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Clôture des moniales et sponsalité

Un point de vue dominicain sur Verbi Sponsa

Sœur Marie-Ancilla

N°2001-3 Mai 2001

| P. 185-196 |

Ce n’est pas sans intérêt de lire, à la suite du précédent article (ou avant selon sa propre situation), celui que nous propose Sœur Marie-Ancilla. En effet, si dès son instauration (au IX e  siècle), la clôture apparaît liée à la virginité consacrée il s’en suit qu’elle déploie un espace symbolique où différentes significations de la chasteté vouée pour le Royaume se trouvent rehaussées ; telle, par exemple, la sponsalité de la vie consacrée. Mais n’est-il pas excessif de « cadenasser » toutes les formes de vie religieuse contemplative féminine dans cette seule harmonique et de la lier si strictement à la pratique d’une clôture univoque ? La tradition dominicaine ne le pense pas et Sœur Marie-Ancilla attire notre attention sur la nécessité d’une perspective historique et surtout respectueuse du polymorphisme des traditions en cette matière.

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La parution de Verbi Sponsa – dernière instruction de la CIVCSVA sur la vie contemplative et la clôture des moniales (déjà présentée par le P. Renwart, s.j. (V.C. 2000/3, 148-155) – invite à réfléchir sous un angle particulier au sens de la clôture dite papale.

Pourquoi choisir le thème de la sponsalité ?

Un problème canonique

Le présent article n’est pas une étude systématique de Verbi Sponsa, il s’attache seulement à un thème particulier : celui de la relation entre la clôture et la sponsalité. D’autres aspects, aussi fondamentaux que la relation entre clôture et vie commune, clôture et mission dans l’Église, etc., ne seront donc pas abordés.

Comme l’indique le titre du document, la clôture des moniales est fondamentalement mise en relation avec la « spiritualité des noces », à la suite de Vita consecrata qui qualifiait déjà la vie des cloîtrées de « sponsale » (n°59). L’Instruction place cette notion au cœur de sa définition très précise de la clôture papale – ce que Venite seorsum n’avait pas fait – :

« Pour les moniales, la clôture papale signifie la reconnaissance de la spécificité de la vie féminine intégralement contemplative, qui, en développant particulièrement à l’intérieur du monachisme la spiritualité des noces avec le Christ, devient signe et réalisation de l’union exclusive de l’Église Épouse avec son Seigneur » (Verbi Sponsa, n° 10).

Le nom de la nouvelle instruction, Verbi Sponsa, n’est donc pas sans signification [1]. La clôture papale apparaît désormais comme le reflet d’un monde spirituel très particulier. Être signe de l’Église Épouse est lié à une conception de la vie contemplative féminine fondée sur une « spiritualité des noces », et non plus seulement à une ecclésiologie, comme dans les textes conciliaires qui parlent de la vie religieuse en général.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’enjeu est un problème canonique et non spirituel. Mais il est nécessaire, pour en percevoir la portée, de faire un bref rappel historique de quelques jalons canoniques concernant les moniales.

Un peu d’histoire

Au début du Moyen Âge, les moniales furent considérées comme les seules héritières des vierges consacrées qui avaient disparu. Au IXe siècle, un document officiel Sancti moniales canonicoe viventes repose sur une donnée de fond : la virginité consacrée. Des lois de clôture de plus en plus sévères sont prises au cours des siècles pour défendre les moniales contre l’extérieur. La clôture apparaît liée à la virginité consacrée.

Mais avec l’apparition des Ordres mendiants d’autres formes de moniales voient le jour. Elles sont rattachées canoniquement aux moniales existantes car elles en possédaient les caractères généraux. Mais elles avaient des particularités, par exemple pour les normes de clôture. Telles les dominicaines, qui pouvaient sortir de clôture avec la seule permission de la prieure.

En 1298, pour la première fois, une loi universelle est promulguée pour la clôture, avec la constitution Periculosa. Cette décrétale est reprise au concile de Trente : dorénavant aucune moniale ne peut sortir de son couvent. Saint Pie V fait appliquer la décision du concile à toutes les moniales de vœux solennels. Une clôture pontificale stricte est imposée, liée désormais aux vœux solennels.

Les anciens Ordres se soumirent et les nouvelles fondations adoptèrent la stricte clôture pontificale accompagnant la vie contemplative canonique, car c’était la seule forme de vie religieuse reconnue.

Au fil des années, de nombreux monastères joignirent des œuvres d’apostolat à la vie contemplative canonique. La constitution apostolique Sponsa Christi [2] (1950), face à ce problème, définit ainsi les moniales :

« Tous les monastères de moniales doivent toujours et partout, au point de vue canonique, professer la vie contemplative comme leur fin première et principale. »

Cette instruction demande aux moniales de reprendre les vœux solennels [3]. Et une clôture plus sévère est demandée aux moniales « pour mettre mieux en sécurité le vœu solennel de chasteté et la vie contemplative » : c’est la clôture pontificale. Elle peut être soit « majeure », soit « mineure ». Cette dernière concerne les moniales qui n’ont pas toutes les conditions requises pour la clôture pontificale majeure, le plus souvent à cause de la présence d’œuvres.

Nouveau changement avec le motu proprio Ecclesicoe sanctoe (n° 30) : « La clôture papale des monastères doit être considérée comme une institution ascétique singulièrement cohérente avec la vocation propre des moniales [une vie contemplative] ; elle est en effet le signe, la protection et la forme particulière de leur retrait du monde ». Le n° 32 précise qu’il existe désormais une seule forme de clôture papale : la clôture mineure est supprimée, et les moniales qui ont des ouvres auront désormais une clôture constitutionnelle. Il n’est plus question de vœux solennels, car les textes conciliaires, puis le nouveau Code de droit canonique, n’en parlent plus.

Verbi Sponsa apporte un nouveau changement en introduisant dans la définition de la clôture dite papale « la spiritualité des noces ». C’est renouer en partie avec la conception de la clôture existant au début du Moyen Âge.

En conclusion de cet aperçu historique, le problème de la clôture des moniales présente une constante. Il est toujours résolu par des canonistes, sans qu’elles aient leur mot à dire. Ceux-ci leur proposent des définitions et sans le moindre dialogue possible, elles ont à se soumettre ou à se retirer !

On peut d’ailleurs se demander d’une part pourquoi Sponsa Verbi, qui n’est qu’une instruction de la CIVCSVA, change les orientations données par le motu proprio post-concilaire Ecclesiœ sanctæ, et d’autre part comment une « spiritualité des noces » peut être en quelque sorte institutionnalisée.

Un cas particulier : la clôture dominicaine

Lors de leur fondation en 1207, les moniales de l’Ordre des Prêcheurs furent assimilées, sur le plan canonique, aux moniales déjà existantes [4]. Mais elles gardèrent leur originalité qui venait de leur appartenance à un Ordre apostolique. Elles ne se sont pas situées dans la lignée des moniales héritières de l’idéal des vierges consacrées. On comprend donc qu’une mystique sponsale de la clôture soit étrangère à la conception qui a cours dans l’Ordre des Frères Prêcheurs, tant chez les frères que chez les moniales. Pour les uns et les autres, la clôture a une valeur beaucoup plus prosaïque : elle est un moyen parmi d’autres – silence, habit religieux, etc. – qui facilite la réalisation fidèle de l’observance régulière, c’est-à-dire de « tous les éléments qui constituent la vie dominicaine et l’organisent par la discipline commune ».

À ma connaissance, pour ce qui est de la clôture, il n’existe pas d’écrit dominicain qui lui reconnaisse une dimension sponsale [5]. Ce thème ne fait d’ailleurs jamais l’objet d’une prédication, même au cours d’une retraite. C’est avant tout un fait lié à sept siècles de vécu. Voici les deux textes typiques de l’esprit dans lequel la clôture est vécue par les moniales dominicaines :

« Attentives à l’exemple des premières sœurs que saint Dominique établit au monastère de Prouilhe, au cœur de la Sainte Prédication, les Moniales, « unanimes dans la maison », suivent Jésus se retirant au désert pour prier. Elles offrent ainsi un signe de la Jérusalem céleste que les frères construisent par leur prédication. Le cloître est en effet le lieu où les sœurs se dédient totalement à Dieu, perpétuant ainsi cette grâce singulière de notre bienheureux Père à l’égard des pécheurs, des malheureux et des affligés, qu’il portait dans le sanctuaire intime de sa compassion ».

« Le retrait du monde, en esprit et en réalité, selon lequel les moniales, telles les vierges sages, demeurent dans l’attente de leur Seigneur, les affranchit des préoccupations du monde et leur permet de se livrer de grand cœur à l’occupation du Royaume de Dieu. Cette vie cachée leur ouvrira l’intelligence de la largeur, de la hauteur et de la profondeur de l’amour de Dieu, qui a envoyé son Fils pour que, par Lui, le monde soit sauvé. Tel fut le sens de la clôture choisie pour les moniales par notre bienheureux Père, dès les débuts de l’Ordre, et fidèlement maintenue jusqu’à nos jours »

On conçoit que, dans ce contexte, une moniale dominicaine soit surprise en lisant Verbi Sponsa.

Avec tout cet arrière-fond présent à la pensée, je me suis attachée à analyser les diverses approches de la sponsalité qui, dans Verbi Sponsa, sont reliées à la clôture et à poser quelques questions sur les motifs de cette jonction. C’est en effet sur ce point qu’un changement a été apporté dans la définition de la clôture papale.

Les divers harmoniques de la sponsalité dans Verbi Sponsa

Verbi Sponsa situe d’emblée la vie contemplative cloîtrée dans sa relation au mystère trinitaire et au mystère de l’Église. C’est dans la ligne des documents sur la vie consacrée parus depuis le Concile. Comme tous les religieux, les religieuses moniales ont quelque chose à voir avec le mystère de l’Église Épouse du Christ (Ep 5, 25-27 ; Ap 21, 2-3 ; 22,17) :

« La vie religieuse relève du mystère de l’Église Elle est un don que l’Église reçoit de son Seigneur et qu’elle offre comme un état de vie stable au fidèle appelé par Dieu dans la profession des conseils. Ainsi l’Église peut-elle à la fois manifester le Christ et se reconnaître Épouse du Sauveur » (Catéchisme de l’Église catholique, 926).

Cette relation à l’Église Épouse du Sauveur caractérise la vie religieuse par rapport aux autres formes de la vie consacrée (ibid., 925). Mais l’Instruction passe de l’Église-Épouse du Christ à l’Église Épouse de l’Agneau, et par là implicitement à la virginité [6], pour en venir enfin à la dimension sponsale de la vie monastique de clôture papale, comme si cet enchaînement allait de soi et ne posait aucune question.

D’où l’intérêt de l’étude du sous ses diverses facettes.

Dimension nuptiale de l’eucharistie

Au paragraphe 3 de Verbi sponsa, il est question de la dimension nuptiale de l’eucharistie :

« La clôture devient une réponse à l’amour absolu de Dieu pour sa créature et l’accomplissement de son dessein éternel de l’accueillir dans le mystère d’intimité avec le Verbe, qui s’est fait don sponsal dans l’eucharistie et qui demeure dans le tabernacle le centre de la pleine communion d’amour avec Lui, recueillant la vie entière de la cloîtrée pour l’offrir continuellement au Père. »

Or la dimension nuptiale de l’eucharistie n’a rien de spécifiquement monastique. Les Pères de l’Église abordent ce thème dans leurs catéchèses baptismales, en se référant au Cantique des Cantiques. Il s’agit tout simplement d’une dimension de la vie chrétienne. Le rédacteur se réfère d’ailleurs à un passage de Mulieris dignitatem et à un autre de Redemptoris Mater. Mais l’un et l’autre documents ne concernent pas spécialement les moniales. Et, les textes de sainte Claire et de la bienheureuse Élisabeth de la Trinité, placés en note, font appel à des spiritualités particulières.

En outre, la dimension de l’eucharistie qui est mise en relief ici est de l’ordre de la dévotion plus que de la célébration : la présence du Christ dans le tabernacle semble occuper une place prépondérante dans la communion au Christ.

Il est sûr que la dimension nuptiale de l’eucharistie est un élément de toute vie chrétienne. Elle est le « festin des noces de l’Agneau ». Mais en vie dominicaine, l’eucharistie est perçue avant tout comme « le lien de la charité fraternelle et la source première de l’esprit apostolique ». C’est ce que rappellent les constitutions de l’Ordre, aussi bien pour les frères que pour des moniales. L’eucharistie a principalement une dimension communautaire. Elle fait la communauté comme elle fait l’Église.

Sponsalité et virginité

Le Concile a présenté la vie religieuse – et non les religieux pris individuellement – comme signe de l’union sponsale du Christ et de l’Église (LG 44) par les vœux ou autres engagements qu’ils émettent. Cette dimension de signe est reprise au paragraphe 4 de Verbi sponsa, mais la dimension eschatologique seule est retenue ; elle est de plus élargie à toutes les formes de vie consacrée : « La dimension sponsale est le propre de toute l’Église, mais la vie consacrée en est une image qui manifeste davantage la tension vers l’unique Époux » (Verbi Sponsa, n° 4). Et une note réfère ce texte non pas à Lumen Gentium, mais à Perfectae caritatis 12, c’est-à-dire au paragraphe sur la chasteté.

Ceci permet le glissement qui se fait insensiblement, dans les paragraphes 4 et 5, de la vie contemplative en général à la relation nuptiale personnelle avec le Christ.

Une consonance particulière est découverte entre « le mystère de l’Église « Épouse immaculée de l’Agneau immaculé » et la féminité (n° 4) des moniales. Et le rédacteur en déduit que la vie monastique féminine a « une capacité spéciale de réaliser la nuptialité avec le Christ » (n° 4). Mais ce thème relève de ce que la tradition attribue aux Vierges consacrées [7].

De plus, alors que la vie religieuse est signe de l’union sponsale du Christ et de l’Église, le paragraphe 5 attribue aux moniales une relation sponsale personnelle avec le Christ. Il est question de leur « rapport sponsal avec Dieu dans l’unicité de l’amour », de « l’Épouse qui se consacre à l’Unique ». Et la note 28 cite un texte de saint Basile qui parle explicitement de « la vierge, épouse du Christ ». Or il revient aux vierges consacrées d’être individuellement épouse du Christ (Catéchisme de l’Église catholique 923). Dans le Rituel de la consécration des Vierges, il est en effet demandé à la candidate :

« Voulez-vous être consacrée au Seigneur Jésus Christ, le Fils du Dieu Très-Haut, et le reconnaître comme votre époux ? » (n° 17).

Tous les traités des Pères sur la virginité en sont l’écho.

Les signes différents que constituent dans l’Église la vie religieuse et la virginité consacrée (cf. Catéchisme de l’Église catholique n° 923 et 925.926) sont mêlés lorsqu’on parle des moniales cloîtrées. On a ainsi glissé de la dimension eschatologique de la chasteté pour le Royaume à la virginité consacrée ; de l’Église tendue vers son Époux à la relation sponsale de l’âme avec son Époux qui, dans l’Église, est le spécifique des vierges consacrées.

Lien entre clôture et sponsalité

Dès l’introduction, un lien était établi entre « l’Église, Épouse du Verbe » et la vie intégralement contemplative qui en soi n’est pas forcément une vie en clôture. Ce thème est repris au paragraphe 3 cité plus haut.

Mais pourquoi le document passe-t-il de la vie intégralement contemplative aux « moniales de clôture », comme s’il allait de soi que ce qui est dit de la vie intégralement contemplative caractérisait la clôture ? On voit se profiler la conséquence qui en sera tirée : le lien entre sponsalité et clôture. C’est penser que toute forme de clôture est revêtue d’une mystique sponsale. Or cette déduction est étrangère à la tradition dominicaine, peut-être tout simplement parce que, pour elle, ce sont les moniales en communauté, «  unanimes dans la maison (Ps 67, 7), qui suivent Jésus se retirant au désert pour prier ». C’est la cellule, et non la clôture, qui représente pour elles le lieu de l’intimité individuelle avec le Seigneur.

La relation sponsalité-clôture est par contre très présente dans la tradition bénédictine. Les moniales bénédictines, pendant des siècles, ont été les seules à recevoir la consécration des vierges : les vierges consacrées vivant dans le monde avaient en effet disparu. La profession monastique s’est ainsi trouvé liée à la consécration des vierges, les deux finissant par être intégrées dans un même idéal. Le livre de Dom Jean Prou de Solesmes, sur la clôture bénédictine, est très éclairant [8]. Un des titres de chapitre de son ouvrage est ainsi libellé : « Clôture et consécration nuptiale ». L’auteur explicite la dimension sponsale de la clôture à l’aide de textes essentiellement puisés dans les traités des Pères de l’Église sur la virginité, et dans les citations scripturaires qui en sont la base. Il écrit :

« On peut en tout cas noter une affinité profonde, chez les moniales, entre l’accent porté sur la clôture et une spiritualité nuptiale, axée sur la consécration intégrale de la personne à Dieu seul. Il en était déjà ainsi, nous l’avons dit, à Saint-Jean d’Arles, mais aussi à Marcigny, chez sainte Claire, sainte Thérèse de Jésus, Mme Cécile Bruyère. C’est le cas encore aujourd’hui dans la tradition issue de Dom Guéranger. »

Mais le titre même de l’ouvrage, La clôture des moniales, prête à confusion, car l’idéal de la clôture bénédictine présenté dans ce livre n’est pas celui de toutes les moniales.

La dimension sponsale de la clôture est ainsi liée aux vierges consacrées ou tout au moins à la mystique de la virginité. Comment les moniales d’un Ordre qui parle de chasteté et non de virginité, pourraient-elles intégrer une telle vision de la clôture ? Pourquoi avoir reporté sur la femme en général, ce que la tradition de l’Église attribue aux Vierges ? Le texte ne le dit pas.

Mystique nuptiale

Une quatrième dimension de la nuptialité est présente dans le document. Elle est liée cette fois à la vie spirituelle, et plus particulièrement à la mystique sponsale dont saint Jean de la Croix est le représentant le plus connu. On pourrait aussi évoquer saint Bernard, sainte Thérèse d’Avila et sainte Claire. Au paragraphe 5 de Verbi sponsa, en effet, la contemplation des moniales est présentée comme la contemplation de « l’Époux ». Il y est dit encore qu’elles conversent « avec l’Époux divin ».

Mais la contemplation des moniales dominicaines a un accent autre : leur vie cachée est contemplation du mystère du salut, communion à l’amour du Père qui a donné son Fils pour le salut du monde. Leur regard se porte sur le Sauveur et non sur le Christ perçu comme l’Époux. Le cri de Dominique retentit dans leur cœur : « Que vont devenir les pécheurs [9] ? » Il est vrai que des dominicaines comme sainte Catherine de Montepulciano, sainte Catherine de Sienne et d’autres, ont vécu de la mystique sponsale. Mais dans l’Ordre dominicain, la mystique sponsale est peu fréquente et ne caractérise pas le visage spirituel des frères et des sœurs. On pourrait dire qu’elle n’appartient pas au charisme. Il s’agit de vocations personnelles particulières. Il suffit de demander à des dominicains et dominicaines s’ils considèrent le Christ comme leur Époux, pour se rendre compte que c’est plutôt rare ! Ch. A. Bernard montre très bien qu’il existe diverses mystiques dans l’Église [10] : la mystique sponsale en est seulement une parmi d’autres.

Il est significatif par ailleurs que deux des mystiques célèbres pour leur mystique sponsale, et qui ont un grand impact sur les moniales, soient saint Bernard et saint Jean de la Croix, donc deux hommes qui n’ont jamais vécu dans une clôture papale, tant s’en faut ! On ne peut pas dire non plus qu’ils illustrent la vocation sponsale de la femme dans l’Église...

L’Instruction unit donc clôture et mystique sponsale. Il faut cependant remarquer d’une part que la mystique sponsale existe largement en dehors des cloîtres, et ensuite que cette association est loin de faire partie intégrante de la spiritualité de tous les Ordres auxquels appartiennent les moniales.

Conclusion

Au terme de cette étude, la dimension sponsale de la clôture, telle que la décrit Verbi Sponsa apparaît un peu confuse dans ses fondements, pour quelqu’un d’extérieur à cette tradition. Certains de ses éléments relèvent de la vie chrétienne, d’autres de la vie religieuse, d’autres de la virginité consacrée et d’autres de la mystique sponsale. Pourquoi vouloir lier ces quatre dimensions de la sponsalité à la clôture ? Les explications qui sont données ne sont guère convaincantes. Il y manque une perspective historique. On ne peut donc les imposer à toutes les moniales en faisant abstraction de l’époque de leur fondation.

Il est curieux que Verbi Sponsa n’ait pas tiré toutes les conséquences de la définition de la clôture papale qui est donnée. Car la non intégration de cette spiritualité sponsale pourrait bien être, tout autant que le fait d’avoir des activités caritatives (Verbi Sponsa, 12), un motif pour opter en faveur de la clôture constitutionnelle. Les divers Ordres religieux qui ont des moniales auraient peut-être à se prononcer sur cette question, car les moniales ont droit à la parole pour dire de quelle spiritualité elles vivent. Un choix est donc à faire par les moniales : soit se couler dans cette spiritualité, même si elle n’appartient pas à leur tradition, et conserver la clôture papale ; soit garder leur spécificité et renoncer à la clôture papale, pour adopter une clôture constitutionnelle.

Il ne faut pas oublier qu’en elle-même la clôture n’est pas une valeur évangélique. Elle existe dans des formes de monachismes non chrétiens. Elle peut aider à l’intériorisation du Mystère chrétien, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Pourquoi, quand il s’agit des femmes, y assimiler tout un idéal de la vierge consacrée et de la féminité ? Ce n’est qu’une façon parmi bien d’autres de vivre la clôture. Mais dans un Ordre apostolique, composé d’hommes et de femmes qui en sont tous membres à part entière, avec une même mission – bien que réalisée sous des formes différentes – il est clair que la clôture sera fondamentalement perçue selon des critères communs. C’est l’unité de l’Ordre qui est en jeu. Ceci soulève d’ailleurs bien des questions pour la mise en pratique des directives concrètes de Verbi Sponsa.

Née en 1945, entre au monastère des Dominicaines de Lourdes en 1966 après quelques études en médecine. A été maîtresse des novices et a connu l’Afrique du Cameroun. Se spécialise dans l’étude des Pères et, bien sûr, de saint Augustin et de saint Dominique, à propos desquels elle publie nombre de contributions (livres et articles) et propose des enseignements en France et à l’étranger. On signalera, entre autres publications, Se consacrer à Dieu, une théologie de la vie consacrée, Téqui, 1998. Ouverture enfin, à l’âge d’internet, d’un site d’accompagnement spirituel : Quelques points de repères. Accompagner les jeunes dans leur recherche existentielle de Dieu et d’eux-mêmes : http://toulouse.op.org/ancilla/tdm.htm

[1On peut se demander si le titre de l’Instruction sur la clôture des moniales n’a pas sa source dans le livre de Dom Marmion, Sponsa Verbi. La vierge consacrée au Christ ? (D. Columba Marmion, Sponsa Verbi. La vierge consacrée au Christ, DDB/Lethielleux, Paris, Éd. de Maredsous, 1941).

[2Les premiers mots de la constitution, Sponsa Christi, désignent l’Église, en tête d’un paragraphe consacré aux vierges des premiers siècles.

[3Les vœux solennels définissaient canoniquement les moniales, les congrégations ayant des vœux simples.

[4Être moniales était alors le seul statut canonique possible pour des religieuses.

[5Cf. La clausura monastica. Tipici aspetti domenicani, Roma, S. Sabina Maggio, 1993.

[6Dans la tradition patristique ce sont les vierges, hommes ou femmes d’ailleurs, qui « suivent l’Agneau partout où à va » (Ap 14,4). Ce verset d’Écriture caractérise leur manière propre de suivre le Christ. Il suffit de se souvenir de ce qu’a écrit saint Augustin dans son traité sur la virginité. Il s’adresse aux vierges en ces termes : « Jean a écrit de vous, que vous suiviez l’Agneau partout où il allait. Dans quel lieu va donc cet Agneau, où il n’y a que vous qui osiez et puissiez le suivre ? Où va-t-il ? dans quels bois, dans quelles prairies ? Sans doute là où le cœur se repaît de joies ineffables Marchez donc à ces joies, en suivant l’Agneau, car la chair de l’Agneau est vierge » (De sancta virginitate, XXVII, 27).

[7Ceci est confirmé par les premières pages de la Constitution apostolique Sponsa Christi sur le développement de la sainte institution des moniales de Pie XII (21 novembre 1950). Il est regrettable que le sens de l’histoire présent dans Sponsa Christi soit totalement absent de Verbi Sponsa.

[8Dom Jean Prou, La clôture des moniales, Cerf, Paris, 1996.

[9Cf. Livre des constitutions des moniales de l’Ordre des Prêcheurs, nos 35, 1 ; 36.

[10Ch.A. Bernard, Traité de théologie spirituelle, Cerf, 1986, p. 418-419.

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