Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Seigneur, Tu me connais... Et je me laisse connaître de Toi

Alain Mattheeuws, s.j.

N°2001-4 Juillet 2001

| P. 267-277 |

La méditation du Père Mattheeuws se soutient d’elle-même, mais on ne manquera pas de souligner l’actualité éthique (le sens tropologique du sens spirituel de l’Écriture) de son propos. Celui-ci reste néanmoins d’abord de nourrir la prière. Toute prière, et celle qui sourd au cœur de la vie consacrée, n’en sort-elle pas approfondie ?

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La méditation du psaume 139 (138) nous fait entrer dans la connaissance joyeuse que Dieu a de nous-mêmes, dans la profondeur de son acte créateur et dans la merveille que toute créature est à ses yeux. Aux yeux de la foi, nous avons ainsi l’opportunité de mieux comprendre pourquoi et comment Dieu nous a créés et nous recrée à chaque instant dans la profondeur de notre personnalité. Ces quelques versets nous placent ainsi au fondement de notre vie et nous permettent de retrouver à chaque lecture le sens de notre aventure spirituelle [1]. Le mouvement du psaume est bien celui d’une affirmation initiale à une demande libre d’une grâce particulière, à travers la découverte d’une sollicitude divine au cœur de l’histoire humaine. Cet hymne à Dieu à la fois transcendant et tout proche de l’homme, appartient à la prière judéo-chrétienne et en exprime des traits d’une grande profondeur contemplative. Il révèle le vrai visage de Dieu et celui de l’homme.

Dieu connaît l’homme

La prière du psalmiste commence par l’humble aveu d’une évidence de notre foi [2] :

« Seigneur, tu m’as scruté et tu connais. Tu connais mon coucher et mon lever ; de loin tu discernes mes projets ; Tu surveilles ma route et mon gîte ; et tous mes chemins te sont familiers » (v. 1-2).

L’homme qui prie et qui s’adresse à Dieu reconnaît que Dieu le précède dès l’origine dans cette connaissance mutuelle et cette amitié qu’il vit avec Lui. Peut-être même avant que l’amitié et l’amour ne soient entre Dieu et sa créature, car de toujours à toujours, Dieu connaît sa créature et même la scrute, l’observe, prend soin d’elle. Dieu ne sait-il pas tout par son cœur ?

Ce savoir divin n’est pas abstrait, mais au contraire très concret et très précis : la route, les chemins empruntés expriment l’agir de l’homme, ses projets, les directions prises, les engagements projetés et réalisés. L’omniscience divine est imprégnée de son amour. Elle est lumière qui éclaire la vie humaine et lui donne son sens.

Cette sagesse divine embrasse l’espace et le temps, c’est-à-dire les deux catégories principales par lesquelles l’homme se situe habituellement et situe ses proches. Dieu est proche de cette humanité et la pénètre de l’intérieur. « Tu connais mon coucher et mon lever » (v. 2). « Derrière et devant, tu me serres de près » (v. 5). Dieu, comme créateur, rejoint de la sorte la réalité la plus intime de son être. S’il est vrai qu’un monde sépare les créatures du Créateur, le Créateur, lui, est capable de toucher sa créature au plus intime d’elle-même, dans son histoire, dans son corps, dans sa vie.

L’homme serait-il captif d’une présence qu’il ne peut refuser ? Sa parole est-elle la sienne puisque « avant qu’un mot ne parvienne à mes lèvres, déjà Seigneur, tu le sais » (v. 4) ? Qu’est-ce donc que cette « mystérieuse connaissance qui me dépasse, si haute que je ne puis l’atteindre » (v. 6) ? Connaissance qui est à l’origine de son être... Connaissance qui ressemble à une « possession » : « Tu as mis sur moi ta main » (v. 10)... Connaissance qui n’écrase pas l’homme puisqu’il en prend conscience sans pouvoir la nier totalement ni se détruire lui-même ? Cette intelligence divine le traverse de part en part : pas un repli de son être qui n’échappe au regard de Dieu. Elle le dépasse car il ne peut l’expliquer par ses propres forces : il en saisit l’active réalité, particulièrement lorsque il la pressent comme « totalisante », touchant l’ensemble de son être. Ce savoir transcende la conscience que l’homme a de lui-même. Elle lui révèle un mystère qu’il n’appréhendait pas. Dieu connaît l’homme [3]. L’homme est appelé librement à acquiescer ou à refuser cette connaissance « aimable » que Dieu a de lui. La démarche du psaume est bel et bien un combat spirituel dans lequel la découverte de l’action divine mène à une conversion personnelle. Comment se reconnaître comme une « merveille » (v. 14) au milieu des résistances intérieures et des événements qui contredisent cette affirmation. Comment laisser cette lumière éclairer notre identité personnelle à travers l’opacité de nos vies et le sommeil de nos jours : « Je m’éveille : je suis encore avec Toi » (v. 18). Le chemin de la prière sera de choisir, dans l’ambivalence des mots et des expériences, et de considérer comme bienfaisante cette présence de Dieu et non pas d’y voir une emprise étouffante.

Une réponse de l’homme

Car si l’homme dispose librement de la capacité de nommer cette réalité dont il fait l’expérience, il ne peut paradoxalement pas y échapper. Les versets 7-10 expriment cette réalité avec violence et réalisme :

« Où m’en aller, pour être loin de ton souffle ? Où m’enfuir, pour être loin de ta face ? Je gravis les deux, te voici ! Je me couche aux enfers, te voilà ! Je prends les ailes de l’aurore pour habiter au-delà des mers, là encore, ta main me conduit, ta droite me tient ».

Comment échapper au regard de Dieu ? Où s’enfuir puisque l’ensemble du créé lui appartient ? Tout l’univers est signe de Lui. Il est présent partout. Comment échapper au temps (au rythme des jours et des nuits : « Les ailes de l’aurore », v. 9) et à l’espace (les deux, les enfers, v. 8) que Lui-même a créés et qu’il remplit de sa présence ? Au-delà de moi-même, tu es là. Même si je te refuse ou cherche à te fuir, tu es là. Je ne puis échapper à la réalité de ta présence. À la vérité de mon existence.

Ce passage exprime bien l’autonomie possible de l’homme, sa capacité à vivre par lui-même, ses exploits dans l’ordre du créé, autrement qu’une simple marionnette dans les mains d’un tyran ou d’un maître. Mais c’est précisément au cœur de ses propres exploits, de ses courses à travers le temps et l’espace que l’homme peut découvrir que Dieu n’est pas absent. Là où se trouve l’homme, Dieu est présent. Au point les plus extrêmes de sa vie, de sa construction de soi, de ses réalisations, de ses désirs, Dieu est toujours présent : « Là encore, ta main me conduit, ta droite me tient » (v. 10).

C’est dans la solidité de son être, dans sa stature la plus forte et la plus belle, dans le meilleur de ce qu’il est, que l’homme est appelé à goûter la présence d’un Dieu qui lui donne vie et qui la conduit de l’intérieur. « Ta droite me tient » (v. 10) : ta puissance n’est pas à côté de la mienne, ton pouvoir n’est pas moindre que le mien. Au contraire, c’est Toi qui donnes sens au meilleur de ce que je fais, de ce que j’éprouve, de ce que je construis comme être humain.

Le psalmiste vérifie ainsi la concordance entre la personne du Créateur et chacune de ses créatures. Quand l’homme grandit, Dieu grandit avec lui et en lui. Quand l’homme fait le bien, il rend gloire à Dieu.

Une expérience partagée

Tout psaume est une prière. Les mots eux-mêmes doivent nous aider à entrer dans une prière personnelle, et il n’est pas étonnant que nous puissions nous reconnaître dans l’expérience spirituelle qui nous est transmise ainsi. Dans le rythme même du texte, nous reconnaissons nos propres sentiments et ses mots réveillent en nous la conscience de ce que nous sommes, la vérité de ce que nous vivons. Même les ténèbres et les nuits de notre vie, par exemple, ne sont pas cachées comme n’est pas occulté le désarroi du psalmiste quand il plonge dans l’angoisse existentielle ou dans la perception de son péché.

« J’ai dit : Au moins que les ténèbres m’engloutissent, que la lumière autour de moi soit la nuit » (v. 11).

Dans ce désir de se cacher de Dieu, peut-être même de lui échapper, l’homme aspire au contraire de ce qu’il est : de lumière, il veut devenir ténèbres, se fondre dans ce qui n’est pas lui et ce qui n’est pas Dieu. Nous savons ce que peuvent signifier les ténèbres dans la conscience personnelle et dans celle des peuples : le désespoir, la culpabilité morbide, le sentiment et la fascination de la mort et du néant, la guerre, l’absurdité de la haine qui se déchaîne sur les innocents, les femmes et les enfants. L’histoire du xxe siècle est suggestive sur ce point. Pourquoi vouloir s’éloigner de Dieu sinon parce qu’une conscience malheureuse nous enseigne qu’il est notre bonheur et que nous n’en voulons pas ? N’est-ce pas le choix offert à l’homme ? Le pouvoir de renoncer à la lumière qu’il est et à la lumière de sa vie ? Si bien que le péché est en quelque sorte suicidaire. Mais en manifestant la liberté que nous sommes, il dévoile par contraste la beauté du projet créateur et aimant du Seigneur sur chacune de ses créatures.

Quelle est la part dans nos vies de ce désir de nous cacher de Dieu comme nos premiers parents à l’origine (Gn 3, 8) ? Quelle image avons-nous de Dieu pour vouloir ainsi échapper à sa lumière ? Cette lumière est-elle celle d’un Père castrateur, d’un Père juge, d’un Père qui étouffe la liberté de ses enfants ? Cette lumière est-elle une lumière froide et glaciale qui nous dénude et souligne nos limites et notre laideur ? Ne cultivons-nous pas une conscience erronée de ce qu’est la lumière d’amour du Créateur ? « Et la lumière fut », dit le récit de la création dans le premier chapitre de la Genèse (Gn 1,3) : quelle est la place de cette lumière dans l’œuvre de création ? Quelle est la mission de la lumière divine sinon de révéler à tous, à nous-mêmes comme aux autres, la merveille que nous sommes au plus profond de notre être ?

Avec lucidité, le psalmiste témoigne d’une expérience paradoxale. Dans le lieu ou le temps le plus éloigné de Dieu, dans ce qui fait son contraire, Dieu lui-même n’est pas absent car il est le Maître de Tout. Rien n’échappe à sa présence. Dans les ténèbres, il voit clair. La nuit elle-même devient lumineuse comme le jour en sa présence. Dieu est au-delà du Bien et du Mal. Il n’est pas seulement opposable à ce qui lui est contraire. Il pénètre toute réalité : dans le mal, dans les ténèbres, sa puissance est lumineuse et atteste qu’il peut tout. Dieu rejoint l’homme là où il semble être le plus loin de Lui. Ce mouvement divin est intérieur à l’univers créé et l’homme l’éprouve comme un dépassement : où qu’il aille, l’homme trouve Dieu comme « déjà là », toujours présent à ses créatures.

En Dieu, pas l’ombre d’une ignorance ou d’une absence. Pour l’homme, pas de cachette où il ne puisse pas exister pour Dieu. Même le péché et le refus de Dieu ne nous rendent pas au néant ! L’acte créateur a un caractère irréversible parce qu’il est gratuit et imprégné d’amour. Nous restons dans l’existence devant Dieu et Dieu n’est pas vaincu dans sa puissance d’amour, de patience et d’accueil. Nous le renvoyons parfois au silence et à l’attente. Diverses sont les réponses de l’homme dans son histoire.

Mémoire de l’origine

Fort de cette évidence, le psalmiste nous convie à faire mémoire avec lui de ce que nous sommes. Le priant est appelé à découvrir ce qui fonde cette relation intime, profonde et incontournable entre lui et Dieu. Faire mémoire, c’est retourner à la racine de son être, à la source du mystère que nous sommes chacun pour nous-mêmes et pour les autres. Faire mémoire de son origine, ce n’est pas plonger seulement dans l’inconnu, dans l’introspection, dans l’analyse biologique de sa venue à l’existence, mais découvrir plutôt combien la présence de Dieu est de tous les instants. L’acte créateur à l’origine de notre être est de gratuité et d’amour et il le demeure au fil du temps.

« C’est toi qui as créé mes reins ; tu m’abritais dans le sein maternel. Je confesse que je suis une vraie merveille. Tes œuvres sont prodigieuses : oui, je le reconnais bien. Mes os ne t’ont pas été cachés, lorsque j’ai été fait dans le secret, tissé dans une terre profonde. Je n’étais qu’une ébauche et tes yeux m’ont vu. Dans ton livre, ils étaient tous décrits, ces jours qui furent formés quand aucun d’eux n’existait » (v. 13-16).

Pour la plupart des exégètes, ces versets constituent le centre du psaume. Par la mémoire du psalmiste, nous entrons dans l’intimité la plus grande de l’homme et de l’acte créateur. Cette mémoire est joyeuse, admirative. L’action de grâce et la gratitude mènent à l’étrange confession : « Je confesse que je suis une vraie merveille » (v. 14). La personne dans ce qu’elle a d’unique est ainsi remise à Dieu : « C’est toi qui as créé mes reins ; tu m’abritais dans le sein maternel » (v. 13). De l’espace le plus éloigné de la terre « Je gravis les deux ou bien au-delà des mers ») à « l’ébauche » (v. 16), faite dans le secret, tissée dans une terre profonde, Dieu agit positivement envers l’homme. Sa présence est connaissance qui construit, qui affermit, qui fortifie. Son action est aimante. Son travail (« C’est toi qui as créé mes reins, tu m’abritais », v. 13) est animé de puissance et d’amour : Dieu ne dissèque pas quand il connaît. Dieu n’abstrait pas quand il s’approche de nous. Il nous prend tout entier, tel que nous sommes, au moment où nous sommes. Dans un autre poème, Alain Lerbret traduisait joliment ces versets en écrivant :

« Au ventre de la vie
dans la chaleur de grotte de ma mère
Lorsque la patience brodait une enfance d’homme
selon la trame de l’amour
Tu contemplais le mystère nu en tisserand ravi » .

Dieu aime l’embryon que nous avons été. Il aime l’embryon que nous restons comme personne toujours appelée à croître dans l’amour. Cette découverte nous mène à purifier notre regard sur nous-mêmes. C’est la louange qui nous pousse à reconnaître joyeusement la « merveille » que nous sommes. C’est l’action de grâce qui nous fait avouer, à l’aurore de notre existence comme à son crépuscule, combien notre vie est « pure dépendance » de l’amour. Dieu ne connaît-il pas en nous ce que nous ne connaissons pas nous-mêmes ?

« Lorsque nous regardons le monde, l’univers, le cosmos, la foi comme la raison nous poussent à admirer le Créateur de toutes choses. L’infiniment grand comme l’infiniment petit dépendent de Dieu. Parler d’un Dieu créateur, c’est affirmer non seulement qu’il est à la source de toutes choses, mais qu’il soutient encore et toujours tout ce qui existe. Nous demeurons dans « l’être » parce que Dieu nous y maintient à chaque instant. Exister, c’est dépendre de Dieu et être confié au monde créé. Le temps lui-même n’est-il pas créé par Dieu ? Nous sommes bien loin du « Dieu-chiquenaude » qui nous créerait en nous abandonnant ensuite. Dieu créateur reste présent au monde créé, à l’infiniment petit comme à l’infiniment grand. Les réalités les plus modestes sont connues de Dieu : « Est-ce que l’on ne vend pas deux moineaux pour un sou ? Pourtant, pas un d’entre eux ne tombe à terre indépendamment de votre Père. Quant à vous, même vos cheveux sont tous comptés. Soyez donc sans crainte : vous valez mieux que tous les moineaux du monde » (Mt 10,29-31).

Quand on considère la place de l’homme comme être d’esprit dans la création, on ne peut penser que la conception de l’embryon humain, sa vie et sa croissance soient ignorées de Dieu. Aucun homme ne vient à l’existence sans que Dieu ne le sache et n’agisse. Cette connaissance divine de l’univers, et donc de tout ce qui s’y passe, établit un lien immédiat entre tout embryon humain et le Créateur. Dieu est le premier à connaître l’existence de l’embryon humain. L’embryon, alors même que sa présence n’est pas reconnue physiquement, est déjà connu de Dieu » [4].

Une responsabilité dans l’histoire humaine

Notre vie n’est-elle pas qu’une ébauche de celle qui sera définitivement au creux de son amour dans l’éternité ? Ce que nous dessinons sur la terre comme projet, comme désir, comme dessein, n’est-il pas le plus souvent marqué de nos limites et de la complexité du réel ? Devant tous les possibles du temps et de l’espace, nous avons parfois le sentiment de ne pas déployer le maximum de notre être. Avouons, avec le psalmiste, notre désarroi devant l’ampleur et la grandeur de notre destinée sur la terre.

« Dieu, que tes projets sont difficiles pour moi. Que leur somme est élevée ! » (v. 17). Dieu ne manque pas d’espérance pour chacun d’entre nous. Que craindre face à Dieu ? Non pas d’être oublié, mais de ne pas pouvoir être à la hauteur de son regard bienveillant et de ses appels. Que je dorme ou que je me lève, Dieu est toujours présent et il compte sur moi. Nulle journée sans Dieu. Nulle journée d’une vie entière sans un appel, un service, une présence à assurer avec Lui, en Lui et par Lui. Non seulement le passé, le présent mais aussi l’avenir de mon être personnel lui appartiennent. Dieu n’est pas soumis au temps. Il comprend tous les temps. Il est l’Éternel. Dans cette prière, au cœur de mon temps et mon histoire, c’est l’éternité divine que je contemple.

« Je découvre ainsi que prier, c’est rapporter mon existence à Dieu ; c’est la recevoir de Dieu et la lui rendre, c’est la saisir suspendue à Son acte ; c’est découvrir avec bonheur ce temps, où, avant d’exister pour moi, j’existais pour Dieu – ce temps, où, avant toute réponse possible de ma part, Dieu m’aimait déjà, Dieu me créait et me conférait l’existence – c’est saisir comment ce temps d’inconscience originaire symbolise à merveille l’absolue priorité de l’Amour créateur sur tout amour humain possible. Prier, c’est faire mémoire de ce temps où j’existais seulement pour Dieu, pour Son amour premier – indépassablement matutinal. Prier, c’est reconnaître le “retard” de ma liberté sur ma création comme le signe indélébile de “l’avance” (indevançable) de Dieu sur moi [5]. »

En outre, la complexité des projets de Dieu recouvre aussi tous les « possibles » du bien à faire. N’est-ce pas, de fait, l’expérience humaine la plus commune : faire le bien, aimer, c’est infini. On n’en a jamais fini d’aimer. Le bien est toujours là qui nous fait signe : sa puissance d’attraction est sans limites. Pour le mal, il suffit de l’éviter. Quel projet pour nous ? Comment le découvrir sinon dans le souffle de l’Esprit qui nous murmure au cœur ce qui fait vraiment plaisir à Dieu. Prier, c’est chercher et découvrir ce dessein de Dieu. Prier, c’est trouver la paix parmi tous les projets car il nous suffit de faire ce que Dieu veut. Et si le chemin du Seigneur nous déroute, si les méandres de nos décisions comme sa providence nous paraissent surprenants, il nous suffit de dormir en paix, « en confiance » en lui donnant notre vie. Le réveil sera joyeux. « Je me réveille, et me voici encore avec toi » (v. 18). Aux cœurs simples, Dieu dit clairement sa volonté.

« Dieu ! Si tu voulais massacrer les infidèles ! Hommes sanguinaires, éloignez-vous de moi. Tes adversaires disent ton nom pour tromper. Ils le prononcent pour nuire.
Seigneur, comment ne pas haïr ceux qui te haïssent ? Comment ne pas vomir ceux qui te combattent ? Je les hais d’une haine parfaite, ils sont devenus mes propres ennemis ».

Ces versets 19 à 22 expriment l’engagement de l’homme dans l’histoire, engagement qui prend une forme de combat, d’invitation à tuer l’impie. Comment en arriver à souhaiter la mort de certains à partir de la beauté de l’acte créateur. Comment comprendre ces paroles, sinon peut-être en mesurant que l’obstacle à la présence de Dieu est l’impiété des hommes, de ceux qui tiennent pour rien les pensées divines et qui les trouvent absurdes ? C’est un cri d’adorateur du Dieu vivant que de souhaiter (comme au psaume 104) qu’une telle opposition n’existe pas !

La connaissance que le psalmiste a de Dieu lui fait mesurer le poids du refus, le sens du péché du monde. Il veut s’engager là où il est pour son Dieu : cette résolution exprime l’envers d’un amour qui s’est découvert à la fois viscéralement et radicalement tourné vers Dieu pour vivre et pour survivre. En lui est la source de ma vie. Soulignons que cet appel à la mort de l’impie, dans le langage affectif du psalmiste, est toujours soumis au jugement de Dieu : « Si tu voulais, ô Dieu, tuer l’infidèle » (v. 19). Même dans sa réaction vive et désordonnée, l’homme ne se substitue jamais à Dieu. Ce cri est encore un signe d’amour, comme le souligne André Chouraqui : « Nulle part ailleurs que dans ce poème l’obsession amoureuse ne s’est traduite avec plus de force. En tous temps et tous lieux, l’amant rencontre l’objet de son amour : il est incapable d’échapper à son emprise, ce n’est plus lui qui vit, mais son amour en lui. Celui qu’il aime est Adonaï YHWH, mais l’analyse qu’il donne de l’amour, de sa fascination et de son obsession a une portée générale, que son objet soit Dieu ou une créature. Dans les versets 19-22 s’élève un cri de haine, qui fait partie intégrante du poème. Le poète vomit tout ce qui peut faire obstacle à cette perfection d’amour dont il décèle en lui la présence. Le poème s’achève comme il avait commencé, par un appel à la pénétration d’amour qui exclut tout partage avec l’idole » [6].

Les réactions du psalmiste montrent paradoxalement la patience et la magnanimité de l’amour divin. Même nos réactions d’amour ne sont pas adéquates à la manière d’agir de Dieu envers toutes ses créatures. Pour Dieu, la pluie et le soleil se déploient sur les méchants comme sur les bons. Pour Jésus, il conviendra de ne pas séparer trop vite le bon grain de l’ivraie.

La grâce demandée

Le psaume 139 a commencé par une affirmation, une constatation. Il se termine par une demande qui confirme ce que le priant a constaté dans sa vie, sa réflexion et sa prière. La liberté s’engage de manière particulière à la fin de ce psaume. Tout le cheminement de la prière montre cette liberté donnée à elle-même et appelée à s’engager par rapport à ce qu’elle est et par rapport à l’acte créateur. Joyeusement, le priant demande pour terminer que cette connaissance de Dieu s’affermisse, s’intensifie, se fortifie. Il en va de sa vie : il s’agit de prendre le chemin qui mène à la vie et de traverser tout péril. L’homme libre prend le chemin de toujours : le chemin d’éternité, le chemin qui mène à cette éternité de présence au cœur de l’histoire humaine et qui la transforme par là même. Dieu attend cet acte de liberté pour pouvoir se donner encore plus intensément à nous. Après un combat spirituel, la fin de ce psaume nous convie à l’espérance et à l’engagement libre face à Dieu.

Prêtre depuis 1985, l’auteur est actuellement professeur de théologie morale et sacramentelle à l’Institut d’Études Théologiques (Bruxelles). Biologiste de formation, il est intéressé par les questions éthiques actuelles concernant le corps ainsi que les relations conjugales et familiales. Sa thèse sur « les dons du mariage » développe avec audace une nouvelle théologie du don pour ce sacrement. Comme supérieur de séminaristes en formation (Communauté Notre-Dame della Strada et Maison Sainte-Thérèse), l’auteur est sensible aux problèmes de la formation des jeunes et de l’accompagnement des vocations. Une conviction à partager ? « Toute vie humaine est une aventure spirituelle, une histoire sacrée, un mystère qui nous dépasse. »

[1La méditation de ce psaume est éclairante pour celui ou celle qui entre dans la démarche des Exercices spirituels. Elle lui permet de se centrer sur « le principe et fondement » de son aventure spirituelle.

[2Nous prenons la traduction œcuménique de la Bible (TOB), Paris, Cerf, 1975.

[3Le terme « savoir » ou « connaître » se trouve repris par 7 fois : « savoir de Dieu » (v. 1.2.4.6.23.23) au début et à la fin du poème et aussi « savoir de l’homme » (v. 14) qui en lui éprouve la merveilleuse proximité divine.

[4Alain Mattheeuws, Les Origines de la vie. Quelques repères bioéthiques, Paris, Mame-Cerf, 1997, p. 53.

[5J.M. Hennaux, Le droit de l’homme à la vie, Bruxelles, IET, 1993, p. 172.

[6L’Univers de la Bible, t. V, p. 355.

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