Dans la vie religieuse apostolique, la chasteté...
Féconde les tensions qui s’établissent entre la mission au service d’autrui et l’existence communautaire
Jeanne Thouvard
N°2001-3 • Mai 2001
| P. 166-184 |
Les conditions spécifiques de la vie religieuse apostolique semblent opposer les exigences de la vie communautaire et celles de l’engagement dans la mission. Est-ce inévitable ? En termes de tensions, peut-être. Mais alors, celles-ci se présentent, en régime de célibat consacré pour le Royaume, comme lieu d’une fécondité propre à ce choix de vie qui s’y révèle humanisant pour celles et ceux qui y confient leur propre vie et pour ceux et celles que ce choix rencontre souvent au plus blessé de leur humanité. Aucune dimension (vie commune, évidemment, prière, vie sacramentelle, famille, amitié...) de cette vie « à Dieu seul », pour tous et ensemble, « n’est laissée hors de cette bénédiction grave et joyeuse que représente une existence chaste en tous ces états ».
Cette conférence, donnée à la Session de Naudières (France) en septembre 2000, est une version enrichie d’une communication faite au Centre Sèvres (Paris) à l’occasion de la Session du Département de Spiritualité et Vie Religieuse des 22-25 février 1999 et publiée en fascicule, avec d’autres sur le même thème, aux éditions Média-sèvres, 2000. Nous publierons encore des textes issus de cette très riche Session et nous remercions le Père F.-X. Dumortier, directeur des éditions Média-sèvres, de nous en avoir accordé la permission.
La lecture en ligne de l’article est en accès libre.
Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.
Introduction
Nous terminions la journée, hier, en parlant de la vertu humanisante, libérante de la chasteté, dans quelque état de vie que ce soit.
Aujourd’hui, nous essayons de voir la chasteté dans la vie religieuse : la chasteté est-elle « humanisante » pour nous qui sommes consacrés à Dieu et à nos frères, contrairement à ce qu’en dit la culture ambiante ? Si oui, comment la chasteté dans le célibat consacré est-elle facteur d’humanité ?
Les tensions entre vie communautaire et vie apostolique
Nous connaissons tous dans nos vies religieuses, les tensions entre ces deux dimensions de notre vie religieuse apostolique : la vie en communauté et la vie de responsabilités et de relations extérieures.
– Est-ce un problème de générations ? Peut-être.
– Mais aussi on peut dire que dans le parcours d’une personne, des accents se déplacent selon les périodes de la vie et l’évolution physique, psychologique, spirituelle : il y a des moments où l’on a besoin de prendre davantage de temps pour soi et pour le partage fraternel (étapes de formation, d’intégration de la vie religieuse...) ; d’autres où les responsabilités invitent à un plus grand investissement dans la vie apostolique – moments qui peuvent correspondre aussi à des étapes de plus grande possession de ses moyens, de désir légitime de fécondité... ; d’autres encore où la mission est moins prenante, les responsabilités moins lourdes et où l’on peut sentir l’appel à une vie plus « intérieure », plus habitée par des temps explicites de prière, de lectures et relectures, et aussi de plus grande disponibilité pour la vie communautaire et fraternelle.
Chacun de nous gère cette tension en fonction de sa personnalité, de la façon dont il s’approprie la mission et le charisme de son Institut. Inévitablement, il y a des différences et parfois des excès : en toute bonne conscience, certains en arrivent à se laisser immerger dans le travail et se voient sans cesse reprocher d’être absents de la vie communautaire, tandis que les autres ne cessent de réclamer une vie communautaire toujours plus forte, se montrent insatisfaits des partages éprouvés comme insuffisants ou insignifiants, des temps trop courts de vie fraternelle, de la prière communautaire ressentie comme trop légère...
D’autres encore se laissent envahir par les relations extérieures à la communauté, que ce soient les relations offertes par la vie apostolique ou les relations amicales, familiales...
Tout ceci est signe de malaise. Comment le traiter ?
Jésus Christ a bien vécu ces tensions. Il faudrait longuement lire l’évangile pour y contempler la manière dont il a vécu sa vie d’homme, ses relations, sa mission. Il n’a pas échappé aux tensions de l’existence : tensions entre les apôtres et l’urgence de la mission ; tensions entre sa famille et les foules ; tensions entre les sollicitations pressantes des pauvres, des détresses humaines et la relation à son Père pour laquelle il se retire dans la nuit ou dans le désert. Voué « aux affaires du Père » dès l’âge de douze ans, toute sa vie est tendue vers l’accueil et l’accomplissement de la volonté de Celui d’où il vient : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé » (Jn 4, 34). Jésus découvre à nos yeux une humanité où la reconnaissance du don de la vie est première et fonde tous les choix de son existence : il se reçoit du Père, il est Fils et, par là, il est frère de tous les hommes, en particulier des plus pauvres. En choisissant de vivre un célibat chaste, il choisit une existence qui souligne que sa vie reçue du Père fonde sa relation fraternelle à toute l’humanité. En Jésus, on peut dire que « la chasteté féconde les tensions qui s’établissent entre la mission et la vie communautaire ».
Peut-il en être de même pour nous ? Et comment ?
La réflexion que nous amorçons ensemble, pose l’hypothèse que « la chasteté féconde la tension » entre la vie communautaire et la vie apostolique, autrement dit, la chasteté permet à cette tension de porter du fruit : est-ce bien vrai ? et si nous répondons oui à cette première question, comment la chasteté féconde-t-elle cette tension ? Comment permet-elle à cette tension de produire du fruit pour la vie communautaire, comme pour la vie apostolique ? À quelles conditions ?
Ce sont ces questions que je vais essayer d’aborder.
Dans une première partie, je poserai les termes de notre question.
Dans une deuxième partie, j’essayerai de préciser ce que recouvre la chasteté dans notre vie religieuse, les domaines de l’existence humaine qu’elle rejoint.
Dans une troisième, je tenterai de formuler quelques conditions pour que la chasteté soit source de fécondité dans notre vie religieuse.
Posons d’abord les trois termesChasteté - Vie apostolique - Vie communautaire
Arrêtons-nous d’abord sur : vie apostolique et vie communautaire.
Ces deux dimensions de notre vie religieuse sont en tension, mais elles ne peuvent s’opposer parce que, fondamentalement, elles s’enracinent toutes les deux dans un même lieu : l’envoi sur lequel se fonde notre vie religieuse. Nos constitutions disent : « Envoyé du Père, Jésus Christ nous engage à sa suite pour participer à sa mission » [1]. Appelés par le Père à suivre le Christ, nous sommes envoyées pour participer à sa mission : cet envoi apostolique fonde notre vie fraternelle, notre communion : beaucoup de constitutions récemment écrites, disent en des termes proches, cette réalité spirituelle de la vie religieuse. Cela, c’est le fondement.
Mais cette dimension profonde où s’enracinent vie apostolique et vie communautaire s’inscrit ensuite, pour toutes les deux, dans des réalités très concrètes. La mission que chacun reçoit le conduit sur un terrain précis : on est envoyé dans telle communauté, pour exercer telle mission. En d’autres termes, chacun de nous entend au plus profond de son être le Père qui l’envoie en mission ; il répond à cet envoi par un engagement prononcé dans le corps apostolique auquel il appartient, un corps caractérisé, habité d’un charisme spécifique ; cet envoi s’incarne, au quotidien dans une tâche précise, un service, une responsabilité définie ; et ceci se vit en relation avec une communauté qui garantit cet envoi, en soutient la réalisation au jour le jour.
Dans cette communauté, la dimension de fraternité insuffle un esprit, une solidarité : elle organise la vie quotidienne pour vivre la mission quelle qu’en soit la forme : dans la dispersion de ses membres envoyés dans des lieux divers, ou, au contraire, dans le rassemblement dans un même lieu, au service d’une institution, par exemple. À ce niveau, vie communautaire et vie apostolique s’incarnent dans des modalités très concrètes de lieux, de personnes, de tâches. Toutes deux sont marquées par le relatif, la limite, le transitoire : nous ne sommes pas éternels dans un lieu, dans une mission ; des changements interviennent, appellent ailleurs. Et toutes deux sont en tension, parce qu’elles demandent toutes deux du temps, de l’énergie, de l’investissement. Mais cette tension ne peut se gérer en opposant les deux pôles puisqu’on est envoyé dans une communauté pour y exercer une mission et la communauté est rassemblée pour être envoyée.
Si l’on met ces deux premiers termes l’un en face de l’autre, on pose un rapport de dualité qui ne peut se résoudre que de façon conflictuelle : l’un contre l’autre avec le risque que l’un l’emporte sur l’autre. La tension se résout alors en privilégiant l’un des pôles au détriment de l’autre, jugé avec plus ou moins bonne conscience de secondaire. Chacun résout ce conflit avec tout un arrière-fond plus ou moins conscient, celui de son histoire avec des expériences affectives lointaines qui déterminent bien des comportements et des attitudes.
La chasteté, elle, se situe différemment : elle s’enracine aussi dans l’engagement profond de suivre le Christ, mais dans le registre de sa relation filiale au Père : par toute sa vie Jésus veut manifester que Dieu est Père, que Lui, Jésus, est son Fils bien-aimé et, par sa résurrection, « le premier né d’une multitude de frères ». Cette relation privilégiée au Père fonde le projet de vie de tous ceux qui font vœu de « célibat pour le Royaume », le vœu de chasteté. Ce troisième terme touche l’orientation profonde de l’être dans son désir de vivre en enfant de Dieu et en frère de tous les hommes. Elle marque la façon dont on s’engage dans toutes les relations : relation à Dieu, mais aussi relations aux autres, relations au monde, au cosmos, au travail, là où se déploient les capacités humaines et où s’exerce la liberté. Toute la vie affective et relationnelle s’organise selon ce choix.
Dans la gestion de la tension vie apostolique et vie communautaire, la chasteté introduit un troisième terme, inscrit une ouverture. Elle pose une distance, fait prendre du recul. Elle instaure un vide, un espace, où la relation à Dieu peut prendre toute sa place et devenir inspiratrice de tous les registres de l’existence humaine.
Dans la problématique que nous ouvrons, elle constitue un autre pôle à la fois à distance des deux premiers, la vie apostolique et la vie communautaire, mais pourtant liée à elles, intérieure à leur pratique au quotidien.
Cette première étape nous invite à avancer positivement dans l’hypothèse que la chasteté féconde les tensions qui existent entre vie apostolique et vie communautaire.
Creusons maintenant davantage ce que nous entendons par chasteté dans notre vie religieuse.
La chasteté
En faisant vœu de chasteté, nous professons l’amour premier de Dieu, reçu dans notre histoire personnelle. L’expérience vécue de l’amour de Dieu est à la source de notre engagement à son service dans la vie religieuse. Dans cet engagement s’inscrit le célibat. Il s’agit de vivre une alliance, de la manifester dans toute notre existence où la relation particulière à Dieu et au Christ est l’axe central autour duquel toute la vie s’organise, s’ordonne : la reconnaissance de Dieu Père fonde une vie fraternelle à la suite du Christ selon les vœux. Cette manière de vivre l’alliance que Dieu nous offre, inspire, comme nous venons de le dire, tout ce qui constitue l’existence, elle lui donne sens, l’oriente.
Soulignons parmi d’autres, deux domaines dans lesquels la chasteté inscrit sa marque :
La vie affective
La marque de toute relation de chasteté, y compris dans le mariage, est qu’elle s’efforce d’aimer en évitant la possessivité, la domination ; elle reconnaît et respecte les différences.
Dans le mariage, la chasteté permet de gérer la relation entre époux et celles de parents-enfants dans le respect de chacun, le souci de l’altérité, de la différence ; elle ouvre les relations très fortes de la proximité familiale (entre époux, entre parents-enfants).
Dans la vie religieuse, la chasteté habite une vie relationnelle marquée par les liens de fraternité, au nom de la relation privilégiée à Dieu, dont on veut signifier qu’il est Père de tous les hommes. La vie relationnelle s’organise donc autour de cet objectif, devenir frère, sœur de tout être humain, les plus proches, comme les plus lointains. C’est pourquoi, dans la vie religieuse, il y a un lien très fort entre chasteté et sens des plus pauvres, des plus petits, sous quelque forme que ce soit : ceux qui vivent dans la précarité, mais aussi les pauvres dans leur vie affective, ceux qui sont seuls.
La fraternité ne concerne pas seulement les relations avec les membres de la communauté, mais aussi ceux et celles que je rencontre dans le travail, dans le métro, ou dont j’entends parler dans les informations, à l’autre bout du monde. En mettant ainsi l’accent sur la fraternité, la chasteté dans la vie religieuse manifeste le Royaume de frères et de sœurs que nous sommes tous appelés à devenir, lorsque nous ressusciterons, à la suite du Christ. Elle montre le terme de l’histoire. C’est la dimension eschatologique de la chasteté.
De son côté, le mariage met l’accent sur la rencontre d’un partenaire avec lequel un couple se construit pour assurer la succession des générations, dans le temps. Dimension d’incarnation. Deux façons différentes et complémentaires de vivre sa vie, et de l’orienter dans le mystère de l’alliance divine.
La vie de responsabilité
Une autre dimension des relations humaines est marquée par la chasteté, celle de l’exercice de responsabilités, dimension qui s’accomplit entre autres dans notre mission.
Dans la vie religieuse, notre manière d’exercer des responsabilités est marquée par le désir de chercher à faire la volonté de Dieu avec d’autres que, dans la foi, nous reconnaissons comme des frères et des sœurs. Dans cette perspective, on reçoit une mission dont on n’est pas propriétaire : on l’exerce selon l’esprit d’un corps, selon son charisme, avec des frères et des sœurs avec lesquels on est lié au service d’une même mission. Dans la fraternité, l’un ou l’autre est mandaté pour rendre le service de l’autorité, indispensable pour la marche du groupe ; c’est dans cet esprit qu’il l’exerce et qu’il envoie ses frères en mission, évitant des attitudes de chantage, de pression affective, « autorisant » [2] ses frères, les rendant « auteurs », créateurs. C’est dans ce même esprit que ses frères et sœurs lui rendent obéissance, c’est-à-dire accueillent leur mission, y déploient toutes leurs potentialités et lui en rendent compte dans une attitude de dépossession et de disponibilité, de désintéressement qui n’enlèvent rien à la créativité et à la responsabilité. Ces attitudes relèvent d’un cœur qui cherche à vivre ses activités et ses relations dans la chasteté.
Le religieux ne cherche pas sa carrière, ni sa promotion personnelle. Il ne construit pas « son affaire », de même qu’il ne construit pas sa propre famille. Sa vie est un chemin de pauvreté, où il déploie tous ses talents, toutes ses capacités, toute son énergie pour une œuvre qui ne lui appartient pas et qui le dépasse. Au terme de sa vie, « il est un homme sans famille, ni fortune, qui n’a rien bâti pour lui-même et qui regarde vers Dieu pour le sens de sa vie ». Cette pauvreté ne détruit pas sa vie religieuse, qui, dans l’expérience des manques et de la solitude, s’enrichit de bien des manières et s’accomplit positivement [3].
Ce détour sur la vie affective et la vie de responsabilités nous montre :
- que la chasteté est intimement liée aux autres vœux, obéissance et pauvreté avec lesquels elle fait système ;
- que la chasteté inscrit dans l’existence humaine une manière de vivre où la relation à Dieu et la relation aux frères colorent, nourrissent tous les aspects de l’existence humaine. Avec l’obéissance et la pauvreté, elle ouvre un chemin de liberté, de fécondité pour le service de Dieu et des hommes.
Il reste maintenant à voir comment :
Comment la chasteté féconde les tensions qui s’établissent entre la mission au service d’autrui et l’existence communautaire
Pour percevoir la fécondité de la chasteté dans nos vies apostoliques et communautaires, relevons quelques conditions pour qu’elle remplisse cette fonction. J’en relève quatre. On pourrait en souligner d’autres. Nous pourrons poursuivre la réflexion ensemble, bien consciente personnellement qu’il ne s’agit ici que d’une ouverture, je ne prétends pas tout dire...
Une première attitude peut contribuer à la fécondité de la chasteté : celle de poser clairement sans les dissimuler l’incomplétude, le manque, la vulnérabilité qui marquent toute expérience humaine
Le vœu de chasteté nous soutient dans le consentement à nos limites, à l’inachevé, à l’imparfait qui est le propre de notre existence humaine. Non pas y consentir avec dépit, par obligation écrasante, mais y consentir avec humilité, comme un attribut de notre condition qui comporte un positif. Comme le dit E. Mounier :
« L’impatience de nos limites vient en grande partie de ce que nous les regardons trop ordinairement sous leur aspect négatif. La limite est en même temps le dessin, la surface sensible et la beauté même de la personnalité. Comme la silhouette de notre corps, elle est comme l’image repoussée de la force qui travaille en nous. La refuser, ce n’est pas nous hausser au-dessus de nous-mêmes, c’est opter pour l’inconsistance ».
Le vœu de chasteté est facteur de vérité, d’authenticité. Il nous invite à nous situer à notre juste place de créature face au créateur, d’enfant du Père, de frère, sœur de toute l’humanité, à commencer par les membres de nos communautés et ceux près desquels la mission nous porte.
La tentation est grande, dans les moments d’épreuves, d’échecs apostoliques, de solitude avec les sentiments d’inefficacité, de stérilité qui accompagnent, d’aller chercher ailleurs ce qui peut combler les manques, ou de remettre en cause le sens des choix de vie, ou encore de poser un regard critique, extérieur, sur les institutions, les personnes, refusant de regarder en face le réel et ses limites. La chasteté invite à un travail de réalisme. Et cela passe :
- La prise en compte du corps. Respecter son corps, en faire un allié. « Le corps parle » nous disent les sciences humaines. Ceci nous appelle à être vigilants sur ce qu’il dit : savoir reconnaître les moments de détentes, de santé, d’épanouissement, qu’on remarque souvent moins : les reconnaître devant Dieu dans l’action de grâces, goûtant le don de la vie qui se manifeste là de façon plus sensible ; reconnaître aussi les moments de fatigue, de sommeil difficile, de tension... qui engendrent inquiétudes, questionnements, obscurité sur le sens de ce qu’on vit : ils nous renvoient à notre vulnérabilité, notre fragilité et nous invitent à nous en remettre à Dieu, à la médiation des autres, à chercher humblement les raisons de ces fatigues et les chemins de vie où le Seigneur nous rejoint. Tirer profit de ce langage du corps : il nous parle de forces, à déployer et aussi de limites à respecter.
- La conscience a aussi des effets physiques et psychologiques de la continence et de la souffrance de ne pas donner la vie à des enfants. Selon les âges de la vie, l’absence de conjoint, de progéniture, de famille issue de soi est éprouvée avec des accents différents. Le poids de la solitude, à certaines périodes, peut être très douloureux et atteindre l’équilibre affectif. Il y a un manque fondamental à ne pas nier, qui demande à être géré dans la foi, dans la prière, dans le soutien de la communauté. Ce n’est jamais réglé. C’est à reprendre à chaque étape de l’existence, en apprenant à relever où se situe la fécondité de nos vies apostoliques, relationnelles.
- Le soutien de la vie fraternelle : celle-ci apporte une aide pour assumer ces privations réelles, sans les nier : des relations chaleureuses en communauté, le souci de faire que la communauté soit un lieu de vie, de détente, de nourriture spirituelle, affective, intellectuelle sont légitimement attendues par les plus jeunes générations de la vie religieuse. Sans se prêter à des généralisations hâtives, peut-on dire que les jeunes religieux ne cherchent pas dans le travail, les responsabilités extérieures le même investissement que les générations qui les précèdent ? Celles-ci apparaissent plus attentives à la disponibilité apostolique qui les voue corps et âme à la mission, aux relations qu’elle implique, au risque de mépriser plus ou moins consciemment la vie communautaire. Un des enjeux des relations fraternelles est de faire dialoguer ces sensibilités différentes : un juste équilibre peut se trouver entre recherche de vie communautaire de qualité, évitant les tendances fusionnelles et investissement dans la vie apostolique sans céder aux attitudes non chastes de possessivité, d’enfermement, de toute puissance (Notre langage nous trahit parfois, quand nous parlons de nos tâches, le possessif envahit le champ : mes malades, mes élèves, mes retraitants, mes accompagnés...).
Prendre au sérieux toutes les dimensions humaines de l’existence s’inscrit aussi dans une vie de chasteté et contribue à la rendre féconde
Pour être positive, féconde, la chasteté doit déployer l’humanité des personnes. Tout ce qui peut développer compétence, moyens humains est à encourager, selon l’esprit et les nécessités de la mission. Celle-ci exige aussi l’investissement de la personne, de son affectivité. Une légitime recherche d’épanouissement personnel est facteur de liberté, d’équilibre. Tout ceci retentit sur la nécessité d’une formation initiale et continue.
Pas d’économie à faire sur ce plan : dans un dialogue confiant, avec le discernement nécessaire, que les religieux (ses) exposent aux responsables ce qui leur semble utile, bon, pour être bien vivants, pour avoir les moyens humains de vivre jusqu’au bout leur vocation propre et leur mission [4].
Mais un tel projet de formation doit être vécu dans un certain esprit : la formation trouve son sens dans l’axe profond de la vocation personnelle et collective. La formation est source d’enrichissement personnel, oui, mais en vue d’une vocation à accomplir, d’une mission à remplir, dans un souci aussi de « communion » avec l’Église, avec les hommes et les femmes de notre temps, en attente de la Bonne Nouvelle. Cet objectif nourrit, mais aussi oriente, décentre de soi, ouvre sur le monde, sur les autres. Alors, le plaisir que l’on peut éprouver dans ces ressourcernents résonne avec le bonheur d’une vie qui se reçoit d’un autre et qui est appelée à se déployer pour être partagée.
Dans ce domaine, peuvent se situer les moyens à prendre pour aider à se connaître soi-même, à vivre les difficultés de son tempérament (fermetures, dépendances affectives qui pèsent sur une vie de relations), à sortir des tendances fusionnelles et égocentriques toujours récurrentes ; pour connaître aussi les fonctionnements de groupes, en consentant humblement à prendre les moyens nécessaires, personnellement ou en communauté. Les sciences humaines nous offrent des ressources à ne pas négliger.
La recherche d’épanouissement n’est pas contraire à la chasteté ! Et que cet épanouissement soit facteur d’ouverture, de liberté dans les relations, de compétence apostolique, d’intelligence et de discernement pour faire les choix qui s’imposent, tout cela est en harmonie avec l’évangile, si c’est vécu dans une intention droite, une pureté de cœur, le respect de l’autre dans la singularité de son cheminement.
Habitées par la chasteté, des attitudes de distance, recul, retrait deviennent fécondes
Ces attitudes en elles-mêmes sont ambivalentes : elles peuvent relever de la peur, de tendances à fuir les relations ou les responsabilités, ce qui n’a rien à voir avec la chasteté. Le vœu de chasteté nous engage à consentir à la solitude, constitutive de notre identité profonde. Il nous engage aussi à respecter l’autre dans son autonomie, dans sa spécificité, dans sa différence, dans sa solitude qui le rend unique, parce que lui-même séparé, seul. Dans la solitude, chaque être trouve sa propre identité devant Dieu et accueille les moyens d’être lui-même : « la solitude aide à être tout à fait soi, pour être tout à fait aux autres » [5].
La chasteté construit des relations libres entre les êtres et les choses. Vécue dans la foi, dans la prière, dans la contemplation de Jésus dans l’évangile, elle favorise une relation aux créatures et au monde, selon Dieu, en Dieu, source et terme de nos vies. Quand saint Ignace nous enseigne à « voir Dieu en toutes choses », il nous invite à se rapporter à toutes choses, tout être en ce monde avec le regard de Dieu, pour le découvrir présent, agissant. C’est aussi dans cette direction que nous oriente la béatitude des cœurs purs : « ils posséderont la terre ».
La chasteté se nourrit de la prière : en effet, la prière personnelle et communautaire est appelée à habiter la distance pour y accueillir sa vie comme un don de Dieu, pour y goûter la présence de Dieu à l’œuvre en nous-mêmes, dans le monde. Elle ouvre l’espace qui permet de nous détacher de ce que nous vivons et de nous référer à l’Esprit qui habite toutes choses, de nous décentrer de nous et grandir dans une liberté qui nous aide à nous accepter nous-mêmes et à accueillir les autres.
La chasteté se nourrit aussi de la vie sacramentaire : la pratique de l’eucharistie et du sacrement de réconciliation entretiennent notre vie de foi, nous ajustent au mystère de mort et résurrection du Christ, renouvellent notre vie baptismale.
L’ascèse, elle aussi, soutient une vie de chasteté : terme grec « askésis » qui signifie « travailler des matériaux bruts » pour en faire des objets utiles, des œuvres d’art. Ce sens premier nous situe dans une perspective dynamique qui résonne bien avec ce que nous avons dit. L’objectif de l’ascèse est de « permettre un plus grand épanouissement de vie, de rendre l’homme réellement vivant de l’Esprit et heureux de l’être » [6].
Dans la vie religieuse, nous avons à chercher la place et la forme de l’ascèse qui peut nous aider à vivre pleinement, à « favoriser la plus grande intensité possible de vie ».
« L’homme moderne pressé et encombré, a peut-être intérêt à développer une ascèse de pauvreté et de détente plutôt que de pénitence corporelle... Il se privera plutôt de paroles inutiles, de jugements indiscrets sur son prochain ou d’une émission télévisée, pour garder le cœur libre et, dans son emploi du temps, quelque plage vacante pour Dieu. Dans un monde qui ne reconnaît guère que l’efficacité, il donnera ses chances à la gratuité... Et il aura trouvé l’ascèse qui lui convient quand il en recevra plus de liberté, de paix, de joie, car le sel de la pénitence rend le goût de vivre » .
Dans la vie religieuse, les ruptures proposées dans la formation initiale contribuent à instaurer une qualité de fécondité dans nos vies. Au départ, des ruptures sont proposées pour laisser place à une relation à Dieu plus centrale et pour ouvrir d’autres champs apostoliques et relationnels : elles contribuent à fonder une existence sur de nouvelles bases. Puis, le sens de ces ruptures s’intériorise dans le temps et dans la démarche d’intégration de la vie religieuse. Elle reste une clé, un repère pour gérer les multiples tensions de nos vies religieuses apostoliques, avec l’aide des relations vécues dans l’obéissance et la vie fraternelle.
Dans ce registre, citons la question du rapport aux familles : comment vivre de façon positive la tension entre les deux commandements de l’Écriture, qui s’adresse à tout être humain partagé entre une juste autonomie et le respect de ceux qui lui ont donné la vie : « Tu quitteras ton père et ta mère » et « Tu honoreras ton père et ta mère » ? La vie religieuse laisse encore des traces de distance douloureuse pour les familles qui ne comprenaient pas ses lois de ruptures souvent jugées – et à juste titre – inhumaines. Il reste que chacun et chacune doit s’expliquer avec son histoire, ses relations avec ses parents, sa famille pour trouver un chemin évangélique qui ne cède ni à la distance qui aurait une tonalité de lâcheté, d’oubli sous les meilleurs prétextes apostoliques ou communautaires, ni au surinvestissement qui plus ou moins implicitement voudrait combler les vides de l’existence. Ce travail intérieur de clarification, de conversion de l’affectivité ne va pas sans retentir sur la vie communautaire : le rapport de chacun à la communauté est marqué par son histoire familiale. Les forces vives déployées dans les relations aux familles sont les mêmes que celles qui peuvent être déployées dans la communauté. Les questions posées aujourd’hui par le prolongement de la vie nous touchent aussi dans nos relations à nos parents et à nos proches âgés. Les religieux ne doivent pas se dérober devant ces questions et trouver leur juste place aux côtés des frères et sœurs et autres membres de leurs familles.
Il y a peu ou pas de règles à observer sur ces questions dans nos constitutions : une place importante est donnée à l’accueil des événements, à l’écoute ensemble de ce qu’ils disent, à la recherche, au discernement... Tout ceci implique de rassembler des conditions de communication entre nous à divers niveaux (local, provincial, réflexions entre personnes de même génération, recherche et partage à l’intérieur de grands champs apostoliques) pour aborder ensemble des questions de fond posées en termes nouveaux par les évolutions culturelles que nous connaissons aujourd’hui et pour chercher ensemble comment les vivre.
La fraternité colore l’expérience de chasteté propre à la vie religieuse et contribue à rendre la chasteté féconde
La vie affective qui se déploie dans la vie religieuse met l’accent sur la fraternité, je l’ai souligné tout au long de cette réflexion : cet accent s’inscrit dans la vie communautaire avec toutes les diversités que nous rencontrons ; mais aussi dans une façon d’être au monde, plus largement : relations de fraternité qui inspire notre manière de nous situer dans tous les rapports humains que nous vivons depuis les collègues de travail, jusqu’à ceux pour qui nous travaillons : les riches, les pauvres, les jeunes, les vieux, les gens cultivés, les illettrés... C’est cette intuition qui habitait le Père de Foucauld se voulant « frère universel ». Une jeune religieuse, pédopsychiatre, lors d’une relecture de sa vie apostolique, parlait de « relation de fraternité » avec les enfants qui viennent la consulter.
La communauté a une place particulière dans la mise en œuvre de l’art de la fraternité : c’est dans le temps et la durée que se met en place ce mode de relations avec ses joies et ses difficultés ; il passe par l’expérience heureuse des solidarités, des partages de la vie au quotidien, des responsabilités assumées dans les petits services de la vie commune. Il se construit aussi au cœur des échecs, des souffrances, des incompréhensions, dans l’affrontement aux différences – différences des éducations, des cultures, des histoires personnelles ; différences aussi dans la façon de se rapporter aux biens, à l’argent, à la consommation ; différence dans la façon de gérer son temps, de se rapporter à la mission, aux loisirs... Une communauté qui gère les conflits inévitables du quotidien est davantage en mesure d’assumer la déception de ne pas être à l’image de ce qu’elle voudrait être, de ce qu’elle rêve. Une telle communauté est une communauté qui vit la chasteté. En reconnaissant ses limites, elle sort de l’imaginaire, elle assume modestement le réel.
La solution des difficultés communautaires réclame aussi la recherche intérieure d’un amour qui mûrit au creuset de la prière, du pardon mutuel, de l’accompagnement auquel on s’expose humblement. Ainsi se fait l’apprentissage de la chasteté dans l’humiliation des petits événements de la vie quotidienne où s’exerce dans le combat spirituel le désir de donner prise à l’Esprit du Christ qui s’incarne dans notre histoire aussi modeste soit-elle.
À l’intérieur de cette dimension de fraternité, l’amitié a un rôle important [7].
Je cite L. Licheri [8] :
« La grâce de notre état de consacrés célibataires est de pouvoir nouer des liens profonds et réciproques sans en être ligotés. Goûter la joie de la rencontre quand cela est donné, sans justement que cela devienne nécessité impérative dont nous serions esclaves. Vivre l’amitié dans la gratuité. Vivre l’amitié tout en étant pleinement engagées là où la mission nous envoie, le cœur libre. Goûter la profondeur de certaines relations fraternelles ; en nous étonnant de leur aspect « gracieux » : l’amitié que nous vivons dans le cadre de la fraternité nous est vraiment donnée par grâce, sans que cela soit le résultat d’une manœuvre de rapprochement dont nous aurions eu l’initiative laborieuse.
Affrontés à une grande diversité apostolique, mais aussi de cultures, de formations, nous risquons de nous isoler sur nos terrains respectifs, dans nos réseaux plus ou moins éloignés : suspectée autrefois, l’amitié peut être, aujourd’hui, cet espace de communication chaleureuse, d’écoute, de compréhension, de vérification, de complicité fraternelle si elle s’exerce de façon ouverte, fuyant tout ce qui pourrait paraître exclusif, ou engendrer la division, la suspicion, la démobilisation de la communauté tout entière. Il y a bien des situations où une telle amitié est un appui solide pour accueillir, soutenir, encourager des membres plus faibles, plus fragiles : d’expérience, je connais des communautés sur qui on peut compter pour accueillir une sœur en difficulté, parce que, dans ce groupe, deux ou trois membres puisent dans leur amitié l’énergie nécessaire pour ce service fraternel.
Conclusion
Pour conclure, je vous partage – sans commentaire – ce texte sur la chasteté écrit par une jeune religieuse préparant ses vœux définitifs :
À propos de la chasteté
« Je poursuivrai donc ma route avec vous, dans le célibat chaste et continent.
Je ne connaîtrai pas ce transport émerveillé du corps et du cœur quand ils se donnent à un compagnon et accueillent le don qu’il fit de lui-même, dans la fulgurance de l’instant.
Je ne connaîtrai pas cette lente germination, à l’intime du corps, du fruit vivant de la vie partagée, ni cette exultation de la tendresse devant la chair née de sa propre chair.
Il y aura bien en moi un Non, un Interdit, dont je n’ai pas envie de gommer trop vite l’abrupt par le rapide recours à la notion freudienne de « sublimation » possible du sexuel ; ou par la remarque qu’existe bien en tout état de vie, en toute relation, pourvu qu’elle soit humaine, une forme de distance, de solitude, de retrait, bref de « chasteté ». Je voudrais plutôt regarder nettement, franchement la réalité à quoi je m’engage : c’est bien tout un pays de l’expérience humaine que je ne visiterai pas, un possible en moi que je n’explorerai pas, mais qui n’en continuera pas moins de poser sa question, de jouer en moi par sa béance même, comme le coin enfoncé qui travaille le bois dans les mois d’hiver.
Rigueur de l’Interdit, mais non point inhumanité. La vie religieuse n’est pas choix héroïque ou désespéré, mais la manière particulière dont le Créateur s’y prend avec moi, mon cœur, ma chair, mon affectivité, pour les créer, les modeler, pour leur donner, me donner, cette forme pleinement humaine à laquelle j’aspire et qu’il espère pour moi. Comment s’y prend-il et que crée-t-Il en moi, Celui par qui j’essaie de me laisser rejoindre, en ces heures de plénitude où tout semble s’éveiller, se pacifier, s’unifier, dans l’éblouissement, la douceur, la joie de se savoir aimée et de pouvoir aimer ?
Comment s’y prend-il et que crée-t-il en moi, celui que j’essaie d’écouter dans le silence et la solitude, en ces heures de vertige affolé où le sel de la solitude, l’angoisse de la stérilité, viennent ronger un cœur qui a soif de tendresse, un corps qui a faim de se donner ?
« Comprenne qui pourra » nous dit l’Ami. </quote
Je ne comprends pas, mais je sais.
Je sais la morsure de la solitude et je sais, née de cette solitude, l’amitié avec lui qui grandit, l’habitude de la Présence, le discret compagnonnage qui devient pain quotidien.
Je sais l’angoisse de la stérilité, et je sais cette douceur nouvelle du cœur qui s’ouvre peu à peu sans crainte, qui ose se rendre vulnérable ; je sais l’autre qui devient frère, et l’appel de plus en plus impérieux, exigeant, de la fraternité, de l’amitié, de la compassion, de la gratitude, de la miséricorde.
Je sais la panique de la chair et je sais cette tendresse nouvelle des choses offertes au regard, à la caresse. Je sais en moi le souffle qui s’apaise, le corps qui consent au temps, qui s’accorde à la lumière qui lui est donnée jour après jour, à la douceur d’une parole, à la force d’une promesse ».
Religieuse auxiliatrice (depuis 1962), j’ai assumé la responsabilité du noviciat de la province de France pendant 12 ans et celle de provinciale pendant 6 ans. Depuis 1995, je suis à Marseille très engagée au service du catéchuménat des adultes et en suis la responsable diocésaine depuis 1997. Après avoir investi dans les tâches internes de la congrégation, me voici très en contact avec les « personnes du seuil » dans une ville au visage très contrasté, véritable Corinthe où je vis l’appel à « annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres ». C’est une grâce qui dynamise toute la vie et qui, je l’espère, me donne de déployer ce que mon intervention sur la chasteté dans la vie apostolique a essayé de dire.
[1] Constitutions des Sœurs Auxiliatrices, 1984, n° 15.
[2] Cf. Michel de Certeau, Le risque de la foi, p. 110.
[3] Cf. « Serviteurs de la Mission du Christ. Perspectives des Jésuites aujourd’hui ». (34e Congrégation Générale). Vie Chrétienne, n° 409, p. 59-60.
[4] Importance pour les responsables de se montrer attentifs, avec un cœur large et un esprit ouvert, aux jeunes générations qui ont des attentes nouvelles en ce domaine.
[5] Xavier Lacroix, « Éloge de la solitude », in Les Mirages de l’amour, Paris, Bayard/Centurion, 1997, p. 137-156.
[6] J.C. Guy, « Force et faiblesse d’une tradition », in Christus, n° 85, janvier 1975, p. 21.
[7] X. Lacroix, op. cit. « Chapitre sur l’amitié », p. 109 à 135.
[8] L. Licheri, « Vivre la chasteté : grandir vers une maturité humaine et spirituelle) in La chasteté pilier de la vie consacrée, Paris, Médiasèvres, 2000, p. 24.