choix de la méthode doit être déterminé par la nature des problèmes étudiés, sans exclusive ni rejet d’aucune sorte. L’histoire de la recherche, depuis les Pères de l’Église jusqu’à nos jours (chap. VI & VII) illustre et justifie la nécessité de cette souplesse et de cette ouverture. Plus précisément, la lecture critique du Pentateuque doit tenir compte des axiomes qui régissent la littérature antique (chap. VIII, l’un des plus originaux dans ce genre d’introduction) : la loi de l’ancienneté ou de la préséance (la supériorité d’une institution dépend en large mesure de son ancienneté) ; la loi de conservation (puisque ce qui est ancien a de la valeur, rien n’est éliminé) ; la loi de la continuité et de l’actualité (Israël raconte son passé parce qu’il fonde son présent) ; la loi de l’économie (les contraintes techniques et matérielles incitent à n’écrire que ce qui est nécessaire). De tous ces éléments et de la lecture même des textes, il est possible de tirer quelques points de repère pour l’étude de la Torah (chap. IX, le plus personnel et le plus problématique, de l’aveu même de l’auteur, de l’ouvrage) résumables en deux thèses : le Pentateuque dans sa forme ultime est une œuvre postexilique dont la composition remonte à l’époque perse (il faut donc étudier cette période) ; cela n’empêche que l’on puisse, avec prudence, repérer en son sein des récits anciens (préexiliques), assez courts, isolés et indépendants (mais pas une « source » comme telle). Pour se faire, la comparaison des trois codes de lois (code de l’alliance, code deutéronomique et loi de sainteté) et des trois théologies (Dt, P et H) est un passage obligé. Le modèle explicatif qui s’ébauche pour le processus de rédaction du Pentateuque combine donc, dans l’ordre chronologique, l’hypothèse des fragments, la théorie des sources, puis l’hypothèse des compléments. Reste à se demander quelles ont été les conditions et les circonstances du rassemblement de tous les matériaux en une œuvre unique (chap. X) ? Parmi de nombreuses théories, Ska privilégie celle des « citoyens liés au temple » (Bürger - Tempel - Gemeinde) de J.P. Weinberg. La conclusion affirme que « le Pentateuque est un “compromis” entre diverses tendances » (p. 329). On pourrait en dire autant du bel ouvrage de Ska : l’auteur qui semble avoir tout lu sur le sujet mène son enquête avec prudence et rigueur et aboutit presque toujours à des jugements équilibrés qu’il sait nous communiquer. Il est peut-être trop tôt pour parler de consensus, le « rapport de fouille » a beau être provisoire, il permet en tout cas à chacun de mesurer le chemin parcouru depuis Le Pentateuque en question (1989), précédente synthèse en français sur ce chantier si passionnant.

Forts de la conviction que la Bible constitue l’un des fondements majeurs de notre civilisation occidentale - et partant, l’une des références à interroger pour penser et agir-, les éditions Lessius (Bruxelles) et les Facultés Notre-Dame de la Paix (Namur) poursuivent leur collaboration en organisant et publiant chaque année des cycles de conférences visant à examiner les rapports qu’entretient la Bible avec différentes disciplines universitaires. Après « Bible et Littérature » (1998), et en attendant « Bible et Droit » (2000), puis « Bible et Science » (2001), la cuvée 1999 s’était proposé, en cinq contributions, d’éclairer quelques aspects de la relation complexe qui unit « Bible et Histoire » [4]. Ce collectif, que je présente ici, aborde de manière brève mais adéquate les principales données du problème : non seulement la Bible est le produit d’une histoire (P. Gibert, Comment la Bible fut écrite ?, p. 8-29), mais elle est aussi une écriture et une relecture, plus ou moins directe et explicite de l’histoire (A. Wénin, « Le mythique et l’historique dans le premier Testament », p. 31-56 et M. Gilbert, « Sagesse et Histoire », p. 57-82). En outre, elle ne se contente pas de faire - à sa manière - de l’histoire, mais elle raconte des histoires (C. Focant, « Vérité historique et vérité narrative. Le récit de la Passion en Marc », p. 83-104) et elle en suscite aussi de toujours nouvelles (P. Sauvage, « Vivre la Bible aujourd’hui : la théologie de la libération de Gustavo Gutiérrez », p. 105-154). La diversité de ces approches a au moins le mérite de montrer qu’on ne peut plus réduire la question de l’histoire dans la Bible à l’univocité de la perspective positiviste caractéristique du XIXe siècle et dont, malheureusement, on perçoit encore des séquelles chez certains chrétiens aujourd’hui.

II

L’histoire et la Bible, c’est donc, entre autre, l’histoire de ses effets sur les générations de ceux qui la lisent. En ce sens, l’inspiration de l’Écriture se mesure aussi à sa capacité d’inspirer ses lecteurs et ses commentateurs. Les deux ouvrages suivants viennent illustrer à merveille ce fait. L’un retrace la postérité mystique de David dans la littérature rabbinique [5] ; l’autre poursuit la destinée de Job dans la littérature occidentale, notamment francophone [6].

L. Cohen qui vit et écrit à Jérusalem, était bien placé pour nous offrir, après son livre sur Le Roi Salomon (1997), une « biographie mystique » de David. L’avant-propos définit parfaitement son projet : « C’est en puisant aux sources multiples de cette littérature (rabbinique) que nous avons tenté de restituer l’image que, à travers les siècles, les Sages d’Israël se sont forgés du roi David. Bien entendu, une telle image ne prétend nullement à l’exactitude historique - “ou scientifique” ce qu’elle reflète, ce sont avant tout des conceptions spirituelles auxquelles les maîtres du judaïsme sont parvenus en méditant sur la vie de David telle que la Bible nous la raconte » (p. 9). Trois chapitres délimitent, assez arbitrairement, trois périodes de la vie du héros : de sa naissance au refuge trouvé chez Akish, en 1 S 27 (chap. 1) ; de là à l’intention de construire un sanctuaire pour yhwh (chap. 2) ; du péché avec Bethsabée à sa mort. Un entretien entre l’auteur et Elie Wiesel, « David, poète parfait », referme le livre. On saura gré à L. Cohen de mettre à notre disposition un florilège de traditions juives, inaccessibles en temps normal aux non-hébraïsants. On goûtera surtout le plaisir de découvrir ou de redécouvrir en David, un maître en spiritualité.

M. Bochet, professeur de littérature, a aussi quelques titres à faire valoir pour nous présenter la figure de Job dans la littérature. Après sa thèse de doctorat sur la « Présence de Job dans le théâtre d’après-guerre II en France » (1982), il a commis plusieurs articles sur le même personnage dans diverses revues et dictionnaires. Il est donc à la fois familier de Job et bon connaisseur de la littérature et ce sont ses études précédentes qu’il rassemble et développe ici. Le premier chapitre est un vaste survol des « moments » principaux de la réception de cette figure du juste souffrant, depuis le Moyen Âge jusqu’à Sylvie Germain (Les échos du silence, 1996), dans la francophonie principalement, mais aussi dans les pays de langue allemande, dans la péninsule ibérique et les pays anglo-saxons et même dans la pensée russe. On se doute qu’avec un tel angle de « prise de vue », il n’est pas question de fixer le détail, mais de la résignation médiévale à la rébellion contemporaine, en passant par le stoïcisme de la Renaissance ou la tristesse nostalgique du romantisme, c’est un cliché assez net de la condition humaine face à l’absurde qui se dévoile. Les chapitres suivants relisent le livre et l’expérience de Job au travers de trois thématiques : la « femme de Job », dont le « Maudis Dieu » (Jb 2, 9) compatissant vaut finalement peut-être mieux que le « Bénis Dieu » dogmatique des amis (chap. 2) ; le « fumier » - associé à Job comme la croix au Christ - doublement symbolique de sa déchéance (le fumier de la putréfaction) et de sa restauration (le fumier de la fertilisation ; chap. 3) ; le « Léviathan », monstre mythique et fascinant, tour à tour symbole des puissances ténébreuses du chaos, de l’état totalitaire ou parfois même de la beauté de la création (chap. 4). Dans un dernier groupe de chapitres, la problématique jobienne est mise en relation avec la pensée “rationaliste” du siècle des Lumières (Voltaire et Job ; chap. 5), puis avec la pensée « voyante » du romantisme (Hugo et Job ; chap. 6) et enfin avec le théâtre de l’absurde (Ionesco, Beckett... et Job ; chap. 7 et 8). Un ultime chapitre fait incursion dans le domaine de la peinture, avec l’expressionnisme, lequel selon l’auteur, a su le mieux exprimer l’appel du juste souffrant (Gruber, Kokoschka, Chagall, Rouault... ; chap. 9). C’est sans doute la grâce de tous les personnages bibliques de pouvoir se rendre contemporains de chaque génération. Au milieu de ceux-ci - le parcours de M. Bochet le montre à l’envi-, Job, homme tragique, homme de douleur victime d’une société léviathanesque mais aussi homme debout face à Dieu, manifeste cette grâce de manière suréminente.

À ces deux ouvrages témoignant de la postérité d’un texte, j’en adjoins un troisième dont je ne peux pas dire qu’il m’ait emballé. Il s’agit d’une réécriture des cent cinquante Psaumes à la lumière « d’harmonies chrétiennes » (la plupart du temps, passages du Nouveau Testament et parfois, citations de Claudel) [7]. Celles-ci, plutôt que d’être reportées en marge ou en note, viennent entrelarder le texte. Pour le Ps 1, par exemple, le résultat est le suivant : « Heureux l’homme qui sait dire non aux maximes du monde, sait choisir ses amis et parler sans venin. Heureux l’homme qui ne suit pas le chemin des pécheurs, qui se plaît dans la Loi d’Amour du Seigneur et la murmure jour et nuit dans son cœur. La Volonté de Dieu, voilà sa joie à lui, la Parole de Dieu, dont nuit et jour il se nourrit. Heureux surtout Jésus Christ le Juste, qui fait toujours ce qui plaît à son Père. Heureux l’homme justifié par la foi en Jésus Christ : ce n’est plus lui qui vit, c’est le Christ qui vit en lui. C’est un arbre planté près d’un ruisseau. Il donne du fruit en son temps, et jamais son feuillage ne sèche. Tout ce qu’il fait porte du fruit dans le Christ Jésus. Car “je suis la Vigne et vous les sarments, dit le Seigneur. Qui demeure en moi porte beaucoup de fruits”. Il vit dans l’action de grâce. Il s’offre en sacrifice spirituel pour le salut du monde. Il est devenu louange de gloire de sa grâce. Heureux les pauvres, ceux qui pleurent etc. » J’ai déjà souvent eu l’occasion, dans cette chronique, de poser la question de l’opportunité de telle ou telle publication. Faut-il, parce qu’un moine a pratiqué fidèlement la prière des Psaumes et la lectio divina, qu’on en fasse un livre ? Sans discuter les présupposés de certaines options (pourquoi par exemple ne pas s’être basé sur la traduction liturgique ?), je laisse aux religieux lecteurs de cette revue le soin d’en juger et tant mieux si cet ouvrage rend quelque service.

III

Bien qu’envoyés en même temps par un unique éditeur et quelle que soit la proximité de sujet et de traitement que laisse présager leur titre respectif (Les plantes dans la Bible [8] et Le bestiaire de la Bible [9]), les deux ouvrages que nous présentons maintenant n’en sont pas moins bien différents l’un de l’autre.

Le premier est un véritable traité sur la flore de la terre sainte mêlant agréablement nomenclatures botaniques, récits bibliques et de très belles illustrations. C’est tout de même le récit qui prime puisque c’est lui qui, entre autre chose, détermine l’ordre de présentation : des arbres d’Abraham (Chênes et térébinthes, tamaris, buisson du mont Moriah : chap. I) à la couronne d’épines du Christ (jujubier, palier, lyciet, pimprenelle épineuse... : chapitre XXII) en passant par les quatre espèces de Soukkot (cédrat, palmier dattier, myrte, saule : chap. VIII), les fleurs et parfums du Cantique des Cantiques (nard, henné, lys, roses... : chap. XVIII) ou encore la dîme des pharisiens (menthe, aneth, cumin et rue : chap. XX). Au total, pas moins de 700 variétés de plantes recensées (reprises dans un index en fin de volume) et presque 400 textes bibliques cités. La présentation de l’hysope (p. 111-115 + 3 photos p. 109-110) - pour n’illustrer la méthode que par un seul exemple - donne les principales hypothèses d’identification faites par le passé pour ne retenir, à partir des passages bibliques étudiés (1 R 5, 13 [et non pas 4,33] ; Ps 51,9), que les labiées à fleurs blanches, avec une préférence pour l’Origanum syriacum. Le rite de la Pâque (Ex 12, 22) et la purification de celui qui a touché un cadavre (Nb 19, 16-20) sont également mentionnés (mais pas Lv 14 !) ainsi que le texte énigmatique de Jn 19 (et non pas Jn 29) : comment, en effet, une plante aussi souple que l’hysope aurait-elle pu servir à présenter à Jésus sur la croix une éponge gorgée de vinaigre ? On perçoit mieux ainsi le profit, ou même plus simplement le plaisir, qu’on trouvera à feuilleter ce beau livre qui, sans surcroît de technicité, nous invite à entrer dans la Bible par une autre porte. Pour l’élaboration de leur ouvrage, Solange et Jean Maillat, les auteurs, ne cachent pas leur dette envers Nogah Hareuveni et son merveilleux jardin de Neot Kedumim (Israël).

En ouvrant le deuxième ouvrage des éditions Désiris, on ne doit pas oublier qu’un « bestiaire » n’est pas un précis de zoologie, mais, selon la définition du Petit Robert, un « recueil de fables, de moralités sur les bêtes ». On quitte donc ici le domaine des realia pour être entraîné vers celui des « figures » et de l’interprétation symbolique de la Bible. L’introduction nous en avertit et situe clairement le propos. « Nul doute que celui qui ouvre ce Bestiaire... soit curieux d’apprendre ce que les animaux dont parlent les Écritures peuvent nous enseigner symboliquement... » Comme la Bible (Ancien et Nouveau Testaments) est d’abord un livre religieux qui entend enseigner des réalités spirituelles, la mention qu’elle fait des animaux peut être anecdotique... mais aussi symbolique parce que les animaux figurent évidemment autre chose que leur pure existence matérielle. Mais - nous préviennent les auteurs - « il y a une véritable science du symbole. C’est une connaissance qui s’établit expérimentalement, selon les procédures convenables à ce sujet particulier d’étude... La première chose qu’il faille établir, c’est une connaissance réelle de la chose réelle ! C’est-à dire apprendre... ce qu’est une gazelle avant de contempler la réalité spirituelle qui y est associée analogiquement pour former un symbole... De même, on n’invente pas les Écritures. Il faut les lire attentivement... Enfin, nous avons pu proposer une interprétation... selon l’hypothèse... que les animaux décrivent, par les analogies réelles tirées de leurs caractéristiques zoologiques, la vie de la psyché humaine en son contact avec le corps ou avec l’Esprit » (p. 13-14). Ainsi apprenons-nous, à propos des quatre vivants que « le lion symbolise la puissance de production du verbe humain, le taureau symbolise le désir du Père inhérent à la génération de ce verbe, l’aigle symbolise la puissance de discrimination du verbe en tant que capable de la raison angélique et la face humaine symbolise la puissance d’exégèse et d’action de grâce du verbe » (p. 18). Les intitulés des autres chapitres sont tout aussi explicites. Par exemple : « Antilope, gazelle, oryx - chamois. De l’épectase » (chap. 13) ; « Le coq, la poule et l’œuf. Comment un coq-à-l’âne est presque nécessairement subliminal et sublime » (chap. 20) ; « Le cochon. De l’incarnation des inspirations » (chap. 24) ; etc. N’ayant pas encore atteint la puissance d’exégèse du verbe, j’avoue mon incapacité à opérer une quelconque discrimination dans les propos de nos auteurs.

Plusieurs ouvrages reçus cette année ne nécessitent pas plus qu’une simple notice. C’est par eux que j’achève cette chronique.

Signalons tout d’abord le livre de B. Gaudeul [10], longue méditation sur le mystère de la Parole de Dieu, « pour l’accueillir, la savourer, la contempler » et ainsi « mieux entrer dans le mystère du salut et se laisser transformer par Dieu » (p. 4 de couverture). Une forme de commentaire de Dei Verbum.

Viennent ensuite deux cahiers de la collection « Connaître la Bible », l’un de G. Vanhoomissen [11] explore, entre affirmation de l’identité et reconnaissance de l’altérité, le thème de l’étranger. L’autre de P. Lefebvre [12], propose un parcours original en étudiant les relations familiales du « messie » - titre pris ici au sens large et s’appliquant aussi bien aux rois israélites (Saül, David) qu’à Jésus - et les répercussions de celles-ci sur la manière de vivre cette « messianité ». Occasion de revisiter des textes peu connus concernant Jonathan ou Abner (1 S 14-20) et de mettre en rapport ces personnages avec ceux du Nouveau Testament (Jésus, Jean-Baptiste...). La question des « frères » de Jésus, sans être abordée pour elle-même, s’en trouve recadrée dans une perspective qui déborde les simples considérations biologiques. Deux thèmes qui - on le voit - ne sont pas sans rapport avec l’actualité.

L’ouvrage de P. Gibert chez « Découvertes Gallimard » [13] se distingue surtout - comme les autres titres de cette collection - par l’abondance de son iconographie et la qualité de sa mise en page. La Bible, dans son unité et sa diversité, s’expose au regard autant qu’elle sollicite la raison. Elle ne demeure vivante que par l’histoire de sa lecture. Un beau petit livre.

Didier Luciani, chroniqueur pour l’Écriture Sainte depuis 1992, est né en 1954. Laïc, il est père de cinq enfants. Après avoir étudié à Jérusalem, Bruxelles et Paris, enseigné les mathématiques à Alger et travaillé comme assistant à l’Institut d’Études Théologiques à Bruxelles, il est maintenant professeur d’Écriture Sainte à temps plein au grand séminaire de Namur (Belgique) tout en poursuivant un doctorat à Louvain-la-Neuve. On retiendra, entre autres, ses articles sur le Lévitique (NRT, RTL et ETR), sans oublier une réflexion intéressante à propos du « Laïc en formation au laïc formateur » (NRT 117,1995, 565-579).

[1J. Potin, La Bible rendue à l’histoire. Paris, Bayard, 2000, 20,5 x 15, 691 p., 179 FF.

[2A. Paul, Et l’homme créa la Bible. D’Hérodote à Flavius Josèphe. Paris, Bayard, 2000, 20,5 x 15, 460 p., 175 FF.

[3J.L. Ska, Introduction à la lecture du Pentateuque. Clés pour l’interprétation des cinq premiers livres de la Bible. Coll. « Le livre et le rouleau » 5, Bruxelles, Lessius, 2000, 20,5 x 15, 391 p.

[4M. Hermans et P. Sauvage (éd.), Bible et Histoire. Écriture, interprétation et action dans le temps. Coll. « Connaître et croire » 6/« Le livre et le rouleau », Namur/Bruxelles, Presses Universitaires de Namur/Lessius, 2000, 20,5 x 14,5, 162 p., 715 FB.

[5L. Cohen, Le Roi David. Une biographie mystique. Paris, Seuil, 2000, 20,5 x 14, 143 p., 110 FF.

[6M. Bochet, Job après Job. Destinée littéraire d’une figure biblique. Coll. « Le livre et le rouleau » 9, Bruxelles, Lessius, 2000, 20,5 x 14,5, 180 p., 119 FF/715 FB.

[7J.M Martin, Psaumes d’Israël et harmonies chrétiennes. Prier en Église dans le Christ. Paris, Lethielleux, 2001, 22 x 15, 367 p., 129 FF.

[8J. et S. Maillat, Les plantes dans la Bible. Méolans-Revel (F-04340), Éditions DésIris, 1999, 27,5 x 19,5, 303 p., 275 FF.

[9J.F. Froger et J.P. Durand, Le bestiaire de la Bible. Méolans-Revel (F-04340), Éditions Déslris, 1994, 27,5 x 19,5, 569 p.

[10B. Gaudeul, Savourer la Parole de Dieu. Versailles, Éditions Saint-Paul, 1999, 18x11, 120 p., 120 FF.

[11G. Vanhoomissen, Dieu, son peuple et l’étranger. Coll. « Connaître la Bible » 20, Bruxelles, Lumen Vitae, 2000, 21 x 15, 64 p., 250 FB.

[12P. Lefebvre, Le Messie en famille. Saül, David, Jésus et leur entourage. Coll. « Connaître la Bible » 19, Bruxelles, Lumen Vitae, 2000, 21 x 15, 72 p., 250 FB.

[13P. Gibert, La Bible. Le Livre, les livres. Coll. « Découvertes-Religions » 392, Paris, Gallimard, 2000, 18 x 12, 5, 159 p., 84 FF.

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